4 juillet 2022 (10H30) – Je vais d’abord vous citer deux faits historiques très récents, – destinés à devenir “historiques”, dirais-je, – dans ce qui semblerait être des pièces de la très-facile démonstration réalisée par la suffisance de notre satisfaction de nous-mêmes, du monstrueux impérialisme russe et de ses plans à long ferme pour envahir l’Ukraine. Eh bien, voilà que ce n’est pas du tout ça, nous disent des témoins-acteurs, comme on dit, “dignes de foi”..
Le premier de ces “ deux faits historiques très récents ” est du 18 juin 2022 sur ce site, et du “roi du chocolat” célébrant l’Appel fameux à sa façon…
« Mais le plus beau, sans le moindre doute, revient à une intervention du “roi du chocolat”, l’oligarque outre-krainien qui fut président de l’Ukraine de 2014 à 2018 et participa à la manufacture des accords de Minsk censés ramener la paix et la stabilité. Parlant à des journalistes allemands… […]
» “Petro Porochenko a admis que le cessez-le-feu de 2015 dans le Donbass, qu’il a négocié avec la Russie, la France et l’Allemagne en tant que président de l’Ukraine, n’était qu’une distraction destinée à faire gagner du temps à Kiev pour reconstruire son armée.
» Il a fait ces commentaires dans des interviews accordées à plusieurs médias cette semaine, notamment à la télévision allemande Deutsche Welle et à la branche ukrainienne de la radio d’État américaine Radio Free Europe.
» “Nous avions réalisé tout ce que nous voulions”. “Notre objectif était, tout d’abord, de mettre fin à la menace, ou du moins de retarder la guerre, – d’obtenir huit ans pour rétablir la croissance économique et créer des forces armées puissantes”.
Le second est de quelques jours plus tard, une décade à peu près, répondant comme un écho sous le soleil ardent du Grand-Madrid de l’OTAN. Il s’agit d’une déclaration du Secrétaire Général de cette organisation, expliquant aimablement le rôle qu’avait joué l’OTAN vis-à-vis de l’Ukraine (et de la Russie) depuis 2014. L’Américain Robert Bridge présente commente abondamment cette déclaration, sur RT.com qui n’est pas plus mécontent que cela, le 3 juillet 2022 :
« Le patron de l’OTAN vend la mèche : Le bloc dirigé par les États-Unis “se prépare depuis 2014” à utiliser l’Ukraine pour un conflit par procuration avec la Russie.
» Le Secrétaire Général de l’OTAN Jens Stoltenberg a fait sortir le diable de sa boite [en disant] tout haut ce qu’il aurait [peut-être fallu continuer à dissimuler], – lorsqu’il a révélé aux journalistes que la poussée de l’OTAN en Europe de l’Est depuis 2014 avait été faite spécifiquement en pensant à [une guerre contre] la Russie.
» “La réalité est aussi que nous nous préparons à cela depuis 2014”, a-t-il déclaré. “C’est la raison pour laquelle nous avons augmenté notre présence dans la partie orientale de l’alliance, pourquoi les alliés de l’OTAN ont commencé à investir davantage dans la défense et pourquoi nous avons augmenté [notre] état de préparation”. »
Voyez comme les deux interventions s’emboîtent à merveille pour nous décrire la marche des choses à partir de l’origine de la séquence, presque en toute belle candeur, comme si tout était bien… Bridge poursuit en détaillant la foule de choses que l’on sait sur les manigances extraordinaires du système de la communication, de la part des diverses et considérables entités étasunien des, à commencer par la sublime description que fit Friedman de l’intervention de février 2014, tant de fois documentée ici et là :
« La Russie définit l’événement qui a eu lieu au début de cette année [en février 2014 à Kiev] comme un coup d’Etat organisé par les USA. Et en vérité, ce fut le coup [d’État] le plus flagrant dans l’histoire. »
Il y a tant et tant de choses à dire et à redire, et à répéter sur cette affaire, et Bridge en fait un bon et solide rappel. (Moi-même, j’y ajouterais une pincée de sel, sur l’épisode qui m’a fasciné, du nombre de fois extraordinaires où la Russie a envahi l’Ukraine en 2014, avec le tampon “Secret” de la DRM française en bonus.)
Mais à dire vrai, ce n’est pas l’essentiel de mon propos ici. Il y a simplement le constat que l’équation Porochenko + Stoltenberg en dix jours a définitivement achevé la destruction, comme l’on dirait d’une arme de communication massive, de la narrative américaniste-occidentaliste. Cela est dit : nous avons donc tout manigancé dès l’origine, et nous portons ainsi la responsabilité quasiment totale, sinon absolue, des événements qui suivirent, du pilonnage des civils russophones par l’armée kiévienne à l’“Opération Militaire Spéciale” des Russes du 24 février 2022… Mais bon, on le sait bien entre nous et hors des sentiers battus par les bottes des courtisans, et depuis longtemps : on le sait bien, on le sait diantrement bien !
Moi, ce qui m’intéresse ici, c’est un “pourquoi” : pourquoi les pieds-nickelés Porochenko-Stoltenberg (qui sera le troisième ?) ont-ils dit ce qu’ils ont dit ? Certes, cela n’a pas eu grand écho ni forces démonstrations d’étonnement scandalisé, parce que nous avons les presseSystème les plus librement soumises absolument à la bienpensance du pouvoir, parce qu’on ne veut pas en entendre parler, notamment de ces affaires de Minsk et des besogneuses entreprises de l’OTAN en Ukraine depuis 2014.
Eh bien, je soupçonne des réponses assez simplistes à cette question “pourquoi les pieds-nickelés Porochenko-Stoltenberg ont-ils dit ce qu’ils ont dit ?”… De l’inattention ici, un peu de vanité là, un goût pour une réplique qui surprend un peu, un de “faire le fanfaron”, un zeste de complète inconscience et d’abrutissement bienheureuse, voire de béatitude du Rien qui se mélange au Vide, et là-dessus l’aveuglement-standard, du type qui ne pense pas plus que les 5 minutes à venir… Tout cela se retrouve, se mélange, badaboum, on s’en fout ! On-va-ga-gner !
Ce qui me conduit à une forte parole de Jacques Sapir, économiste et souverainiste de gauche. Sapir est aussi connu pour sa courtoisie, sa retenue dans les paroles, sa volonté de ne pas se laisser déborder pat un langage excessif ; tous ses mots sont donc à prendre bien dans leur sens mais avec autant de force qu’ils ont de retenue dans la forme.
Ici, il est interviewé par l’increvable André Bercoff sur Sud-Radio le 30 juin 2022. Sapir décrit l’évolution BRICS et “Néo-NAM” et confirme avec force qu’il est train de s’établir « une sécession du ‘Grand-Sud’ par rapport à l’Occident » (on en reparlera), déclenchée par Ukrisis et la folie antirusse, avec notamment la pluie de sanctions… On revient là-dessus et Bercoff s’interroge sur la cause de l’aveuglement des dirigeants occidentaux, notamment européens (Lemaire annonçant le 26 février « effondrement de l’économie russe », quasiment dans les quelques jours qui viennent) : pourquoi font-ils cela, est-ce parce qu’ils sont sous influence anglo-saxonne, etc. ? Et Sapir de répondre, – et songez donc à la force contenue, à cause de sa retenue de langage, du jugement qu’il énonce :
« … Au niveau des dirigeants [ce n’est pas qu’ils sont tenus par l’Amérique] … Je dois dire une chose, et pour me confronter régulièrement [à ces dirigeants], je dois dire que la thèse de l’incompétence est quand même majoritaire … Si vous voulez aujourd’hui, pour dix incompétents vous trouverez un cynique… Ce qui pose un problème ! D’une certaine manière, je préfèrerais dix cyniques pour un incompétent ! … Mais je pense, si vous voulez que [cette incompétence] est un problème majeur… »
Ainsi croirais-je volontiers que nous avons la réponse à cette stupéfiante séquence Porochenko-Soltenberg sur dix jours, nous dévoilant complètement le pot-aux-roses : l’OTAN préparant la guerre contre la Russie depuis 2014 et les accords de Minsk n’ayant jamais été qu’un peu de maquillage pour laisser du temps à cette préparation de se faire. Je tiens d’excellentes sources d’eau claire, qu’effectivement, lors des délibérations confidentielles autour du chatoyant président français (je crois que c’est partout pareil dans le bloc-BAO, je veux dire dans toutes les directions), l’expression “les accords de Minsk” a été totalement annulée. Non pas interdite, non pas censurée, non non ; on n’en parle plus, cela n’a jamais existé, point final ! Ils savent tous parfaitement que ces accords ne furent que ce que Porochenko en a dit, et ainsi leur annulation de n’en plus jamais parler comme si rien ne s’était passé permet de donner un peu plus de couleur au récit de la culpabilité russe mesurée à 120% ; pourtant, lorsqu’ils les signèrent, Hollande en tête, ils y croyaient ! Mais aujourd’hui, l’histoire a été annulée et remise au goût du jour, à ce qui convient à l’hyper-court-terme.
Leur aveuglement, tout comme leur duplicité à deux balles qu’ils exposent ensuite en toute sincérité, en ignorant absolument que c’est de la duplicité (Porochenko-Stoltenberg), c’est vraiment leur “incompétence” selon-Sapir ; c’est-à-dire, bêtise complète, pensée réduite aux acquêts d’une rapide conférence de presse aussitôt oubliée, impuissance totale à comprendre le mécanisme causes-conséquences, ignorance de l’enchaînement historique, l’histoire réduite à l’instant présent et encore complètement déformée en narrative du type pieds-nickelés.
Temps uniques en vérité, colossal déferlement cosmique, dominés par une gigantesque, une pélasgique connerie productrice d’une incompétence démesurée et exorbitante dans le chef des sapiens placés “aux manettes” comme l’on dit si élégamment. Bref, comme le rappelait Taguieff :
« On a trop négligé de considérer le rôle de la bêtise dans l’histoire, comme le notait Raymond Aron. Mais la bêtise la plus redoutable, parce qu’elle passe inaperçue, c’est la bêtise des élites intellectuelles… »
Ainsi est-il acquis que nous saurons tout, venant d’eux-mêmes, tous les exposés et explications de leurs grotesques manipulations, simulacres, escroqueries, menteries de manants, dit comme s’il s’agissait de vertu en pain-béni. Ils donnent l’explication autant qu’ils l’illustrent de l’aplatissement hideux d’une pensée réduite au sous-sol plongé dans l’obscurité, de cet épisode décisif de basse-civilisation en train d’achever sa chute. Ils n’ont aucune pudeur, aucune mémoire, aucun souci de dissimulation, ils sont aussi purs que peut l’être la bêtise déchaînée. Ils en sont arrivés à créer une sorte de collectivité de la bêtise qui diffuse une action collective d’une sorte de mécanisme inconscient où toutes les bêtises se complétant et se conjuguant pour mieux mettre au jour leur vilenie… Cas superbe de l’attelage Porochenko-Stoltenberg disant la vérité-de-situation qui nous importe sans y rien comprendre ni n’en rien entendre : bénis soient-ils, manipulés par les événements d’au-dessus, leur imposant leur superbe “souveraineté spirituelle”…
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir