Mise à jour de la loi 101 : Un premier revers pour Québec devant les tribunaux

Mise à jour de la loi 101 : Un premier revers pour Québec devant les tribunaux

À peine adoptée, la loi 96 du gouvernement Legault – une imposante réforme de la loi 101 qui transforme des pans importants de la Charte de la langue française – est en partie suspendue par la Cour supérieure. Les groupes de défense des droits de la communauté anglophone promettent déjà de transporter l’enjeu dans l’arène électorale.

La décision est tombée vendredi sous la plume de la juge Chantal Corriveau. Plus tôt ce mois-ci, des juristes ont demandé à la Cour de suspendre deux articles de la nouvelle loi qui obligent toute procédure juridique déposée en anglais au Québec à être immédiatement accompagnée d’une traduction en français.

Dans son jugement, la juge Corriveau affirme que « les demandeurs soulèvent une question sérieuse, soit une possible contravention à l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui prévoit au Québec un accès aux Tribunaux en français et en anglais ».

« Les demandeurs plaident que cela est contraire à une disposition de la Constitution et crée une barrière empêchant l’accès aux Tribunaux pour les personnes morales dont les représentants sont de langue anglophone. Les coûts supplémentaires et les délais additionnels requis pour obtenir une traduction certifiée créant un obstacle à l’accès à la justice », dit-elle.

De son côté, le Procureur général du Québec « répond que la loi 96 est adoptée pour promouvoir le français et puisque la justice doit être exercée en français, les dispositions attaquées sont valides et ne créent aucun obstacle à l’accès à la justice », poursuit-elle.

Mais au final, la juge Corriveau estime que « les demandeurs ont démontré un préjudice irréparable en cas d’entrée en vigueur des nouvelles dispositions durant l’instance, notamment puisque les nouvelles dispositions peuvent rendre l’accès à la justice impossible ou illusoire dans les cas de procédure urgente ».

L’exigence d’une traduction certifiée par un traducteur agréé doit être évaluée selon les délais et les coûts qu’ils entraînent. Il est probable que cette exigence conduise à un obstacle d’accès à la justice.

La juge Chantal Corriveau, dans sa décision

Un procès à l’automne

Un procès pour trancher la question sur le fond doit avoir lieu en novembre prochain. En entrevue avec La Presse, MFélix-Antoine Doyon, qui représente les juristes ayant déposé une demande de sursis, se réjouit de la décision rendue vendredi par la Cour.

« Lors du procès, en novembre, on va adresser la question principale, soit celle de déterminer si, oui ou non, les deux nouveaux articles sont contraires à la Loi constitutionnelle », a-t-il dit.

Le cabinet du ministre de la Justice et ministre de la Langue française, Simon Jolin-Barrette, a affirmé vendredi qu’il prenait connaissance du jugement rendu par la Cour supérieure et qu’il procédait à son analyse.

« Rappelons que les dispositions concernées visent à favoriser un meilleur accès à la justice dans la langue officielle et commune, le français. Le gouvernement est fermement déterminé à défendre ce droit fondamental. Nous ne ferons pas d’autres commentaires pour le moment », a-t-on indiqué.

Un débat en campagne électorale

Ce revers pour le gouvernement Legault survient quelques jours avant le déclenchement de la campagne électorale. En plus de la démarche menée par le groupe de juristes, la loi 96 est contestée devant les tribunaux par la commission scolaire English-Montréal (CSEM), qui s’est réjouie vendredi du jugement prononcé par la juge Corriveau.

Ça démontre évidemment une incompréhension totale du présent gouvernement du fonctionnement du système judiciaire, de la primauté du droit et de la Constitution.

Joe Ortona, président de la CSEM

S’il n’entend pas inciter les anglophones à privilégier un parti plutôt qu’un autre lors des élections, M. Ortona estime que « la communauté est capable de se faire sa propre idée ».

La présidente par intérim du Québec Community Groups Network (QCGN), Eva Ludvig, salue à son tour la suspension temporaire des deux articles. « Depuis le dépôt du projet de loi 96, on a toujours dit que des éléments contrevenaient à la Constitution du Canada, qui garantit l’accès à la justice dans les deux langues officielles. Nous sommes très heureux de voir que la Cour est jusqu’à maintenant d’accord avec nous », estime-t-elle.

La loi 96 a été adoptée par l’Assemblée nationale en mai dernier. Québec solidaire a voté pour, alors que le Parti libéral et le Parti conservateur s’y sont opposés. Le Parti québécois a également voté contre, mais pour des raisons différentes : il juge la loi insuffisante pour renverser le déclin du français.

« Ça n’a pas pris trois mois pour que la Cour suspende des articles de la loi. Ça démontre toute la désinvolture avec laquelle le gouvernement a traité des droits des citoyens », a dénoncé vendredi le député libéral André Fortin.

Avec la collaboration de Vincent Larin, La Presse

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