Nous publions d’autant plus volontiers ce texte envoyé et traduit par Jean-Lucuc Picker qu’il nous permet de faire le lien entre ce qui se passe en Ukraine, le jugement réel du monde et l’anniversaire de ce qui s’est passé le 6 août à Hiroshima. Comment, au vu des dangers d’aujourd’hui, n’y a-t-il pas partout dans le monde des manifestations pour dire l’horreur de ce bombardement perpétré sans la moindre raison de guerre simplement pour entamer la guerre froide dans le prolongement de l’horreur exterminatrice nazie. Marianne m’a envoyé le lien avec une émission passionnante d’Arte que je mets en début d’article et je précise que Jean Luc Picker insatisfait de la traduction du poète turc Nâzim Hikmet s’est essayé à sa propre traduction. C’était le temps où les communistes se battaient pour la paix et n’avaient pas des “boulets” pour leur faire cautionner les guerres de l’OTAN. Danielle Bleitrach
***
par Vijay Prashad.
La plus grande partie du monde rejette la politique de l’OTAN et ses aspirations hégémoniques. Elle ne veut pas que le monde soit de nouveau divisé en blocs aussi révolus que la guerre froide.
Fuyuko Matsui, Japon, « Faire des amis avec tous les enfants du monde », 2004.
Au cours de la réunion annuelle de l’OTAN à Madrid, en juin, les États membres ont adopté un nouveau « Concept Stratégique » qui remplace celui datant de 2010. La Russie y est désignée comme « le danger le plus significatif et le plus pressant » et la Chine comme « une menace pour nos intérêts ». Pour le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, l’importance de ce document de pilotage tient en ce qu’il représente un « changement fondamental » pour l’alliance militaire. « C’est l’évolution la plus importante depuis la guerre froide ».
Une doctrine Monroe du XXIe siècle ?
L’histoire récente de l’OTAN dément sa prétention à être une simple « alliance défensive ». Le bombardement de la Serbie en 1999, l’invasion de l’Afghanistan en 2001 ou de la Libye en 2011 autant que son expansion continue en valent pour preuves.
Le sommet a clarifié que l’OTAN entendait continuer son expansion dans une logique de confrontation avec la Russie et la Chine. Apparemment insensible aux terribles souffrances humaines engendrées par la guerre en Ukraine, elle affirme que son « agrandissement a été un succès historique et un élément important de la paix et la stabilité dans la zone Euro-Atlantique ». Et d’inviter derechef la Finlande et la Suède à la rejoindre.
Mais les visées de l’OTAN ne se limitent pas à la zone Euro-Atlantique. Le « Sud Global » l’intéresse au premier chef, et elle cherche activement des appuis en Asie. Pour la première fois, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle Zélande ont été invités à participer à la réunion annuelle et ont ainsi permis de montrer que « la région Indo-Pacifique était importante pour l’OTAN ».
Pour enfoncer le clou, le « concept stratégique », rappelant la sinistre « doctrine Monroe » de 1823, définit l’Afrique et le Moyen-Orient comme « les voisins du Sud de l’OTAN ». Et Stoltenberg d’en rajouter dans une déclaration comminatoire : « L’influence grandissante de la Russie et de la Chine chez nos voisins du Sud » est « une menace ».
La plus grande partie du Monde veut la paix
À l’inverse de ses membres, la plus grande partie du monde ne croit pas que l’OTAN possède un droit d’autorité mondiale. La réponse internationale à la guerre en Ukraine est là pour le prouver. Elle a mis en évidence une profonde fracture entre les États-Unis et leurs alliés les plus proches d’un côté et le Sud Global de l’autre.
Les gouvernements qui ont refusé de se joindre aux sanctions imposées à la Russie par les États-Unis et leurs alliés représentent 6.7 milliards d’individus ou 85% de la population mondiale. Ceux qui ont rejoint ces sanctions ne représentent que 15%. Si l’on en croit Reuters, les seuls pays non occidentaux à avoir mis en place des sanctions contre la Russie sont le Japon, la Corée du Sud, les Bahamas et Taiwan. Dans tous ces pays on trouve des bases ou du personnel militaire états-unien.
En ce qui concerne la tentative de fermer l’espace aérien aux avions russes, une mesure réclamée par les États-Unis et l’Europe, les choses sont encore plus marquées : les gouvernements ayant mis en place une telle restriction ne représentent que 12% de la population mondiale. 88% s’y sont refusés.
Par ailleurs, les efforts des États-Unis pour isoler politiquement la Russie ont fait long feu. La résolution des Nations unies condamnant l’invasion de l’Ukraine par la Russie a été soutenue par 141 pays sur 193 membres. Mais cette statistique ne représente qu’une facette de la réalité : les pays ne l’ayant pas soutenus (5 contre, 35 abstentions et 12 absences) représentent 59% de la population mondiale. Par la suite, les efforts continus de l’administration Biden n’ont pas réussi à démentir cet échec. La Russie n’a pas été exclue de la réunion du G20 en Indonésie.
De même, malgré un travail diplomatique intense, l’OTAN n’a pas réussi à accroître le soutien à l’Ukraine parmi les pays du Sud Global. Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a dû s’y reprendre à plusieurs reprises pour que sa demande d’adresse à la réunion de l’Union africaine du 20 juin soit acceptée, et il n’y avait que 2 chefs d’État dans la salle (sur les 55 membres de l’organisation) pour l’écouter. Plus récemment, le MERCOSUR (union économique de l’Amérique latine) l’a simplement refusée.
Il est maintenant clair pour tous que la plus grande partie du monde ne partage pas le point de vue de l’OTAN lorsqu’elle se présente comme le « rempart d’un ordre mondial fondé sur des règles internationales ». Seuls les pays qui en sont membres et quelques rares alliés soutiennent ses politiques et ils ne représentent qu’une petite minorité de la population mondiale. La plus grande partie de cette population rejette ses politiques et refuse ses ambitions mondiales. Elle refuse la vision périmée d’une communauté internationale scindée en blocs datant de la guerre froide.
En 1955, 10 ans après que les États-Unis aient lâché une bombe sur Hiroshima (Japon), le poète turc Nâzim Hikmet a écrit un poème. Une petite fille de 7 ans, morte dans cet instant horrible, y fait entendre sa voix. La traduction japonaise par Nobuyuki Nakamoto, « Shinda Onnanoko » (« la fille morte ») est souvent chantée lors des commémorations de cette atrocité. La guerre est abominable et devant l’élargissement du conflit, nous devons écouter de nouveau ses paroles, aussi belles qu’obsédantes :
Je viens et je me dresse devant chaque porte
mais personne n’entend le silence de mes pas.
Je frappe, mais l’on ne me voit pas
Car je suis morte, je suis morte
J’ai 7 ans seulement, pourtant je suis morte
à Hiroshima il y a longtemps.
J’ai toujours 7 ans comme au jour de ma mort,
Les enfants morts ne grandissent pas
Mes cheveux se sont enflammés à la flamme tournoyante
Mes yeux se sont éteints, ils sont devenus aveugles.
La mort est venue, elle a réduit mes os en poussière
que le vent a dispersée.
Je ne demande pas de fruits, je ne demande pas de riz.
Je ne demande pas de bonbons, pas même du pain.
Je ne demande rien pour moi,
puisque je suis morte, je suis morte
Tout ce que je vous demande
c’est que vous vous battiez pour la paix, pour la paix,
pour que les enfants du monde
puisse vivre et grandir et rire et jouer.
Vijay Prashad. historien, éditeur et journaliste. Rédacteur et correspondent en chef au Globetrotter, éditeur au LeftWord Books, directeur de l’Institut de Recherche Sociale Tricontinental. Professeur invité de l’Institut d’Etudes Financières Chongyang à l’Université de Renmin (Chine).
• Reportage arte sur hiroshima
• 29 juillet 2022, Tricontinental : Institute for Social Research.
published in https://nocoldwar.org repris par https://consortiumnews.com/2022/07/29/the-world-does-not-want-a-global-nato
source : Histoire et Société
traduction JL Picker
Adblock test (Why?)
Source : Lire l'article complet par Réseau International
Source: Lire l'article complet de Réseau International