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par Chems Eddine Chitour.
« (…) Tous les leviers de commande de l’économie mondiale sont entre les mains d’une minorité constituée par des pays hautement développés ».
« (…) Tous les leviers de commande de l’économie mondiale sont entre les mains d’une minorité constituée par des pays hautement développés. […] En détenant l’essentiel des marchés de consommation des matières de base ainsi que le quasi-monopole de la fabrication des produits manufacturés […], les pays développés ont pu fixer, à leur guise, tant les prix des matières de base qu’ils prennent aux pays en voie de développement que ceux des biens et services qu’ils fournissent à ces derniers. […] Tel est le fondement de l’ordre économique mondial que nous vivons aujourd’hui […], un ordre qui est aussi injuste et aussi périmé que l’ordre colonial duquel il tire son origine et sa substance. Parce qu’il s’entretient, se consolide et prospère selon une dynamique qui, sans cesse, appauvrit les pauvres et enrichit les riches (…) » (Discours du président Boumediène en tant que président des non-alignés à la tribune des Nations unies le 10 avril 1974)
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Résumé
Ces quelques phrases résument l’ADN des pays non alignés face aux deux blocs qui régentaient le monde, le monde occidental néolibéral et le monde soviétique. Plus de six décennies plus tard, le monde est plus dangereux que jamais entre un Occident sur le déclin et qui veut continuer à régenter le monde et des pays émergents qui veulent être du Nouvel Ordre en gestation. Nous allons donner un état des lieux des pays non-alignés et tenterons de donner quelques idées sur ce que pourraient être les défis des non-alignés dans la nouvelle architecture du monde.
L’Algérie des années 70 : pionnier d’un nouvel ordre international juste
Dans ce combat pour la dignité humaine, l’Algérie a toujours porté haut et fort le message de justice, de dignité et de partage. Dans une publication qui n’a pas pris une ride en 1982, Claudine Rulleau résumait les grandes lignes de la diplomatie algérienne. Elle écrit : « Le nom de l’Algérie est lié, pour beaucoup, au nouvel ordre économique international. L’instauration d’un nouvel ordre économique international – que l’on peut, très schématiquement, résumer comme étant la mise en place de structures de production et de commercialisation à l’échelle mondiale moins injustes que l’ordre antérieur pour les pays du tiers-monde et mieux adaptées à leurs besoins – suppose, en effet, la solution de nombreux problèmes qui le sous-tendent : nouveau droit international, nouveaux circuits financiers et bancaires, accroissement et dévolution des investissements, transfert de technologie, voire réforme des enseignements (…) les limites de la seule indépendance politique sont vite apparues, de même que leur est apparue la nécessité de continuer le combat sur le terrain de l’économie pour obtenir le recul des quelques « grands et riches » qui ont imposé leur domination au monde. Pour ce combat, l’union de tous les « petits » – que peuvent opposer de sérieuses différences idéologiques – ne sera pas superflue ».
La longue marche du mouvement des non-alignés
À la première Conférence afro-asiatique du 18 au 24 avril 1955 à Bandung, l’Algérie fut représentée par nos « diplomates guerriers » Hocine Aït Ahmed et M’hamed Yazid. C’est de cette conférence que l’on fait communément partir le démarrage de la recherche du NOEI (…) : « Le mouvement était toutefois lancé au cours de la décennie suivante et surtout lors de la première conférence au sommet des pays non-alignés à Belgrade, en septembre 1961, à la deuxième, qui se déroula au Caire en octobre 1964. La première consacre aux questions politiques l’écrasante majorité des résolutions finales (guerre froide, problème de la paix dans le monde, lutte contre la course aux armements, protestation contre l’utilisation de l’énergie atomique à des fins militaires, etc.) ; la portion congrue, réservée à la partie économique, contient néanmoins l’essentiel des revendications tiers-mondistes. « Les participants (…) estiment qu’il faut s’efforcer de remédier au déséquilibre économique hérité du colonialisme et de l’impérialisme (…). Au Caire, Nasser a des accents prémonitoires pour décrire ce que risquerait la planète si l’antagonisme Est-Ouest n’était pas, une fois liquidé, remplacé par un monde plus juste : « Nous ne voulons pas que la division du monde en un bloc occidental et un bloc oriental prenne fin pour que d’autres blocs plus grands et plus dangereux surgissent à leur place : un bloc de pauvres et un bloc de riches, un bloc de développés et un bloc de sous-développés, un bloc septentrional, qui a droit à la prospérité, et un bloc méridional, qui n’a pour tout lot que la privation, un bloc de Blancs et un bloc d’hommes de couleur »[1].
L’auteure poursuit : « Mais ils se rendent vite compte que l’unité dans la misère ne fait pas l’unité politique, que l’indépendance formelle n’est rien sans contenu économique. Houari Boumediène deviendra progressivement l’un des meilleurs théoriciens et le chantre du NOEI qui doit remplacer « l’ordre international de la misère ». L’Algérie prépare donc avec d’autant plus de soin le quatrième sommet des non-alignés, qu’elle doit accueillir en septembre 1973 le sommet de l’OPEP. La conférence décide de demander la convocation d’une Assemblée générale extraordinaire des Nations unies pour examiner ??, comme l’annonce Houari Boumediène dans son discours de clôture »[1].
Le discours atemporel pour un nouvel ordre mondial plus juste
En tant que président des pays non-alignés, Houari Boumediène a défendu, en avril 1974, dans un discours qui a donné lieu à une standing-ovation, devant l’Assemblée générale extraordinaire de l’ONU, le nouvel ordre économique international. Pour « amorcer concrètement le règlement du problème fondamental qui nous préoccupe », celui du développement, Houari Boumediène demande qu’il soit entrepris en suivant cinq lignes d’action :
• La prise en main par les pays en voie de développement de leurs ressources naturelles, ce qui implique la nationalisation de leur exploitation et la maîtrise des mécanismes régissant la fixation de leur prix ;
• la mise en valeur de toutes les potentialités agricoles et la mise en œuvre d’une industrialisation en profondeur s’appuyant sur la transformation sur place des ressources naturelles de chaque pays ;
• l’apport, en moyens financiers, technologiques et commerciaux des pays riches et développés à ceux dont le développement est à promouvoir ;
• la suppression, ou à tout le moins l’allégement du fardeau de la dette qui « enfonce » les plus pauvres ;
• enfin, un programme spécial pour les plus démunis parmi les démunis.
La nationalisation est, pour l’Algérie, une condition fondamentale du développement. Ceci aboutit, le 24 février 1971, à la nationalisation. Le dernier séminaire d’Alger a insisté sur la nécessité de négociations globales pour que le tiers-monde ne joue pas en ordre dispersé, et surtout sur la nécessité de la paix, facteur indispensable du développement.
La conviction d’être du bon côté de l’Histoire
Pour la première fois de façon frontale, sans user de la langue de bois et de détours, un président du tiers-monde, en l’occurrence Houari Boumediène, avait, au nom de ses pairs des pays en développement, plaidé devant les instances onusiennes et en présence des pays riches pour une refondation des relations internationales et un partage équitable des richesses de la planète et de la prospérité. Le capitalisme, qui était présenté comme la voie de salut et de l’émancipation des peuples montre aujourd’hui toutes ses limites et son visage hideux avec la crise financière qui a affecté les pays industrialisés avant de se transformer en récession économique se répandant à la vitesse de la lumière, n’épargnant, directement ou indirectement, aucun pays. Le mot d’ordre : sans développement, il n’y a pas de paix et de sécurité internationales est toujours d’actualité. Le doigt est posé sur la délicate question du désarmement qui constituait, selon Boumediène, « une illustration de cette façon restrictive d’aborder les problèmes qui concernent l’humanité dans son ensemble, à travers des schémas qui ne visent qu’au réaménagement des rapports de force entre grandes puissances »,.
Le mouvement des non-alignés
Que représentent les non-alignés ? Le mouvement des non-alignés, lit-on dans l’encyclopédie Wikipédia, est une organisation internationale regroupant 120 États en 2016 qui se définissent comme n’étant alignés ni avec ni contre aucune grande puissance mondiale. Le but de l’organisation tel que défini dans la « Déclaration de La Havane » de 1979 est d’assurer « l’indépendance nationale, la souveraineté, l’intégrité territoriale et la sécurité des pays non-alignés dans leur lutte contre toute forme d’agression, de domination, d’interférence ou d’hégémonie de la part de grandes puissances ou de blocs politiques » et de promouvoir la solidarité entre les peuples du tiers-monde. Le mouvement continue de jouer un rôle important, par exemple en refusant les mesures standard de résolution de la dette publique préconisées par le consensus de Washington. De nouvelles mouvances, dans le sillage du mouvement altermondialiste, s’inspirent de ses principes et des luttes qu’il a incarnées pour prôner une mondialisation plus conforme à l’intérêt des pays du Sud.
Les pays non-alignés se sont réunis en octobre 2002 en sommet à Belgrade pour commémorer leur première conférence tenue en 1961 dans la capitale serbe, au moment où le mouvement est en quête d’une renaissance, et loin d’atteindre ses objectifs d’un ordre mondial juste et pacifique.
En 1996, quelques années après la chute du mur de Berlin, la fin de la guerre froide et de l’apartheid en Afrique du Sud, l’ONU défend une renaissance du « non-alignement ». De son point de vue, même si le monde a changé depuis la création du concept de non-alignement, « les principes qui le sous-tendaient demeurent d’actualité ».
Ces nations doivent affirmer, selon lui, que les relations internationales doivent reposer sur les principes de l’indépendance et de l’égalité souveraine. L’égalité et l’intérêt commun de tous les pays, mais aussi le droit des pays du tiers-monde d’exercer leur souveraineté sur leurs ressources naturelles figuraient parmi les principales recommandations du sommet d’Alger.
Les années 2000 : le creux de la vague
« Le neutralisme est immoral, déclarait John Foster Dulles, secrétaire d’État américain, au plus fort de la guerre froide. Alors que l’organisation avait pour but d’être aussi solide et unie que l’OTAN ou le pacte de Varsovie, elle a dans les faits peu de cohésion. Au sommet de 2006, le secrétaire général, Kofi Annan, se découvre, sur la fin de son parcours, une âme de réformateur. Le 16/09/2006, il déclarait : « La monopolisation du pouvoir par les 5 membres permanents du Conseil de sécurité affectera l’impartialité de cette instance ». Le mouvement des non-alignés est devenu, au fil des années, une coquille vide. Du fait des crises successives, il est devenu un héritage encombrant. Le mouvement des non-alignés a joué son rôle historique, il n’a pas su s’adapter à la nouvelle donne induite par la disparition de l’Union soviétique et surtout l’émergence de la mondialisation inhumaine. Du fait de son essoufflement, les sociétés civiles n’ayant pas vu leurs doléances prises en charge par les gouvernants tentent de créer une autre parade contre la mondialisation et le nouveau gouvernement mondial dirigé par les multinationales avec l’OMC, le FMI, et la Banque mondiale, la police planétaire étant assurée par l’OTAN. Ainsi, l’altermondialisation conteste le modèle libéral de la mondialisation et revendique un mode de développement plus soucieux de l’homme et de l’environnement. Le manifeste de Porto Alegre prône un « imaginaire de la rupture » « Un autre monde est possible ». Il consiste en une contestation de l’organisation interne, du statut et des politiques des institutions mondiales et une recherche d’alternatives, globales et systémiques, à l’ordre international de la finance et du commerce. Plus que jamais, les pays du Sud, surtout les plus faibles, furent livrés à eux-mêmes. Les pays du Sud qui auraient pu constituer des « locomotives » comme l’Inde, la Chine ne coopèrent pas avec les pays du Sud tout occupés à sauter dans un nouveau moule, « les pays émergents », et avoir une légitimité décidée par les pays riches du G7, en leur créant un espace approprié : le G20. C’est dire, qu’en définitive, il n’y a plus de morale.
L’altermondialisme des années 90 et le début des années 2000 : une concurrence du mouvement des non-alignés ?
Du 28 au 30 août 2012 s’est tenu à Téhéran le XVIe Sommet des pays non-alignés, et ce, dans l’indifférence la plus totale des pays occidentaux et du black-out des médias. Pour Zaki Laïdi, de l’Institut d’études politiques de Paris, le mouvement des non-alignés exprime la volonté d’un grand nombre de pays de garder leur distance vis-à-vis de l’Ouest. Les années 90 et le début des années 2000 ont vu le renouveau de concepts que ces fondateurs défendaient. L’altermondialisme, par exemple, qui prône un rééquilibrage des relations économiques entre pays riches et pauvres est l’enfant du tiers-mondisme. En outre, les pays émergents pèsent de plus en plus sur la scène mondiale. La Chine, bien sûr, l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud et beaucoup d’autres ébranlent sérieusement les États-Unis et les autres États occidentaux. Ces nations du Sud réussissent petit à petit là où les dirigeants du tiers-monde avaient échoué dans les années 1960 et 1970. (…) Il existe aujourd’hui d’autres instances à travers lesquelles ils peuvent s’imposer. À commencer par le G20 qui regroupe les vieilles nations riches et les pays émergents comme l’Inde, la Chine, la Corée du Sud, le Brésil, le Mexique ou l’Afrique du Sud.
« À partir du moment où des pays refusent la politique du Nouvel Ordre basée sur une rapine des pays vulnérables (BM, FMI, OMC) avec le bras armé de l’OTAN, tout est fait pour les discréditer. Depuis la chute de l’URSS, le monde ne s’est jamais aussi mal porté et les pays non-alignés – en majorité arabes et musulmans – sont dépecés au gré de la prédation et de la curée, l’Afghanistan, l’Irak, le Soudan, le Yémen, la Libye, ou reformatés selon le GMO (…) Le monde a profondément changé, avec l’apparition de nouveaux blocs (BRICS, les pays du groupe de Shangaï), le rituel des conférences des Nations unies a perdu de sa superbe. Les pays occidentaux et même les membres qui y participent n’en attendent pas grand-chose. Hugo Chavez, le président du Venezuela, fut le dernier président qui voulait faire bouger les lignes pour que le mouvement soit audible, en vain ».
La guerre en Ukraine : la nouvelle recomposition du monde
Selon une étude, les vraies raisons du conflit ukrainien seraient d’affaiblir durablement la Russie. Le grand perdant c’est aussi l’Europe. Nous lisons : « Sur le plan économique, l’Europe a ainsi mis en jeu son accès à des sources énergétiques abondantes et à des prix modérés. L’Europe soutient et alimente une guerre à ses portes ; plus encore, elle fait tout ce qu’elle peut pour la faire durer longtemps et pour trancher définitivement toutes les relations avec le reste de l’Eurasie. Bref, nous coupons les ponts avec cette partie du monde avec laquelle nous sommes économiquement complémentaires (la Russie pour les ressources, la Chine pour les fabrications de base, tous les BRICS en tant que plus grand marché du monde) ».
Les rédacteurs font allusion aux États-Unis qui non seulement ne seront pas impactés par le conflit mais ils vont en tirer les dividendes : « En même temps, nous nous subordonnons de nouveau et sans alternative à un concurrent de premier ordre avec lequel nous sommes en concurrence directe sur le plan industriel, mais qui, à la différence de l’Europe, est énergétiquement autonome. Les deux siècles d’ascension sur le plan mondial commencés au début du XIXe siècle s’acheminent vers une conclusion sans gloire ».
Le Sud global n’est pas sur la ligne de l’Occident
Un décalage entre les Occidentaux et les grands pays émergents s’était déjà manifesté lors de la crise ukrainienne de 2014 et de la crise syrienne. Ce décalage se retrouve, aujourd’hui encore, plus manifeste compte tenu de la gravité de l’agression russe et aussi de la distance prise à l’égard des positions de l’Ouest par des acteurs aussi importants que l’Inde et les pays du Golfe. C’est un fait, le refus des pays non-alignés de contribuer à la stratégie d’isolement politique et d’affaiblissement économique de la Russie. Ainsi, dans beaucoup d’opinions du Sud global, il va presque de soi que Poutine a été obligé d’intervenir en Ukraine pour prévenir une menace de l’OTAN. Il résulte de ces différents points une conséquence à long terme importante : Vladimir Poutine – et sans doute Xi Jinping – ont toute chance de se sentir encouragés à poursuivre dans la durée le combat contre un « Occident collectif », dont ils peuvent penser qu’il ne dispose plus d’appuis sûrs dans le « reste du monde ».
« Fin de l’arrogance de l’Occident » et avènement d’un monde du partage ?
C’est en tout cas le vœu des pays du Sud. À juste titre, Antonio Gramsci, dans les années trente, écrivait : « Le vieux monde se meurt. Le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ». Nous y sommes ! Nous devons être attentifs aux événements qui s’accélèrent. « Entre 1945 et 1995, il y aurait eu cent trente conflits majeurs et 40 millions de morts dus directement ou indirectement au pétrole et autres matières premières.
Cependant, après la chute du Mur de Berlin qui ne veut pas signifier la victoire de l’Occident mais certainement la défaite du communisme, des craquements se font entendre dans l’ordre prédateur des Occidentaux qui veulent le faire durer mille ans. Il ne faut pas cependant penser que le déclin des civilisations arrive brutalement. C’est un long délitement dû en partie à une perte des valeurs. Dans un rapport intitulé « Le monde en 2025 », la CIA constate une prise de conscience d’une nouvelle donne à la fois démographique, économique, financière et même dans une certaine mesure militaire. Pour la première fois, les Américains reconnaissent qu’ils ne seront plus les maîtres du monde. Ce basculement inexorable vers l’Asie concernant l’avenir du monde est rendu nécessaire. L’analyse lumineuse de l’ambassadeur singapourien Kishore Mahbubani décrit le déclin occidental : recul démographique, récession économique, et perte de ses propres valeurs. Il observe les signes d’un basculement du centre du monde de l’Occident vers l’Orient. : « (…) Même si la politique coloniale européenne touchait à sa fin, l’attitude colonialiste des Européens subsisterait probablement encore longtemps ».
L’OTAN qui aurait dû disparaître étant un reliquat de la guerre froide s’est, au contraire, étendue et une dizaine de pays anciens satellites de l’Empire soviétique ont rejoint l’OTAN, bouclier de protection et l’Union européenne, locomotive économique. L’administration Biden perçoit la guerre en Ukraine, en ayant la Chine en ligne de mire : il s’agit pour Washington d’affaiblir un allié majeur de Pékin et d’adresser à la Chine un signal de la capacité de réaction des Occidentaux. Plus le conflit dure, plus des sujets de divergence peuvent apparaître : buts de guerre, partage du fardeau, attitude vis-à-vis de la Russie, conséquences pour l’avenir ; d’ores et déjà.
Le modèle des BRICS : une solution partielle
À l’autre bout du monde, le monde multipolaire pose ses jalons d’une façon apaisée et en étroite coopération entre pays ayant déjà un certain degré de développement. Ainsi, le président chinois, Xi Jinping, a appelé les pays des BRICS à assumer leurs responsabilités en consacrant le multilatéralisme, dans un contexte mondial marqué par les menaces à la sécurité induite par la situation en Ukraine et la tendance prise par les États-Unis à exacerber la tension en Europe de l’Est. Lors d’un discours intitulé « Ensemble pour un nouveau chapitre de la coopération entre les BRICS, contrairement au passé où les réunions des BRICS mettaient davantage l’accent sur le développement et la coopération économiques, les ministres ont confirmé un consensus sur de multiples questions liées à la sécurité. (…) Après le conflit entre la Russie et l’Ukraine, le monde est confronté au danger d’une nouvelle confrontation, d’une division et même d’une guerre nucléaire. Les États-Unis veulent isoler la Russie et déclencher une confrontation de type guerre froide ».
Le monde multipolaire voulu par les non-alignés
Au monde unipolaire et dominé par l’Occident, écrit Alain Gresh, succède une nouvelle géopolitique marquée par la multiplication des acteurs influents. « La fin de l’arrogance », titrait l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, le 30 septembre, avec ce sous-titre : « L’Amérique perd son rôle économique dominant ». Quinze ans plus tard, : nous entrons dans un « monde post-américain ». Déjà en 2014, poursuit Alan Gresh, « les pays non-alignés ne veulent pas qu’on leur force la main à prendre position contre la Russie. Le dernier vote aux Nations unies a montré que la « communauté internationale » mobilisée contre la Russie se résume aux pays occidentaux et à leurs satellites. Ainsi, pour la première fois dans un conflit, les pays du Sud n’ont pas pris parti malgré les pressions ». Dans une contribution « Quand le Sud refuse de s’aligner sur l’Occident en Ukraine », Alain Gresh explique la prudence de ces pays. L’attitude des monarchies du Golfe, pourtant alliées de Washington, est emblématique de ce refus de prendre parti : elles dénoncent à la fois l’invasion de l’Ukraine et les sanctions contre la Russie. Ainsi s’impose un monde multipolaire où, à défaut de divergences idéologiques, ce sont les intérêts des États qui priment. Les voix discordantes dominent au Sud, dans ce «reste du monde» qui compose la majorité de l’humanité et qui observe ce conflit avec d’autres lunettes[9].
Les nouveaux défis des non-alignés : le nécessaire aggiornamento
Le président Boumediène, précurseur en tant que président des nations non-alignées, avait insisté en avril 1974 sur la nécessité d’un nouvel ordre mondial à visage humain. Était-il en avance sur son temps ? C’est ce que l’on serait tenté de croire. Lorsqu’il appelle à la nécessité de « rénover le système monétaire international sur une base démocratique, à l’ouverture des marchés des pays développés aux produits des pays en voie de développement », il avait appelé les pays non-alignés à anticiper les évènements pour mieux les maîtriser au lieu de les subir impuissants. Boumediène était-il un utopiste ? Plus que jamais, il a raison ! Mais le monde a profondément changé ! Les adversaires d’hier sont les partenaires d’aujourd’hui et peut-être les futurs ennemis de demain au fur et à mesure que la Terre ne pourra plus encaisser toutes les agressions anthropiques qui mènent à des guerres inévitables.
Il est hors de doute, que nous aurons des guerres pour l’énergie – celles-ci ne se sont jamais arrêtées tout au plus nous avons conjoncturellement des diminutions de l’intensité des conflits. Nous aurons des guerres pour l’alimentation et là les pays les plus vulnérables sont les pays du Sud. Nous aurons de plus en plus des guerres de l’eau dues au stress hydrique. Nous aurons des guerres technologiques et nous aurons enfin une guerre qui risque d’emporter la civilisation humaine si nous n’arrivons pas à arrêter l’ébriété aux énergies fossiles.
C’est un fait, les non-alignés ne pèsent pas lourd dans l’échiquier mondial actuel car ils sont divisés et ne s’entendent que sur des généralités. Partagés qu’ils sont entre les intérêts à court terme, ils peinent à définir une stratégie en dehors des mantras du siècle dernier qui sont devenus vides de sens et qui consistent à appeler au bon cœur des pays développés occidentaux. Avec l’effondrement de l’Union soviétique et la fin de la guerre froide, un grand débat a eu lieu au sein du mouvement. La première opinion juge que le mouvement des pays non-alignés a pris fin du point de vue de la pratique, parce que la justification de son existence a disparu. Le second point de vue perçoit la nécessité de la poursuite de l’action du mouvement, vu les nombreux acquis réalisés. Les pays non-alignés jugent que la validité et l’existence du mouvement ont été confirmées par les derniers changements mondiaux. La fin de la guerre froide, la polarisation internationale entre l’Est et l’Ouest ont renforcé l’appel du mouvement à la coopération internationale afin de créer un monde libéré de la peur et d’intolérance, le mouvement des pays non-alignés représente le cadre le plus important et le plus large pour coordonner les situations des pays en développement face aux différents problèmes politiques, économiques et sociaux proposés dans l’Agenda de l’Organisation des Nations unies.
Dans ce cadre, il est un challenge que les pays non-alignés devraient sans tarder s’approprier, c’est la lutte contre les changements climatiques où ils sont en première ligne dans les dégâts causés par les différents conséquences : incendies, inondations, déluges, sécheresses récurrentes, famines. Situés pour la plupart dans l’hémisphère Sud, les dégâts sont importants et se chiffrent par dizaines de milliards pour une pollution dont ils ne sont en rien responsables. D’ici à 2050, l’humanité devrait compter 9,5 milliards de personnes et si, à la même date, les émissions de gaz à effet de serre n’ont pas été réduites à un niveau net nul, le réchauffement de la planète dépassera 1,5°. Or, le changement climatique a des conséquences importantes sur les personnes, à la fois sur les plans physique, politique, économique et social. De plus, les personnes âgées sont plus vulnérables. Elles ne peuvent pas faire face facilement aux catastrophes naturelles dues aux changements climatiques.
Ce que pourrait proposer l’Algérie
À la confèrence prochaine qui aura lieu à Bakou en Azarbadjan, l’Algérie pourrait prendre l’initiative de proposer la mise en place d’une instance chargée de faire l’état des lieux des agressions climatiques. Un livre blanc qui fait le point des dégâts causés pour rappeler aux nations développées leur responsabilité dans la débâcle climatique et la nécessité de financer les opérations d’atténuation des changements climatiques. Cette coordination devrait déboucher sur un plan Marshall du développement des énergies renouvelables, notamment par la mise en place de la Révolution de l’hydrogène vert.
Plus largement, les pays non-alignés qui concentrent l’essentiel des ressources peuvent développer entre eux un commerce direct sans passer par l’Occident. Nous avons vu les graves sanctions occidentales contre tous ceux qui sont tentés de sortir du carcan des institutions de Bretton Woods. Il y a de réelles opportunités. Cela passe par un inventaire de chaque pays et de ce qu’il pourrait faire, proposer dans le cadre d’un cadre commercial à inventer pour stimuler la coopération Sud-Sud. Naturellement, ces idées pourraient faire l’objet de négociations qui consacreront enfin le compter-sur-soi à tout prix. Ainsi va le monde.
Chems Eddine Chitour
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