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Campagne de dons Juin 2022
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par Thierry Meyssan.
Alors que les Anglo-Saxons sont déjà parvenus à exclure la Russie du Conseil de l’Europe et s’apprêtent à l’empêcher de participer aux réunions de l’OSCE, ils œuvrent à couler l’Union européenne en créant une structure concurrente en Europe centrale : l’Initiative des trois mers. Ce faisant, ils reprennent un vieux projet polonais visant à développer cette région en la préservant de toute influence allemande ou russe.
Le Conseil des chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne a décidé, le 23 juin 2022, d’accorder à l’Ukraine le statut de pays demandant l’adhésion. La président de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a précisé que le chemin sera long (la Turquie dispose de ce statut depuis 23 ans) pour élever ce pays au niveau exigé par l’Union que ce soit en matière économique ou politique.
Le cabinet du président ukrainien avait déjà précisé que Kiev n’espère pas adhérer à l’Union, aujourd’hui ou demain, car il dispose d’un autre projet, mais que le statut de candidat ouvre la voie à un fort soutien financier de Bruxelles pour qu’il se rapproche des standards de l’Union.
En effet, l’Ukraine partage le projet polonais d’Intermarium : une alliance de tous les États situés entre la mer Baltique et la mer Noire.
Intermarium contre Union européenne
Ce projet se fonde à la fois sur une réalité géographique et sur un passé historique : la « République des deux Nations » (Couronne de Pologne et Grand-Duché de Lituanie) du XVIe au XVIIIe siècle. Il a été formulé une première fois lors de la révolution polonaise de 1830 par le prince Adam Jerzy Czartoryski, puis durant l’entre-deux-guerres, par le général polonais Józef Piłsudski, sous le nom de « Fédération Międzymorze ». Piłsudski conçut parallèlement une idéologie visant à libérer tous les peuples d’Europe centrale de leur intégration dans les empires germanique et surtout russe, le « prométhéisme ». Tel le Titan, il promettait aux hommes des progrès techniques leur permettant de s’affranchir de leurs suzerains. Dans la pratique, il préférait les Germains aux Russes et n’hésita pas à s’allier aux Austro-Hongrois et aux Allemands contre le Tsar.
En 2016, une troisième version de ce projet fut présentée par le président polonais, Andrzej Duda, sous le nom d’« Initiative des trois mers » (la troisième mer, c’est l’Adriatique). Onze États y participaient. Ils sont douze depuis quelques jours.
Ce projet offre en principe une réponse politique légitime à l’absence de frontières physiques dans la grande plaine d’Europe centrale : mieux vaut s’unir que se soumettre ou se faire la guerre. Cependant les choses ne sont pas aussi claires qu’il y parait : la République des deux Nations était une confédération permettant au Royaume et au Grand-Duché de conserver chacun leur propre fonctionnement, tandis que Piłsudski imaginait une Fédération dans laquelle chaque peuple se fondrait et où les Polonais tiendraient le haut du pavé. Tous les mouvements nationalistes d’Europe centrale se référent à la République des deux Nations, mais ils en tirent des conclusions bien différentes.
Pour les bandéristes ukrainiens, la République des deux Nations est l’héritière de la Ruthénie créée par les Vikings suédois, les Varégues, ce qui est un peu tiré par les cheveux dans la mesure où leurs territoires ne se recouvrent pas. Tout au plus peut-on dire que, culturellement, ces entités ont des points communs. Pour le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, la République des deux Nations est un bon exemple de confédération qui permet de s’affranchir à la fois de la Russie… et de l’Allemagne qui domine l’Union européenne.
C’est parce que les dirigeants politiques polonais et ukrainiens misent sur ce projet commun de confédération Intermarium, que le président Zelensky a pu envisager sans rougir de céder la Galicie orientale à la Pologne. Cependant, dans les deux pays, l’extrême-droite (au sens totalitaire de l’entre-deux-guerre) entend utiliser cette politique pour faire avancer ses idées raciales.
La Pologne n’a jamais joué le jeu de l’Union européenne dont elle est membre depuis 2004. Durant sa période de candidature à l’Union, elle n’hésita pas à encaisser des sommes énormes destinées à réformer son agriculture et à les dépenser pour acheter des avions de guerre états-uniens et faire la guerre en Iraq sus les ordres de Washington. Ce tour de passe-passe avait été imaginé par l’États-uno-Polonais Zbigniew Brzezinski et l’États-uno-française Christine Lagarde. Rien n’a changé : aujourd’hui Varsovie est en perpétuel litige avec Bruxelles, notamment à propos de son système judiciaire. L’Ukraine n’aura aucun mal à jouer le même double jeu.
C’est le problème principal des peuples d’Europe centrale : ils cherchent à juste titre à s’assumer sans leurs grands voisins russe et allemand, mais ne parviennent pas à s’affirmer sans lutter contre eux. par le passé, cette pathologie les a toujours poussé à s’affronter entre eux.
Le prince Adam Jerzy Czartoryski finit sa vie en exil à Paris et le général Piłsudski installa le siège de son mouvement prométhéen également à Paris. Dans les deux cas, il s’agissait de fuir à la fois l’Allemagne et la Russie. Le souvenir de cette période a donné lieu en 1945 à la création d’un réseau d’émigrés d’Europe centrale travaillant d’abord pour le Vatican puis pour les services secrets français et finalement pour les Anglo-Saxons (réseau également dénommé Intermarium). Il a réunit les principaux dirigeants en fuite des Oustachis croates, de la Garde de fer roumaine etc. Puis ce fut, en 1991, la constitution du « Groupe de Visegrád » (Hongrie, Pologne, Tchéquie et Slovaquie). Aujourd’hui les partisans de ce projet se tournent vers les Anglo-Saxons, d’où le soutien de Washington et de Londres à Varsovie et à Kiev. Ainsi le sommet de l’Initiative des trois mers, à Varsovie en 2017, a reçu le président états-unien Donald Trump. Tandis que lors du sommet du 20 juin 2022, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, intervenant par vidéo, demanda et obtint immédiatement l’adhésion de son pays.
L’intérêt des Anglo-Saxons pour le projet Intermarium est ancien. L’un des pères de la géopolitique anglo-saxonne, Sir Halford Mackinder, avait identifié l’Europe centrale comme le cœur (Hartland) de l’Eurasie. Pour lui, l’Empire britannique ne pourrait contrôler le monde qu’en contrôlant d’abord cette région. L’un de ses disciples, le Premier ministre Boris Johnson s’est donc précipité à Kiev pour apporter son soutien au président Zelensky. Tous les géopoliticiens anglo-saxons ont repris les idées de Mackinder, dont bien sûr Zbigniew Brzezinski, qui fut avec le Straussien Paul Wolfowitz l’une des deux principales figures du colloque de Washington, en 2000, qui marqua l’alliance entre les États-Unis et l’Ukraine.
Malheureusement, ceux qui poussent les États-Unis à soutenir le projet Intermarium sont des figures représentatives du nationalisme d’extrême-droite. Ainsi, les conseillers des présidents Dwight Eisenhower et Ronald Reagan qui leur firent adopter le concept de « nations captives (de l’URSS) » étaient tous d’anciens collaborateurs des nazis, membres du Bloc Anti-Bolchévique des Nations ; ceux qui organisèrent le congrès précité de 2000 furent leurs enfants ; et aujourd’hui le plus important d’entre eux est l’États-unos-Polonais Marek Jan Chodakiewicz, qui n’a de cesse de minorer les crimes des nazis.
Tous les membres de l’Initiative des trois mers sont membres de l’UE, sauf l’Ukraine. La plupart considèrent spontanément qu’elle est pour eux bien plus importante que l’UE, bien qu’elle n’ait pas les mêmes moyens.
Le fait que l’Ukraine y ait adhéré trois jours avant la reconnaissance de son son statut de candidat à l’UE atteste non seulement que c’est plus important pour elle, mais aussi que Bruxelles a bien compris qu’il lui fallait accepter tous les membres de l’Initiative des trois mers pour ne pas en perdre.
À terme, cette logique devrait conduire les membres de l’Initiative des trois mers à quitter collectivement l’UE lorsqu’elle ne leur sera plus financièrement profitable, car il n’en ont jamais partagé les objectifs politiques.
D’ores et déjà, l’ensemble de l’architecture de sécurité du continent est remis en question. Il reposait sur deux piliers, d’une part le Conseil de l’Europe et d’autre part l’Organisation pour la coopération et la sécurité en Europe.
La Russie poussée hors du Conseil de l’Europe
Le Conseil de l’Europe a été créé en 1949. Il s’agissait pour certains fondateurs de baser l’unité européenne sur des principes juridiques communs via un conseil des États et pour d’autres, via une assemblée de parlementaires. En définitive, on réunit les deux projets, mais à l’époque on tint à l’écart les Soviétiques et leurs pays frères. L’URSS et les membres du pacte de Varsovie y adhérent juste après la chute du Mur de Berlin.
Ce Conseil s’est doté de deux institutions phares. En premier lieu la Cour européenne des Droits de l’homme (CEDH). Malheureusement celle-ci s’est politisée au cours des derniers mois, manifestant une évidente partialité face à la Russie. Par exemple, elle a reconnu en janvier le droit d’un citoyen russe de cracher sur le portait officiel du président de la Fédération de Russie (arrêt Karuyev c. Russie). Ou encore, en février 2022, le droit d’un citoyen russe de perturber une manifestation pro-Poutine en exhibant une pancarte « Poutine, mieux qu’Hitler ! » (arrêt Manannikov c. Russie). Et elle vient de censurer la loi russe qui avait été adoptée après les révolutions de couleurs faisant obligation aux organisations politiques financées de l’étranger de l’afficher sur toutes leurs publications (arrêt Ecodefence et autres c. Russie).
L’autre grande institution, c’est la Commission de Venise qui a aidé les nouveaux États indépendants à assimiler les règles démocratiques – Commission qui, soit dit en passant, n’a cessé de mettre en garde l’Ukraine sur ses procédures administratives et institutionnelles.
En définitive, les Occidentaux ont suspendu le droit de vote de la Russie au Conseil de l’Europe au motif qu’elle tenterait d’annexer l’Ukraine par la force. Ce à quoi la Russie, estomaquée, a répondu qu’elle n’en avait jamais eu l’intention et qu’elle se retirait d’une institution devenue partisane.
La Russie empêchée de participer aux réunions de l’OSCE
L’autre plateforme intergouvernementale, c’est l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE). Elle a été créée, en 1975, à l’occasion des Accords d’Helsinki. À la différence des Nations unies, ce n’est pas un lieu d’arbitrage, mais juste un forum qui permet à tous les acteurs du continent de se parler librement. C’est elle part exemple qui a adopté la Déclaration d’Istanbul de 1999 aussi dite « Charte de la Sécurité en Europe » qui pose les deux principes majeurs (1) du droit de chaque État de choisir les alliés de son choix et (2) du devoir de ne pas menacer la sécurité des autres en assurant la sienne ; principes dont le non-respect est à l’origine du conflit entre les États-Unis et la Russie.
Rappelons que la Fédération de Russie n’a jamais contesté le droit de quiconque d’adhérer à l’OTAN, mais celui pour les membres de l’OTAN d’héberger des bases militaires états-uniennes. Nos lecteurs se souviennent que lorsque le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a écrit à chacun de ses « partenaires » pour lui demander comment il conciliait les deux principes d’Istanbul avec l’installation de matériels et de personnels militaires états-uniens à proximité de la Russie, aucun n’a osé lui répondre.
Cependant la neutralité de ce forum a été violée au mois d’avril lorsque de nouveaux fonctionnaires de l’OSCE, plus précisément d’anciens militaires de l’OTAN, ont été pris en flagrant délit d’espionnage dans le Donbass.
Comme si cela ne suffisait pas, le Royaume-Uni vient de refuser les visas nécessaires à la délégation russe qui devait assister à l’assemblée parlementaire annuelle de l’OSCE, du 2 au 6 juillet 2022 à Birmingham. Londres, qui viole ses obligations, s’est abrité derrière les sanctions nominatives de l’Union européenne contre chaque membre de la délégation.
Par conséquent non seulement les documents signés par les 57 chefs d’État et de gouvernement de l’OSCE n’ont plus de valeur, mais l’administration de cette organisation est devenue une arme de guerre, et en définitive elle ne jouera plus son rôle de forum.
L’architecture de sécurité du continent européen se transforme donc radicalement. À terme l’Europe centrale va se constituer en un bloc, d’abord au sein de l’Union européenne et de ses candidats, puis hors de l’Union. Sa Défense sera garantie par les États-Unis. Tandis que les deux parties Ouest et Est du continent ne se parleront plus. Ce sera l’aboutissement du plan des géopoliticiens anglo-saxons. Mais ce projet, s’il est réalisé, sera instable. D’abord les Européens de l’Ouest ont toujours eu besoin de la Russie et ensuite les peuples d’Europe centrale ont longtemps vécus sur un champ de bataille. Lorsque les chevaliers teutonique et les cosaques ne venaient pas se battre chez eux, ils se battaient entre eux. Pour qu’une paix soit durable, il faut respecter l’ensemble des protagonistes. En détruisant toutes les institution de Sécurité du continent, on rend inévitable un conflit généralisé.
source : Réseau Voltaire
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