M. Yvan Pelletier, professeur retraité de philosophie de l’Université Laval nous partage quelques aspects de la pensée d’Edith Stein sur la femme. Cette philosophe et théologienne, allemande, juive et chrétienne, moniale carmélite et martyre du nazisme, nous propose un «féminisme alternatif» où la femme ne doit pas tant chercher à imiter l’homme, mais plutôt à devenir elle-même.
Le Verbe: Évoquer le nom d’Edith Stein nous fait penser à Husserl, dont elle fut disciple et assistante dans la fondation de la phénoménologie, à Thérèse d’Avila dont la lecture de la biographie en une nuit nous valut sa conversion et sa vocation, et enfin à Auschwitz où elle termina ses jours le 9 aout 1942 dans une chambre à gaz. On ne pense toutefois pas spontanément à elle pour nous éclairer sur les enjeux actuels de la théorie du genre. Et pourtant c’est d’elle que vous voulez nous parler aujourd’hui?
Yvan Pelletier: Oui, car Edith Stein fait d’abord figure de femme intelligente, dotée d’un sens de l’observation pénétrant, attentive à ce que vit son entourage. Sa vie concrète l’a appelée à scruter, selon son expression préférée, la spécificité(Eigenart) de la femme, face à l’homme.
De plus, Edith Stein aborde le sujet de la nature proprement féminine sous un angle positif. Elle regarde la femme en elle-même, elle ne s’intéresse pas seulement à ce qui manquerait à la femme pour agir comme un homme; elle décrit plus volontiers comment la nature munit la femme pour agir comme femme. Cette perspective ne montre pas un être humain diminué, incomplet, un homme manqué, mais une merveille de la nature, magnifiquement équipée pour sa mission propre.
Notre époque tend à gommer les différences entre les hommes et les femmes, à considérer que celles-ci sont causées plus par la culture que par la nature. Est-ce que la différenciation sexuelle concerne seulement le corps, ou affecte-t-elle aussi l’âme?
Certes, à parler strictement, homme et femme constituent une espèce unique; ils représentent deux versions de la même essence humaine. On trouve chez les deux tous les caractères essentiels de l’être humain: la vie, avec tout son fondement végétal, la sensation et l’affection sensible, la vie intellectuelle, avec ses dimensions pratique et spéculative, ainsi que l’affectivité propre à ce niveau: une volonté libre. Voilà pourquoi devant Dieu homme et femme ont une dignité égale.
Mais la différence sexuelle, insiste notre philosophe juive, ne se circonscrit pas comme un simple accident génital, un partage des aspects mécaniques de la fonction reproductive. D’après elle, cette différence colore en profondeur toutes les opérations de l’être, jusqu’aux plus spécifiquement humaines.
Homme ou femme, voilà donc une seule nature humaine que reconnait Edith Stein avec toute la tradition chrétienne. Cela me fait penser à ce très beau passage du Catéchisme de l’Église catholique, no 369: «L’homme et la femme sont créés, c’est-à-dire, ils sont voulus par Dieu: dans une parfaite égalité en tant que personnes humaines, d’une part, et d’autre part dans leur être respectif d’homme et de femme. “Être homme”, “être femme” sont deux réalités bonnes et voulues par Dieu: l’homme et la femme ont une dignité inamissible qui leur vient immédiatement de Dieu leur créateur. Ils sont, avec une même dignité, “à l’image de Dieu”. Dans leur “être-homme” et leur “être-femme”, ils reflètent la sagesse et la bonté du Créateur.»
C’est très beau et très vrai en effet. Et la copatronne de l’Europe emprunte elle aussi la description de cette vocation commune à la Genèse:
«La destination naturelle que Dieu a assignée à l’être humain est triple: reproduire en lui l’image de Dieu grâce à l’épanouissement de ses facultés, procréer sa progéniture et dominer la terre. À cela vient s’ajouter le but surnaturel, c’est-à-dire la contemplation éternelle de Dieu, promise comme récompense d’une vie enracinée dans la foi et vécue en union personnelle avec le Rédempteur. La destination naturelle comme la destination surnaturelle sont communes à l’homme et à la femme.»
Reproduire l’image de Dieu, dominer la terre, procréer, voilà, déclarait notre philosophe, les facettes de la destination naturelle de l’être humain. Remarquez que la procréation marque la précarité du bonheur humain tout en nommant son remède: mortel, l’homme ne pourra accomplir sa vocation spéculative et pratique avec constance qu’en en confiant sans cesse le soin à une nouvelle génération.
De plus, cette triple vocation est si complexe qu’elle appelle collaboration; c’est la dimension politique de l’être humain. Or, cette collaboration ne prend pas le visage d’une simple distribution, comme si chaque individu, ou chaque sexe, recevait la mission exclusive d’un aspect ou l’autre.
Au contraire, hommes et femmes sont appelés à tout réaliser ensemble. Chaque aspect est néanmoins confié prioritairement à l’un, avec besoin de l’assistance adéquate de son conjoint. «D’ailleurs, écrit Edith Stein, dans le Seigneur, la femme n’est pas sans l’homme ni l’homme sans la femme. En effet, de même que la femme a été tirée de l’homme, de même l’homme vient au monde par la femme, et tout cela vient de Dieu.»
Quelle sera alors la vocation propre de la femme? Le soin d’assurer une continuité à l’espèce humaine ne revient-il pas autant à l’homme qu’à la femme?
La nature de la femme l’appelle clairement à devenir mère. En même temps, la nature ne prévoit pas que la mère réponde toute seule à ce besoin; le père aussi est requis. Mais sans conteste, la mère y fait le principal, et le père agit comme son adjoint indispensable. «La vocation première de la femme, affirme Edith Stein, est la procréation et l’éducation de sa progéniture; l’homme lui est donné à cette fin comme protecteur.» C’est la mère qui fait tout de la grossesse, l’apport du père n’étant manifestement que ponctuel, au moment de la conception.
C’est surtout la mère qui accompagne quotidiennement l’enfant jusqu’à ce qu’il se trouve en âge de s’émanciper. C’est elle qui le nourrit, le lave, l’habille, l’occupe, l’entoure d’affection, assiste à ses premiers pas, l’encourage dans ses jeux et ses premières initiatives, lui donne sa première instruction, lui apprend à parler, à communiquer, préside à ses relations avec ses frères et sœurs, à ses premières amitiés. C’est grâce à son amour que l’enfant découvre qu’il est quelqu’un, qu’il mérite d’être apprécié, qu’il peut jouer un rôle, apporter une contribution.
En tout cela, le père fait fonction d’une aide plus ou moins distante: il fournit le cadre matériel et moral; il apporte la nourriture, le vêtement, les instruments; il assure la sécurité, sanctionne les déviances; il remplace la mère dans ses tâches plus personnelles, pour lui accorder du répit et qu’elle ne soit pas trop débordée.
Mais toutes ses tâches liées à l’éducation ne peuvent-elles pas être accomplies aussi par des hommes?
Effectivement, et dans cette intention, la nature munit chacun des talents appropriés à sa mission prioritaire, sans en priver tout à fait son conjoint qui doit l’y assister. Pour notre sainte, les mêmes dons apparaissent chez l’un et chez l’autre, mais dans une mesure et dans une proportion différente.
Chose claire, toutefois, ces talents ne peuvent se répartir uniformément, car ceux requis pour les deux missions se distinguent au point de s’opposer, de se contrarier. La domination et la conquête requièrent surtout de la force, tandis que l’accompagnement au quotidien demande au contraire de la délicatesse, de la sensibilité.
«Chez l’homme, ce sont surtout les dons requis pour le combat, la conquête et la domination: la force physique pour prendre possession du monde extérieur, l’entendement pour pénétrer intellectuellement le monde et enfin la force de caractère et la puissance de réalisation pour le façonner d’une manière créative. Chez la femme, ce sont les capacités de préserver l’être en gestation et en croissance, de le protéger et de favoriser son développement, d’où, sur le plan physique, le don de vivre dans une union plus intime avec son corps et de rassembler tranquillement ses forces, et, d’autre part, celui d’endurer des douleurs, de se priver et de s’adapter; d’où, sur le plan psychique, la disposition à se porter sur ce qui est concret, individuel et personnel, la capacité de l’appréhender dans sa spécificité et de s’adapter à celle-ci, et le désir de favoriser son développement.»
Voulue comme mère, la femme reçoit de la nature une capacité extraordinaire de faire un avec l’enfant, au point de dépendre de lui dans toute l’organisation de sa vie. Impossible, pour la femme, de faire abstraction de l’enfant tout le temps qu’elle le conçoit et le développe en elle. Même une fois qu’elle lui a donné existence matériellement à l’extérieur d’elle, elle garde un lien extrêmement intime avec lui. Toute sa vie, il lui est difficile d’organiser ses occupations indépendamment du besoin de sa progéniture.
De nombreuses études ont montré que le soin maternel est déterminant pour le caractère et même pour la destinée de l’enfant: il sera heureux ou malheureux selon la nature de l’amour reçu de sa mère. Cette mission maternelle, mission d’amour sacrificiel, qui est confiée aux femmes est donc capitale.
Et comment! Le but de la femme mère, c’est en toute priorité le bien de son enfant. Cela, elle le trouve inscrit au plus profond de ses gènes et de son âme.
Mais il faut remarquer, ajoute Edith Stein, que la prédisposition maternelle de la femme entraine une deuxième dimension de sa spécificité féminine: faite pour être mère, la femme est aussi faite pour être épouse; la nature la dispose essentiellement pour accompagner, pour assister un homme. «Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Il faut que je lui fasse une aide assortie», déclare la Genèse.
À ce sujet, en lisant son ouvrage La vocation de l’homme et de la femme, j’ai été frappé par une interprétation et une image que notre théologienne allemande nous donne pour mieux comprendre l’expression de la Genèse qui appelle la femme une aide assortie. Plus littéralement, note-t-elle, on pourrait traduire une aide en face de lui. À partir de cette traduction, elle compare cette vocation d’épouse, cette collaboration nécessaire de l’homme et de la femme, à celle de nos deux mains qui, ayant une même nature, n’en sont pas moins différentes et complémentaires.
L’image des deux mains est très éclairante. Car l’homme a bien besoin, pour sa mission propre, du conseil, de l’encouragement, de l’appui d’une aide adéquate. Et voilà encore justement la spécificité de la nature féminine. Tous les dons naturels qui la font mère se mobilisent pour la faire aussi épouse, compagne.
«À cette prédisposition maternelle s’associe celle qui consiste à être une compagne. Partager la vie d’un autre être humain, prendre part à tout ce qui le concerne, aux grandes comme aux petites choses, à ses joies comme à ses peines, mais aussi à ses travaux et à ses problèmes, c’est un don chez elle et cela fait son bonheur.»
Par ailleurs, l’homme qui a pour première mission de dominer la terre a aussi une seconde mission qui le dépasse aussi et qui l’écraserait si la femme ne lui était donnée pour l’assister là aussi, et pour en assurer, comme dit Edith Stein, «plus que la moitié»: c’est sa mission de père.
«La charge de père de famille qui incombe au mari, s’ajoutant à ses obligations professionnelles extrafamiliales, semblerait par trop lourde si le mari n’avait à ses côtés cette auxiliaire dont la vocation naturelle est de porter plus de la moitié de cette charge. Elle éprouve la soif de faire s’épanouir sa propre personnalité en plénitude, mais presque autant celle d’aider les êtres de son entourage à s’épanouir en plénitude: aussi le mari trouvera-t-il en elle la meilleure conseillère pour savoir comment il doit la diriger ainsi que les enfants, voire pour savoir comment il doit se diriger lui-même. Bien souvent, il satisfera d’autant mieux à ses obligations qu’il ne contrariera point ses aspirations et acceptera d’être guidé par elle. À ce souci naturel de la femme d’aider les êtres de son entourage à s’épanouir comme il faut ressortit aussi son souci de l’ordre et de la beauté de tout le foyer en tant qu’atmosphère nécessaire à l’épanouissement de tous.»
N’y a-t-il pas des exceptions? Des femmes qui ne se sentent pas appelées à être épouses et mères?
L’exception confirme la règle, justement! Et puis, oui, certaines femmes feront exception. En raison de dons spéciaux ou de circonstances de vie spéciales, ces femmes seront appelées à donner leur vie de manière exceptionnelle: comme moniales, dans la prière, le silence et la solitude, épouses de Jésus Christ et mères sur un mode plus universel, comme l’Église; ou comme religieuses dans un institut plus ouvertement voué à un service de société; ou même comme célibataires laïques. Mais toujours, Edith Stein en est sure, cette vocation spéciale devra être une incarnation particulière de leur appel à être épouses et mères.
Mais si la vocation de la femme est la maternité, que dire alors à ces femmes qui n’ont pas eu la chance ou fait le choix d’être mère?
Comme je viens de le dire, que la femme soit naturellement mère ne s’observe pas seulement dans sa relation avec ses enfants. Tout ce que la femme fait facilement bien lui est inspiré par cet instinct maternel. La femme n’a pas des relations seulement avec ses enfants. Mais dans toutes les relations qu’elle a avec quiconque entre en contact avec elle se déploie cette propension naturelle à elle de se mettre à la place de l’autre, d’intuitionner ses besoins, ses talents et ses faiblesses, et d’assister le meilleur développement de sa personnalité.
Une femme peut ne pas avoir été comblée d’enfants; elle peut passer le plus clair de son temps et de ses énergies en dehors d’une famille. Mais, insiste notre écrivaine qui n’a elle-même pas eu d’enfants, quoi qu’elle fasse, elle le fera avec le plus grand bonheur dans la mesure où elle trouve à y exercer cet instinct maternel, où elle colore ses activités de cette attention à l’autre pour lui donner la meilleure occasion de développer et d’exercer harmonieusement sa personnalité.
Donc une femme peut tout aussi bien décider de se marier ou de rester célibataire sans rien perdre de sa féminité?
Attention toutefois, nous rappelle notre moniale, car les missions individuelles les plus difficiles à identifier et à mener à bien sont les plus spéciales, à commencer par celle de la femme célibataire.
La femme qui reste célibataire dans l’espoir d’une vie plus facile se fait illusion: elle évite peut-être certaines souffrances profondes, mais pour lesquelles elle est naturellement équipée; elle en rencontre cependant de plus profondes encore, qui lui sont moins naturelles et qui risquent de détruire son essence féminine, si elle ne découvre jamais son statut comme un appel tout à fait spécial de la nature et de Dieu.
«Si la femme célibataire peut, à maints égards, mener une vie plus facile et plus insouciante, il n’en demeure pas moins qu’il lui est incontestablement plus difficile de répondre à sa destination féminine, et chez bon nombre d’entre elles, cela se répercute aussi subjectivement par de graves souffrances. Certaines d’entre elles ne parviennent pas à se départir, leur vie durant, de rêves qui ne se transforment jamais en réalité, et passent, de ce fait, à côté de la vie réelle. Les conditions de la vie moderne offrent le travail professionnel comme palliatif au bonheur domestique, et de nombreuses femmes s’y jettent avec une ardeur fougueuse. Mais toutes n’y trouvent pas une véritable satisfaction. Encore moins nombreuses sont celles qui demeurent, ce faisant, des femmes authentiques et qui réussissent à répondre, au sein de leur profession, à la destination féminine. […]
«C’est le lot de nombreuses femmes de nos jours que de mener une vie solitaire dans le siècle. Exercent-elles une profession du seul fait qu’elles sont obligées de gagner leur pain ou bien du fait que, faute de mieux, elles veulent combler par là le vide de leur vie, ce sera à la longue un combat épuisant dans lequel elles s’useront sur le plan psychique. Mais si elles voient dans les décisions du destin l’appel de Dieu qui les invite à Lui vouer toutes leurs forces et si elles suivent cet appel, leur vie sera alors une vie féminine en plénitude et féconde: une vie d’amour, un agir où toutes leurs facultés s’épanouiront, une maternité spirituelle, parce que l’amour de l’épouse de Dieu s’étend à tous les enfants de Dieu.»
Mais une fois cela remarqué, qu’à travers les circonstances de caractère et de situation, c’est Dieu qui appelle à donner sa vie de manière particulière, une femme peut trouver à le faire dans une très grande variété de professions auxquelles elle peut se consacrer plus totalement.
Faut-il aussi penser que certains métiers sont plus pour les femmes et d’autres plus pour les hommes? Cette idée n’est pas très populaire à notre époque marquée par le féminisme.
Edith Stein a vécu au temps du féminisme naissant, en un temps où l’on discutait justement beaucoup à savoir si des professions se trouvaient typiquement féminines, ou si la femme n’était pas apte à exercer n’importe quelle profession.
Elle ne dira pas, comme plusieurs aujourd’hui, que la femme peut exercer toute profession avec autant d’aise que l’homme. Mais elle reconnait beaucoup de latitude à la femme sur ce plan, et surtout elle mesure le potentiel féminin de toute profession à l’occasion qu’y intervienne et y serve cette nature de mère. Certaines professions en appellent directement à ce charisme: tout ce qui concerne l’éducation et l’enseignement; et aussi l’administration de soins: médecine, psychologie, service social.
Donc, à priori, pas de métier interdit aux femmes? N’est-ce pas vrai aussi qu’Edith Stein s’est engagée personnellement afin de défendre la possibilité pour les femmes d’aller à l’université?
C’est juste. Pour celle qui fut la première femme docteure de philosophie en Allemagne. Il n’existe pas de profession qu’une femme ne puisse exercer, je l’ai mentionné déjà. Pour elle, qu’une activité ou une profession soit féminine tient moins radicalement à son contenu qu’à l’esprit avec lequel on l’aborde.
L’esprit masculin consiste à aborder un objet professionnel comme s’il était la chose la plus importante, l’essentiel à assurer. L’esprit féminin porte pour sa part à l’aborder en conscience que le plus important, ce sont les personnes concernées et l’amour à leur porter pour leur propre bien et bonheur. En définitive, un authentique métier féminin, c’est, dit-elle, un métier qui permet à l’âme féminine de s’épanouir pleinement.
Il existerait donc une âme spécifiquement féminine. À quoi ressemble-t-elle? La sainte carmélite en dresse-t-elle un portrait?
Il y a effectivement des qualités qui caractérisent l’âme féminine et qu’Edith Stein s’applique à nommer et à décrire.
«L’âme de la femme doit être ample et ouverte à tout ce qui a trait à l’humain; elle doit être silencieuse, de sorte que des tempêtes mugissantes n’éteignent pas de douces et petites flammes; elle doit être chaleureuse, afin que de tendres germes ne se figent pas; elle doit être limpide, afin que des parasites ne viennent point se nicher dans ses sombres coins et recoins; elle doit être repliée sur elle-même, de sorte que des assauts extérieurs ne mettent pas en péril la vie en son tréfonds; elle doit être vide d’elle-même, afin que la vie d’autrui puisse avoir sa demeure en elle; et enfin, elle doit être maitresse d’elle-même et de son corps également, afin que toute sa personne, prête à servir, se tienne à la disposition de tout appel.
«Voilà l’image idéale de la forme de l’âme féminine. L’âme de la première femme fut formée à cette fin et c’est ainsi que nous pouvons nous représenter l’âme de la Mère de Dieu.»
Ce portrait de l’âme féminine ne risque-t-il pas d’étonner, pour ne pas dire choquer, nos contemporains?
Cela serait surement de peu d’importance pour cette philosophe crucifiée, selon l’expression d’un de ses biographes. Elle qui accepta librement la mort devant l’idéologie de son époque ne rougirait certainement pas devant les nôtres.
Sans le savoir, on méprise la femme, en fait, aujourd’hui. Cela se voit à ce que, sous couvert de venir à son secours, de la «libérer», de lui donner une vie qui vaille la peine d’être vécue, on tend à en faire un homme, à lui concéder les activités et les qualités proprement masculines. On marque clairement ainsi qu’on méprise ses caractéristiques à elle.
Le féminisme, quand il veut masculiniser la femme et lui donner accès aux activités typiquement masculines, ne répare pas une injustice; il en est une lui-même et procède d’un mépris profond pour la nature particulière de la femme. La libération qu’il poursuit pour cette dernière implique de sous-estimer gravement les nécessités imposées par la formation de nouveaux êtres humains et ce qu’implique de configuration de tout l’être de la femme qu’elle se trouve à même d’y répondre adéquatement.
Dans sa description de l’âme féminine que vous venez de nous partager, sœur Thérèse-Bénédicte de la Croix, de son nom de religion, termine en invoquant Marie. N’y aurait-il pas lieu de trouver dans la théologie mariale les assises d’un nouveau discours, d’un nouvel idéal pour les femmes?
Assurément, car Marie est l’image parfaite de la femme. Il n’y a pas de doute d’ailleurs que notre sainte pointe dans cette direction. Pour illustrer plus concrètement comment elle voit la femme la mieux épanouie, où se peut observer le plus clairement la valeur féminine spécifique à son meilleur, Edith Stein trouve le plus adéquat de donner la Vierge Marie en exemple, la Virgo Mater, comme elle dit. C’est en elle que se voient le mieux la mère et l’épouse complètement donnée à sa mission, et en même temps aussi effacée qu’il le faut pour ne lui nuire aucunement.
L’exemple de Marie aide vigoureusement à dépasser la conception sentimentale qui a cours aujourd’hui sur la relation de la femme à son mari, qu’elle est surtout invitée à ne pas laisser dominer sur elle, et à ses enfants, qu’elle laisse difficilement souffrir ce qu’ils ont à souffrir pour devenir adultes et pour mener à bonne fin la contribution à laquelle ils sont appelés dans la cité.
Je vous propose que nous nous laissions d’ailleurs sur l’une de ses plus belles méditations mariales.
«Au centre de sa vie se trouve son Fils. Elle attend Sa naissance, emplie d’une espérance salvatrice, elle veille sur Son enfance, elle Le suit sur tous Ses chemins, proches ou lointains, à Son gré; elle serre la Dépouille dans ses bras; elle exécute le testament du Défunt.
«Mais elle n’effectue pas tout cela comme si c’était son affaire personnelle; elle agit en tant que Servante du Seigneur, elle accomplit la mission à laquelle Dieu l’a appelée. Voilà pourquoi elle ne considère pas l’Enfant comme son bien propre: elle L’a reçu des mains de Dieu, elle Le remet entre les mains de Dieu, en Le sacrifiant au temple, en L’accompagnant jusqu’à Sa crucifixion.
«Considérons la Mère de Dieu en tant qu’épouse: sa confiance paisible et illimitée, qui espère aussi en retour une confiance illimitée; son obéissance muette; l’assistance mutuelle naturelle et fidèle dans la souffrance; tout cela dans la subordination à la volonté de Dieu qui lui a donné un époux comme protecteur humain et comme chef visible.
«Cette image de la Mère de Dieu nous montre l’habitualité psychique fondamentale qui correspond à la vocation naturelle de la femme: ainsi, vis-à-vis de son époux, elle fait preuve d’obéissance, elle lui fait confiance et participe à sa vie, l’aidant de la sorte dans ses tâches concrètes et favorisant l’épanouissement de sa personnalité; vis-à-vis de l’Enfant, elle assure une fidèle protection, elle lui prodigue des soins et développe en lui les dispositions naturelles dont Dieu l’a doté; vis-à-vis de l’un et de l’autre, elle se livre dans un don empreint d’abnégation et se retire silencieusement là où l’on n’a pas besoin d’elle; tout cela repose sur la conception du mariage et de la maternité en tant que mission qui vient de Dieu et qui doit être accomplie pour l’amour de Dieu et sous la conduite divine.»
Pour aller plus loin:
Edith Stein, La femme, Cours et conférence, Ad Solem, 2009.
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Source : Lire l'article complet par Le Verbe
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