En marge de la diffusion du film de Francine Pelletier Bataille pour l’âme du Québec, Yves Boisvert se penche sur « la dérive conservatrice du nationalisme québécois »1. Puisque ce documentaire fait de moi l’un des artisans du virage identitaire du Parti québécois au cours des années 2000 et que ce virage y est qualifié de « dérive » ou de « tragédie », ce à quoi semble acquiescer le chroniqueur de La Presse, je crois nécessaire de revenir sur certains aspects de ce film.
J’ai accepté en toute bonne foi de participer à ce film, en espérant que l’on ferait justice au point de vue que je savais contraire à celui de la réalisatrice. Ceux qui le verront constateront que cela ne s’est malheureusement pas produit. Je veux bien que la réalisatrice y fasse prévaloir son point de vue, mais il me semble qu’elle aurait dû permettre que le nationalisme soi-disant conservateur puisse y faire valoir sa vision du Québec autrement que dans des références à Lionel Groulx, à Henri Bourassa, aux processions de la Fête-Dieu, ou encore à la montée de l’extrême droite visant à le discréditer, voire à le ridiculiser.
Le film fait de moi l’apôtre d’un passéisme aussi irréaliste sur le plan sociologique que douteux du point de vue de l’identité collective.
Si la réalisatrice avait retenu d’autres passages de l’entrevue que je lui ai accordée, les spectateurs auraient constaté qu’il ne s’agit d’aucune manière de retrouver un passé mythifié dans lequel le vieux Canada français ferait figure d’idéal et dont il faudrait regretter la disparition. Personne au Québec, il me semble, ne souhaite la reviviscence du vieux monde canadien-français. Personne ne s’ennuie du cardinal Léger, ni même de Lionel Groulx.
Je ne récuse pas pour autant le rôle que m’attribue Yves Boisvert à la suite de Francine Pelletier. L’essentiel de toute manière ne tient pas au rôle que j’ai pu jouer, avec d’autres, dans l’inflexion du discours nationaliste au terme d’une assez longue période marquée par la mauvaise conscience souverainiste après l’échec référendaire de 1995, alors que le nationalisme québécois cherchait à se soustraire aux accusations fusant de toutes parts quant à sa supposée fermeture aux autres et à son caractère fondamentalement ethniciste. L’inflexion qui s’est produite au cours des années 2000 a eu pour effet de rétablir la légitimité de la majorité historique francophone en tant que sujet politique aspirant à une certaine continuité de son parcours historique. Cela, non pas, comme le suggère le documentaire, pour en revenir au bon vieux temps, mais tout simplement, et comme pour tous les autres peuples du monde, pour pouvoir regarder vers l’avenir en se référant à l’histoire longue de la collectivité et s’apercevoir en tant qu’acteur historique.
Les Lévesque, Laurin, Marois et leurs compagnons de route n’ont jamais voulu autre chose que l’affirmation d’un « nous », formé au fil de la longue histoire du Québec et dont l’inclusion des « autres » a toujours été l’une des dimensions. Lorsque René Lévesque intitule le premier chapitre d’Option Québec « Nous autres », il désigne la réalité d’une collectivité francophone se reconnaissant comme acteur historique appelant à lui tous ceux qui veulent écrire l’histoire du Québec à ses côtés. De la même façon, lorsque Camille Laurin veut faire du français la langue de tous les Québécois, il rend compte du désir légitime de cette majorité de voir sa langue reconnue mais aussi d’offrir à la diversité québécoise un lieu de rencontre. Ce n’est pas la langue des Canadiens français qu’il consacre de la sorte, mais celle de la nation québécoise et de toutes ses composantes.
Yves Boisvert, suivant en cela la thèse soutenue par Francine Pelletier, m’impute la volonté d’avoir prôné un « réajustement », c’est-à-dire un retour à l’affirmation d’un « nous canadien-français ». Nous sommes ici au cœur d’une confusion savamment entretenue par les détracteurs de ce nationalisme soi-disant conservateur.
Le Nous en question n’est pas canadien-français mais québécois. Cette distinction est cruciale. Une nation canadienne-française serait en effet une nation ethnique, alors que la nation québécoise forme une communauté politique et désigne le peuple québécois dans toutes ses composantes.
Cela dit, on aurait tort de forcer la dichotomie nation ethnique et nation civique. La nation québécoise ne voudrait rien dire s’il n’existait pas en son cœur une majorité que l’histoire a forgée au fil des siècles et à laquelle sont venues se joindre de très nombreuses personnes venant d’ailleurs qui s’y sont intégrées et qui ont fait du Québec ce qu’il est devenu.
La bataille pour l’âme du Québec n’est pas celle qui oppose une droite fantasmée au progressisme des bons nationalistes civiques, mais celle qui se déroule dans le secret de l’âme québécoise, là où s’installe le doute quant à la légitimité de dire « nous autres ». René Lévesque voyait une évidence en ce nous. Par un troublant retour de l’histoire, le voici incriminé sous la plume d’Yves Boisvert.
C’est un bien étrange procès que l’on intente à cette petite nation francophone en Amérique dont le combat est depuis toujours de se convaincre qu’elle a le droit d’exister. Le droit de dire « nous ».
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