Québec, Canada : Environnement – Citoyens face à la crise

Québec, Canada : Environnement – Citoyens face à la crise

C’est avec grande stupéfaction que les citoyens de l’Anse-au-Griffon ont appris il y a quelques semaines le refus de la mairie de Gaspé de s’associer à leur projet de Centre communautaire sécuritaire, ou refuge climatique pour sauver leur église.

Le maire de Gaspé cumule pourtant aussi les fonctions de préfets de la MRC, et de président de l’Union des municipalités du Québec.  Ces fonctions devraient suffire pour comprendre que la sauvegarde du patrimoine religieux, la présence d’un Centre communautaire pour les organismes d’une toute petite municipalité et la sécurité des populations en temps de crises sont des composantes essentielles de la vitalité et de la survie d’une communauté à l’ère des bouleversements climatiques.  Semble que malgré l’Urgence climatique (1) largement reconnue, le maire Daniel Côté ne comprenne pas!

Abuser des bénévoles.

Les citoyens bénévoles de la toute petite communauté de l’Anse-au-Griffon, une communauté de 500 habitants, oeuvre depuis près de sept ans maintenant à construire un montage financier pour un Centre communautaire desservant les organismes de services à la population.  On parle de la sauvegarde de l’église et sa conversion en salle multifonctionnelle pour les différentes activités de la communauté, et de la conversion du presbytère en des locaux pour les organismes du milieu. Les deux tiers de la somme requise pour le projet, soit plus de 2 millions, sur les 3 millions requis sont déjà réunis, ce qui est pour de simples citoyens un exploit en soi.

Un tel scénario est un véritable rêve pour les directeurs généraux de municipalités dont les élus ont décidé d’acquérir leur église sous la pression des citoyens, et qui doivent procéder eux même au financement d’une requalification.  Des citoyens bénévoles présentent « sur un plateau d’argent » un projet qu’il ne reste aux élus qu’à aider à ficeler. Dans une incroyable arrogance lors de plus récentes correspondances, la municipalité exige des bénévoles qu’ils terminent l’entièreté du travail qui nécessitera une expertise technique. Au lieu de se joindre au projet et faciliter la tâche des citoyens, on exige de préciser et mieux documenter les vocations envisagées.  Puis de mieux chiffrer les coûts d’opération.  Une véritable approche de paresse administrative, et de négligence bureaucratique.

Un espace communautaire adapté. 

Comme dans toutes les petites municipalités, les organismes citoyens ont besoin d’espaces et de lieux d’échange.  Plusieurs organismes du milieu doivent limiter leurs activités parce qu’ils n’ont pas de lieux adéquats.  C’est le cas à l’Anse-au-Griffon.

Le projet a pour but premier de doter la petite communauté d’un Centre communautaire. L’établissement a pour but de regrouper sous un même toit différents organismes locaux tels le Cercle des fermières, Le Club de l’Age d’Or, les Chevaliers de Colomb, ainsi que des artistes et des artisans.  Une synergie doit se matérialiser entre les organismes du milieu.

De plus, le Centre vise à offrir des services de plus en plus nécessaires, entre autres une cuisine communautaire, un pôle de bibliothèque pour le village et une grande salle de plus de 200 places à la population. On parle donc en tout premier lieu de la requalification d’une l’église de valeur historique et patrimoniale en salle polyvalente, et la transformation de l’ancien presbytère adjacent à l’église en espaces à bureaux pour les organismes et en centre de services pour le milieu. Donc, d’une pierre, de multiples coups.  On évite de plus la coûteuse démolition d’un actif du patrimoine et la disposition sécuritaire de tonnes de rebus.

De nombreuses consultation avec la communauté, ses organismes, et une sérieuse recherche sur les vocations d’église en requalification ont menés à l’identification d’une série de besoins de la communauté.  Mais à ce jour, les élus semblent fermés et exigent toujours plus.

Citoyens face aux chocs climatiques. 

Il est aujourd’hui impensable d’envisager une municipalité sans services d’incendies.  Dans peu de temps, il sera tout aussi inconcevable d’imaginer une municipalité sans un refuge sécuritaire pour la population, et un plan de résilience concret face aux chocs climatiques (2).  Les dômes estivaux de chaleur intense se multiplient sur la planète, il en est ainsi pour les tempêtes de vent dévastatrices et les sécheresses.  Le projet a aussi pour objectif d’offrir à la communauté un espace sécuritaire qui puisse héberger temporairement les membres vulnérables de la population en situation d’urgences. En ce sens, on parle ici d’un projet particulièrement novateur en termes de prévention.

Au cours des récentes années les citoyens de cette toute petite communauté riveraine de l’immense Golfe du Saint-Laurent ont observé de multiples événements climatiques extrêmes. L’accès à l’eau dans un nombre croissant de municipalité de la région devient incertain, de nombreuses résidences ne peuvent déjà plus consommer leur eau. Les agriculteurs font de plus en plus souvent face à des pénuries d’eau, les puits se salinisent.  On constate une diminution importante de la présence de glace en hiver dans le Golfe, et l’augmentation de la force et du nombre de tempêtes. La glace fragilisée par un climat plus chaud, permet aux vagues de frapper la côte, et transforme les morceaux de glace en véritables projectiles détruisant les installations. Ces phénomènes coupent temporairement, et de plus en plus souvent les voies d’approvisionnement en biens essentiels de la communauté. Dorénavant les communautés doivent être équipées pour ce genre d’événement.

Les grandes marées et les pluies torrentielles de décembre 2010 ont causé plusieurs dizaines de millions de dollars de dégâts. Plus de 250 mm de pluie sont tombés sur la ville de Gaspé entre le 13 et le 15 décembre. Les agriculteurs de la région ont vécu les sécheresses et pénuries d’eau de l’été 2021, pendant que la population subissait les canicules meurtrières. Nous sommes face à une multiplication des événement extrêmes

Les périodes de précipitations diluviennes, suivis de longue périodes sans eau font craindre des inondations hors de l’ordinaire, comme celle de 2007 survenues tout près, dans les secteurs de Rivière-au-Renard et de Cloridorme.  Ces événements inhabituels sont toujours bien en mémoire chez les résidents de la péninsule gaspésienne.  Ils ont provoqué de nombreux dégâts, des évacuations majeures, endommagé et détruit routes et ponts, emporté ou sérieusement endommagé des maisons.  Ces aléas ont frappé 200 familles à Rivière-au-Renard, menés à de tragiques décès et au déplacement de quartiers complets.  Avec les perturbations climatiques, ces événements vont se reproduire, accroître leur fréquence et leur intensité.  Les communautés doivent trouver les moyens de protéger les gens les plus vulnérables.

Il est frappant de constater que lors des assises annuelles de l’Union des Municipalités du Québec, le maire de Gaspé et président du plus important regroupement municipal au Québec affirmait haut et fort que la lutte aux changements climatiques, « c’est la priorité qui doit guider nos décisions […] C’est le défi numéro un de notre époque »

Quelques jours plus tard le journal de Québec le citait le président de l’Union des municipalités ainsi :

«On le sait qu’avec les changements climatiques, il va y avoir par exemple la hausse du niveau des mers, ou des hausses de températures de plus en plus marquées. On connait des températures beaucoup plus extrêmes qu’avant, mais comment peut-on agir en amont? Il faut se [prémunir] en tant que municipalité contre ces risques-là.» 

Mobilisation citoyenne et innovation. 

Il est de plus en plus question d’un tout premier projet-pilote de centre communautaire et lieu de refuge sécuritaire pour la population en cas d’urgence climatique.  Lors du conseil municipal, la présidente du Centre communautaire accompagnée d’une trentaine de citoyens s’exprimait ainsi.

« Vous n’êtes pas sans savoir que les bénévoles ont déjà accumulé 2 millions $[d’aides fédérale et provinciale] et que la fin de non-recevoir de la municipalité de Gaspé va réduire à néant sept ans d’efforts de citoyens qui considèrent qu’un tel centre a une fonction de sécurité cruciale non seulement en tant que lieux d’échange, mais de résilience en cas de catastrophe liée à la crise climatique »  

Mme Mireille Bilodeau, présidente CA réaffirmait du même souffle son indignation du fait que le conseil municipal n’ait jamais rencontré le conseil d’administration du Centre communautaire Griffon.

« Nous vous demandons officiellement une rencontre en urgence avec tous les membres du conseil afin d’exposer clairement ce projet basé sur la nécessité de sécurité. Pour nous, c’est notre défi numéro un » 

Pourtant jamais l’équipe de bénévole n’a été approchée par le conseil municipal pour une rencontre formelle.  Le refus de soutien au projet reposerait sur la représentation d’une nouvelle élue qui n’avait pas en main la totalité du dossier.  Une trentaine de citoyens se sont donc présentés au conseil municipal de Gaspé en juin dernier afin d’exiger cette rencontre formelle avec les responsables du projet.  La demande est simple, une rencontre formelle avec le Conseil d’administration du Centre communautaire afin de pouvoir échanger, et bien comprendre le projet.   L’attitude de fermeture des représentants locaux face aux inquiétudes exprimées par la communauté et l’engagement de ses citoyens est désarmante.

Les politiciens craignent la multiplication de ce genre de demandes dans les municipalités du territoire de Gaspé, et une explosion des coûts.  Les municipalités fusionnées par Québec peuvent regrouper plus d’une dizaine de communautés villageoises, ayant chacune leur église, leurs enjeux de services communautaires et leurs préoccupations de sécurité.  Le gouvernement actuel commence à injecter des millions, plus précisément 24 millions en vue de la campagne électorale, dans la requalification du patrimoine religieux, particulièrement des églises.  De nombreuses communautés sont en action dans la conversion de ces bâtiments en salles multifonctions.  Ce sont des espaces qui s’harmonisent particulièrement bien avec les vocations de lieux de refuge et de résilience climatique.

Face à la nécessité d’agir. 

L’enjeu est névralgique, et les municipalités craignent leur incapacité à faire face à de tels enjeux de première nécessité.  Nos municipalités pourraient avoir un allié de taille chez Hydro-Québec.  Il y a quelques semaines encore, nulle autre que Sophie Brochu, l’actuelle pdg de Hydro-Québec soulignait en entrevue à Patrice Roy qu’elle s’était elle-même retrouvé en difficulté à la suite des violentes tempêtes de vent dans les Laurentides ayant causé des pannes électriques prolongées :

« Je vis en campagne, lorsqu’il n’y a pas d’électricité; il n’y a pas d’eau, pas d’installations sanitaires… la société civile doit s’adapter encore mieux pour avoir des lieux où il y a une génératrice, ou il y a des douches, ou les gens peuvent aller chercher de l’eau.  Il y a quand même des communautés qui ont été impactées longtemps – les municipalité et les communautés se doivent d’avoir des lieux d’accès pour dépanner les gens.  Ça créé un niveau d’anxiété fou. » Si une telle situation rend la pdg de Hydro-Québec anxieuse, imaginons les résidents vulnérables de petites communautés en Gaspésie.

De plans d’urgence climatique existent (2).  Ma situation des citoyens de la petite communauté illustre bien à quel point nous sommes loin d’une mobilisation sérieuse des élus et institutions face à l’urgence climatique.  Les organisations citoyennes par leur mobilisation ont contraint les gouvernements à déclarer l’Urgence climatique.  D’impressionnants plans d’urgence ont été élaborés par des organisations et regroupements tels : le Pacte pour la transition, la campagne de la Déclaration d’Urgence climatique et le Front commun pour une transition énergétique.  Mais en ce sens, à ce jour, l’approche des dirigeants face à l’urgence climatique semble celle « des tout petits pas ».  Dans les faits, on arrose toujours l’incendie avec un boyau de jardin.

Les citoyens commencent à sentir venir les crises à répétition et bougent.  Ils exigent de leur dirigeants une préparation adéquate.  Nous avons vu avec la pandémie les conséquences mortelles de ne pas être préparé à une zoonose, une crise environnementale.  Ne pas répondre aux impératifs actuels de sécurité n’est plus une question de simple gestion administrative, c’est un enjeu de vie ou de mort pour des milliers de citoyens vulnérables.  On le sait!  Ne pas répondre à l’action citoyenne en ce sens relève de plus en plus de la négligence politique, sous peu on parlera de négligence criminelle.  L’argument « on ne pouvait pas prévoir » sera rapidement invalidé!

La parole d’un citoyen, en guise de conclusion. 

Comme le disait le citoyen Jean-Raymond Châle de l’Anse-au-Griffon lors de son allocution devant le Conseil municipal de la ville de Gaspé, et par le fait même au président de l’UMQ…

« Soyons pragmatiques, et ne fermons pas les yeux sur les nouvelles réalités auxquelles nous devons et devrons faire face dans un proche avenir: 

– changements climatiques 

– inondations, eux de forêts, tempêtes tropicales 

– et plus près de nous érosion des berges 

– pénuries de biens essentiels, problèmes d’approvisionnement, etc. etc.  

De plus en plus nous devrons compter les uns sur les autres. 

L’avenir est au communautaire: 

jardins, services, ressources, support aux aînés… 

La liste est longue.  

Plus on se rapprochera, plus on se serrera les coudes, 

plus on se connaîtra, plus on veillera les uns sur les autres, 

plus on sera solidaire et plus on sera une communauté tissée serré, 

plus on aura de chance d de passer à travers. » 

 Jean-Raymond Châle , Comédien .

Résident de l’Anse-au-Griffon, Allocution au Conseil municipal de Gaspé. 20 juin 2022. 

Normand Baudet 

Notes

Déclaration d’Urgence Climatique (DUC) endossée par plus de 500 municipalités au Québec. https://www.groupmobilisation.com/_files/ugd/bf4f35_3d32dfa3f9d947999a0071e9d220203f.pdf

2.Lieux de refuge sécuritaires.
https://www.youtube.com/watch?v=yLhl5W1dA7M

3.Le plan d’Urgence de la DUC https://www.groupmobilisation.com/_files/ugd/bf4f35_4c4e92db8665434287091e5653b03981.pdf


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Source : Lire l'article complet par Mondialisation.ca

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