Les propos récents de Simon Jolin-Barrette sur les chartes des droits ont épouvanté l’ancien sénateur et éditorialiste André Pratte.
Dans une entrevue au Journal, dimanche, le ministre de la Justice du Québec réclamait une « conversation collective » sur la façon d’« évaluer les lois » québécoises. À ses yeux, Québec devrait trouver une manière de se gouverner en fonction de sa propre charte (adoptée en 1975), et non de celle imposée par Ottawa en 1982.
M. Pratte répliqua dans La Presse par une diatribe intitulée « Nos droits en lambeaux ».
La proposition Jolin-Barrette conduirait à « tourner le dos à 40 ans de jurisprudence » et à rompre avec « le principe qu’en matière de droits fondamentaux, les tribunaux ont le dernier mot ». Les Québécois risqueraient de voir « leurs droits fondamentaux moins bien protégés que les autres Canadiens ».
M. Pratte est terrifié à l’idée que le gouvernement Legault déroge systématiquement à la charte canadienne. Pourtant, le gouvernement Lévesque le fit de 1982 à 1985 pour protester contre le rapatriement. Les droits furent-ils piétinés alors au Québec ? À noter : en 1988, la Cour suprême a jugé légale cette manière de procéder.
Film d’horreur
Les opposants font toujours de la dérogation un film d’horreur ; comme s’il s’agissait d’une loi des mesures de guerre.
Pourtant :
a) on ne peut déroger qu’aux articles 2 et 7 à 15 de la charte.
b) Les tribunaux n’ont pas le monopole de la défense des droits : la dérogation ne fait pas disparaître les oppositions, les médias, le peuple.
c) La dérogation est une manière, pour les assemblées parlementaires, qui sont souveraines, de se dire (temporairement ; au plus pour cinq ans) en désaccord avec une « interprétation » des droits.
Les droits n’existent pas dans l’absolu. Ils peuvent être limités, dans un cadre démocratique.
Les interprétations des droits sont nombreuses. Le droit à la vie implique-t-il de criminaliser toute aide médicale à mourir ? La Cour suprême a répondu oui en 1992. Et non en 2015.
Dans une même cause, face aux mêmes faits, les juges entre eux ne s’entendent souvent pas sur le sens à donner à un droit ! Pourquoi les parlementaires ne pourraient-ils pas, temporairement, bloquer une interprétation des droits qu’ils rejettent ?
Fédéraliste ?
André Pratte convient que le rapatriement de 1982 pose problème. Or, en 1981, l’Assemblée nationale adoptait une résolution (appuyée par Claude Ryan), spécifiant que pour accepter un rapatriement, les lois du Québec, y compris sa charte de 1975, devaient l’emporter sur la charte fédérale dans certains domaines (égalité, libertés fondamentales et de droits des « minorités »).
Les propos du ministre Jolin-Barrette réactivent en quelque sorte ce type d’idée fédéraliste québécoise. Avec les échecs de Meech et de Charlottetown, le ROC a privé le Québec d’une reconnaissance constitutionnelle de « société distincte ». Il n’a obtenu aucune réparation pour l’affront de 1982.
N’est-il pas légitime de chercher, dans le fédéralisme canadien actuel, des solutions ?
Que ceux qui revendiquent (comme Pratte) l’étiquette de « fédéralistes » préfèrent les films d’horreur à l’innovation institutionnelle est décevant. C’est peut-être qu’ils sont devenus (à l’instar du PLQ) « canadianistes », statuquoistes.
Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec