Radio-Canada s’est excusée mercredi pour l’utilisation du «mot en n» au cours d’une de ses émissions de radio en 2020, mais considère que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) «a outrepassé ses pouvoirs en ce qui a trait à l’indépendance du diffuseur public» et compte faire appel de la décision.
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Dans un communiqué, la société d’État reconnaît que le «mot en n» est une insulte raciste et blessante et que «dans les rares occasions où ce mot est utilisé par une organisation médiatique, il doit être mis en contexte afin d’essayer de minimiser le mal que son utilisation pourrait causer».
«En 2020, l’utilisation répétée de ce mot au cours d’une émission de radio de Radio-Canada a été blessante pour certains auditeurs et employés, bien que cela ait été fait dans un contexte journalistique. Certains de nos journalistes ont exprimé leur opinion sur le fait qu’il s’agit uniquement d’une question de liberté d’expression, mais nous savons que les mots peuvent blesser et doivent être utilisés avec soin», peut-on lire dans une déclaration.
«C’est pourquoi nous présenterons nos excuses à la personne qui a déposé une plainte. L’utilisation de ce mot est blessante pour plusieurs au sein de nos auditoires et de nos équipes, et nous en sommes profondément désolés», a précisé le diffuseur public.
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«La bonne chose à faire»
Radio-Canada a ajouté que désormais, une mise en garde à l’émission pour sa webdiffusion sera ajoutée «afin que les auditeurs soient avertis de ce qu’ils pourraient entendre».
De plus, une revue interne de ses politiques et normes relatives au langage qui peut être blessant est prévue.
Mercredi, Radio-Canada a dit publier des excuses, car «nous pensons que c’est la bonne chose à faire», et non «parce que le CRTC nous a dit de le faire».
Rappelons que fin juin, le CRTC a ordonné à Radio-Canada de fournir des excuses publiques en raison d’une chronique de l’émission «Le 15-18» dans laquelle le titre du livre «Nègres blancs d’Amérique» de Pierre Vallières, a été prononcé quatre fois, le 17 août 2020.
Dans la foulée de la décision du CRTC, plusieurs voix issues des milieux journalistique, politique et culturel se sont élevées pour exhorter la société d’État à contester la décision du CRTC.
Trois lettres ont ainsi été envoyées au président du conseil d’administration de Radio-Canada, Michael Goldbloom, pour que la société d’État conteste cette décision.
«L’objectif que nous avions, qui était d’en appeler de la décision du CRTC, est atteint, a estimé mercredi Alain Saulnier, ex-directeur général de l’information de Radio-Canada, en entrevue avec l’Agence QMI. Parce que le CRTC s’était arrogé un droit de regard sur la politique éditoriale de Radio-Canada et il faut absolument freiner ce genre de vision qu’il est en train de définir à travers cette décision. Maintenant, pour ce qui est des excuses, on sent que Radio-Canada, tout en appelant de la décision, ne veut pas non plus heurter le CRTC, car elle est redevable devant celui-ci. Il faut faire attention à ne pas donner une portée démesurée à ces excuses.»
Le premier ministre du Québec, François Legault, avait réagi au début de juillet, estimant que «c’est le CRTC qui devrait s’excuser».
L’organisme fédéral a aussi demandé à Radio-Canada de «préciser la manière dont elle compte atténuer l’impact du « mot en n » dans ce segment de l’émission» au plus tard le 29 juillet.
Radio-Canada doit aussi produire avant le 27 septembre un rapport «de mesures internes et de pratiques exemplaires en matière de programmation qu’elle mettra en place afin de s’assurer de mieux traiter d’un sujet semblable à l’avenir».
«Grave erreur»
La société d’État estime par ailleurs que l’organisme réglementaire indépendant a outrepassé ses pouvoirs en ce qui a trait à l’indépendance du diffuseur public.
Radio-Canada considère que cette décision est «une menace parce que le Conseil tente de se donner le pouvoir de compromettre l’indépendance journalistique.
Comme l’ont fait remarquer des voix dissidentes au sein même du CRTC, celui-ci n’avait ni l’autorité ni la juridiction pour rendre cette décision et a, en exerçant son pouvoir discrétionnaire, ignoré la liberté de la presse que garantissent la Charte canadienne des droits et libertés et la Loi sur la radiodiffusion».
«Il s’agit d’une grave erreur», insiste Radio-Canada. «Nous ne pouvons tout simplement pas accepter cette ingérence du CRTC dans le travail journalistique au pays», peut-on lire.
Radio-Canada va faire appel quant au droit juridictionnel du CRTC de prendre des décisions «qui devraient relever de nos chefs des nouvelles».
«Des risques» aux conditions de travail
Le Syndicat des travailleuses et travailleurs de Radio-Canada (STTRC) estime que ses membres ont besoin «d’un minimum de liberté éditoriale pour pouvoir exercer leur métier», notamment pour pouvoir respecter les Normes et pratiques journalistiques (NPJ).
Cette politique demande aux journalistes de «servir l’intérêt public», de «contribuer à la compréhension d’enjeux d’intérêt public» et de «défendre la liberté d’expression et la liberté de presse».
«Le premier principe des NPJ que nous devons respecter est celui de l’exactitude, qui implique de présenter les contenus de façon claire. Il nous apparaît évident que cela signifie qu’il faut pouvoir nommer ce dont on parle. Le défi de clarté est particulièrement marqué pour ceux qui travaillent à la radio, puisque l’auditoire doit comprendre en tout temps de quoi il est question, sans pouvoir revenir en arrière, contrairement à l’écrit, et sans les éléments visuels qui soutiennent le propos à la télévision», peut-on lire dans une déclaration du syndicat.
Pour la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), la décision de Radio-Canada de contester la décision du CRTC en appel était «la chose à faire».
«La FPJQ était d’avis que le CRTC n’avait pas à se substituer aux chefs de nouvelles de Radio-Canada et de leur imposer une ligne éditoriale qui relève de la liberté journalistique. La FPJQ suivra de près le dossier, et est disposée à agir à titre d’intervenante, si besoin est, pour rappeler les principes fondamentaux qui guident la pratique de notre métier», a déclaré le président de la FPJQ, Michaël Nguyen.
La ministre québécoise de la Culture et des Communications, Nathalie Roy, a également réagi mercredi après-midi, rappelant que la décision du CRTC «est pour [le gouvernement] une grave atteinte à la liberté d’expression».
«Nous continuerons d’être solidaires avec les journalistes et avec les représentants des médias. Maintenant que Radio-Canada a annoncé qu’elle ira en révision judiciaire de la décision, nous suivrons les développements de près», a-t-elle déclaré.
De son côté, le premier ministre du Canada, Justin Trudeau a confié qu’il s’agissait d’«un débat extrêmement important, mais extrêmement complexe».
«Oui, nous devons à tout prix toujours protéger, pas seulement la liberté d’expression, mais la capacité des médias de faire leur travail. En même temps, il faut comprendre qu’il y a des mots qui sont extrêmement blessants pour certains, qui sont lourds de portée, de signification. Il faut avoir des conversations extrêmement importantes sur comment on va naviguer ces deux facettes importantes», a-t-il précisé.
Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec