Les derniers temps d’arrêt imposé, particulièrement dans le monde artistique, ont été plus que bénéfiques pour certains. Un peu comme l’occasion d’une introspection qu’on repousse trop souvent, on a eu le temps de prendre le temps. C’est dans cet état d’esprit que Salomé Leclerc a ainsi profité du confinement pour créer un quatrième album: Mille ouvrages mon cœur. Le Verbe a rencontré l’auteure-compositrice-interprète, alors que sa tournée reprenait vie, pour discuter avec elle de ce nouvel opus, des thèmes qu’elle y aborde et de son cheminement personnel et artistique des dernières années.
Le Verbe: Les thèmes de la nature et des éléments reviennent souvent dans tes chansons, depuis tes premiers albums. Et dans les deux derniers, les thèmes des oiseaux, du ciel et des étoiles revenaient particulièrement souvent. Est-ce que ça représente quelque chose de particulier pour toi, ou c’est seulement une image qui venait d’elle-même?
Salomé Leclerc: Il y a des mots qui m’inspirent beaucoup. Il y a des images, des thèmes, des choses qui m’inspirent beaucoup.
Les oiseaux, c’en est un… En fait, j’aime que ce soit équivoque comme image: ça peut être un super bel oiseau qui va se percher tout doucement sur la branche, comme ça peut être le corbeau qui arrive et qui déchiquète tout. Donc il y a les deux côtés. Avec le ciel, c’est la même chose! Selon la phrase, ça peut être tellement beau, comme l’éclaircie, les nuages qui partent, le soleil qui revient. Et ça peut être l’inverse: les nuages qui reviennent, la pluie, la grêle, le vent, le ciel qui s’assombrit et que je porte sur mon dos…
Avec les années, avec l’écriture, j’ai peu à peu mis de côté la peur de me servir d’éléments simples comme ça, de mots simples, comme le ciel, comme les oiseaux. C’est comme si [avant], il y avait une partie de moi qui trouvait ça trop banal. Et c’est comme si je refusais de les utiliser.
C’est niaiseux! Parce que tout est une question d’utilisation et d’expression. Ça peut être tellement quétaine, comme ça peut être tellement beau!
Pour la création de Mille ouvrages mon cœur, tu as été inspirée par des deuils et la perte d’êtres chers que tu as vécus dernièrement, mais tu dis aussi que tu ne veux pas aborder ces thèmes-là de façon lourde. En effet, plusieurs des chansons traitent de ces sujets (autant les paroles que la musique) de façon plutôt lumineuse, douce. Est-ce que c’est une démarche purement artistique ou c’est aussi une manière pour toi de vivre les choses plus personnellement?
J’ai l’impression que c’est une démarche personnelle récente. J’ai réalisé, par l’écriture, mais en vieillissant aussi, avec l’expérience, qu’au départ, quand j’écrivais mes premiers albums, tout ce qui est «départs», tout ce qui est «perte d’être cher», «souvenir», même souvent tout ce qui est «relations amoureuses, de couple, amicales», j’attaquais ça de façon assez deep, on dirait. Mon approche n’était pas dramatique, mais presque. C’était intense. Et ça donnait des chansons lourdes. Ça donnait des chansons qui s’écoutent bien, je pense encore, mais vraiment moins avec ce côté lumineux…
Plus ça va, plus j’essaie de me détacher de ça… Je sais qu’il y a un côté de moi qui est comme ça, qui est très nostalgique, qui peut peut-être tirer un peu vers le bas, et je le reconnais maintenant, ce côté-là. […] Ça ne me tente pas nécessairement de vivre en me tirant toujours vers le bas… C’est [dans] le rapport avec moi.
J’avais envie, avec ce disque-là, d’aborder les sujets – peu importe le sujet – de façon à apporter justement un peu de souffle, de lumière. Dans toutes les parties de la chanson: musicalement, dans les arrangements, dans le texte. Je me dis que si le texte est plus lumineux, la voix va l’être aussi. La voix va suivre. Et je chante beaucoup plus clair qu’avant. C’est vraiment moins rauque!
Je pense aussi qu’il y a plus de présence et que j’affronte plus les sujets.
Donc oui, il y a une démarche musicale, mais il y a aussi une démarche personnelle, parce que je vais porter ces chansons-là encore un bout.
Dans ton dernier album, tu viens d’en parler, ta voix est un peu plus dénudée, alors que dans tes premiers albums, ta musique est souvent plus rock que folk, avec des guitares fortes, ta voix éraillée, des rythmes pesants, etc. J’aurais tendance à penser que pour faire une musique aussi forte, ça prend beaucoup d’assurance, non? Et en même temps, tu as mentionné que tu te sentais plus présente dans Mille ouvrages mon cœur… Est-ce que tu as cheminé, à propos de ta confiance en toi, au fil des albums?
Oui, c’est sûr.
La confiance, par rapport à moi, elle est là par vagues. Vraiment beaucoup. Ça ne prend pas grand-chose pour l’effriter, vraiment pas.
Par rapport à ma voix, c’est vrai que – je parlais de présence tantôt – c’est comme si au début, je laissais plus de filtres. C’était volontaire: je voulais laisser ça comme ça. Mais là, ça vient peut-être aussi du fait d’écrire des choses plus personnelles, peut-être plus précisément.
Parce que ça part des chansons, en fait. Ce sont des chansons que j’ai écrites différemment, avec une philosophie différente. J’imaginais quelqu’un à côté, et je voulais lui raconter quelque chose. Je voulais vraiment que ce soit simple. [Quand j’ai écrit] Ton équilibre, c’était ça mon défi. Je me disais: «pour une fois, je vais écrire une chanson juste comme je te parle».
C’est comme si au début, j’essayais des choses… on passe par [plusieurs] sentiers pour finalement trouver le bon. Avec le temps, j’en suis venue à assumer ce que je vivais, à juste me rapprocher de mes sentiments lors de l’écriture. Alors après, la voix, elle suit. Et le rauque est toujours là, c’est naturel, mais il est moins présent. Est-ce que c’était un filtre en soi avant? Une «manière» de chanter? Et là, j’essaie d’enlever toutes ces couches-là, pour me connecter avec le vrai. Et ça fonctionne! Je me dis qu’à partir du moment où moi, je trouve que c’est vrai, je dois être sur la bonne piste!
Avec la lumière, la douceur et l’espérance qui émanent de Mille ouvrages mon cœur, dirais-tu que la création de cet album a joué un rôle spirituel pour toi?
Complètement! C’est une volonté d’aller vers ça… et ce n’est pas la fin!
Je me rends compte que c’est comme si je commençais… J’ai creusé assez d’un bord, et là je commence à creuser vers la source de ce qui peut être lumineux. Et c’est très inspirant! […] Ça reste du Salomé Leclerc, mais le chemin pour finir une chanson est différent: les accords sur une guitare, la conception de la chanson, de la composition, etc. Je prends des chemins différents. Donc ça, c’est super enrichissant.
Dans une entrevue avec Marie-Louise Arsenault, vous discutiez de ton nouveau rapport aux refrains – surtout dans tes derniers albums, lesquels te permettent de vivre des moments particuliers avec ton public, parce que les gens chantent maintenant plus avec toi. Marie-Louise Arsenault utilisait le mot « communion », en parlant d’un moment de communion avec le public. Est-ce que tu trouves que ça décrit bien ce qui se vit à ce moment-là?
Oui! Les moments où tout le monde est en phase et où tout le monde semble être à la même place au même moment, c’est complètement ça! Ces moments-là, ce sont des moments de grande force. Et […] ce que je peux affirmer aujourd’hui, c’est que je ne m’empêcherai plus – même si je ne m’empêchais pas vraiment… ça venait comme ça avant – d’écrire une chanson qui peut rallier les gens, ou avec un refrain. Si je trouve un refrain accrocheur, je ne l’éviterai pas. Je vais le garder parce que c’est vrai que sur scène, ce moment-là de partage est tellement « énergisant ». Ça jette un peu à terre…
À partir du moment où t’es devant une foule qui chante tes mots, et tu chantes ta chanson, et il y a de l’émotion… Et toi, t’as écrit ça parce que ça te parlait, et là c’est un rebond: il y a la foule qui chante tes mots… C’est tellement au-delà de ce que je pouvais imaginer!
C’est complètement un moment de communion! C’est le partage, c’est la rencontre avec chaque personne dans la salle.
Où chacun donne un peu de soi…
Oui, c’est ça! [Et] les beaux spectacles, où t’as du fun, où ça se passe, ce sont souvent les spectacles où l’échange est parfait.
Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour les prochains mois (à part que les salles ne ferment plus!)?
Autant je trouvais avant que la composition était une tâche difficile, autant là, je me rends compte qu’il faut juste se donner le temps, avoir un peu de rigueur, s’assoir et travailler. Je veux juste me le permettre: prendre le temps d’écrire, je veux écrire.
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