«Je ne peux pas sortir ton corps de ma tête», chantait le groupe de rock alternatif Presidents of the United States of America («Body», 1995), non sans arrière-pensées grivoises.
Fait marquant, ces musiciens gravement déjantés s’étaient imposé la limite de jouer avec des instruments volontairement amputés: une batterie minimaliste, une guitare à trois cordes et une basse à deux cordes. Quand on dit que la contrainte stimule la créativité!
En comparant la three-string guitar de Dave Dederer avec le balai que prend mon fils de deux ans pour imiter la rock star sur la scène improvisée de notre salon, je suis ému de voir que trois cordes suffisent amplement pour faire danser un bambin joufflu avec un vieux punk déchu qui lui fait office de père.
Limité par son corps
J’entendais récemment une jeune femme, début vingtaine, tonique et resplendissante, raconter en entrevue qu’elle sentait que son esprit était limité par son corps. Chaque jour, elle produit d’innombrables pensées, ébauche les rêves les plus fous, et bien souvent, sa carcasse la freine dans ses élans créatifs.
Je n’ose pas imaginer ce qu’elle dira lorsque son corps sera malade, fragile, vieillissant…
Or, le corps est limite. Il est contrainte, et devant elle, deux réactions possibles: la frustration ou l’accueil.
Chaque fois que mai pointait son nez, nos grands-mères avaient l’habitude d’entonner, un léger trémolo dans la voix, des cantiques à Marie. En cette femme, elles vénéraient sans doute un modèle d’accueil des bouleversements de la vie. Dans son corps, la Vierge a fait place à Dieu naissant, puis l’a embrassé dans ses langes et a soigné ses échardes d’apprenti charpentier. Enfin, son cœur de mère a été traversé d’un glaive alors qu’elle assistait, impuissante, à la mise à mort de son fils.
Sans la fragilité du corps du Christ, combien serions-nous tentés, nous aussi, de mépriser ce corps si limité et limitant!
Les promesses abondent
Dans le Métavers des créateurs de Facebook, cet univers parallèle en réalité virtuelle, les promesses de confort, de sécurité et de contrôle abondent: des jeux sans joie, du sexe sans contact, du travail sans labeur et des rencontres sans personnes.
Exit la crainte d’attraper une ITSS ou de devenir enceinte lors d’une relation, terminée l’haleine âcre du patron, finies les poignées de main pleines de microbes, et plus jamais de cette humiliante feuille d’épinard logée entre la canine et l’incisive.
Que l’on fasse l’amour par Zoom ou la guerre par drones, que l’on suive sur écran les cours de la bourse de Toronto ou le cours de math de M. Rondeau, la gestion des risques se fait désormais à distance.
Ce n’est plus seulement l’esprit qui est prisonnier du corps, comme chez les Grecs, mais le corps que l’on enferme dans la tête. L’esprit, pensant ainsi permettre au corps d’esquiver les aléas du réel, le prive plutôt de sa raison d’être: du berceau à la croix, de la croix au tombeau, puis du tombeau au corps glorieux, vivre la vie à corps perdu.
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