L’IVG entre logique et affectivisme-Woke
26 juin 2022 – Il est maintenant acquis que la décision de la Cour Suprême (SCOTUS) a déclenché une nouvelle vague de protestation aux USA, et peut-être même s’agit-il d’une nouvelle phase de la “guerre civile culturelle” dans ce pays : “nouvelle phase” vers la phase finale, ou “phase finale”, c’est à voir. Quoi qu’il en soit, la chute se poursuit, et l’effondrement avec.
Mais c’est à un autre propos que je m’attache. On l’avait abordé d’une manière tangentielle mais fermement dans notre texte d’hier, affirmant que la question n’était certainement pas celle de l’avortement, mais celle des rapports des pouvoirs aux USA. Je rappelle les deux passages qui sont consacrés à cet aspect de la chose, le reste concernant essentiellement la question éminemment politique de la cohésion interne des USA, entre États de tendances opposées.
« Comme il était prévu depuis la fuite (début mai) largement manipulée d’un projet de jugement sur la question du droit à l’avortement examiné et tranché par la Cour Suprême (SCOTUS) ce 24 juin, ce jugement lève une tempête de fort belle violence aux USA. Le jugement annule deux précédentes décisions de 1973 et 1992 qui donnait au pouvoir fédéral l’autorité de trancher (en fait d’autoriser l’avortement sur tout le territoire des USA) et renvoie cette autorité à chaque État de l’Union, pour son territoire et ses citoyens. […]
» Il est remarquable que pour la plupart sinon tous les commentaires, particulièrement hors des USA, particulièrement en Europe et surtout en France, la grande question débattue était celle de l’avortement, et l’action de la SCOTUS considérée en général comme un assassinat du droit désormais sacré de l’avortement. Nous sommes évidemment d’un avis complètement différent. La véritable question est celle de la cohésion des États-Unis, et c’est bien cela qui est au cœur du jugement ; et la Cour Suprême n’a pas choisi sciemment d’aggraver la situation intérieure des Etats-Unis, elle s’est simplement conformée à une interprétation de la Constitution dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle est loin d’être critiquable… »
Cette vision des choses est complètement partagée par l’avocat Régis de Castelnau, sur son site ‘VuDuDroit’, qui attaque violemment les “élites”, notamment, non particulièrement françaises, – pour leurs prises de position autour de l’IVG lui-même, et en général en sa faveur bien sûr, – mais surtout sur un mode hystérique et catastrophiste. Il faut noter que, dans le second paragraphe de son texte du 25 juin, Castelnau précise bien qu’il n’en est pas moins un partisan de l’IVG :
« Tout d’abord la précaution d’usage : je suis personnellement favorable au principe de l’IVG qui est une possibilité d’utiliser l’avortement comme un moyen de régulation des naissances. Je n’ai aucun problème moral ou religieux concernant cette possibilité, même si je sais que c’est toujours une épreuve pour la femme qui doit y recourir. »
L’essentiel du propos de Castelnau est donc de critiquer fortement les réactions toutes conduites à mon estime par ce que l’on nomme ici, sur ce site et dans son ‘Glossaire.dde’, l’affectivisme, ; cette chose, dont tous “ne meurent pas mais dont tous en sont atteints”, qui consiste à soumettre tout jugement, et même la perception qui devrait y conduire, à l’affect immédiat au détriment de toute logique et raison structurantes, et s’y tenir ensuite par la pression écrasante et débilitante du “qu’en-dira-t-on” de la communication. Effectivement, le débat concerne bien la logique des pouvoirs aux USA, donc la logique du fédéralisme, explique Castelnau.
« Les réactions au revirement de la jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis concernant l’avortement témoignent une fois de plus d’une ignorance, d’un provincialisme et au final d’une arrogance française classique, le tout donnant un triste brouet qui n’est pas à notre honneur. […]
» La fascination de nos élites pour les USA, y compris celles qui se disent d’extrême gauche est quelque chose de quand même impressionnant. Surtout que cela s’enracine dans l’ignorance d’une réalité : les États-Unis sont un État fédéral. Contrairement à ce qu’on pense, le pouvoir de Washington et en particulier celui du président n’est pas très étendu par rapport à celui des États fédérés. Et la décision qui vient d’être rendue par la Cour suprême relève de cette articulation. Revenant sur sa jurisprudence antérieure, elle a considéré que la question de l’IVG était de la compétence des États et qu’il ne lui appartenait pas de dresser sur cette question, un cadre contraignant supérieur à celui de ses législations locales. Raisonnement identique à celui fait par la Cour de Justice de la Communauté européenne qui a dit que cette question était de la compétence des législations internes des états membres de l’UE. Et d’ailleurs, à l’aide des mêmes motivations que celles adoptées par la cour suprême américaine. C’est donc désormais l’affaire des Américains, chacun dans leurs États respectifs. »
L’argument est également présenté avec une extrême rigueur par le colonel Par Lang (de retour parmi nous pour un instant), en citant le Xème Amendement de la Constitution des États-Unis d’Amérique, qui s’attache aux droits des États… Voir le ‘Wiki’, pour cette analyse de cet Amendement de la Constitution, dans son article qui semble devoir échapper à la censure des GAFAM, d’ailleurs ainsi qu’à celle de ‘Wiki’ lui-même, ci-après avec soulignés en gras de Lang me semble-t-il :
« Le Dixième Amendement (amendement X) à la Constitution des États-Unis, qui fait partie de la Déclaration des droits, a été ratifié le 15 décembre 1791. Il exprime le principe du fédéralisme, également connu sous le nom de droits des États, en déclarant que le gouvernement fédéral dispose seulement des pouvoirs qui lui sont délégués par la Constitution, et que tous les autres pouvoirs qui ne sont pas interdits aux États par la Constitution sont réservés à chaque État. »
Le commentaire du colonel Lang est impératif, je dirais “sans commentaire nécessaire”. C’est celui d’un homme qui croit dans le règne sans partage de la Loi, sous la forme de la Constitution des États-Unis. Il n’est pas sûr qu’il perçoive toutes les conséquences de cette rigueur, sans pour cela qu’il faille condamner un instant la-dite rigueur. Mais quoi, il reste ceci que la situation est si inextricable que cette rigueur a pour effet d’attiser des passions hystériques qui la maudissent.
« Commentaire : Malgré l'usurpation de la “clause de commerce”, l'usurpation de la “clause de suprématie” et le désir des ardents nationalistes de réduire les États à des entités sans souveraineté partagée avec le gouvernement fédéral, cette ambition et ce processus ont échoué.
» Roe a été annulé en tant que précédent exactement sur cette base, à savoir qu'il n'y a pas de “droit à la vie privée” dans la Constitution. La création fantaisiste du ‘Chef Justice’ Warren a tenu pendant un temps ridiculement long. Maintenant, elle a disparu. Disparue. Disparue.
» De façon amusante, il est clair que lorsque la gauche hurle pour la “démocratie”, elle veut dire “ce que nous voulons”. »
Ce qui est remarquable autour de ces argumentaires que nous partageons complètement chez ces deux commentateurs, c’est qu’ils accompagnent des prises de position qui ne sont pas les nôtres, montrant par là combien sont grandes la confusion, le paradoxe, la contradiction dans les commentaires, et tout cela forcé par la confusion, le paradoxe, la contradiction des situations. J’ajoute alors évidemment que la même chose pourrait être dite à notre propos et à mon encontre éventuellement, car il n’existe aujourd’hui, dans cette étrange et si énigmatique époque, aucune référence qui garantisse une vérité-de-situation comme allant d’elle-même, comme si vous voulez une “vérité révélée” qui se donnerait à être vue sans effort ; je continue en observant qu’il faut faire l’effort constant d’une recherche politique et historique (métahistorique) pour espérer parvenir à cette vérité-de-situation.
Dans ce contexte ambitieux, les deux cas sont intéressants à développer ; celui de Castelnau, directement lié au sujet traité, celui de Lang, lui d’une façon complètement indirecte.
Position de Castelnau
L’avocat Régis de Castelnau développe au-delà du constat rapporté ici une critique très forte du wokenisme (ou ‘wokisme’) dans le cadre duquel il distingue le soutien pour une véritable institutionnalisation, ou sacralisation de l’IVG ; j’ajoute que je partage complètement et sans grand effort, d’un point de vue quasiment naturel, ce jugement dans cette mesure où cette pseudo-idéologie qu’est le wokenisme se fait en banalisant et en renforçant constamment la méthodologie de la déconstruction radicale, jusqu’au nihilisme qui baigne voluptueusement à égale distance du Rien et du Vide.
Mais auparavant, avant de wokeniser les réactions à l’arrêt de la SCOTUS , Castelnau ajoute, à propos de cette décision de la SCOTUS sur l’IVG et surtout, de cette décision comme quelque chose qui constitue un « raisonnement identique à celui fait par la Cour de Justice de la Communauté européenne qui a dit que cette question est de la compétence des législations internes des états membres de l’UE », ce commentaire concernant la situation européenne :
« Paradoxalement, je me réjouis de cette jurisprudence [semblable à celle de la SCOTUS] en Europe, lorsque je vois ce qui se passe par exemple en Europe centrale et notamment en Pologne. Je me trompe peut-être, mais je pense que notre pays est à l’abri d’une régression identique. »
Lorsqu’il parle de « régression » à propos de la Pologne et des pays de l’Est concernant ces matières sociétales où ces pays s’opposent aux courants d’influence venus du centre bruxellois et aux tendances modernistes qui les caractérisent, qui sont justement favorables au courant wokeniste contre les réactions traditionnalistes de ces pays, il va de soi qu’il développe un argument duquel je diffère. Dans ce cas bien particulier, Bruxelles est producteur de déstructuration tandis que les pays de l’Est, même s’ils peuvent être jugés comme “régressifs” n’on sont pas moins de facto des défenseurs de la structuration, ce qui est un autre mot pour “tradition” dans son sens le plus large. Toute autre considération mise à part (notamment leur antirussisme que, comme souvent dit, j’estime complètement aberrant, et notamment dans ce domaine structuration-vs-déstructuration où ils se trouvent complètement contre eux-mêmes), ils introduisent dans la mécanique déstructurante de l’UE l’un ou l’autre précieux grain de sable qui doit être signalé comme tel.
Position de Lang
Le cas de Pat Lang s’éloigne complètement, dans le constat critique que nous en donnons, de la question de l’IVG, mais reste dans l’affrontement suprême structuration-vs-déstructuration que je choisis ici comme référence. Depuis le début mars 2022, Lang a pris une position radicale pro-ukrainienne qui a constitué une rupture étonnante dans son évolution, alors qu’il était jusqu’alors assez favorable aux Russes d’une façon qu’on pouvait interpréter comme répondant selon une méthodologie que je favorise dans la bataille structuration-vs-déstructuration (je me réfère ici à l’aspect traditionnaliste des Russes, qui constitue sans aucun doute un pan essentiel de la politique du gouvernement russe). La position de Lang est notamment la cause du départ de son site de Larry Johnson, qui s’est placé en position indépendante avec son excellent site ‘Sonar21.com’ (pour ‘Son of the New American Republic Revolution, 21 century’)… Johnson est ainsi devenu une référence pour le dissidence dans Ukrisis, tandis que Lang me semble un peu flotter dans des eaux incertaines.
Cela se sent, cette flottaison incertaine, dans une intervention très récente de Lang, sur laquelle je suis tombé par hasard comme l’on dit quand l’on ne veut pas en dire plus. Dernièrement, Lang s’est expliqué de son attitude, – comme s’il jugeait bon de s’en justifier à ses propres yeux, puisque cela se fait dans un “double” commentaire complètement hors du sujet traité dans le texte, qui porte essentiellement expressément sur la politique énergétique interne des USA, et notamment la possibilité que Biden ordonne une réquisition de certaines activités d’énergie aux USA ; et cela donne ceci :
« La politique de Biden en Ukraine est LA SEULE politique adoptée par lui avec laquelle je suis d'accord. Le désir de la Russie de détruire l'Ukraine en tant qu'État a été prouvé. Malheureusement, d'ardents anti-Biden comme Tucker Carlson ont saisi cette occasion pour condamner et ridiculiser davantage les Biden.
» Ceci, à son tour, est pris par les ‘idiots utiles’ des Russes (à la fois les gouvernements et les agents d'influence étrangers) comme un moyen de saper le soutien américain à l'Ukraine.
» Un triste état des choses. pl
» Addendum au commentaire : Au moment de la chute de l'URSS, j'ai préconisé la dissolution de l'OTAN, estimant qu'elle avait rempli son objectif et qu'elle se révélerait être un obstacle majeur dans les relations avec la Russie, mais la tentation pour [l’état profond] et les militaires américains de chercher un nouvel ennemi pour remplacer l'ancien s’est avérée trop grande et la nouvelle Russie est devenue l'ennemi désigné.
» Je me suis opposé à la volonté politique de recruter de nouveaux membres de l'OTAN parmi les anciens pays membres du Pacte de Varsovie. À mesure que ce processus progressait, le bloc politique des [neocons sionistes], qui haïssait la Russie du fait de la mémoire jungienne des pogroms passés, a fait de l'expansion de l'OTAN sa cause particulière.
» Mais, ce qui est fait est fait. Nous avons accepté les nouveaux membres de l'OTAN comme alliés et cette obligation ne peut être ignorée. Ces pays craignent la Russie et l'OMI, leur crainte doit motiver nos actions. Pl »
Quelle curieuse plaidoirie ! Lang développe tous les arguments pour être contre les antirusses, jusqu’aux plus précis et aux plus impératifs, sans en oublier aucun, montrant qu’il connaît bien le sujet et y voit une constante suite d’erreurs et de manœuvres tordues conduisant à la situation de 2014 puis à l’enchaînement ; et puis, badaboum, il se retrouve complètement à leur côté après avoir reconnu tous les aspects faussaires et trompeurs des alliances qui en ont découlé ! Pour quelle raison ? « What is done is done » (« Ce qui est fait est fait ») ? Et les effets de tout cela nous conduit sans doute à la fameuse stratégie « Che sera sera », non ? Quelle étonnant investissement de la logique et du bon sens par un si étrange affectivisme !
Comme il l’écrit lui-même, mais avec une virgule d’interpellation à la place d’un point de conclusion : « Un triste état des choses, pl ».
Un petit mot de conclusion…
… Mais toujours le même bien sûr : le constat du formidable tourbillon de désordre, de contradictions, de paradoxes. Pour s’y retrouver, il faut tenter de tenir ferme une barre, qui ne peut être qu’une référence qu’on se fixe soi-même. Cette référence doit être haute, très haute, la plus haute possible pour dépasser décisivement les engagements idéologiques, les biendisances morales, les influences passives, les réflexes impulsifs, les traquenards constamment tendus par les puissances de la communication du Système.
Pour mon compte, je crois qu’il faut se choisir des références comme la méthodologie et la métaphysique de la structuration, l’antiSystème, avec la possibilité d’éviter les obstacles par l’inconnaissance, enfin ne pas craindre de parler des événements définis par leur souveraineté spirituelle, et au-dessus de l’humain ; être à chaque instant sur ses gardes, vigilants bien plus pour soi-même que pour les autres, affronter sans crainte les courants des emportements collectifs et les apprécier avec intuition et éventuellement avec ironie. Il faut un comportement de convictions très hautes, très fermes sinon intransigeantes, et à côté cultiver une liberté extrême et une très grande indépendance de jugement… Se référer au plus haut possible, à la métahistoire sans perdre son indépendance d’esprit, voilà le plus sûr moyen de naviguer entre les extrêmes, de l’un à l’autre, voire de les marier quand cela importe, et se méfier des “centres” indolents et dégoulinant de moraline, où se cachent les vrais extrémismes.
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