La réconciliation doit tenir compte de la Constitution

La réconciliation doit tenir compte de la Constitution

La réconciliation avec les autochtones du Canada semble devenue l’un des objectifs prioritaires du gouvernement Trudeau. On cherche à tout prix à réparer les torts du passé et à repartir sur de nouvelles bases dans les relations entre le gouvernement fédéral et les Premières Nations. Il est vrai que le fédéral a beaucoup à se reprocher. 

En soi, cet objectif est louable et doit être poursuivi, mais encore faut-il savoir de quoi on parle, au juste. Si la réconciliation est un concept moralement satisfaisant, son contenu juridique reste à préciser. Il l’est entre autres du point de vue constitutionnel. Quels pouvoirs peuvent être donnés aux autochtones sans envahir le champ de juridiction des provinces? Pourquoi celles-ci seraient-elles liées par des législations fédérales intrusives? Comment créer un pouvoir autochtone nouveau sans passer par les provinces? Est-il possible de le faire sans modifier la Constitution canadienne? 

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Envahissement des champs de compétence des provinces 

En adoptant en 2021 la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, le gouvernement fédéral a agi de manière unilatérale dans un domaine où il est loin d’avoir une juridiction exclusive. En effet, cette Déclaration touche une foule de sujets qui sont d’abord du domaine provincial: éducation, santé, emploi, services sociaux, gestion du territoire, environnement, etc.  

Ce faisant, sa mise en application concrète relèvera des provinces, ce qui laisse entrevoir des différences importantes d’une province à l’autre. En effet, chacune exercera ses compétences particulières d’une manière qui lui est propre, dans le respect et l’équité de l’ensemble de ses citoyens. Il est très possible que cela ne corresponde pas aux attentes des groupes autochtones, mais, puisque les provinces n’ont pas été parties aux négociations (même si six d’entre elles avaient manifesté leurs réserves), on ne peut exiger qu’elles répondent favorablement aux demandes, à plus forte raison si elles sont encore imprécises. 

Certains croient qu’il suffirait à un groupe autochtone de donner un avis au gouvernement provincial sur son intention d’exercer une compétence législative pour qu’une démarche en vue de conclure un accord de coordination s’enclenche. Un peu comme il est prévu dans la loi de 2019 concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Rien n’est moins sûr, cependant. Plusieurs provinces, dont le Québec, s’opposent à cet envahissement par le fédéral de leurs champs de compétence, sans égard à leur sympathie envers la cause de la réconciliation. 

On comprend que le gouvernement Trudeau a ainsi voulu transférer une bonne partie de la pression politique de la réconciliation sur les épaules des gouvernements provinciaux pour qu’ils fassent leur part. Il aurait été beaucoup plus responsable de s’entendre avec les provinces avant de légiférer, mais ça ne semble pas être l’approche du gouvernement fédéral actuel. 

Création d’un nouvel ordre de gouvernement 

Cette déclaration va plus loin en affirmant le droit des autochtones à l’autodétermination et à l’autonomie. Pour le gouvernement fédéral, il semble que les droits ancestraux (au sens de l’article 35 de la Constitution) comportent un droit inhérent à l’autonomie gouvernementale. Cette interprétation (et l’extension qu’il faudrait lui donner) n’a jamais été validée par les plus hauts tribunaux. 

Cela équivaut à donner le droit au gouvernement canadien de créer un nouvel ordre de gouvernement qui n’est pas prévu dans la Constitution canadienne et sans avoir à passer par la formule d’amendement. Un nouvel ordre de gouvernement faisant concurrence à celui des provinces, à l’intérieur de leur propre territoire, serait ainsi créé. Nul doute que les provinces vont contester vigoureusement cette interprétation. 

Les Déclarations récentes de l’Assemblée des premières nations du Québec et de son porte-parole montrent que les questions de la gouvernance, de l’autonomie et des territoires doivent être au cœur de la réconciliation et, ce qui est revendiqué, ce sont des négociations de gouvernement à gouvernement. Or un tel niveau de gouvernement qui négocierait d’égal à égal avec le gouvernement du Québec n’existe tout simplement pas et rien ne force le Québec à entreprendre des négociations sur cette base. Il est souverain dans l’exercice de ses compétences sur son territoire. Il peut conclure des ententes avec les nations et bandes autochtones, mais on ne peut le forcer juridiquement à le faire et à transférer ses compétences aux groupes autochtones tant que la Constitution n’aura pas été amendée. 

Un imbroglio dont les retombées négatives iront grandissant 

La Loi concernant la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, aussi moralement satisfaisante soit-elle, ne saurait constituer une base solide de réconciliation si le gouvernement fédéral continue de ne pas tenir compte des compétences des provinces. En agissant comme il l’a fait, le gouvernement Trudeau augmente les espoirs ou attentes des peuples amérindiens, mais les amène en même temps au cœur des différends constitutionnels canadiens. On peut comprendre que l’idée de rouvrir la Constitution du Canada, avec toutes les incertitudes qu’elle comporte, n’enchante pas le premier ministre. Cependant, engager les premières nations sur la voie qu’il a choisie est une recette infaillible pour voir leurs attentes frustrées et nous éloigne probablement plus de la réconciliation que cela ne nous en rapproche. 

Pierre Cliche, professeur associé à l’ENAP

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Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec

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