Deux femmes innues au passé douloureux. Deux femmes avec un point en commun: leurs combats ne les ont pas éloignées, mais rapprochées de Dieu. Sur la Côte-Nord, nous avons rencontré Laurette Grégoire et Brigitte André. Voici leur témoignage.
Née à Uashat, une réserve innue près de Sept-Îles, Laurette est l’ainée d’une famille de neuf enfants. Dès son jeune âge, ses parents l’éduquent dans la foi catholique dont ils ont hérité.
Lorsqu’on lui demande si elle vit aussi la spiritualité traditionnelle innue, elle répond que non. Elle ne se sent pas moins autochtone pour autant. Se disant chrétienne, catholique et pratiquante, Laurette a fait ce choix il y a déjà plusieurs années.
Tout commence en 1973, lorsqu’elle regarde, à la télévision, deux jeunes hommes partager leur expérience du Renouveau charismatique. «De la manière dont ils s’exprimaient, j’ai compris qu’ils parlaient d’un Christ qui était vivant, que la Parole était vivante. Je voulais vivre la même expérience», me dit Laurette, les yeux brillants.
Vers l’âge de 22 ans, elle se rend à une rencontre charismatique qui la rend mal à l’aise. Les gens autour d’elle chantent en langue, du nouveau pour elle. Malgré cela, elle y retourne et vit une tout autre expérience.
«Il y avait une imposition des mains, à un moment, et j’avais besoin de vivre quelque chose d’extraordinaire. Mon mari, qui est un Blanc, venait de me demander d’aller vivre avec lui sur la Rive-Sud, ce qui m’effrayait, puisque je n’avais jamais mis les pieds hors d’Uashat. Des gens avaient témoigné avoir été envahis par une paix, et c’est ce que je voulais.»
«Mais quand est venu mon tour, je n’ai rien senti. J’étais vraiment en colère. Je suis retournée m’assoir et j’ai traité Dieu de menteur. J’ai dit au prêtre que je ne reviendrais pas, puis il m’a proposé de prier avec lui et la Parole. Avant de commencer, les mots “Je dis oui à la Parole” sont sortis de ma bouche. J’avais la trouille. J’ai pris une page au hasard dans la Bible, puis j’ai lu: “Le Seigneur dit à Abram: quitte ton pays, ta patrie, ta famille et va dans le pays que je te montrerai.”»
Laurette est bouleversée. À ce moment-là, elle comprend que le Christ et la Parole sont vraiment vivants. Le prêtre lui demande alors si elle cherche un Dieu qui fait des miracles ou un Dieu crucifié qui la cherche, elle. De nouveau, la jeune femme sent quelque chose se dénouer en elle.
«J’ai compris que c’était à ce deuxième Dieu que je voulais ressembler. Ma vie n’était pas extraordinaire, et tout comme ce Dieu, j’étais une crucifiée. Il y en a plein, ici, des crucifiés. J’ai dit: “Je vais le suivre”, et depuis, je dis oui même aux choses difficiles de la vie, car je sais qu’il va m’aider à passer au travers.»
En effet, la foi aidera Laurette à traverser les moments les plus difficiles. Fausses couches, enfants difficiles, suicide de sa fille, meurtre dans sa famille, cancer… Elle s’est accrochée à Dieu plutôt que de le délaisser.
Pourquoi?
«Parce que ça change tout de croire que Dieu m’aime et est là pour moi. Dieu aime tout humain qui est sur la Terre, même ceux qui ont fait les pires choses. Comme moi, ils sont enfants de Dieu. C’est grâce à ma foi que je suis, encore aujourd’hui, capable d’aimer profondément l’Église, et ce, malgré les pensionnats, malgré ce que ma famille et moi avons vécu. Dieu ne crée pas de monstres, ce sont les hommes qui font des choses monstrueuses.»
Une femme dans l’Église
Depuis cette rencontre avec Dieu, Laurette s’implique dans sa paroisse, Katéri-Tekakwitha, et celle de Marie-Immaculée située «en ville», c’est-à-dire à l’extérieur de la réserve. Par la préparation à la première communion, au sacrement du pardon et par des enseignements sur la Bible, Laurette souhaite réintéresser les jeunes à la foi.
Mais ce qui la démarque et fait sa popularité sur la Côte-Nord, ce sont certainement ses «homélies» en innu. En effet, Laurette est appelée à faire les prédications à Uashat et à Maliotenam, lorsque le curé est malade ou absent de la communauté.
Avant que ce dernier ne le lui demande, il y a de ça plusieurs années, aucune homélie n’avait encore été dite en innu à Uashat. Cette nouveauté a été accueillie très favorablement par l’assemblée, majoritairement composée d’ainés.
«J’ai appris à prier la Parole, à la méditer et à la partager avec les autres. Il faut d’abord qu’elle me touche, moi. Si elle ne m’émeut pas, si elle ne résonne pas en moi, c’est parler pour parler. Quand la Parole me touche, c’est comme un tambour qui retentit en moi, je vis un moment de lumière qui devient le fil conducteur de mon homélie et me permet d’expliquer la Parole.»
Âgée de 71 ans, Laurette est à la retraite depuis Noël dernier. Elle attend que Dieu lui donne une nouvelle mission.
«Pour le temps qu’il me reste ici, je veux être une présence pour ma famille et pour ma communauté. C’est le temps de se lever, de construire un monde meilleur. Je crois en la capacité de toute personne à faire le bien. Quand Jésus est venu dans le monde, il n’a pas supprimé les guerres, ni les maladies, ni la mort, mais il nous a donné une Parole pour que nous la mettions en pratique.»
Une foi préservée
Brigitte André 1 est née à Maliotenam, une réserve innue à l’est de Sept-Îles. À l’âge de deux ans, elle quitte son village natal pour aller s’installer, avec sa famille, près de Schefferville, où elle connait la vie traditionnelle dans le bois. Sa mère l’éduque à la maison et son père l’amène à la chasse.
«Nous étions des nomades, on voyageait en raquettes, à pied et en toboggan. On vivait de la nature et des animaux, ils étaient sacrés. On ne les tuait pas pour le plaisir de tuer ni en abondance. On ne prenait que ce dont on avait besoin pour nous nourrir, et ce, avec respect.»
Baptisée dès sa naissance, Brigitte grandit dans la foi catholique. «On priait le matin et le soir pour demander au bon Dieu d’être protégés tout au long de la journée et de continuer à vivre. Mon père me lisait la Bible avant de dormir, il s’allongeait à côté de moi et lisait tout en commentant les passages.»
Elle m’explique alors que les Innus ont toujours été des gens croyants.
«Ce ne sont pas les missionnaires qui nous ont appris à croire en Dieu. Les Innus ont toujours eu un sens à leur vie. Déjà, ils croyaient en un être suprême, en Tchemto. Ce qu’il manquait, c’était Jésus. Cette partie de la religion, on ne l’avait pas.»
Ayant toujours eu une vie spirituelle très active, les habitants de Maliotenam réussissaient, autrefois, à vivre leur foi malgré l’absence d’un prêtre tout au long de l’année.
«C’était le même curé qui voyageait sur toute la Côte-Nord. Il passait une fois dans l’année, au début du mois d’aout, pour célébrer tous les mariages, les baptêmes, les funérailles qui avaient eu lieu dans l’année. Ça n’affectait pas notre foi, car on la vivait quand même par nous-mêmes. Par exemple, quand un enfant naissait, la famille le baptisait avec de l’eau de la rivière, et quand le prêtre revenait, il “rebaptisait” l’enfant.»
Aujourd’hui, elle et sa famille prennent, chaque année, le temps de retourner dans la forêt, là où ses parents vivaient. «Quand tu es dans le bois, tu es proche de la nature, de la création, de Dieu. C’est un moment de ressourcement pour moi», me partage Brigitte.
Rupture
Si les pensionnats ont laissé beaucoup de séquelles, comme la délinquance, la violence conjugale, l’alcoolisme, la drogue, les traumatismes ont aussi atteint le rapport des Innus à la foi catholique.
«La transition du christianisme vers la spiritualité innue est très visible à Maliotenam», me dit Brigitte. «La majorité des gens, dont les jeunes, délaissent l’Église à cause des pensionnats et parce qu’un prêtre de notre paroisse est parti avec une femme.»
Matashan (hutte à sudation), danse du Soleil, cérémonie du matin, feu sacré: de nombreux rites traditionnels ont lieu à Maliotenam. Bien qu’elle assiste parfois à des cercles de guérison entre femmes ou à des soirées de prières, Brigitte ne se reconnait pas dans la spiritualité innue.
«Je ne loue pas l’esprit des animaux, comme dans le chamanisme. Ça, je n’y crois pas et je n’assiste pas à ces cérémonies, car il s’est produit beaucoup de choses par le passé. Les chamanes s’entretuaient parfois pour obtenir le pouvoir de l’autre. Je vais donc uniquement aux cérémonies où je sais que l’on va prier Dieu.»
Puis, je pose la question: comment faites-vous pour encore croire en Dieu après ce qui vous est arrivé au pensionnat?
Brigitte se recueille un moment, puis me dit: «Moi, les pensionnats n’ont pas affecté ma foi, même si je suis une victime d’abus. Je me dis que l’homme qui m’a fait ça, c’est un être humain. Ce n’est pas Dieu, ce n’est pas Jésus, c’est un être humain comme moi, un pécheur. Je ne peux donc pas ne plus croire en Dieu à cause de ça. Au contraire, ce que j’ai vécu au pensionnat et en pension m’a rapprochée de Dieu. Quand j’étais seule, que j’avais peur, je priais, je criais vers lui. L’invisible était là, je lui parlais.»
Aujourd’hui, tout comme Laurette Grégoire, Brigitte s’implique dans sa paroisse, Notre-Dame-du-Cap, et tente de transmettre son amour de Dieu aux plus jeunes.
«Si on ne change rien dans la religion chrétienne, c’est sûr qu’elle va s’éteindre. Les jeunes ne sont pas assez impliqués, et pour ça, il faut un renouveau, il faut que ce soit dynamique et différent pour qu’ils aient envie de participer.»
La dame de 67 ans se dit toutefois optimiste et demeure persuadée qu’un éveil des consciences aura bientôt lieu.
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Source : Lire l'article complet par Le Verbe
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