par Sergueï Savchuk.
Ces deux derniers jours, il ne semblait y avoir aucune autre nouvelle dans le monde que la visite à Taïwan de la présidente de la Chambre des représentants des États-Unis. L’avion de Nancy Pelosi a éclipsé à la fois les combats en Ukraine et la crise financière et énergétique mondiale. La représentante de l’establishment américain a finalement visité l’île, tandis que la Chine s’est contentée d’une succession de déclarations politiques sévères. Ce fait a déclenché une avalanche de déclarations alarmistes de la part de toutes sortes d’experts annonçant la défaite stratégique de la Chine. L’accent a été mis exclusivement sur l’aspect militaire en négligeant complètement le fait que nous parlons d’un pays asiatique, c’est-à-dire d’un État dont la mentalité, le système de pouvoir, les scénarios et les approches politiques sont différents de ceux de l’Europe.
Alors que tout le monde regardait les manœuvres et les exercices de la marine de l’APL, Pékin a porté un coup discret mais parfaitement calibré et dévastateur. Depuis le 3 août, il est strictement interdit de livrer du sable à Taïwan.
Pour Taïwan, c’est bien pire qu’une invasion militaire directe et un débarquement amphibie.
Commençons par le plus simple et le plus évident. Bien que nous vivions au XXIe siècle, où les télescopes spatiaux peuvent réaliser des images de qualité de galaxies distantes de nous de 500 millions d’années-lumière, la construction d’une maison, même la plus simple, est impossible, tout comme il y a des centaines d’années, sans l’utilisation de sable. Il est ajouté aux mélanges de construction, mélangé au ciment et aux pierres concassées, et transformé en matériaux de plâtre. Une telle interdiction peut sembler être une blague et une farce pour certains, mais pas pour les habitants de Taïwan, Hong Kong et Macao. L’ambassade de la RPC aux États-Unis publie des statistiques commerciales officielles qui montrent que 90% du sable consommé dans ces régions provient de Chine continentale.
Rien qu’à Taïwan, le marché de la construction était évalué à 82,1 milliards de dollars en 2021.
Les chiffres bruts ne disent pas tout, mais il y a quelques faits fondamentaux à comprendre. Taïwan est un pays insulaire d’une superficie de seulement 36 000 kilomètres carrés ; en comparaison, cela correspond à la superficie de notre région de Yaroslavl. Dans le même temps, il y a 1,2 million de personnes dans cette région russe tandis que Taïwan en compte 23 millions. Naturellement, avec une telle surpopulation et une telle rareté des terrains, le vecteur de la construction sera dirigé vers le haut, c’est-à-dire que des bâtiments de plus en plus hauts, dont la construction est impossible sans les types modernes de béton, seront construits sur le site sans aucune alternative. Au début de cette année, la structure du marché de la construction sur l’île était la suivante : environ 55% des constructions étaient des logements, le reste étant réparti à parts à peu près égales entre les secteurs de l’immobilier commercial, ainsi que toutes sortes d’infrastructures et d’installations du complexe énergétique et pétrolier. L’introduction de l’embargo sur le « sable » aurait pour effet, si ce n’est d’anéantir complètement le secteur local de la construction, au moins de le mettre à la limite de la survie. La suite logique de ces sanctions sera la hausse record des prix de l’immobilier, et aucune agence internationale ne peut prédire de combien et à quelle vitesse les prix vont s’envoler.
Un approvisionnement en dioxyde de silicium granulaire, qui est le nom chimique du sable ordinaire, est bien sûr possible. Cependant, une logistique implacable entre en jeu, qui transforme le sable ordinaire en sable doré (en or) à chaque kilomètre supplémentaire de livraison par voie maritime. En outre, comme l’a montré la crise énergétique de cette année, même si le produit recherché est sur le marché, cela ne signifie pas qu’il puisse être acheté et livré rapidement. D’autres pays peuvent faire des offres, ou le bon nombre de navires du bon type peut simplement ne pas être disponible. Les lecteurs curieux et fouineurs peuvent, par exemple, effectuer une recherche par eux-mêmes pour découvrir de combien de fois les frais d’affrètement des méthaniers ont augmenté après l’imposition des sanctions.
Ce n’est toutefois que la partie émergée de l’iceberg. Les restrictions ont un pouvoir destructeur beaucoup plus important et peuvent anéantir l’économie d’une île récalcitrante en un temps très bref.
Au total, 40 milliards de tonnes de différents types de sable sont extraites chaque année dans le monde (avec le gravier) pour un coût total de plus de 70 milliards de dollars. Le sable siliceux constitue la base de toute l’électronique moderne et des appareils complexes. Il est utilisé pour fabriquer des puces, des micro-puces, des ordinateurs, des câbles à fibres optiques et des milliers d’autres appareils qui remplissent notre quotidien confortable.
Le sable est nettoyé et chauffé dans un four électrique à une température de plusieurs milliers de degrés Celsius, laissant un silicium pur à 99%. Il est transformé en cylindres microscopiques qui sont découpés en plaquettes 60 000 fois plus fines qu’un cheveu humain. C’est à partir de cette matière première que sont finalement créés les transistors (interrupteurs électroniques contrôlant le flux d’électricité) et les semi-conducteurs (éléments de silicium et de germanium qui conduisent l’électricité à certaines températures et la bloquent à d’autres). Dès 1959, le scientifique américain Robert Noyce a eu l’idée de placer plusieurs transistors sur une tranche de silicium pur de la taille d’un ongle. C’est le début de l’ère de l’électronique et les puces et micro-puces elles-mêmes voient leur taille diminuer rapidement.
Nous nous sommes délibérément autorisé un bref exposé sur le rôle du sable dans l’industrie électronique, car Taïwan est le principal producteur mondial de micropuces pour l’électronique. À la fin de l’année dernière, les fabricants taïwanais occupaient 66% du marché mondial des appareils de base et n’ont manifestement pas l’intention de s’arrêter là. À titre de comparaison, la Corée du Sud ne s’enorgueillit que de 17% et la Chine, un milliard et demi d’habitants, se contente d’un modeste 8% du marché des semi-conducteurs.
Pour voir si nous ne nous trompons pas, examinons la liste des plus grandes entreprises de référence.
En troisième position, on trouve la société taïwanaise United Microelectronics Corporation, dont le bénéfice de l’année dernière s’élevait à 7,7 milliards de dollars. Le sud-coréen Samsung Electronics occupe la deuxième place avec ses usines situées dans 74 pays. Taiwan Semiconductor Manufacturing Company, une autre société taïwanaise, occupe la première place avec un écart important. TSMC propose à ses clients plus de onze mille produits, et en 2020, l’entreprise a gagné 45,5 milliards de dollars.
La perturbation des chaînes d’approvisionnement en importations de sable de construction et de sable de quartz pourrait mettre à mal non seulement l’économie taïwanaise, mais aussi l’ensemble de l’industrie électronique mondiale, des consoles de jeux aux « cerveaux » des missiles et des avions de chasse modernes.
Suivre les manœuvres des escadrilles aériennes et des groupes de navires de guerre au large des côtes de Taïwan est extrêmement passionnant. Cependant, quiconque a lu les écrits de Sun Tzu sait que ce n’est qu’une belle toile de fond et que si vous restez assis sur votre rivage sablonneux assez longtemps, un jour une île entière viendra à vous.
source : Ria Novosti
traduction Avic pour Réseau International
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