La Terre tourne, les Hommes se querellent, la géopolitique suit son cours et les Chroniques reviennent. Un retour marqué sous le signe du transfert…
- Transfert de fonds
L’intervention dans le Nord syrien commodément oubliée**, la toupie sultanesque fait à nouveau parler de lui. Un pied solidement ancré dans l’atlantisme (les postures contre l’entrée des Scandinaves dans l’OTAN n’ont pas duré longtemps), Erdogan maintient toutefois résolument l’autre en dehors, jouant avec les nerfs de chacun.
Ainsi, Ankara et Moscou se sont accordées pour que les banques turques adoptent le système de paiement russe Mir et utilisent le rouble dans leurs échanges. Certes, d’aucuns se demanderont pourquoi la chose a tant traîné après avoir déjà été évoquée il y a plusieurs années. Toujours est-il que la décision est désormais gravée dans le marbre pour ainsi dire : les directeurs des banques centrales se sont rencontrés et l’accord est officiel.
Conséquence directe des sanctions et de la folle mise à l’écart de la Russie du système Swift, ces décisions marquent évidemment une étape supplémentaire dans le grand processus de dédollarisation, pilier de la puissance impériale américaine.
Pour ne prendre qu’un exemple particulièrement marquant de cette vague qui donne des sueurs froides outre-Atlantique, l’on a appris fin juin que le principal cimentier indien payait le charbon russe… en yuans chinois ! La multipolarité financière eurasienne est en marche.
** Existe cependant l’hypothèse, improbable mais pas tout à fait impossible, d’un marchandage russo-américano-turc portant justement sur les éléments cités : cadeau aux Américains (entrée des Scandinaves dans l’OTAN) et aux Russes (paiement en roubles) en échange d’un feu vert en Syrie du nord. A voir…
- Transfert psychanalytique
La visite controversée de la momie congressiste à Taïwan a, comme de juste, déchaîné les passions. Dans un étonnant exercice d’inversion accusatoire, le Wall Street Journal nous explique sans rire que :
« La Chine de Xi est caractérisée par un dangereux mélange de forces et de faiblesses. Faisant face à de profonds problèmes économiques (sic), démographiques et stratégiques, elle sera tentée d’utiliser sa force militaire croissante pour transformer l’ordre existant tant qu’elle en aura l’opportunité.
Ce syndrome de la puissance qui atteint son maximum (sic) – tendance pour les pays émergents (sic) à devenir plus agressifs car ils ont conscience de leur déclin à venir (sic) – a causé nombre de guerres sanglantes dans le passé. »
Déclin économique et stratégique, prise de conscience quasi hystérique de cet affaiblissement et guerres à répétition pour tenter de l’enrayer. On se demande bien quel pays tout ceci pourrait caractériser…
- Transfert aérien
La tension dans le Pacifique occidental ayant encore monté d’un cran, comme prévu d’ailleurs par nos Chroniques, tonton Sam se prépare à toute éventualité.
Nous avons déjà parlé plusieurs fois de la stratégie des chaînes d’îles, promue par Washington pour contenir le dragon :
Dans ce dispositif, Guam, idéalement placée sur la deuxième chaîne, occupe le poste stratégique du demi de mêlée à la manœuvre derrière son paquet d’avants. Un formidable cadeau reçu à une époque où l’empire n’était pas encore l’empire :
La présence américaine en Extrême-Orient est le fruit de l’histoire. Peu connue du grand public, la guerre hispano-américaine de 1898 eut pourtant des conséquences considérables et était, à bien des égards, étonnamment moderne. Le prétexte en fut l’explosion d’un navire états-unien, le Maine, dans la rade de La Havane. Très probablement accidentelle, elle fut immédiatement récupérée par le « parti de la guerre », la presse et certains milieux d’affaires. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ne saurait être que fortuite… Quelques mois plus tard, l’Espagne, défaite, reconnut l’indépendance de Cuba (qui devenait de facto un protectorat américains jusqu’à la révolution de Fidel Castro) et vendit à son vainqueur américain ses dernières colonies : Porto Rico, Guam et surtout les Philippines. La même année, Washington annexa par ailleurs Hawaï et une partie des îles Samoa en 1899, devenant une puissance majeure du Pacifique.
Les historiens du futur – pourquoi pas votre serviteur ? – s’interrogeront peut-être un jour sur ce dilemme digne de la poule et de l’œuf : est-ce l’idéologie messianico-impériale sous-jacente des États-Unis qui les poussèrent à mettre une main préemptive sur des territoires à forte valeur stratégique ou, inversement, sont-ce les circonstances géographiques et historiques exceptionnelles dont ils bénéficiaient qui créèrent leur engouement impérial ?
Toujours est-il que Guam est un précieux fer de lance US, abritant la base navale d’Apra Harbor, point d’appui des porte-avions et sous-marins de la flotte du Pacifique, la base aérienne Andersen (B-1, B-2, B-52), un camp de Marines et un grand centre de télécommunications.
Une cible de choix pour les missiles chinois en cas de guerre ouverte…
Conscient du problème, le Pentagone ne veut pas mettre toutes ses bases dans le même panier et prône la « décentralisation« . Dans le même archipel des Mariannes, à 150 km au nord de Guam, la base aérienne de Tinian est agrandie pour servir d’infrastructure de secours au cas où. Des travaux d’agrandissement ont également été entrepris dans l’atoll Wake, plateforme sur le chemin qui va d’Hawaï à la seconde chaîne d’îles.
Les grandes manœuvres ont commencé. Chacun de fourbir ses armes et de rouvrir sans doute les vieux grimoires sur la guerre du Pacifique…
Source: Lire l'article complet de Chroniques du Grand Jeu