Depuis plus d’un an, le mot woke est partout dans les médias, et ce n’est pas pour parler de cuisine. Qu’est-ce que ce mouvement qui suscite les critiques et les passions? Est-il aussi «éveillé» qu’il prétend l’être? Quelle lumière le christianisme peut-il jeter sur cette réalité?
À l’origine, le terme woke, qui signifie «éveillé» en anglais, se veut positif. Il réfère à un mouvement activiste né sur les campus américains au début des années 2010. Les wokes se nomment eux-mêmes ainsi parce qu’ils se considèrent comme «éveillés» aux injustices que subissent de nouvelles minorités à l’intérieur des pays occidentaux, le plus souvent des injustices liées à la race ou au genre.
Bien avant les wokes, les chrétiens sont les premiers à s’être crus réveillés. Résurrection en grec veut dire «se lever», comme on se lève du lit chaque matin. Or, le christianisme peut à sa manière réveiller les wokes à des réalités qu’ils ignorent encore.
Convertir les bourreaux et les victimes
Si la lutte contre les injustices caractérise ce mouvement, elle est toutefois insuffisante pour comprendre les wokes. Ce qui les différencie de tous les justiciers de ce monde, c’est qu’ils tendent à voir l’ensemble des relations humaines sous l’angle des relations de pouvoir: dominés et dominants, bourreaux et victimes.
Sous ce rapport, ils articulent une sorte de nouveau marxisme, adapté à la postmodernité. Le wokisme replace les termes «luttes des classes» par «minorités opprimées», mais participe de la même logique révolutionnaire. Il s’agit encore et toujours d’entrer dans un mouvement de renversement de toute hiérarchie. Car tout ordre, selon l’adepte du wokisme, tout système et toute stabilité seraient contraires à la liberté.
Même s’il est évident que les victimes existent, celles-ci ne gagnent pourtant pas à se définir ainsi, voire à s’enfermer dans leur victimisation, ne serait-ce parce qu’elles sont appelées à s’en libérer par le pardon. Sacraliser son statut de victime est un couteau à double tranchant, car bien souvent, une victime est aussi un bourreau. «Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre» (Jean 8,7). C’est une grande révélation du Christ qu’aucune justice durable n’est possible sans miséricorde et que la conversion de notre monde débute toujours par la conversion de soi.
Comme disait Soljenitsyne, «la ligne de partage entre le bien et le mal ne sépare ni les États ni les classes ni les partis, mais […] elle traverse le cœur de chaque homme et de toute l’humanité».
Transfigurer les privilèges en charismes
Les wokes souhaitent accélérer la fragmentation de la société en libérant la colère des opprimés. Une fois réveillée, cette colère aurait le pouvoir de renverser toutes les normes sociales et les institutions traditionnelles (mariage, famille, Église, nation), causes ultimes, selon eux, des inégalités.
Puisqu’il postule que toute distinction d’un individu (comme son sexe ou sa race) engendre nécessairement une hiérarchisation et une discrimination, le woke s’attribue la mission de diminuer au maximum ces différences en les désubstantialisant, en les rendant liquides ou fluides. Du coup, il les détache de toute nature et les considère uniquement comme des constructions sociales ou des inventions de l’esprit.
Voilà pourquoi le woke aime tellement tout ce qui est en transition, aussi bien individuellement que culturellement. Puisque pour lui, tout est passager et relatif, il a en horreur tout ce qui est permanent ou absolu.
Mais plutôt que de nier ou supprimer les distinctions et privilèges, il convient davantage de les ordonner au service du bien commun. Le problème n’est pas causé par la hiérarchie, mais par les égoïsmes et les abus de pouvoir dans celle-ci. La charité transfigure tout pouvoir en service et tout privilège en charisme pour autrui: «Les grands font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne devra pas en être ainsi: celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur; et celui qui veut être parmi vous le premier sera votre esclave» (Mt 20, 25-27).
Ordonner le relatif à l’Absolu
Il y a certes des injustices dans notre monde, et il est louable de vouloir les combattre. Là où le wokisme fait fausse route, ce n’est pas tant dans son désir de changement social, évidemment, mais dans la manière d’opérer ce changement.
Changer est une bonne chose si on change quelque chose de mal en quelque chose de bien, ou même quelque chose de bien en quelque chose de meilleur. Le problème, c’est que le wokisme veut plus ou moins consciemment changer pour changer. Il suppose que le changement, le renversement des ordres établis est le but, un but qui sera toujours à renouveler, puisqu’il y aura toujours un nouveau dominé/opprimé à libérer. Le woke en vient presque à vouer une sorte de culte au changement, qui tel un dieu, serait cause, forme et but de toute réalité.
Si bien des réalités dans notre monde sont en effet transitoires, il ne faut pas absolutiser le changement pour autant. Tout ce qui est passager est en vue de ce qui est permanent. Absolutiser le relatif est certes dangereux, mais relativiser l’absolu l’est encore plus. Le Christ a su faire la distinction entre les deux : «Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas» (Mt 24,35).
Faire la révolution dans la paix
La rupture révolutionnaire est souvent irréaliste et dangereuse. Irréaliste, car on ne peut pas tout changer rapidement du jour au lendemain. Les changements durables se font graduellement, dans la concertation et dans le respect des personnes. Si le changement est trop rapide et total, alors il est nécessairement violent et devient lui-même cause de nouvelles injustices. Comme ces 14 musiciens blancs qui ont été renvoyés d’un orchestre symphonique à Londres, même s’ils étaient de loyaux et bons musiciens depuis plus de 20 ans dans certains cas, seulement parce qu’ils étaient blancs et que la direction voulait un orchestre plus diversifié.
Le changement soudain peut certes exister, non pas sous forme de révolution violente imposée aux autres, mais par une conversion exigeante envers soi. Les assoiffés de justice doivent aussi être des artisans de paix.
Réveille-toi, ô toi qui dors
Les wokes n’ont pas le monopole de la lutte contre les inégalités sociales. Le Christ est en ce sens le plus révolutionnaire de tous les réformateurs. Avec ses béatitudes subversives et son commandement à aimer même ses ennemis, nul n’est allé plus loin dans la quête d’un royaume de justice et de paix.
Comme il est dit dans un psaume (84,11), pour que justice et paix s’embrassent, la miséricorde et la vérité doivent d’abord se rencontrer, et ce, aussi bien envers soi qu’envers les autres. Un véritable «éveil» qui ne peut se passer de la lumière de la foi: «Réveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera» (Ep 5,14).
Pour aller plus loin:
https://www.fondapol.org/etude/lideologie-woke-1-anatomie-du-wokisme/
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Source : Lire l'article complet par Le Verbe
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