Pour avoir vécu une quinzaine d’années au Sri Lanka, je pense connaître un peu ce pays dont Octave Mirbeau disait « qu’il était le paradis sur terre ». Une chose est certaine, la violence à Colombo est loin de correspondre à la philosophie du Bouddha, même si l’ile aux épices et aux saphirs demeure belle, riche de par ses nombreux atouts, ses ressources naturelles et son peuple dépositaire d’une culture millénaire.
L’enjeu stratégique Sri Lankais.
Sans doute ce constat n’est pas sans expliquer pourquoi “la perle de l’Océan Indien » est un endroit qui de par sa position géographique et ses richesses a suscité et suscite toujours fascination et convoitises, depuis des temps immémoriaux. En fait, depuis les Grecs anciens ! Ceylan de par son nom d’origine a connu 450 années de colonisation hollandaise, portugaise, britannique. Napoléon qui avait un sens aigü des enjeux géopolitiques affirmait : » celui qui contrôlera cette ile contrôlera l’Océan Indien ». Il installa au moment du 1er Empire un avant poste d’observation sur la côte est, avant d’en être chassé par l’Angleterre, son ennemi irréductible.
Le Sri Lanka est en effet un carrefour et une plaque tournante des corridors maritimes de l’Asie et donc de la Chine avec ses routes de la soie vers l’Afrique, le Proche et le Moyen Orient, l’Europe et au delà. 50% du trafic pétrolier et 75% du trafic international des containers passent près de ses côtes. Outre ses infrastructures portuaires parmi les plus modernes et les plus importantes au monde comme celle d’Hambantota construites par la Chine, le Sri Lanka dispose du plus grand port en eau profonde de l’Asie du Sud Est : Trincomalee. Depuis longtemps, les Etats-Unis rêvent d’en faire une base pour leur 7e flotte et le vaisseau amiral de l’US Navy. L’Inde n’est pas en reste, soucieuse de pouvoir contrôler ce qu’elle considère comme son pré-carré. C’est dire combien aux yeux de tels parrains, l’ile aux 22 millions d’habitants ne manque pas d’atouts. Elle se situe également, selon l’indice 2019 de la Banque Mondiale parmi les pays les plus avancés en Asie avec un taux de scolarisation de 91%, une moyenne d’alphabétisation de : 92,3%, une espérance de vie de 77 ans et un haut niveau de compétence professionnelle et artisanale, sa médecine ayurvédique vieille de 5000 ans et dont 80% de la population bénéficie est réputée mondialement. Pour l’impérialisme cette réalité inhabituelle pour un pays du Sud n’est pas un de ses moindres attraits, d’autant que le tableau doit être complété par d’importantes ressources naturelles : terres rares, production hydraulique abondante, pêche, pétrole, gaz, zones franches à la liberté fiscale très laxiste ainsi que toutes les richesses issue d’une nature luxuriante et généreuse. Seulement, pour Washington tout cela n’est pas sans problèmes.
Car ce pays qui se nomme toujours République Socialiste et Démocratique du Sri Lanka dispose encore d’un secteur public très développé et ce malgré les privatisations. Il fût l’un des cinq fondateurs du Mouvement des Non Alignés. L’indépendance, le respect de sa souveraineté, de son unité comme de sa diversité a rendu possible la cohésion d’un peuple qui a su forger par de grands sacrifices un sentiment national fort. Celui-ci demeure un repère et un principe intangible. A Colombo, on honore chaque année l’arbre de l’amitié que planta Ernesto Che Guevara, car dès juillet 1959, le Che visita le Sri Lanka qui avait rompu avec le dictateur Batista et qui fût un des tous premier pays en Asie à reconnaître la Révolution Cubaine. Il signa le premier accord commercial entre les deux pays, sucre contre caoutchouc. A Colombo comme à La Havane l’amitié des deux iles comme on les appelle est toujours aussi vivace. Par ailleurs, le Sri Lanka s’est toujours situé aux côtés de la cause palestinienne comme d’autres peuples en lutte pour leur émancipation. Chou Enlai, Mao Zedong, Yasser Arafat, Hugo Chavez comme Fidel et Raoul Castro ont toujours entretenu une relation forte avec les dirigeants progressistes Sri-Lankais. Tout cela compte et constitue un patrimoine qui n’est pas sans influencé chaque Sri Lankais, même si les souvenirs de cette époque tendent à s’effacer.
Longtemps point d’appui pour les luttes anti impérialistes, le Sri Lanka plus récemment et comme beaucoup d’autres pays du sud s’est ainsi abstenu dans le vote de l’Assemblée Générale des Nations Unies au sujet de la crise ukrainienne en refusant de condamner l’action de la Russie et en refusant l’application des sanctions politiques, économiques et financières par ailleurs illégales voulues par les occidentaux et qui sont la cause principale de la hausse des produits alimentaires sur le marché mondial. Au Sri Lanka on se souvient positivement et encore aujourd’hui des relations de solidarité importantes qui existaient avec l’URSS.
Avec sa singularité politique malgré bien des contradictions souvent dérangeantes, son histoire et surtout sa géographie le Sri Lanka est un enjeu stratégique majeur. L’impérialisme US et les anciennes puissances coloniales ne peuvent être indifférentes et ignorer la place originale de ce pays dans la région. Cela n’est pas sans expliquer l’acharnement mis ces vingt dernières années pour déstabiliser le Sri Lanka, le diviser, contribuer directement à des changements de régime et remettre en selle les forces de l’oligarchie locale dépendante de Londres, Bruxelles et Washington.
Pour ces raisons et modestement je dois avouer que je ne suis pas surpris par les évènements actuels. J’ai quitté Colombo récemment et je constate vu d’Europe toujours la même hargne qu’hier à l’égard d’une nation à qui on ne pardonne pas d’être invariablement soutenu par la Chine, la Russie, Cuba, l’Iran, le Venezuela et beaucoup d’autres. Mais surtout, d’avoir à ce jour été le seul pays par ses propres moyens à avoir tenu en échec politiquement et militairement l’organisation séparatiste des Tigres du LTTE dont on disait qu’elle était la plus impitoyable des organisations terroristes.
Ignorance et mensonges, les médias se surpassent.
Je viens ainsi de lire plusieurs textes parus dans la presse et sur les réseaux sociaux sur la crise qui secoue le Sri Lanka. Sur la forme et le fond, je constate toujours la même agressivité. Ainsi, pour la grande majorité des médias mainstream les commentaires sont marqués par cette forme d’ignorance crasse, de simplification et d’arrogance qui est leur lot commun. Les mensonges, l’unilatéralisme et une hostilité qui frise souvent le racisme complète des descriptions qui ont plus à voir avec les fantasmes qu’avec la réalité. Un jour, je m’en suis étonné auprès du correspondant de l’AFP qui couvre le Sri Lanka depuis l’Inde. Il m’a raconté ne pas aller sur place, n’ayant pas le temps, préférant rédiger ses dépêches depuis son bureau de Delhi en lisant la presse locale, anglaise de surcroit puisque n’étant pas familier du cingalais ou du tamoul. Visiblement, il n’est pas le seul à le faire. En d’autres termes, il est plus facile pour la presse de nous jouer et rejouer chaque fois « le fardeau de l’homme blanc » dont parlait R.Kipling. (The white men’s burden), d’un appartement parisien.
Généralement ces articles très éloignés du terrain font l’impasse sur les enjeux géopolitiques véritables sinon pour s’en prendre à la Chine déclaré coupable de tous les maux qui assaillent les Sri Lankais. Pour Washington, cette relation entre Beijing et Colombo est insupportable et donne lieu à ces campagnes internationales de dénigrement sur la complicité des dirigeants Sri Lankais et Chinois. La presse de gauche ou de droite ne s’en prive pas puisque c’est dans l’air du temps. Au besoin, on peut même y associer « l’infatigable et prolifique » Zelinski qui a déclaré récemment voir la main de Moscou tirant les ficelles de la crise sri lankaise.
En fait, on se moque de la réalité concrète d’un pays qui demeure encore méconnue à l’exception des images de magazines touristiques que l’on aime à nous présenter.
Ainsi, les causes de la crise présente qui sont la conséquence des choix politiques économiques et sociaux des gouvernements libéraux qui se sont succédé ces dernières années sont systématiquement ignorées. Les médias et leurs faux experts veillent à ne jamais évoquer par ailleurs la responsabilité des gouvernements libéraux et plus encore l’implication directe et omniprésente des pays occidentaux dans les affaires intérieures du pays ! Pourtant, l’ingérence US est une réalité devenue presque caricaturale tant elle est grossière. Julie Chung est ambassadrice américaine à Colombo. Comme ceux qui l’ont précédé, elle conseille, juge, déclare, décide, convoque, recommande, dicte à toute la classe politique sri lankaise qui ne trouve rien à redire comme si le pays n’était qu’une république bananière. C’est le cas y compris du parti « marxiste léniniste » le JVP, une formation politicienne et électoraliste avec laquelle elle entretient d’excellents rapports d’autant qu’il est l’allié des partis libéraux et pro-occidentaux. Pour elle, la mission est simple et l’opinion du peuple sri lankais importe peu ! Il faut installer à Colombo un gouvernement docile, un vassal qui permettra aux Etats-Unis et ses partenaires de la Quadrilatérale(Quadrilateral Security Dialog qui comprend les USA, l’Inde, l’Australie,le Japon) et de l’Aukus( USA, Grande Bretagne, Australie) de faire du Sri Lanka une plate-forme d’agression contre la Chine.
Le défi n’est autre que celui-là et les nord-américains y consacrent depuis longtemps d’importants moyens. Dès 2009, John Kerry qui devint plus tard le secrétaire d’état de B. Obama n’avait-il pas déclaré que « les Etats-Unis ne pouvaient se payer le luxe de perdre le Sri Lanka à cause de son importance géostratégique dans le combat contre la Chine »( Recharting US strategy after the war- The Kerry-Lugar report). Mais, on ne vous en a jamais parlé et on ne vous en parlera pas !
La plupart des reportages dans la presse occidentale sont par ailleurs d’une négligence à tomber et font ainsi fréquemment état d’informations erronées ou caricaturales comme par exemple ces jours-ci où l’on évoque « la fuite de Ranil Wrickremensighe ». Alors que ce dernier ex-premier ministre libéral venait d’être désigné par Gotabaya Rajapaksa pour lui succéder comme nouveau Président par intérim du Sri Lanka.
D’ailleurs pour donner une apparence de constitutionalité, « le deal » entre les deux hommes va être soumis dans les prochains jours au vote des membres du parlement. On n’en saura pas plus sur les rivalités, les coups tordus et les ambitions déclarées ou non de tel ou tel protagoniste. Ainsi on compte actuellement quatre candidats pour occuper le fauteuil de Gotabaya dont le JVP qui lui se prononce pour une candidature commune et un gouvernement d’union nationale de tous les partis.
Ranil qui fait figure de favori a pourtant été battu aux dernières élections législatives, sa légitimité est inexistante, sa base est dérisoire et son parti est en lambeaux, mais il a l’avantage d’être l’homme des intérêts nord américains et britanniques ! Son parcours est intéressant ! Plusieurs fois au pouvoir comme premier ministre, il est un leader conservateur inamovible à la tête de son parti UNP depuis près de cinquante ans, ultra libéral, il est membre actif du club très fermé de la Société du Mont Pèlerin (Hajek, Popper, Milton Friedman) ou il aime retrouver son ami Georges Soros. De ça personne n’en saura rien !
En fait installer Ranil à la tête du Sri Lanka est totalement anticonstitutionnel et n’est rien d’autre qu’un coup d’état. Pour contribuer à cette désignation qui doit se faire dans l’ordre, les organisateurs de la contestation qui a pris le nom de « Aragalaya » (la lutte)ou de « Gota go home » originaires le plus souvent des beaux quartiers ont appelé à ranger les pancartes et les banderoles, de libérer les bâtiments occupés, passant à une trahison en règle de leurs engagements. Pour Amita Arudpragasam une des porte paroles de la contestation, diplômé d’Harvard et Princeton, dont l’ONG « Vérité research », est considéré comme un département de travail de l’Ambassade US de Colombo et a été financée par le NED à hauteur de 75 000 dollars, la reconstruction libérale du pays prendra entre dix et quinze ans grâce à l’aide du FMI. Certes, dit-elle « il y aura des sacrifices à faire, il faudra être patient » ! Quand on lui demande si cela veut dire que l’on ajoutera de la souffrance à la souffrance du peuple, elle l’admet en précisant toutefois « oui, mais c’est pour son bien, et il croira ses dirigeants si ces derniers savent lui expliquer et se comporter honnêtement ». Pour déjà anticiper, Ranil président par intérim a cette fois ordonné à l’armée et la police de faire usage de leurs armes contre les manifestants irréductibles, l’heure est maintenant à la répression.
Quant à Gotabaya Rajapakasa qui vient de démissionner comme chef de l’état et de s’enfuir courageusement vers l’Arabie Saoudite ou il a croisé Joe Biden, il est le frère de l’ancien président, le charismatique Mahinda Rajapaksa. Apres l’avoir pressé comme un vulgaire citron, les américains vont décider de son sort et sans doute continuer à pratiquer sur lui un chantage cynique sur la sécurité de sa famille qui réside aux Etats-Unis. A ce stade, il est bon de rappeler que fin 2019, Gotabaya été porté au pouvoir par un soutien populaire d’une ampleur exceptionnelle et même historique succédant ainsi à un gouvernement ultra libéral de nul autre que Ranil. Au Parlement le parti présidentiel du très beau nom de « bouton de lotus » a donc disposé d’une majorité de députés de plus des 2/3 y compris avec le soutien et la participation de la gauche à son gouvernement à travers des membres de la mouvance trotskiste, PC et nationalistes de gauche).
Or malgré de tels atouts, Gotabaya a fait le choix de revenir sur ses engagements en cédant aux pressions de l’Inde mais surtout à celles des USA pour la mise en place des programmes SOFA, ACSA, MCC consistant à abandonner une grande partie des
terres appartenant à l’état en faveur des groupes multinationaux et surtout d’intérêts militaires US leur permettant de créer les conditions d’une partition du pays en vu de transformer celui-ci en une vaste base militaire. Pour éviter toute confusion, il faut également savoir qu’avant l’élection présidentielle Gotabaya était aussi citoyen des Etats-Unis, tout comme son frère Basil ministre de l’économie. Naturellement, on devrait se poser la question de savoir si il n’y a pas une relation de cause à effet, d’autant que les capitulations successives du Président et de son frère ministre ont entraîné le pays vers l’abime. En fait n’était-ce pas là, le but recherché et la mission impartie au Président élu ? Pour l’heure, on n’en saura pas plus, silence et bouche cousue !
Qu’en est-il de Gotabaya Rajapaksa et des causes de la crise ?
Quand les objectifs véritables de la nouvelle administration sri lankaise ont commencé à se clarifier, cette évolution pourtant prévisible aux yeux d’un grand nombre de gens a provoqué stupeur, déception, mécontentement puis exaspération. Les conséquences matérielles sur la vie sociale des gens ont commencé à peser très lourd : coupures fréquentes d’électricité, plus de gaz domestique, plus d’essence pour les transports notamment publics, rationnement des vaccins et des médicaments et même plus de cahiers pour les élèves. Ni le Président ni le gouvernement n’ont évidemment voulu en mesurer les suites désastreuses, là n’était pas là leur mission ! Ils ont donc refusé de modifier une politique économique tout orientée vers l’export et non sur le développement du marché intérieur. On a donc persisté dans la même direction, celle de la crise !
Dans les conditions de la crise pandémique , la chute du tourisme de masse et la diminution spectaculaire des rémittences des travailleurs sri lankais migrants en particulier ceux exploités dans les pétromonarchies du Golfe ont eu simultanément des effets dévastateurs sur les ressources du pays provoquant des effets en chaine, la dette s’est creusée , la roupie s’est effondrée, la hausse des denrées de base s’est accrue spectaculairement, le non approvisionnement en pétrole et gaz a fragilisé plus encore l’économie du pays et la vie quotidienne des gens est vite devenue insupportable. Cette situation a par ailleurs contribué à l’explosion des inégalités et à des injustices de toutes sortes. Il est bien connu que la crise n’est pas la même pour tout le monde.
De cette situation trop longtemps et volontairement ignorée sont nées des frustrations et une colère légitime des secteurs les plus défavorisés de la société. D’autant que la corruption et l’impunité dont bénéficie dans le même temps toute la classe politique sri lankaise est un fait avéré. Ce ressentiment a commencé à s’exprimer entre autre par des grèves massives dans le secteur public. Mais, on n’en a pas tenu compte et l’on a continué à persévérer dans la même direction, au besoin en recourant aux menaces et à la répression !
Par ailleurs et alors qu’il existait de larges possibilités d’avoir de la part de la Russie mais aussi de l’Iran une contribution importante pour suffire aux besoins énergétiques du pays, le gouvernement a refusé cette aide aux conditions financières très avantageuses, afin de ne pas mécontenter Washington. Il en a été de même avec le soutien que la Chine a proposé. Le gouvernement s’est ainsi engagé dans une prétendue négociation avec le FMI qui de son côté a annoncé qu’il conditionnerait sa contribution à des contreparties politiques, économiques et sociales. Les Etats-Unis ont pris l’engagement de soutenir ce plan dont l’adoption et le contenu dépend d’eux. Malgré cela on s’est précipité vers cette imaginaire planche de salut. Pourtant et comme partout ailleurs le résultat est connu par avance. Celui-ci ne pourra qu’aggraver plus encore la crise dans laquelle le pays est plongé et la détresse sociale des gens déjà lourdement pénalisé.
Ce sont dans ces circonstances de crise aggravée que certaines forces politiques sont entrées en scène. Des professionnels des révolutions colorées sur le modèle OTPOR comme Chameera Dedduwage chef stratégiste chez Ogilvy Digital ou encore Pathum Kerner présenté comme l’architecte de la contestation et qui lui trouve ses soutiens dans les think tanks néo libéraux comme Advocata, Veritas research et chez le protégé de Ranil, le Dr. Harsha de Silva ancien ministre des réformes économiques formé à Harvard à partir d’un programme de jeunes leaders financés par l’administration US. Chameera et Pathum, le sont directement par le N.E.D, cette fondation US dont R.Reagan disait qu’elle faisait ce que la CIA ne pouvait faire. Ce dispositif préfabriqué depuis Washington, Londres et Canberra a immédiatement été relayé par des ONG et par les médias dont la chaine de télévision Newsfirst du groupe financier tentaculaire Maharajah. Cette « sainte alliance » a su faire monter l’exaspération populaire en la faisant se cristalliser par des actions spectaculaires non sur les causes véritables de la crise mais sur la famille Rajapaksa, son incompétence, sa corruption, son népotisme. C’est ainsi qu’est né le mouvement « Gota go home », ou encore le « Aragalaya » (la lutte)
Cette radicalisation des actions y compris violentes s’est surtout manifestée vis-à-vis de la personne de l’ancien président Mahinda Rajapaksa dont la résidence familiale a été incendiée grâce à l’inertie des forces de police. Ce dernier et son fils sont depuis en fuite mais toujours présents dans le pays. Ils font figure pour Washington d’hommes à abattre à n’importe quel prix tant ils peuvent toujours représenter un risque de recours. Il est vrai qu’habile manœuvrier politique Mahinda a su chaque fois au cours de sa longue carrière politique su mettre en échec les différentes tentatives de « régime change made in USA ». Celles-ci ont toutes échouées à cause du soutien populaire dont Mahinda bénéficiait et bénéficie encore. La haine de l’Ambassade US à Colombo à son endroit fait rêver celle-ci de lui réserver le même sort qu’à M.Kafhafi ou Sadham Hussein.
Le voyage de Victoria Nuland.
Enfin il faut aussi dans toute cette mobilisation à la spontanéité très relative noter le rôle actif du JVP, cette organisation qui se proclame d’extrême gauche et qui en réalité est pilotée et financée depuis l’ambassade des Etats-Unis et les bureaux de US Aid ou elle a porte ouverte, le gite et le couvert. Enfin la multiplication sur place des ONG soutenues et financées par les gouvernements occidentaux, par le NED nord-américain et la Fondation Soros très présente au Sri Lanka sont d’autres aspects à prendre en compte pour comprendre ce qui a permis la réalisation concrète et rapide de ces mobilisations populaires d’un type nouveau . Toutes ces forces, chacune jouant sa partition ont recoure à des méthodes éprouvées à Hong Kong avec la « révolution des parapluies » ou encore pendant le « printemps arabe » de décembre 2010. Ainsi à Colombo le noir est devenu la couleur de rigueur pour les vêtements des manifestants et le poing qui figure sur les affiches est la copie conforme de celui du mouvement OTPOR artisan connu grâce aux subsides du NED et de Freedom House de la chute de Milosevic et qui a ensuite essaimé en Géorgie, aux Maldives, en Algérie, en Ukraine, au Venezuela, en Biélorussie… . On trouve donc là, tous les ingrédients qui ont permis non pas une révolution mais une contre-révolution, un coup d’état en forme de révolution de couleur sur le modèle Maïdan.
Il est d’ailleurs significatif de souligner que la sous-secrétaire d’état US et interventionniste forcenée Victoria Nuland était en mission au Sri Lanka avant le début des évènements. Celle qui joua un rôle déterminent dans le coup d’état ukrainien, dans l’usage cynique de groupes néo nazis comme dans le choix des membres du nouveau gouvernement à Kiev en 2014 n’est pas étrangère aux évènements qui ont eu lieu à Colombo. De combien sera le retour sur investissement au Sri Lanka pour les USA, tel était le but de la visite de la « dame aux petits pains de la place Maïdan ».
Quant aux manifestations et rassemblements à Colombo leur composition a été très hétéroclite et autrement plus complexe que la photographie très simpliste que l’on en donne. On y trouve pèle mêle l’élite locale, leurs enfants des écoles privées parfois leurs gens de maison, ceux que l’on appelle communément les Colombo seven (c.a.d le triangle Passy/ Neuilly/Auteuil Sri Lankais) totalement acquise à travers leur statut social aux pays occidentaux, puis les classes moyennes, les professions libérales en particulier l’ordre des avocats lié organiquement à l’ambassade US, les étudiants, une partie du lumpen, et les gangs criminels impliqués dans le commerce de la drogue, des armes et du blanchiment d’argent domaine ou le Sri Lanka se distingue.
La contestation a pris place au « Galle Face Green », un des espaces face au palais présidentiel. C’est de là que se sont déchainé les provocateurs, souvent violemment y compris en vandalisant et en pillant une partie du patrimoine culturel. L’armée est restée dans les casernes et la police a laissé faire ! Par contre, il y a eu très peu de manifestations dans le reste du pays où on est loin des débordements de la capitale, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas dans les provinces un mécontentement et une colère réelle en particulier chez les paysans. Ces derniers ont subit le désastre du choix gouvernemental des engrais organiques au détriment des engrais traditionnels, ce qui a entraîné une chute spectaculaire de la production agricole car aucune préparation n’avait été faite en amont pour se préparer à cet important changement pour les cultures traditionnelles sri lankaises. Cette décision a provoqué la ruine de petits exploitants permettant ainsi toutes les manipulations possibles pour acquérir les titres de propriétés par différents groupes liés à l’agrobusiness. En 2022, le Sri Lanka, hier exportateur de riz devra importer 30 % de sa consommation.
Dans la presse mainstream occidentale et afin de noircir un peu plus le tableau on retrouve de nouveau les références éplorées à la cause tamoule, aux trente années de guerre, au séparatisme et aux Tigres du LTTE dont le supporter fût Bernard Henry Lévy. Il est utile de rappeler que cette organisation fascisante et anti communiste dont l’objectif était la partition du pays pratiquait un terrorisme aveugle entre autre autre dans les transports publics, utilisant les enfants soldats et les handicapés comme kamikazes, massacrant l’opposition marxiste tamoule et organisant ses relais mafieux à travers les capitales européennes avec le soutien et le laisser faire des gouvernements occidentaux et des partis de gauche comme de droite. Il faut toujours rappeler que ces derniers ont soutenu à bout de bras ce groupe extrémiste qui aura tué plus de tamouls que nul autre. Ce conflit a bouleversé et traumatisé le pays et on a compté près de 100 000 victimes de cette guerre. A cette époque, l’objectif géopolitique de l’impérialisme à travers l’action de H.Clinton, B.Kouchner, D.Miliband étaient de contribuer à la partition du Sri Lanka afin de s’accaparer avec l’aide du LTTE, de Trincomalee et d’en faire une position avancée dans les conflits à venir.
Enfin s’agissant de la gauche : le PC, le LSSP (trotskyste, le Sri Lanka est le seul pays ou une force trotskiste était encore récemment au pouvoir), la Gauche nationaliste sont hors jeu. Ils ont quitté le gouvernement avec fracas 6 mois avant les évènements mais sont dans l’incapacité d’exprimer une analyse cohérente, un programme, une orientation, une direction politique. Seules quelques personnalités indépendantes mais isolées ont une vision lucide des choses. Quant aux autres partis institutionnels totalement divisées et éclatées en de multiples tendances, ils sont essentiellement occupés par la chasse en monnaie sonnante et trébuchante des postes ministérielles et parlementaires qui seront disponibles si toutefois il y aura des élections.
Quelles perspectives ?
Loin de se résoudre, la crise Sri Lankaise ne peut que s’aggraver dans une situation de confusion délibérée, de chaos organisé et d’anarchie. Elle permettra aux Etats-Unis de faire avancer même provisoirement leurs intérêts stratégiques dans la région face à la montée de l’influence de la Chine. Pour autant le retour des libéraux au pouvoir, l’impuissance des partis institutionnels et la perspective d’un prêt du FMI aux conditionnalités écrasantes pour le pays ne pourra résoudre l’importance de la crise et l’ampleur systémique, qui la caractérise, mais par dessus tout elle n’apportera aucune réponse aux attentes sociales.
Que feront alors les nouveaux dirigeants Sri lankais totalement discrédités et à la tête d’un système politique arrivé en fin de course. Il est intéressant de rappeler ici que la constitution sri lankaise est pour l’essentiel calquée sur la constitution française de la 5e république. Mais, par dessus tout qu’elles seront les choix du peuple, lui qui devra compter sur ses seules propres forces. De cette crise et des leçons à en tirer, devra émerger une nouvelle force sociale et politique. Cela ne pourra pas être celle de l’oligarchie, ou celle d’un mouvement au spontanéisme préfabriqué et qui est en fait arrimé aux intérêts des classes dirigeantes, elles-mêmes au service des objectifs impérialistes. Leur objectif commun étant de conduire le mouvement populaire dans une impasse. Pour autant le peuple sait faire preuve d’une grande intelligence collective face aux épreuves. Il l’a montré dans le passé ! Tôt ou tard il trouvera la voie qui lui permettra de nouvelles avancées sociales et politiques comme ce fût le cas quand il fût capable de mettre en échec les tentatives de division d’une guerre barbare qui ne fût jamais une guerre civile, mais une guerre contre la barbarie fascisante du séparatisme.
Dans ce contexte, les responsabilités de l’Inde et de la Chine sont très importantes. Il conviendra de suivre la politique Indienne, si son attitude constructive à l’égard de la Russie, si sa résistance aux pressions US, si son dialogue actif avec la Chine et si son rôle positif au sein des BRICS se poursuivra. Interviendra t’elle militairement au Sr Lanka comme ce fût le cas en 1987 et comme le revendique l’antenne sri lankaise du BJP, le parti de Narendran Modi le premier ministre indien prenant le risque de voir se reconstituer comme dans le passé une unité nationale sri lankaise anti-indienne ?
Il en va de même après les changements négatifs au Pakistan et la poursuite du combat d’Imran Khan ou s’agissant des suites des pressions qui s’exercent sur le Bengladesh qui l’ont fait céder jusqu’à ce jour en faveur d’un soutien aux positions US. Par ailleurs les évolutions politiques qui viennent d’intervenir en Australie avec le retour des travaillistes ne modifieront pas la politique agressive de ce pays vis-à-vis de la Chine, du moins dans l’immédiat.
Dans ces conditions, la réunion du G20 à Bali qui sera marqué par la présence de Vladimir Poutine sera un événement et une étape qui conduira sans aucun doute à dynamiser les ardeurs de certains en Asie ou l’interventionnisme brutal de Washington, la militarisation et la nucléarisation de la région Asie Pacifique sont des orientations de plus en plus ouvertement contesté. En novembre les élections des mid-term aux Etats-Unis ne seront pas sans incidence sur l’évolution de cette situation.
Quant à l’argument qui consiste à prétendre que la Chine serait responsable de l’endettement du Sri Lanka, ce qui serait la cause principale de sa crise est un mensonge éhonté. En fait cette dette représente moins de 10%, les 90% restant étant ceux des pays occidentaux et de leurs institutions financières. Par contre et comme elle l’a toujours fait, la Chine qui a beaucoup contribué dans le passé au développement des infrastructures du Sri Lanka(Ports, Aéroports, routes, etc..) s’est engagée à continuer à apporter et sans conditionnalités son soutien politique, économique et financier au Sri Lanka.
Enfin, ces évènements ne sauraient être isolés de ceux qui sont liés à la crise ukrainienne, au climat de russophobie et de divagations antichinoises dans lequel nous baignons. Le nouvel ordre mondial qui se met en place va se faire dans la douleur et les crises à répétition. On ne saurait sous-estimer les risques mais il serait aberrant de ne pas voir dans les contradictions qui se nouent la poursuite du déclin US dont la dédollarisation est une manifestation.
Pour Francis Fukuyama « Si nous baissons la garde, le monde libéral disparaitra ». On ne saurait mieux définir l’enjeu de cette période.
La recherche d’alternatives et l’aspiration à une nouvelle architecture mondiale fondée sur un monde multipolaire, le multilatéralisme, la non ingérence, la non intervention, le respect de la souveraineté sont en effet à l’ordre du jour. C’est à dire tout à la fois la charte des Nations-Unies, les principes de Bandung et ce que l’on retrouve dans cette formule de Xi Jiping en faveur d’une « communauté de destin ». D’une certaine manière la radicalisation des évènements au Sri Lanka peuvent réserver des retournements de situation inattendus.
Il y a quelques mois, j’évoquais dans l’émission « Michel Midi » de mon ami Michel Collon « Le Sri Lanka sera la prochaine explosion ». L’explosion a eu lieu ! Elle est révélatrice et il y en aura d’autres, ailleurs et pas exclusivement dans les pays du 1/3 monde. Les causes principales en sont les politiques barbares des puissances occidentales, leur hégémonisme en faillite et au premier rang desquels celui des Etats-Unis dans leur déclin. Au fond le système capitaliste et de domination impérialiste est devenue anachronique incapable qu’il est de répondre aux défis qui sont ceux de l’humanité toute entière. Il doit céder la place. Voici venir le temps des révolutions, les vraies celles qui doivent être conduites à leurs termes par les peuples en assumant leurs responsabilités à travers la solidarité et un internationalisme de notre temps.
Jean-Pierre PAGE
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir