Je n’aimais pas travailler

Je n’aimais pas travailler

À 14 ans, mon père m’a dit qu’il était temps pour moi de trouver un « petit travail », question de devenir plus responsable et d’apprendre « la valeur de l’argent ».

J’ai été engagée au McDonald… et renvoyée après 3 mois. Il parait que je manquais de dynamisme et que je ne souriais pas assez aux clients.

L’été d’après, j’ai obtenu un travail dans un magasin de vêtements pour jeunes filles. Je peux me vanter d’avoir été la seule employée de toute l’histoire de ce Garage à n’avoir jamais travaillé sur le plancher. Parait que c’était mieux de me garder à l’arrière, à défaire des boites et à plier du linge. Parait que je n’avais pas la tête pour vendre.

Eux non plus, ne m’ont pas gardée plus de trois mois finalement.

J’ai tout de même appris de ces expériences : l’été suivant, je suis partie à la recherche d’un travail qui exigerait… le moins de travail possible. Et j’ai réussi ! Je suis devenue « surveillante » dans une maison Kinsmen.

Mon travail consistait à saluer les gens et à leur dire ne pas toucher aux meubles de la maison. Idéalement, je devais aussi répondre aux questions des visiteurs. Mais je préférais les référer au dépliant, question de ne pas trop gaspiller ma salive.

J’ai été très satisfaite par ce dernier travail. Quand être en pause et faire son shift s’équivalent, c’est bon signe, que je me disais.

Pourquoi travailler ?

Un constat s’imposait à moi en tout cas : je n’aimais pas travailler. Mon père essayait de me convaincre qu’il était important pour moi de prendre conscience de l’argent, d’en gagner et d’en dépenser. Mais je demeurais sceptique. Au McDo, j’avais vu les jeunes dépenser presque la moitié de leur paye en nourriture, étant donné le 50 % de rabais pour les employés. Idem au Garage : toutes mes collègues achetaient au moins un morceau de linge par semaine.

Pourquoi travailler ? Pour faire de l’argent ? Mais pourquoi vouloir tant que ça de l’argent quand on est jeune et qu’on vit de toute façon chez ses parents ? Pour se payer des cochonneries ? Je n’en voyais pas vraiment l’intérêt. Où se trouve la liberté quand on travaille pour des besoins que le lieu de travail lui-même crée ?

Puis je suis rentrée au Cégep et — je vous épargne toute l’histoire — je me suis convertie. Devenir chrétienne m’a fait repenser tous les aspects de ma vie. En pensant à l’été qui arrivait, je me voyais mal retourner à la maison Kinsmen pour ne rien faire. Maintenant que j’avais connu l’amour de Dieu, j’avais l’impression que je pouvais faire mieux.

Un gars dans mon cours de philo m’a parlé de son travail dans un camp de vacances, à Saint-François sur l’Ile d’Orléans. J’y ai vu un appel, avec deux avantages : j’allais enfin apprendre à être utile à d’autres et j’allais pouvoir me retirer, loin de mes (mauvaises) habitudes.

Un nouvel horizon

J’ai fait les entrevues pour ce camp de vacances. Les employeurs m’ont trouvée bizarre, mais ont décidé de me donner une chance. Il manquait de candidats de toute manière.

À mon premier jour au camp, je me suis sérieusement demandé ce que je faisais là. Je devais m’occuper du groupe des 11-13 ans. Quand les jeunes m’ont vue, l’un d’eux m’a dit :

  • Merde ! On voulait un gars comme moniteur !
  • Désolée de vous décevoir…
  • Ah ! Mais au moins, elle a la voix d’un gars.
  • Euh… OK. Voulez-vous qu’on fasse connaissance ? Qu’on se présente à tour de rôle ? Je peux commencer : je m’appelle Laurence, je suis au Cégep, et ma passion, c’est la philosophie.
  • C’est parce qu’on s’en fout de ta vie…
  • Bon, vous êtes sympathiques… On va passer un bel été…

Heureusement, la première journée a passé et, avec le temps, j’ai apprivoisé mes jeunes préadolescents. Je suis même devenue, au fil de l’été, leur appui, leur confidente, leur « grande sœur ». Je me suis réjouie de leurs réussites, j’ai compati à leurs tristesses, j’ai écouté leurs réflexions…

Je me souviendrai toujours du moment où, marchant sur le bord de la grève, j’ai pris conscience de ma chance. J’ai repensé à mon été précédent à fumer du pot et à surveiller une maison vide dans le stationnement des Galeries de la Capitale…

Je n’étais plus dans un stationnement. Je ne surveillais plus une maison vide. J’étais sur le bord du fleuve, avec une dizaine de jeunes, tous plus merveilleux les uns que les autres.

Sans que les jeunes me voient, j’ai versé une petite larme de joie et j’ai remercié le Seigneur de m’avoir sauvée aussi dans cet aspect de ma vie. Enfin, j’aimais travailler. Enfin, je voyais un avenir.

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