Dans son minuscule bureau à l’entrée de la Chapelle Notre-Dame-de-Lourdes, où il officie comme portier, Roger Twance ne passe pas inaperçu: il est d’un physique imposant. Son sourire et sa ferme poignée de main sont pourtant doux et rassurants.
Tout comme le saint Frère André, il accueille avec chaleur les habitués et les touristes. Et si d’aventure ils ont du temps devant eux, il leur parle volontiers de la réalité des peuples autochtones et de sa volonté de tisser des liens entre ces derniers et l’Église catholique.
«Nous allons faire l’entrevue ici», me lance Roger Twance. Devant mon air surpris, il s’explique: «Je suis en service.» L’exigüité du lieu fait que je suis coincé entre son bureau et un meuble encastré dans lequel se trouve un bric-à-brac d’objets religieux.
Roger Twance est ici pour accueillir. Parfois, un simple sourire ou un regard complice font office de bonjour. À certains moments, les mots ne suffisent pas. Alors, les gestes prennent le relai. Comme lorsqu’il reçoit la visite impromptue de réfugiés allophones.
«Un peu comme le Seigneur, j’accueille les gens tels qu’ils sont. J’essaie de les aider, si cela est possible.»
La rafle
Roger Twance est Ojibwé. Sa mère, comme des milliers d’enfants autochtones et inuits, a été retirée de sa famille sans son consentement par les services sociaux lorsqu’elle était encore une enfant. Cette pratique, que l’on a surnommée la rafle des années soixante, débute au début des années 50 et s’intensifie dans la décennie suivante. Elle se poursuit jusqu’en 1991. Certains jeunes ont même été vendus à l’étranger.
La mère de Roger Twance a été recueillie et adoptée par un couple blanc. «C’étaient d’excellentes personnes. Elles étaient catholiques. J’ai grandi là-dedans. Mais mon grand-père a fait en sorte que je puisse avoir mon statut d’Indien. Ce sont eux qui m’ont initié à mon premier Pow-Wow.»
Son père est l’une des victimes des pensionnats pour autochtones. Il n’en est pas ressorti indemne.
Enfant, Roger Twance ne connaissait pratiquement rien de la culture ni de la spiritualité de ses parents. «Avec mes grands-parents, j’allais à la messe. Il y avait un curé qui animait de nombreuses activités, dont l’adoration. J’avais sept ans, et je ne comprenais pas pourquoi mes amis n’étaient pas à l’église.» C’est durant cette période qu’il se sent appelé à devenir prêtre.
Des années plus tard, en 2013, il entre au Grand séminaire de Montréal. Il en ressort en 2015. «Je veux toujours devenir prêtre, mais en ce moment, ce projet est en pause.»
Avant d’amorcer sa formation qui le mènera éventuellement à la prêtrise, Roger Twance a développé un talent musical certain. Il a longtemps été trompettiste solo. Il a même été directeur général de l’Orchestre Philharmonique de Scarborough. «Aujourd’hui, je suis musicien à temps partiel pour l’Église!», lance-t-il le sourire aux lèvres.
Durant son séjour au Grand séminaire, il a fondé l’organisme Sainte Kateri au centre-ville. «Je voulais créer un endroit où les autochtones catholiques pourraient se rencontrer. En 2019, nous avons organisé et animé une messe autochtone au Gesù dans le cadre du festival Présence autochtone. La dernière a eu lieu le 21 juin dernier à la Basilique-Cathédrale Marie-Reine-du-Monde. »
Outre ces activités, Sainte Kateri au centre-ville organise des vigiles dans les rues de ce secteur. «Le but premier de notre organisme, c’est d’apporter des soins spirituels aux itinérants autochtones. Nous sommes à l’écoute de leurs besoins. Le monde de la rue possède une grande foi. C’est la spiritualité qui les maintient encore en vie», souligne Roger Twance.
Celui qui a fait connaissance avec la culture de sa nation alors qu’il présidait l’Association des étudiants autochtones de l’Université de Toronto au début des années 2000 se sent à la fois ojibwé et catholique. «Je me suis demandé pourquoi je restais catholique. Je me suis dit qu’il faut séparer l’Église avec un grand “E”, c’est-à-dire l’Église de Dieu que Jésus nous a donnée, de l’église avec un petit “e”, soit celle des hommes. Je crois en Jésus, fils de Dieu présent dans l’Eucharistie et au sacerdoce. C’est cela qui me maintient au sein de l’Église catholique. Mais l’église avec un petit “e”… c’est une autre chose», dit-il avec un sourire en coin.
Respect
C’est pourquoi Roger Twance comprend ses frères et sœurs autochtones qui se sont éloignés du catholicisme. «Je respecte ceux qui ne veulent rien savoir de l’Église catholique. Je respecte aussi ceux qui demandent l’apostasie. Nous sommes tous libres. Cependant, je leur demande de respecter mes choix.»
Catholique, Roger Twance se montre toutefois critique de l’institution qui pourrait selon lui en faire davantage pour informer les fidèles, mais aussi les prêtres et les séminaristes, sur l’histoire des Autochtones. C’était d’ailleurs une des recommandations que la Commission de vérité et réconciliation a publiées dans sa volumineuse conclusion en 2012.
Roger Twance est également nuancé lorsqu’il évoque le partage des responsabilités dans le scandale des pensionnats et des élèves qui y sont décédés. «Les enfants n’auraient jamais dû être là. Ils sont morts loin de leur famille.» S’il croit que l’Église a une part de responsabilité dans ce drame, il est d’avis que le gouvernement a également la sienne.
Malgré tout, Roger Twance est convaincu que les évêques font de plus en plus de pas vers les Peuples autochtones. «Ils sont assez ouverts.»
Tout comme ses coreligionnaires autochtones, il espère que les excuses du pape François et sa prochaine visite au Canada vont permettre un vent de renouveau. «Je souhaite que nous puissions enfin nous parler afin de savoir comment nous allons faire pour vivre ensemble aujourd’hui et demain.»
Sur le parvis de la Chapelle Notre-Dame-de-Lourdes, sous un soleil éclatant, Roger Twance me salue avec un grand sourire et me tend la main comme il dresse un pont entre sa foi et la culture autochtone.
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Source : Lire l'article complet par Le Verbe
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