Cas clinique : oral de bac de français dans un centre d’examen
Oral de bac de français session 2022 : massacre organisé
L’enseignement remplacé par le psittacisme
samedi 9 juillet 2022, par Lionel Labosse
Convoqué la veille en milieu d’après-midi pour faire passer l’oral du bac de français alors que je n’ai pas enseigné en pré-bac depuis deux ans, j’ai profité de l’occasion pour dresser un état des lieux de ce massacre avec un œil extérieur, en dépit des bonnes notes distribuées à la pelle avec des moyennes bien au-dessus de ce dont j’ai le souvenir lors de mes précédentes expériences. 13,5 de moyenne pour des lycées privés au public choisi : petits chéris à prénoms tels que j’en vois rarement dans mes classes, des Léa, des Octave, des Arthur, Amaury, Valentin, Lucile, Manon, Clara, j’en passe et des meilleurs. Ce nouveau bac constitue l’une des facettes du massacre organisé de la culture par la macronie, qui ne fait que couronner en l’occurrence l’œuvre de ses prédécesseurs. Cet article n’exprime que mon opinion, et je précise d’entrée que je n’ai bien entendu pas exprimé cette opinion face aux candidats, que j’ai tous traités avec la bienveillance la plus absolue, et notés non pas pour leurs idées, mais pour leur capacité à s’exprimer et à défendre leurs idées dans le respect des programmes, même si je conteste le bien-fondé desdits programmes.
Je n’enseigne plus en pré-bac et donc en Première depuis 2019-2020, l’année covidiste qui vit la mise en place de la réforme macrono-blanquérienne du lycée au niveau Première. J’avais expérimenté ce nouveau programme en préparant d’un coup les quatre objets d’étude pour une classe de 1re technologique. Cela m’intéressait dix fois moins que le programme précédent à cause de la mise à mort de la liberté pédagogique. Le professeur de français n’a plus le choix qu’entre trois œuvres pour chaque séquence, auxquelles il peut ajouter des textes de son choix qui entrent dans le cadre du « parcours associé ». Depuis la mise en place de la réforme, le nombre d’heures d’enseignement perdues est tel que j’ai vu dans les descriptifs qui m’ont été confiés que fort peu de ces textes libres. J’avais joué le jeu et choisi les œuvres qui m’intéressaient le plus (Enfance, de Nathalie Sarraute, Le Mariage de Figaro, de Beaumarchais) et cela avait été un énorme travail lors de cette année liminaire. J’avais même lu Voyage au centre de la terre de Jules Verne pour être sûr de mon choix par élimination. Le seul point de la réforme qui m’ait paru positif, c’est le remplacement de la dissertation par la contraction-essai, mais seulement pour les classes technologiques, alors que cet exercice concret de coltinage avec la langue écrite aurait été idéal pour tous, plutôt que de maintenir une « dissertation » portant sur l’œuvre au programme, qui favorise l’apprentissage par cœur de dissertations toutes faites. Le prof de culture générale en BTS que je suis trouve que cet exercice est une excellente pratique en perspective de l’épreuve de synthèse & écriture personnelle.
À cause des mesures délirantes mises en place sous prétexte de l’épidémie de covid, cette année 2019-20 avait été saccagée. Avant le confinement je n’avais pas organisé d’oral blanc ni de bac blanc écrit, et je peinais à obtenir de mon inspecteur des informations complémentaires sur la présentation concrète des sujets d’écrit. Puis ce fut ce qu’on sait : annulation des épreuves écrites d’abord comme pour toutes les matières, mais en ce qui concerne l’oral, le ministre attendit le dernier moment, histoire de laisser élèves & enseignants sous pression. La perspective de faire passer cet oral aux modalités inédites fin juin, sous la canicule avec masques & sans ventilateurs avait de quoi nous faire craquer, en y ajoutant le remords de ne pas avoir pu préparer les élèves dignement. Mais Blanquer finit par annoncer l’annulation des oraux, ouf !
L’année suivante, bien que j’eusse préparé les nouvelles œuvres (Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce), au dernier moment je fus déchargé de la classe de première unique de mon tout petit lycée, et depuis deux ans je n’enseigne qu’en BTS, dernier pré carré de la liberté pédagogique du professeur de Lettres, ce qui me convient très bien. C’est dire si j’étais loin de m’attendre à recevoir un simple courriel daté du mardi 28 juin à 14h52 sur ma boîte pro que j’ai consultée par hasard, avec une convocation en bonne et due forme pour l’oral du bac, du lendemain mercredi au mercredi suivant. L’an passé j’avais déjà été convoqué de la même façon cavalière, mais lorsque j’avais joint le centre d’examen, j’avais appris qu’il manquait un enseignant, que le SIEC en avait convoqué plusieurs, et le temps que j’appelle, le manque était déjà comblé. Pourvu d’une conscience professionnelle en voie de disparition dans notre secteur, j’ai donc fait de même, j’ai expliqué ma situation, et mon espoir qu’ils trouveraient un enseignant qui aurait eu des premières et serait mieux qualifié que moi. Mais non, le proviseur adjoint était bien content d’avoir enfin un prof, et j’ai appris dès le lendemain qu’il était inutile de me plaindre. La catastrophe cette année avait atteint un tel point qu’une collègue avait été convoquée le samedi carrément ; le fin du fin était une collègue stagiaire en collège convoquée comme moi la veille !
Telles sont les conséquences de la « reconquête du mois de juin » de Darcos en 2008, surfant sur le populaire axiome « les profs sont toujours en vacances ». Résultat : les collègues de Lettres sont les seuls à avoir le privilège de faire passer des oraux épuisants souvent à une période de canicule, en plus de la correction des écrits elle aussi repoussée le plus possible, ne laissant aucune marge de manœuvre en cas de pépin. Pépin il y eut cette année, puisque malgré la gifle infligée au gouvernement et à son président aux législatives, ils ont décidé de poursuivre l’aberrante politique covidiste, et de continuer à bloquer la France et son économie pour une pseudo-épidémie de rhumes & de tests. Conséquence, lors de cette semaine de bac, 3 millions de tests positifs en une seule semaine, la moitié des actifs « cas contact », et open bar pour tous pour se faire porter pâle. Mais le cabinet McKinsey avait sans doute oublié ce détail et n’a pas conseillé d’annuler les épreuves ou de les avancer. Donc on a jeté les filets très loin pour trouver n’importe quel prof de Lettres disponible.
Bref, j’ai fait contre mauvaise fortune bon cœur, je me suis abstenu d’ouvrir les centaines de pages de documents numérisés que le proviseur adjoint & la coordinatrice, jeune collègue très dévouée, m’ont aimablement envoyées par mail le mardi soir, et je suis allé applaudir des amis qui présentaient Knock de Jules Romain au théâtre, soirée réservée de longue date, et bien m’en a pris. Le lendemain je me suis présenté dans ce lycée privé parisien où j’avais déjà été convoqué quatre ans auparavant, et dont je gardais un bon souvenir tant pour l’accueil, le cadre, le quartier agréable, que pour les élèves variés que j’avais eus, moitié public, moitié privé. Cette année, si l’accueil était toujours aussi sympathique, quelle surprise de constater que nous n’avions que des établissements privés à évaluer. Il est vrai qu’à Paris grâce à la destruction programmée tous azimuts du secteur public, le secteur privé gagne de plus en plus de parts de marché et dépasse 37 % dans le secondaire, recrutant même les fils de ministre de l’éducation, en plus des fils de profs (qui ont compris depuis bien longtemps). Les examinateurs étaient répartis public / privé, ce qui permet d’échanger.
Je me rends donc à la salle qui m’est allouée pour cette semaine intense, exposition agréable pour supporter la chaleur. Il m’est arrivé d’interroger dans un lycée dont la moitié des salles allouées aux profs de français étaient en plein cagnard, mais j’avais la chance d’être dans une salle plus à l’ombre. Les collègues ont supporté, mais ce détail fait partie des causes de la faible mobilisation. Je prends le temps de parcourir les documents qu’on a eu l’attention d’imprimer pour me rappeler les modalités de cette épreuve inédite, et je prépare la collante pour le premier candidat. Sans doute que d’ici l’an prochain, l’invocation de Sainte Greta empêchera-t-elle même d’imprimer quelque papier que ce soit, y compris pour le prof convoqué la veille au soir ! Je remarque qu’un seul descriptif est imprimé en recto-verso. Et chaque élève s’amène avec deux exemplaires au cas où… Précaution inutile vu que si l’on avait oublié un descriptif chez soi, le lycée en conserve suffisamment. Bref, l’écologie est un mot. Une rare amélioration à signaler est la diminution du nombre de candidats par jour. En général, c’était 10, mais j’en ai eu de 9 à 11, et le dernier jour 6, avec une seule l’après-midi, histoire de nous faire dépenser un repas de plus ! J’en ai profité pour essayer la piscine locale. Les années précédentes, c’était 8 le matin, 5 l’après midi, marche ou crève, mais on avait une ou deux demi-journée de libre.
Ma première journée se passera uniquement avec l’établissement le plus cossu de ceux que j’ai eu à faire passer. J’explique aux premiers candidats ma situation de novice, et vogue la galère. J’aurai vite compris qu’en fait, vu les modalités, il n’y a pas du tout besoin d’avoir été professeur en Première l’année écoulée contrairement au bac ancien. Le boulot est simplifié et peut se faire à la chaîne quasiment sans préparation. Avant, lorsque nous recevions nos descriptifs, nous avions deux semaines de travail (en parallèle aux cours) pour en prendre connaissance et préparer les problématiques. J’en profitais en général pour lire ou relire un classique ou moderne qu’un collègue avait sélectionné en lecture complémentaire. Il fallait se préparer à cuisiner les candidats pendant 10 minutes sur 20 d’oral. Dorénavant grâce à macron-blanquer, le prof doit écouter en silence et sans pouvoir répondre, l’exposé sur le texte qu’il a imposé à l’élève-candidat, puis écouter un 2e exposé sur la lecture cursive que ce dernier a choisie. Reste entre 3 et 5 minutes, au lieu de 10, pour discuter avec le candidat mais uniquement sur cette lecture cursive. Le professeur de Lettres est ainsi infantilisé, il devient l’élève de l’élève, prêt à gober le cours de M. ou de Mme le ou la candidate ! Cela s’appelle « remettre l’élève au centre des apprentissages ». Et le prof dans la ruelle !
Le point qui me pose le plus problème est la question de grammaire, qui est la seule chose à préparer pour l’examinateur ; j’y reviendrai. Déjà au bout d’une demi-journée, mon opinion est faite ou plutôt étayée, car cela ne fait que confirmer mon impression que jusqu’alors je n’osais pas affirmer avec force :
Cette réforme du bac constitue un massacre organisé de la culture française
Je vais développer cette impression point par point, en m’appuyant sur mes notes lors de ces six jours d’oral. Il s’agit d’une opinion personnelle, et je suis étonné quand j’interroge les collègues, de la mollesse de leur opposition à cette réforme. Tout au plus au 4e jour exprimaient-ils un relatif ennui d’entendre 5 fois par jour la même explication de texte. Il faut dire que la victoire obtenue au bout d’un an d’application, le renouvellement par quart du programme et non plus par moitié, allège le travail. Le prof lambda peut se reposer sur les parascolaires & les multiples ressources mises en ligne, que ce soit par les académies, les sites marchands ou les particuliers comme votre serviteur. Je suppose que dans l’esclavage, on éprouve une douce suavité à se voir déchargé de toute responsabilité. Les collègues se rendent-ils compte que ce qui se profile, vu ce que j’ai constaté, c’est une mise en ligne d’un cours unique, et la limitation du rôle du prof à une vérification de l’apprentissage, je veux dire du gavage. Le foie de l’apprenant est-il bien gras pour la fête de fin d’année scolaire que constitue le bac ? Une heure de cours par semaine suffira pour cela, et un seul prof de Lettres, devenu vérificateur de Lettres, y pourvoira pour un lycée de 1500 élèves, pardon, « apprenants ». Bon, il reste quand même la méthode des épreuves écrites, heureusement.
La suppression de la liberté pédagogique et ses conséquences
Blanquer a planté un kriss dans le dos de la liberté pédagogique des enseignants de français. Nous avions déjà eu l’enseignement en Terminale littéraire sur programme précis, malheureusement supprimé, mais comme il ne concernait qu’une filière, il était bienvenu entre bac & fac, pour habituer l’élève lettré à travailler sur des œuvres, et puis cela poussait à la créativité chez les enseignants et au partage de ressources auquel j’ai amplement participé aux côtés d’Agnès Vinas, créatrice du site Lettres volées. Selon le programme, tel ou tel membre de l’équipe d’un lycée pouvait se dévouer. Auparavant l’oral était un grand moment & un grand travail, car nous étions confrontés à des descriptifs variés malgré les instructions, qui nous plaisaient plus ou moins selon nos goûts, tandis que nos descriptifs enthousiasmaient ou déprimaient d’autres collègues. Souvent nous relevions les meilleures idées pour les acclimater à nos prochaines progressions, et cela contribuait au fil des années à enrichir les objets d’études, en plus des idées piochées dans les manuels & sur Internet. Ce qui m’a frappé sur la dizaine de descriptifs que j’ai eus cette année, c’est l’absence totale d’Histoire des arts. Il est possible que des enseignants en aient fait, mais je n’en ai pas eu écho ; tout au plus quelques élèves ont-ils évoqué une adaptation cinématographique ou la mise en scène d’une œuvre. Une candidate a tenu absolument à me parler d’un tableau de Caillebotte après son exposé sur Le Père Goriot, mais je n’ai pas trop compris le rapport. Cela ne venait pas du cours. Une autre a évoqué le Triple autoportrait de Norman Rockwell à propos d’un roman moderne, et c’est tout.
Quand je pense aux moments extraordinaires passés en cours lorsque j’enseignais en Première, dès que l’on abordait les œuvres de toutes catégories que j’avais sélectionnées en lien avec mes textes ! Eh bien blanquer-macron ont détruit tout ça. Quelques profs continuent sur leur lancée, sans doute, mais pour les autres, comment plaquer des œuvres d’art sur des œuvres imposées ? Je l’avais fait pourtant en 2019-20 avec ma classe de techno, moins bien que d’habitude, mais là j’ai été suffoqué par le côté plan-plan des descriptifs, qui n’indiquaient rien de rien en dehors de l’œuvre au programme, tout au plus certains ajoutaient des textes relatifs au « parcours associé ». Par exemple, lors de l’étude d’Enfance de Nathalie Sarraute, j’avais dégotté une entrevue de l’auteure. Je me suis donc tapé six jours de suite les mêmes œuvres, avec souvent les mêmes extraits quand j’interrogeais des classes du même lycée avec des enseignants différents. Quelle horreur ! Dans mon lycée précédent où nous étions huit profs à peu près, l’oral blanc était un grand moment où nous confrontions nos descriptifs. Chaque collègue avait sa personnalité et des goûts fort divers, mais ce que je constatais à chaque fois, avec quand même des hauts & des bas, c’est que le prof est bon avec les œuvres qu’il affectionne et connaît bien. J’avais un collègue fan de Beckett que je détestais, mais à chaque fois j’étais sidéré par ce qu’il arrivait à tirer d’un texte qui m’énervait, et à le faire passer, et c’était réciproque. Un autre collègue mettait chaque année à son programme une pièce peu connue de Corneille, et c’était très bien ; une autre collègue m’avait fait découvrir Bonjour tristesse de Sagan, que je regardais avec mépris sans connaître. Quand j’ai été muté – et j’étais cette année-là le plus ancien à muter – les collègues ont rappelé avec humour mes choix originaux & parfois provocateurs, comme quand je proposais un extrait de « R.C. Seine n° » de Francis Ponge, poème méconnu contenant le mot « sphincter ». Tout cela contribuait à faire connaître toute la littérature, pas seulement les incontournables, et la bonne littérature. Je crois que c’est à cause des descriptifs de bac que j’ai été converti au goût de Houellebecq. Pour ma part, j’alternais des textes très connus & des pépites personnelles sur lesquelles j’étais sûr que les élèves ne trouveraient rien sur Internet.
La « lecture analytique » remplacée par la « lecture linéaire » et la récitation de corrigés appris par cœur.
Ce qu’on appelait « lecture analytique » était une excellente pratique, consistant à faire de chaque étude d’un texte pour l’oral une performance. On construisait le sens en cours avec les élèves, évidemment avec plus ou moins de succès selon les classes, mais ils n’avaient comme notes que ce qu’ils avaient dit pendant les cours, évidemment avec l’aide du chef d’orchestre qui les guidait par l’art du questionnement, la fameuse maïeutique qui supposait un travail du prof en amont. Ils complétaient après pendant les périodes de révision, en appliquant à un texte ce qu’ils avaient vu dans un autre. Lors de ma meilleure période en lycée, j’avais un assistant pédagogique de très haute qualité, un adulte, qui encadrait les plus volontaires en atelier, et leur permettait de faire des trouvailles. C’était devenu un ami, malheureusement il est décédé à l’orée de la retraite. Le cours consistait non pas à leur dicter l’interprétation du prof, mais à leur apprendre à construire une interprétation basée sur l’observation du texte, et cette pratique valait aussi pour le commentaire à l’écrit. Cela me fait penser à Jean-Paul Brighelli et sa « fabrique du crétin ».
L’école fabrique des consommateurs semi-illettrés – Le Zoom – Jean-Paul Brighelli – TVL
par Chaîne officielle TVLibertés
Je faisais cela avec mon côté scientifique, et la chantilly finissait par monter. À cette époque, je subissais déjà la pression des élèves fainéants pour distribuer des photocopies de mes lectures analytiques à la fin de la séquence, parce que certains collègues le faisaient. Il fallait une certaine force de caractère pour refuser ce jeu de dupes. Depuis la réforme, le nombre d’œuvres étant limité à trois par séquence, c’est-à-dire 12 sur l’année, souvent choisies parmi les œuvres phares, avec désormais une rotation d’un quart par an, on se retrouve forcément avec des parascolaires et des sites Internet qui proposent gratuitement ou non, des lectures clé en mains, soit pour le prof fainéant (ou manquant de confiance en lui), soit pour l’élève travailleur qui a un tel prof, soit pour l’élève doué mais fumiste qui n’a rien fait de l’année et se réveille à un mois du bac. J’ai eu pendant cette semaine d’oral la plupart du temps des lectures ennuyeuses d’extraits hyper-connus. De jolis serins, comme dans Fantasio de Musset : « C’est un serin de cour ; il y a beaucoup de petites filles très bien élevées qui n’ont pas d’autres procédés que celui-là. Elles ont un petit ressort sous le bras gauche, un joli petit ressort en diamant fin, comme la montre d’un petit-maître. Le gouverneur ou la gouvernante fait jouer le ressort, et vous voyez aussitôt les lèvres s’ouvrir avec le sourire le plus gracieux ; une charmante cascatelle de paroles mielleuses sort avec le plus doux murmure, et toutes les convenances sociales, pareilles à des nymphes légères, se mettent aussitôt à dansoter sur la pointe du pied autour de la fontaine merveilleuse. Le prétendu ouvre des yeux ébahis ; l’assistance chuchote avec indulgence, et le père, rempli d’un secret contentement, regarde avec orgueil les boucles d’or de ses souliers ».
On peut toujours avoir à la marge de belles prestations, parce que les collègues continuent à faire leur boulot. J’avoue avoir été bluffé par une candidate qui m’a proposé une lecture de Juste la fin du monde, de Jean-Luc Lagarce. Je ne sais pas si c’est la lecture du prof ou non (car je n’ai jamais interrogé deux élèves d’une même classe sur le même texte, ce en quoi j’ai peut-être eu tort, pour vérifier justement). Et si la réforme ne faisait que remplacer la lecture analytique par la lecture linéaire, ce ne serait rien. Non : elle supprime la problématique proposée par l’examinateur, et laisse faire l’élève, qui n’a plus qu’à apprendre par cœur les 12 à 20 exposés, problématique comprise, et faire subir à l’examinateur sa lecture, plus ou moins bon décalque de celle du prof ou de celle qu’il a tirée d’Internet. L’examinateur écoute et note, point barre. Il n’y a plus, comme avant, une discussion de dix minutes, équilibrant l’exposé de 10 minutes, où l’on pouvait reprendre avec l’élève les points confus ou les contresens, et l’interroger sur le reste du descriptif. Impossible de savoir si l’ensemble du cours a été compris. Si l’exposé a été truffé d’erreurs, l’élève peut repartir satisfait de lui et sûr d’avoir brillamment réussi. À mon avis cela risque de multiplier les recours, car au moins pendant l’entretien on expliquait les plus gros contresens, et l’on valorisait ceux qui savaient rebondir. Je n’ai pas pu par exemple, asticoter une élève qui m’a présenté la tarte à la crème habituelle sur le « Dormeur du val » : « dénoncer la monstruosité de la guerre ». C’est un truc qui énervait (gentiment) mes collègues : cette interprétation est un placage de notre idéologie du XXIe siècle. Le futur trafiquant d’armes Rimbaud voulait sans doute davantage ériger à mon humble avis un Tombeau poétique, et c’est cette problématique que je proposais à mes élèves quand j’ai inscrit ce texte à mon programme.
Un effet collatéral de ces œuvres imposées est que la suppression de la liberté pédagogique est encore plus criante pour les lycées confessionnels. J’en avais parmi mes descriptifs, mais des lycées au catholicisme plutôt modéré ; mais est-il sain de supprimer la possibilité qu’avaient ces établissements de proposer des œuvres littéraires d’inspiration catholique ? J’ai eu peu l’occasion d’interroger des lycées cathos de l’ouest parisien, mais des collègues s’en étaient fait l’écho. J’imagine que les obliger à programmer Jean-Luc Lagarce ou Voltaire ne doit pas les ravir. Pour l’année 2022-23 et les suivantes, une poétesse canadienne inconnue, Hélène Dorion, a été choisie, et cela au dernier moment (publication au BO du 30 juin), alors que les inspecteurs disposaient de tout leur temps pour proposer ce renouvellement annuel désormais d’un seul objet d’études. Cela va faire travailler les collègues pendant les vacances, mais la plupart ne regarderont même pas et choisiront l’un des deux autres (Rimbaud ou Ponge), y compris si ça leur plaît moyennement… Y a-t-il jamais eu d’évaluation chiffrée du pourcentage de collègues ayant choisi telle ou telle œuvre depuis la mise en place de la réforme ?
La réforme impose des extraits d’une vingtaine de lignes maximum, autre aspect scandaleux à mon sens. Pour les enseignants qui respectent la consigne, cela donne des aberrations. Le pire que j’ai vu est le saucissonnage de « Une charogne » de Baudelaire, qui rend le sens impossible. Une élève m’a sorti « Il raconte la rencontre qu’il a faite avec une carcasse », ce qui n’est pas faux en soi, mais le texte n’avait pas du tout été compris car on ne peut pas comprendre un tel texte si on ne comprend pas l’ensemble. Quand j’enseignais en Première, j’alternais des textes courts et des textes longs, voire très longs. En Première S, j’avais proposé pendant plusieurs années une séquence sur la vérité en sciences, que j’ai en partie recyclée pour la première année de BTS, avec le texte le plus long que j’aie jamais étudié en classe : « AGNUS SCYTHICUS » de Diderot, qui est pour moi aujourd’hui le texte qu’un ministre de l’éducation digne de ce nom devrait mettre au programme obligatoire, plutôt qu’Olympe de Gouges. Je rappelais sur le descriptif que l’examinateur pouvait interroger sur une partie du texte. Je mixais cela avec entre autres un texte d’Ignacio Ramonet sur la guerre en Irak, qui remportait un grand succès, car sa littérarité était incontestable, et il parlait à mes élèves du 93 à qui on ne la faisait pas sur les fake-news distillées à tire-larigot par les États occidentaux, leurs médias et leurs chiens de garde estampillés « anticomplotistes ». C’était là une séquence sur la presse, que je proposais aussi aux classes de 1re techno. Ce lit de Procuste de 20 lignes dans lequel macron-blanquer ont couché notre littérature est encore un signe de leur volonté de nuire. Quand les consignes du Brevet demandent pour le sujet de réflexion « de 40 à 60 lignes », on croit rêver : deux ans après avoir été jugé capable d’écrire un essai de 60 lignes, un élève français serait donc incapable de comprendre un texte littéraire de plus de 20 lignes ? Le lycée serait-il une machine à faire régresser ? La même remarque vaut pour la question de grammaire.
La question de grammaire
Cette question notée sur 2 vient alourdir inutilement l’exposé sur le texte. Auparavant, nous notions l’exposé sur 10 ; dorénavant, il y a une note sur 12 censée inclure une intro sur 2, un exposé sur 8 et une « question de grammaire » sur 2. Je crois que c’est l’aspect le plus ridicule de ce nouvel oral. Au lieu d’inclure les remarques de grammaire dans l’exposé global (ce que continuent à faire les meilleurs élèves), il faut consacrer deux minutes théoriquement à une question, qui porte sur un programme ridiculement réduit aux questions au programme de 1re, que le professeur peut encore limiter dans son descriptif (encore faut-il le voir) aux questions qu’il a traitées. Il s’agit en gros du « lexique », notion tellement floue que je n’ai osé poser que 3 ou 4 questions de ce domaine sur 56 candidats, de la négation, de l’interrogation et de la phrase complexe, des verbes et de leur valeur, notion souvent notée « pas eu le temps d’aborder » sur le descriptif. En gros, un élève de collège en saurait plus. Quel intérêt, sinon d’ouvrir la porte à des recours à n’en plus finir. J’ai eu droit à des remarques sèches de candidats : « Mais on n’a pas abordé la question ; il n’y a que ça et ça ». Si l’exposé est bon, le candidat a déjà traité la question dans son explication. Pour les textes très courts (un sonnet), il arrive qu’on se triture l’esprit à dénicher une question qui entre dans ce champ réduit de notions. Cela gâche souvent la conclusion d’un bon exposé, un peu comme si après avoir avalé le dessert, le café et le pousse-café, on vous reproposait des olives. Et surtout cela contrevient à ce que nous avions fini par admettre selon la doxa précédente, que la grammaire n’avait de sens que lorsqu’elle éclairait le sens d’un texte. Les rares fois où je me suis senti libre d’interroger sur les verbes, j’ai eu droit à un festival de confusions qui en dit long sur ce foutage de gueule : conditionnel, subjonctif présent ou passé simple confondus avec l’imparfait, participe ignoré, temps composés confondus avec les temps simples, « le souvenir » vu comme un infinitif, etc.
La lecture cursive choisie par l’élève
Nous avons déjà entendu le brillant candidat pendant 12 minutes, et au lieu de pouvoir discuter avec lui de son exposé, nous rongeons notre frein et subissons, sur les 8 minutes restantes, souvent écourtées parce qu’il a fallu forcer le candidat à conclure, au moins 3 minutes d’un exposé sur une lecture cursive choisie parmi celles proposées par l’enseignant. Auparavant, nous interrogions sur la ou les lectures obligatoires ou au choix incluses dans la séquence que nous avions choisie, ce qui obligeait l’élève sérieux à lire soigneusement toutes les œuvres au programme de l’année. Dorénavant, comme on ne peut pas questionner l’élève sur son exposé, on ne peut pas vérifier s’il a lu l’œuvre complète en dehors de ce qu’il a bien voulu dire, et c’est lui qui nous impose sa lecture. La pratique que j’ai constatée est que le collègue imprime la liste des élèves avec l’œuvre qu’ils ont choisie, ce qui s’est avéré fiable. Mais le résultat est catastrophique, c’est ce qui m’a le plus scandalisé. Dans certaines classes, alors que je n’avais que des sections générales, le prof avait mis au programme soit des œuvres de pure circonstance, féminisme de télé réalité, ou des œuvres peut-être intéressantes mais inconnues, des œuvres littéraires mais trop brèves pour un niveau Première, surtout Première générale. Un collègue avait par exemple inscrit « Le Nez » de Gogol, une seule nouvelle, ce qui aurait été bon pour une classe de 4e, mais en Première générale ! Inutile de dire que la moitié de l’effectif (14 sur 28) avaient choisi ce « livre », et que je me suis tapé 7 ou 8 fois (j’avais un bon tiers de la classe) un résumé exhaustif sous couvert d’exposé. Ne croyez pas que toutes les classes font 28 élèves ; au contraire, le but de la réforme était de bourrer au maximum les classes dans les matières du tronc commun (français, SVT, histoire-géographie, et bientôt à nouveau maths), pour faire des économies. J’ignore ce que cela a donné dans les lycées sensibles où j’ai enseigné. Par la force des choses, le collègue de français est souvent prof principal, et doit s’efforcer de collecter les informations. Avant la réforme, sur un lycée moyen de 1000 élèves en Seine-Saint-Denis, il arrivait souvent qu’on ait des classes entre 20 et 25 élèves. Maintenant, c’est plutôt 30 à 35…
J’ai eu droit aussi, mais heureusement une seule fois à L’Étranger, l’une des dix plaies d’Égypte à mon humble avis, avec La Princesse de Clèves, de l’enseignement en Première. Je dis ça un peu par provocation, mais je me souviens qu’après la déclaration mal comprise de Sarkozy sur La Princesse de Clèves, nous avions eu droit à une explosion de Princesses de Clèves dans les descriptifs. Si je déteste l’œuvre c’est à cause des tartes à la crème qu’elle engendre, mais cela ne modifie pas mon point de vue : tout professeur est meilleur avec les œuvres qu’il affectionne, et si malheureusement c’est La Princesse de Clèves, eh bien que La Princesse de Clèves soit ! Si dans une classe, un collègue avait inscrit Le Rouge et le Noir en concurrence avec des œuvres de cet acabit, vous pouvez être sûr qu’un seul élève l’avait choisi. L’un des candidats qui m’a fait le plus plaisir est justement un de ceux-là, qui avait lu Lucien Leuwen dans la foulée, et m’a fait intelligemment grâce du résumé pour expliquer sa motivation à choisir le pavé quand la moitié de la classe avait opté pour la crotte de nez. Ce qui le fascinait c’est le goût de Julien pour l’Empire, ou plutôt pour « l’image qu’il se faisait de l’Empire, qui n’était pas l’Empire ». Voilà qui changeait agréablement des niaiseries que les morveux m’ont sorties de leur « Nez » ! Quand je l’ai titillé sur son identification au personnage, il a sorti que les années de covid n’étaient pas « une période palpitante ». Tu l’as dit ! J’avais l’impression de parler avec un adulte, plus passionnant que l’immense majorité de mes collègues dont la préoccupation principale pendant ces trois années covidistes n’était pas d’enseigner, mais de vérifier que les nez étaient masqués. Idem, pour une élève qui avait choisi La Duchesse de Langeais, mais que j’ai eu du mal à faire sortir des ornières. Comme elle avait mis en avant la notion de « faux-semblants » qui permettait de réussir dans la société de l’époque de Balzac, j’avais cherché à lui faire établir un parallèle avec notre société. Je la sentais gênée, et elle s’est réfugiée dans une réponse politiquement correcte : « Nous vivons dans une société plus inclusive ». Elle avait failli me faire pleurer car d’une part c’était la dernière d’une des pires journées, d’autre part, ayant été la seule à choisir ce livre, elle avait dit qu’elle l’avait choisi parce que Balzac était un incontournable de la littérature, et qu’elle avait sauté sur cette occasion qui ne s’était jamais présentée jusque-là dans sa scolarité. Voilà ce que nous sommes en train de faire sous la houlette de ce destructeur de macron : ôter à toute une génération la possibilité de rencontrer de grands auteurs, en les remplaçant par une pléiade de plumitifs opportunistes qui tirent à la ligne sur des thèmes de société à la mode. Elle m’avait tellement ému que, après avoir mis la note, j’ai discuté avec elle. Je lui ai dit que je lui avais attribué la meilleure note de la journée. Je lui conseillais dans la perspective de sa Terminale, de ne pas craindre d’affronter les idées du prof. Un bon prof ne juge pas sur les idées mais sur l’argumentation. Elle avoua ne pas avoir voulu sortir du sujet, s’en tenir au sujet. Cela m’a mis dans une humeur grise : où en sommes-nous pour que des adolescents aient peur de s’exprimer librement devant un adulte, eux qui se lâchent sur les réseaux sociaux ? Il faut dire que sur la douzaine d’examinateurs de l’oral, une portait un masque en permanence, ce qui pouvait calmer les velléités de confidences. Côté élèves, sur mes 56, trois seulement le portaient. Après les avoir mis à l’aise par rapport à ça, un l’a ôté avant sa préparation, le 2e a fini par l’ôter pendant son exposé, constatant que ça l’empêchait de bien s’exprimer, et un seul l’a conservé sur le nez en me parlant du « Nez » ! Ils ont tellement été maltraités pendant ces trois années par des collègues pervers qui ignorent tout de l’expérience de Milgram, qu’il aurait été hors de question que je me permette même une allusion malveillante à un élève infecté par le covidisme.
Une candidate qui avait choisi Les Fleurs du mal a dit que cela lui avait beaucoup apporté, ça l’avait surpris, ça avait changé son regard sur les œuvres étudiées dans la suite de l’année. On oublie parfois que la classe de Première est le couronnement des études secondaires en ce qui concerne le français, et que l’enseignant a (ou avait, car comment continuer à le faire avec ce programme peau de chagrin) la lourde responsabilité de forger une culture littéraire qui laissera son empreinte peut-être à vie.
Quand le collègue avait bien préparé ses ouailles, le résumé se limitait à une minute, puis le candidat présentait deux thèmes qu’il avait extraits de l’œuvre, puis on discutait vaguement à partir de ce qu’il avait dit et de ce qu’on connaissait de l’œuvre. Dans ce type de classe, le collègue avait choisi des œuvres dignes de la classe de Première, mais avait également fait en sorte que chaque bouquin ne soit choisi que par deux ou trois. Donc un candidat qui avait bien préparé cette partie pouvait très facilement obtenir 7 ou 8 sur 8, car que voulez-vous faire d’autre quand un élève de 17 ans au terme de sa brillante carrière de lycéen, parvient à faire un exposé correct sur une œuvre qu’il a choisie ? L’élève, le parent, le prof, le proviseur et le ministre seront forcément satisfaits de ces brillants résultats qui constituent pourtant le revers de la réduction à néant de la culture littéraire. Au lieu de devoir se fader six livres de littérature, on peut obtenir 20 au bac en bachotant un seul livre, qui peut être soit un livre digne de la classe de Première, soit une bluette absolument pas littéraire, soit une œuvre littéraire d’un calibre bien inférieur à ce couronnement des études littéraires.
Tirer la substantificque moelle du « Nez » !
Quand les livres s’y prêtaient, je me suis permis bien sûr d’asticoter le candidat sur la période dictatoriale qu’il venait de subir, en restant bien sûr dans les règles, c’est-à-dire que je n’évaluais que la capacité du candidat à défendre son point de vue de façon argumentée, et je ne cherchais en aucun cas à le mettre mal à l’aise. Parmi les découvertes littéraires pour moi, une excellente élève (par son prof interposé !) m’a fait découvrir La Zone du Dehors (1999) de l’auteur français Alain Damasio. C’est la société de contrôle social & délation à la chinoise telle que la rêvent Macron, Blanquer et tous les psychopathes qui dirigent notre monde vers sa perte. Mais imperméable à mon questionnement, la candidate n’y a vu aucun rapport, pas plus que 90 % des enseignants de Lettres, pas plus que 90 % de l’intelligentsia qui n’ont jamais établi le moindre parallèle entre Le Malade imaginaire, Le Meilleur des Mondes, 1984, Rhinocéros, Un ennemi du peuple, et la tyrannie covidiste : « Ce n’est pas quelque chose qui arrive vraiment ». « Cela n’a rien à voir », argument imparable de l’éternel conformisme, pourtant dénoncé dans les œuvres en question. Ceux que j’ai dû interroger sur leur lecture du « Nez » m’ont fourni un florilège. Sur un texte si transparent qu’ils venaient de résumer dans le moindre détail en guise d’exposé, que pouvais-je faire d’autre que les faire rebondir sur l’actualité ? Dans cette classe, on avait opté pour Gargantua, alors j’avais beau jeu de demander au candidat : « Quelle substantificque moelle tirez-vous de ce « Nez » ? » Un candidat qui avait retenu dans la préface de son édition (qu’il attribuait à Gogol) l’idée freudienne que le nez était une projection des complexes sur la taille du sexe, m’a sorti que lors de la période de port du masque, cela permettait de cacher un complexe d’avoir un gros ou un petit nez. Lui comme ses camarades, sans doute échaudés par l’attitude de leurs profs, n’osaient pas s’exprimer librement, et souvent se réfugiaient dans les éléments de langage martelés par McRond-McKinsey pendant ces 3 années : « c’est pour nous protéger ». Une candidate me confie : « J’essayais d’imaginer la tête des gens. Moi je suis timide, ça me permettait de me cacher. Ça m’a fait un choc quand on a dit de l’enlever. Est-ce qu’on allait me juger ou pas ? On avait peur de tomber malade ». Un autre : « On aurait voulu ne pas avoir de nez pour le mettre sur la bouche et pouvoir bien respirer. Si on n’avait pas eu de nez pendant la période du covid, ç’aurait été bien ». Un autre, qui critique les « arrivistes » : « Avec le covid on avait tous des masques. C’était une question de différence. Si tout le monde avait un masque et pas moi, j’essaierais de me cacher ». Une autre : « On croise des gens, on ne voit que leur masque, alors qu’on ne voit plus la personnalité. J’ai pas fait attention à ça quand j’ai lu le livre ». Une autre : « Il mettait sa main devant son nez pour se cacher. Actuellement il aurait pu mettre un masque et personne n’aurait vu qu’il n’avait pas de nez ». L’auteur étant russe, il m’est arrivé de questionner aussi les candidats sur la question, pour obtenir des arguments de l’ordre du « méchant Poutine ». Sur Le Malade imaginaire, un élève voit une dénonciation de « la médecine vue comme un art » : il a bien gobé le discours des médias. Le même parle de l’« ascenseur » (pour assesseur) de collège Kovaliov. Je m’étonnais quand même du choix du collègue, qui avait aligné « Le Nez » avec Le Malade imaginaire (au programme) et Knock. Le seul candidat qui ait choisi cette pièce (que je venais de voir interprétée) s’est un peu ouvert, tout en ouvrant aussi le parapluie : « Knock a utilisé la maladie comme un appât ; les médias ont manipulé pour nous faire peur. Chacun a son avis ; c’est le mien ». Si j’écoutais certaines directives, j’aurais carrément dû le dénoncer pour pensée complotiste » !
Les candidats qui ont choisi Rhinocéros n’y ont vu que du feu. L’un d’eux cite la phrase finale : « Je ne céderai pas », et pourtant il n’avait que ça à préparer. Je fais rectifier : « capitulerai ». Il n’a rien à dire sur le rapport avec l’actualité. Un autre n’y voit aucun rapport, pas de totalitarisme, pas de conformisme.
Dans la catégorie féminisme de télé-réalité, un livre dont je tairai le titre par charité m’a énervé, parce qu’il engendrait chez les candidats une admiration béate dont il était impossible de les extraire. On avait droit à toutes les tartes à la crème du féminisme gouvernemental & du pathétique de bas étage avec l’un des personnages qui était une intouchable indienne. Le collègue ne faisait que souscrire aux nouveaux critères de recrutement développés lors de l’épreuve orale professionnelle, mais cela nous laisse présager pour les années à venir un déferlement d’œuvrettes de circonstances sur des personnages victimes de racisme, d’homophobie, de machisme, etc. Une candidate illuminée par une œuvrette féministe m’a dit qu’elle regrettait que son prof n’ait pas opté pour Olympe de Gouges parmi le choix de 3 œuvres argumentatives. Encore un effort et ce sera aux élèves de choisir le programme, avec des campagnes orchestrées par des associations financées par George Soros pour forcer les choix les plus wokistes. Les arguments publicitaires (et jamais littéraires) que j’ai entendus sur ce livre féministe étaient du style « ne pas laisser les femmes passives face à leur destin ». Dans la catégorie racisme social, j’ai eu droit, à propos d’une œuvre d’Amélie Nothomb, à un florilège de déclarations estampillées macron, que les élèves globalement CSP+ des classes qui l’avaient choisi m’ont servies avec le plus grand sérieux. Le personnage en est réduit à effectuer des tâches humiliantes comme tenir les toilettes des dames, alors qu’elle est « capable d’effectuer un travail ordinaire ». Et plusieurs élèves m’ont sorti le même argument sur ce livre : « on est protégé par le code du travail en France ». Je leur ai demandé si eux qui s’estiment sans doute « capables d’effectuer un travail ordinaire », ils apprécieraient de livrer leurs propres parents en travaillant pour une société de livraison sous l’égide de ce code du travail version macron (évidemment je n’ai pas posé la question comme ça !) Aucun ne m’a répondu, à l’instar du chef de l’Étron : « Ça m’en touche une sans faire bouger l’autre » ! Les candidats qui ont choisi (ou auxquels le prof a laissé un choix bien plus littéraire) des œuvres plus difficiles s’en sont mieux sortis, mais n’échappent pas toujours au politiquement correct. Un candidat qui a préparé Les Contemplations trouve moyen de me citer pendant son exposé un article de Télérama sur la protection de la population amazonienne ! Sur La Princesse de Clèves, une candidate m’apprend que Madame de La Fayette pratiquait la non-mixité (elle n’emploie pas ce terme !) dans son salon, qui n’était ouvert qu’aux femmes !
Cerise sur le gâteau : organisation et rémunération
La rémunération explique le marasme de l’organisation. Un des rares aspects à avoir connu une amélioration est l’accélération de la rémunération, et de notre information transparente sur ladite rémunération : en me rendant sur la base Arena / Santorin (les noms sont amusants), je sais déjà avec précision, pour la première fois de ma carrière – et les bras m’en tombent – combien j’ai été rémunéré. Auparavant, il fallait attendre des mois avant de toucher une somme sur son bulletin de salaire, dont l’intitulé ne nous permettait pas de savoir à quoi elle correspondait. Je me souviens vaguement avoir entendu à l’époque de Sarkozy une velléité de revaloriser ces clopinettes, et avoir entendu « 5 € par copie », mais honnêtement, avant cette expérience récente, je n’avais pas la moindre idée du tarif par copie ou élève. Début juin, j’ai corrigé 38 copies de BTS pour la modique somme de 87,4 € soit 2,3 € la copie. Aucun déplacement, j’ai fait cela sur une tablette au bord de la piscine de ma résidence secondaire à Ibiza en attendant l’apéro, en essayant de me concentrer malgré les bruits de fêtes chez mon voisin Jean-Michel Blanquer [1] qui y prend des vacances bien méritées avec sa nouvelle épouse.
Fin juin et début juillet, j’ai interrogé 56 candidats pour la modique somme de 179,2 € soit 3,2 € le candidat ; c’est d’ailleurs la première fois que je n’ai eu aucun absent, ce qui ne manque pas de piquant, vu le délire covidiste : la moitié des enseignants portés pâles, et pas un seul élève pour cette terrible pandémie de papier (papier dollar) qui continuera à sévir tant que macron continuera à sévir. Et pour cette somme, assignation à domicile, 6 jours de déplacement dans les transports bondés avec annonces sonores incessantes pour inciter à porter des masques, faire attention à nos sacs & aux pickpockets et continuer à voter macron, pecresse & hidalgo. L’ambiance créée par la coordo nous a fait nous réunir pour quelques déjeuners au restaurant, dans lesquels nous dilapidâmes à peu près tout le gain. Une collègue nous fit miroiter quelque temps l’espoir d’un remboursement de frais de repas, mais hélas, cela n’est pas valable dans la commune, et Paris est une blonde, pardon, Paris est une seule commune ! Nous n’en demandons pas tant, mais apparemment nos innombrables collègues qui se sont fait porter pâles en profitant de l’open bar covid n’ont pas été alléchés par la rémunération digne de l’abattage dans un bordel de Saïgon en 1920. Les médecins, très sous-payés en France, touchent quand même dans les 25 € par enrhumé, le double si le rhume est un covid ou quelque chose comme ça ! On ne peut pas comparer bien sûr, car pour nous ce n’est qu’une indemnité qui s’ajoute à notre salaire. Bref, les ronds-de-cuir qui depuis Sarkozy nous ont enfumés avec l’augmentation des rémunérations, seront avantageusement remplacés par une prochaine mission à 496 000 € confiée à McKinsey sur la brûlante question « Comment motiver les enseignants aux missions de correction des examens ? ».
Le lecteur de cet article sera peut-être intéressé par un article en 3 parties de François Belliot : « La Covid-19 au prisme de Molière ».
[1] Pour en finir avec Blanquer, que j’aime « emmerder » « avec affection » pour citer Adolf-Bénito Macron, je lui reconnais quand même deux qualités : la résistance au wokisme, et qu’il ait fait tout son possible pour maintenir le maximum de cours en « présentiel » dans la période la plus aiguë de la dictature nationale-covidiste, alors que les ordres édictés par le maître du monde Bill Gates par l’intermédiaire de son officine McKinsey étaient de fermer complètement toutes les écoles le plus longtemps possible, doctrine appliquée à la lettre dans de nombreux pays dirigés par une caste encore plus corrompue que la nôtre, si c’est possible. Ce fut méritoire, car quasiment tous les syndicats enseignants, pour des raisons qui restent à élucider, poussaient à la roue dans le sens du délire covidiste.
Source : Alter sexualité
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