Mohammed Ben Salmane est reçu ce jeudi soir par Emmanuel Macron. Pendant quatre ans, les Occidentaux ont tenu à distance le prince héritier saoudien après le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi. Mais la guerre en Ukraine, et le besoin européen en pétrole, a changé la donne.
En temps de guerre, il y a certains « parias » qui peuvent redevenir fréquentables. Ce jeudi 28 juillet, Mohammed Ben Salmane dîne avec Emmanuel Macron pour sa première visite en Europe depuis 2018. Un « dîner de travail », prévu à 20h30 à l’Elysée, qui confirme la « réhabilitation » du dirigeant de facto du royaume sur le plan de la scène internationale.
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Une « réhabilitation » moins de deux semaines après la visite du président américain Joe Biden en Arabie saoudite, qui a définitivement consacré le retour de MBS sur la scène internationale, dans un contexte de guerre en Ukraine et de flambée des prix de l’énergie après des années de mise au ban sur la scène internationale à cause de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi au consulat saoudien à Istanbul.
En 2018, Jamal Khashoggi, journaliste et opposant, est sauvagement tué dans le consulat saoudien d’Istanbul. Son corps, qui a été démembré, n’a jamais été retrouvé. Quand l’affaire éclate, elle provoque un scandale et les dirigeants des pays occidentaux gèlent leur relation avec l’Arabie saoudite, bannissant son chef d’Etat Mohammed Ben Salmane.
Si les services de renseignement américains ont dénoncé la responsabilité de Mohammed Ben Salmane dans l’assassinat du journaliste, ce dernier dément l’avoir ordonné même s’il dit en porter la responsabilité en tant que dirigeant.
De « paria »… à partenaire
Mais la guerre en Ukraine, déclenchée par Vladimir Poutine en février dernier, a changé la donne. Ce retour de MBS s’inscrit dans ce contexte de tensions géopolitiques, ainsi que de la flambée des prix de l’énergie et de l’inflation. Avec les risques de coupures de gaz russe et la fin des échanges commerciaux pétroliers avec Moscou en Europe, l’Arabie saoudite, premier pays exportateur de pétrole au monde, redevient incontournable pour les dirigeants occidentaux.
Mais il faut négocier : Ryad résiste aux pressions de ses alliés, invoquant ses engagements vis-à-vis de l’Organisation des Pays exportateurs de Pétrole (OPEP +), l’alliance pétrolière qu’il codirige avec Moscou.
Meurtre de Jamal Khashoggi : « MBS », le Caligula des sables
Lors de sa campagne présidentielle en 2020, soit deux ans après le meurtre du journaliste, Joe Biden avait en effet promis de traiter le royaume en « paria ». Une position tenue seulement un an, jusqu’à fin 2021. C’est certainement pour ce revirement, très critiqué, que le président des Etats-Unis a jugé bon de justifier son voyage en Arabie saoudite de juillet dans une tribune publiée dans le « Washington Post ». Le même journal où Jamal Khashoggi travaillait.
Retour de la realpolitik
Ce positionnement qualifié de pragmatique par Joe Biden, a aussi été celui de Boris Johnson. Le Premier ministre britannique, sur le départ, s’est rendu à Ryad en mars 2022 pour parler pétrole et stabilité du marché mondial des énergies, un peu moins d’un mois après le début de la guerre en Ukraine.
Mais le retour de la realpolitik – politique internationale basée sur les rapports de force – ne s’explique pas uniquement par le conflit entre la Russie et l’Ukraine.
La réintégration de MBS a démarré fin 2021, quelques mois avant l’éclatement de la guerre. En décembre 2021, le président Français Emmanuel Macron s’était rendu à Djedda. A l’époque, c’était le premier chef de l’Etat à retourner dans le royaume depuis l’assassinat du journaliste.
« Macron avait déjà fait le plus gros du travail de réhabilitation en visitant lui-même MBS » à Ryad en décembre dernier, observe Quentin de Pimodan, expert du royaume sunnite à l’Institut de recherche pour les études européennes et américaines, interrogé par l’AFP.
Lors de cette rencontre, il était question de vendre 80 Rafales aux Emirats, mais aussi de parler du sort du Liban avec Mohammed Ben Salmane. Après la rencontre entre les deux hommes, le président français a assuré avoir « parlé de tout, absolument sans aucun tabou » avecMBS. Y compris de la question des droits de l’homme.
Pour sa venue, une plainte déposée contre MBS
Un discours qui n’avait pas convaincu, et qui ne convainc toujours pas. Si le réchauffement des relations entre Ryad et l’Occident depuis décembre 2021 était déjà vivement critiqué par les défenseurs des droits de l’homme, le premier déplacement de MBS au sein de l’Union européenne qui confirme sa réintégration passe très mal.
« Là, on atteint un autre niveau. Il arrive en France, Macron [en voyage en Afrique Subsaharienne, NDLR] n’est pas là. MBS ne prend plus du tout les pincettes qu’il aurait pu prendre il y a un an ou deux. Il se déplace comme il l’entend », explique Quentin de Pimodan.
Du côté de la majorité présidentielle, la reprise des relations se justifie puisque « Joe Biden lui-même l’a rencontré » et qu’« il faut dialoguer avec les pays du Golfe ».
Un argumentaire qui ne risque pas de convaincre la fiancée de Jamal Khashoggi, qui s’est dite scandalisée qu’Emmanuel Macron invite à dîner MBS. Ni les ONG qui viennent de déposer plainte contre Mohammed Ben Salmane pour complicité de torture et de disparition à Paris ce jeudi 28 juillet. Reporters sans Frontières rappelle de son côté à Emmanuel Macron que le régime saoudien détient actuellement « au moins 27 journalistes et blogueurs ».
Source : L’Obs
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