La FIFA contre la révolution algérienne

La FIFA contre la révolution algérienne

Parmi les nombreux faits d’armes de nos anciens combattants qui se sont sacrifiés pour que notre pays se libère de l’abominable joug colonial, figure l’épopée des footballeurs du FLN. Le 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie est une belle occasion pour nous remémorer leur héroïque et remarquable histoire ainsi que celle, vile et abjecte, de ceux qui ont voulu lui nuire. Ces derniers n’avaient pas compris que la roue de l’histoire tourne inexorablement dans le sens de la volonté des peuples opprimés.


Lord Triesman, l’ancien président de la Fédération anglaise de football, l’a dit tout haut : « La FIFA agit comme une famille mafieuse ». Pire encore, il précisa que ses responsables « utilisent le football pour vivre comme des monarques » et, « ce qui est choquant, c’est qu’ils ne font aucune tentative pour cacher leur corruption ». Pour lui, la seule solution pour le « système FIFA », c’est de « le secouer jusqu’à ce qu’il s’effondre et recommencer ».

Et cela est toujours d’actualité. Sepp Blatter et Michel Platini, respectivement ancien président de la FIFA et son homologue de l’UEFA ont été récemment jugés pour « soupçons d’escroquerie, d’abus de confiance, de gestion déloyale et de faux dans les titres ».

Sans parler des scandales de leurs prédécesseurs, comme le Brésilien Joao Havelange (surnommé « le parrain de la famille corrompue du sport ») ou le Britannique Stanley Rous dans ses « affaires » de manipulation des coupes du monde 1966 et même 1974.

La corruption et la malversation sont décidemment dans les gènes de cette organisation internationale. Mais ce qui interpelle le plus et qui est rarement souligné par les médias occidentaux, c’est son rôle néfaste d’instrument politique utilisé par les pays occidentaux. Cela a été démontré dans un précédent article dans le contexte de la guerre froide, mais nous allons poursuivre cette analyse dans le cadre des pays qui combattaient pour leurs indépendances afin de se libérer du joug colonial imposé par ces mêmes pays occidentaux. C’est le cas de l’Algérie dont les footballeurs ont donné des leçons de bravoure et d’abnégation uniques dans l’histoire du football et des luttes pour la libération des peuples.

Le onze de l’indépendance

Le 15 avril 1958, le quotidien sportif français L’Équipe titrait en gras sur sa une : « Neuf footballeurs algériens (dont Zitouni) disparaissent ». À côté du titre, la photo de Mustapha Zitouni, son épouse et ses deux enfants : « Mustapha Zitouni ne jouera pas demain contre la Suisse. Il a disparu avec sa femme et ses enfants ».

La Une du journal L’Équipe du 15 avril 1958

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La focalisation du journal sur Zitouni n’était pas fortuite. Il faut dire que ce joueur vedette à l’AS Monaco était considéré comme un des meilleurs défenseurs du monde et, quelques semaines plus tôt, le Réal Madrid du célèbre Di Stéphano lui avait déroulé « un pont d’or pour l’engager ». On raconte que Zitouni aurait répondu :

« Ne vous en faites pas, je vais bientôt jouer dans la meilleure équipe au monde ».

L’autre raison de cet intérêt : la coupe du monde de football qui devait se dérouler en Suède, du 8 au 29 juin 1958, soit moins de deux mois plus tard. En effet, quatre joueurs algériens avaient été sélectionnés en équipe de France pour participer à cette prestigieuse manifestation internationale. En plus de Mustapha Zitouni, Rachid Mekhloufi (AS Saint-Étienne), Abdelaziz Bentifour (AS Monaco) et Mohamed Maouche (Stade de Reims) ont été appelés à jouer aux côtés des légendaires Raymond Kopa (Réal Madrid), Just Fontaine et Roger Piantoni (tous deux au Stade de Reims).

Quelques jours plus tard, l’équipe algérienne du FLN (Front de Libération Nationale), le onze de l’indépendance, était réuni à Tunis.

Il était prêt à jouer son rôle d’ambassadeur de la cause algérienne dans tous les terrains du monde et entrer définitivement dans la grande légende du football.

Arrivée de quatre footballeurs algériens à Tunis à bord d’un avion de Tunis Air: Rachid Mekhloufi, Abdelatif Bentifour, Mustapha Zitouni et Abderrahmane Boubekeur. On reconnait Rachid Mekhloufi avec son pansement sur la tête. Pour la petite histoire, Mekhloufi avait été blessé lors de son dernier match (le 12 avril 1958) et perdit connaissance. Le 14 au matin, il quitta l’hôpital en pyjama avec ses futurs coéquipiers de l’équipe du FLN, un imperméable sur le dos.

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La première équipe du FLN de 1958

Debout de gauche à droite : Mohamed Boumezrag (dirigeant), Mokhtar Aribi, Abderrahmane Boubekeur, Amar Rouaï, Mustapha Zitouni, Kaddour Bekhloufi. Accroupis : Abdelhamid Kermali, Rachid Mekhloufi, Saïd Brahimi, Abdelaziz Bentifour, Abdelhamid Bouchouk. L’équipe était incomplète à cause de l’arrestation, en France, de Hassan Chabri et Mohamed Maouche. Pour la compléter, le jeune retraité Mokhtar Aribi reprit du service comme entraineur-joueur et le onze fut complété avec Khaldi Hammadi, un algérien évoluant dans le championnat tunisien.  En 1961, cette équipe comptait 32 joueurs.

Confiant devant les journalistes, l’entraineur Mokhtar Aribi déclara: « Nous allons nous ériger en Fédération nationale algérienne, et comptons bien recevoir l’agrément de la Fédération internationale de football [FIFA] ».

Aribi reprenait, en partie, le communiqué du FLN émis le 15 avril 1958 :

« […] En patriotes conséquents, plaçant l’indépendance de leur patrie au-dessus de tout, nos footballeurs ont tenu à donner à la jeunesse d’Algérie une preuve de courage, de droiture et de désintéressement. Le FLN envisage de créer une Fédération nationale algérienne qui demandera son adhésion à la Fédération internationale de football association (FIFA) en vue de participer aux compétitions internationales et à la prochaine Coupe du monde ».

Malheureusement, la tâche allait être beaucoup plus compliquée.

Le 20 avril 1958, les « pros » algériens furent reçus par le président tunisien Habib Bourguiba qui salua leur courage et leur assura aide et soutien.  Très rapidement, les « frères » tunisiens organisèrent les premières compétitions pour l’équipe du FLN.

Moins de trois semaines plus tard, un tournoi portant le nom de Djamila Bouhired, l’icône de la révolution algérienne (qui avait été condamnée à mort le 15 juillet 1957), fut organisé. Il regroupait les sélections nationales d’Algérie, de Libye, du Maroc et de Tunisie.

Le 9 mai 1958, devant des spectateurs en liesse regroupant Tunisiens et combattants algériens, l’hymne national algérien « Qassaman » a été joué pour la première fois avant un match de football. Le onze de l’indépendance survola le tournoi en gagnant toutes ses rencontres.

Ce fut le début d’un prestigieux palmarès. En quatre années, elle aura disputé 91 matches pour 65 victoires, 13 matchs nuls et 13 défaites, tous à l’extérieur (bien évidemment!).

Cette équipe a rencontré les formations de 14 pays différents :  Tunisie, Maroc, Libye, Irak, Jordanie, Chine, Vietnam, URSS, Pologne, Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Tchécoslovaquie et Yougoslavie.

Le jeu offensif et spectaculaire de l’équipe a émerveillé : 387 buts pour et 127 contre! Cela a valu aux joueurs algériens le surnom de « diamants bruns » attribué par la presse roumaine.

Ces voyages ont permis de plaider la juste cause de l’indépendance de l’Algérie. Les joueurs et les dirigeants de l’équipe ont eu l’opportunité de rencontrer d’illustres personnalités politiques. Au Vietnam, par exemple, ils furent invités à déjeuner en compagnie de Hô Chi Minh et du général Giap.

Crédits : Hacène Laleg

Après la victoire du FLN face au Vietnam (5-0), le général connu pour son humour et ses expressions légendaires dira cette phrase prémonitoire:

« Nous avons battu les Français. Et comme vous venez de nous battre, la logique est implacable : vous serez vainqueurs des Français ».

Ferhat Abbas, président du Gouvernement provisoire de la République algérienne, déclara : « Vous venez de faire gagner dix ans à la cause algérienne ».

La FIFA : une organisation colonialiste

Lorsqu’on regarde les pays qui ont permis au « Onze de l’indépendance » d’affronter leurs équipes nationales et locales sur leurs sols, on obtient la carte suivante :

Carte indiquant les pays qui ont affronté l’équipe du FLN

Il s’agit donc de certains pays arabes et des pays de l’ancien bloc de l’Est élargi à la Chine et au Vietnam. Aucun des pays occidentaux, ceux-là même qui excellent dans les slogans creux et hypocrites relatifs aux « Droits de l’homme » et à la « Fraternité entre les peuples », n’a daigné jouer contre cette équipe courageuse et révolutionnaire. Comme c’est le cas aujourd’hui pour le conflit russo-ukrainien, ces pays se sont toujours serrés les coudes même quand ils ont tort et que l’histoire démontre implacablement leurs erreurs. Le général Giap a si bien caricaturé cette « spécificité » occidentale en ironisant que « les impérialistes sont de mauvais élèves ».

Extrait du discours du général Giap à Alger (Janvier 1976)

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Il faut dire que la Fédération française de football (FFF) n’a pas lésiné sur les moyens afin de nuire à cette équipe du FLN qui s’était de facto émancipée de la France avant même l’indépendance officielle de l’Algérie.

Le FLN a déposé une demande d’adhésion à la FIFA en mai 1958, soulevant l’ire de la FFF qui a exercé une forte pression sur la FIFA pour faire échouer le projet. Non seulement la FIFA se plie sans difficultés aux désidératas de la fédération française, mais elle en fait encore plus:  elle menace de sanctions tout pays qui oserait affronter ceux qui ont été surnommés par Paris-Match « les fellaghas du football » et, le comble, elle contraint la Confédération africaine de football (CAF) de ne pas accepter l’Algérie dans ses rangs.

Ainsi, à la veille du tournoi « Djamila Bouhired » organisé en Tunisie en mai 1958 et dont il a été question auparavant, l’anglais Arthur Drewry, à l’époque président de la FIFA, a condamné les pays participants (Tunisie, Libye et Maroc). Le Maroc sera exclu de la FIFA pendant une année et l’adhésion de la Tunisie a été différée de deux années.

Stanislas Frenkiel, historien du sport, expliquera ces sanctions par le fait que la Tunisie a accueilli l’équipe du FLN et que le Maroc « a affiché son soutien à la cause de l’indépendance algérienne ».

Malgré cette virulente animosité ambiante, il est important de souligner le geste fraternel des coéquipiers de Mustapha Zitouni. En effet, Raymond Kopa, Just Fontaine et Roger Piantoni témoignèrent de leur sympathie en lui envoyant une carte postale depuis la Suède où ils disputaient le Mondial 1958.

En décembre 1959, l’idée d’un match entre le « onze de l’indépendance » et le club allemand de l’Eintracht Frankfurt (et non l’équipe nationale!) – ce qui aurait « sauvé l’honneur » des Occidentaux – a été rapidement tuée dans l’œuf sous la menace par la FIFA de lourdes sanctions contre la fédération de football de la RFA.

En s’attaquant sévèrement et immoralement à l’équipe du FLN, la FIFA a aidé la France dans son abjecte œuvre de colonisation et dans sa guerre sanglante contre le peuple algérien. Elle a bafoué les valeurs fondamentales du sport énoncées par l’UNESCO, à savoir l’équité, l’égalité, l’inclusion et le respect. Comme expliqué dans un précédent article, la FIFA a toujours été un instrument dans les mains de l’Occident, des colonisateurs, des oppresseurs et de l’OTAN.

Avec son perpétuel comportement antisportif et pro-occidental comme on peut le constater encore actuellement à la lumière du conflit entre la Russie et l’Ukraine et sa politique de deux poids deux mesures, il est temps aux pays non-occidentaux de se doter d’une confédération qui leur est propre et qui défend leurs intérêts tout en quittant cette organisation corrompue et inféodée qui se nomme FIFA.

Comme la géopolitique mondiale est en train de changer, il est crucial de réfléchir à se doter d’institutions qui ne servent pas exclusivement les intérêts de ce groupe de pays minoritaire qui s’est arrogé le droit de faire la pluie et le beau temps sur toute la planète et qui est à l’origine de tous les conflits mondiaux et des exactions les plus barbares de toute l’histoire de l’humanité. Cela est valable dans le domaine du sport, mais aussi de la culture, de la politique, de l’économie et toutes les sphères qui ont une influence sur la vie de tous les citoyens du monde.

Le 5 juillet 2022 l’Algérie fêtera le soixantième anniversaire de son indépendance après 132 ans de sauvage colonisation. Malgré leurs efforts, ni la FIFA, ni la CAF, ni la FFF, ni la France, ni l’OTAN n’ont pu empêcher notre pays d’arracher sa souveraineté nationale. Car, comme le dit si bien le poète tunisien Abou el Qacem Echebbi:

Lorsqu’un jour le peuple veut vivre,
Force est pour le destin de répondre,

Force est pour les ténèbres de se dissiper,

Force est pour les chaînes de se briser.

Gloire à nos footballeurs.

Gloire à nos martyrs.

Joyeux soixantenaire mon Pays!

Ahmed Bensaada
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