La détérioration des relations bilatérales entre Washington et Riyad n’est pas la conséquence de la visite du Chef de la diplomatie russe en péninsule arabique mais l’aboutissement d’un processus lié avec la lutte à mort pour le pouvoir entre les oligarchies de ce que l’on désigne conventionnellement comme l’État profond US et ses prolongements internationaux.
La confirmation par la porte-parole de la Maison Blanche des déclarations du président Joe Biden sur un éventuel isolement du royaume d’Arabie Saoudite indique que l’administration Biden se heurte à des difficultés auxquelles n’ont jamais été confrontées les administrations US précédentes.
Après l’épisode rapporté mais jamais confirmé d’un incident entre le prince héritier Mohamed Ben Salman et le conseiller à la Sécurité nationale US Sullivan, des officiels saoudiens ne cachaient plus leur mécontentement sur la gestion militaire de Washington du conflit au Yémen et commençaient à dénigrer pour la première fois depuis 1935 la qualité des armements occidentaux dont le nec plus ultra est engagé sur le théâtre des opérations face à la guérilla des Houthis. Ce dénigrement ne tarda pas à se traduire par la recherche de nouveaux fournisseurs et la mise en place des bases d’une industrie militaire. Riyad se tourna dès lors vers la Chine et la Russie dans un mouvement qui semblait à la fois contre-nature et totalement inédit. L’administration Biden qui agit pour le compte d’une oligarchie précise de l’État profond US tenta alors d’exercer des pressions indirectes sur les Saoudiens en tentant d’instrumentaliser la terrible affaire Khachoggi, un éditorialiste du Washington Post assassiné et dépecé dans les locaux du Consulat Général d’Arabie Saoudite à Istanbul, Turquie, mais ne parvint qu’à froisser l’égo hypertrophié de Ben Salman. Celui-ci estime avoir payé suffisamment le silence des pays occidentaux et commence alors à manœuvrer pour entraver l’administration Biden au Moyen-Orient, en Eurasie, en Asie et surtout aux États-Unis où les liens entre la famille royale et le milliardaire Donald Trump se sont affermis.
Mais c’est le conflit avec la Russie dans lequel l’administration Biden s’est engagée à fond qui risque de pâtir le plus de ce refroidissement des relations entre Washington et l’un des piliers de sa politique étrangère durant les cinquante dernières années. D’autant plus que les pays du Golfe se sont rapprochés de plus en plus avec Israël et la Turquie. Ce qui annule presque totalement les marges de manœuvres de Biden. Contrairement aux usages, Riyad n’a pas participé à la curée anti-russe et ne semble pas pressée de soutenir un embargo sur le pétrole russe.
Washington se retrouve en difficulté avec un allié majeur comme l’Arabie Saoudite mais également la Turquie dont le pragmatisme et l’opportunisme sont axés essentiellement sur la réalisation de ses propres intérêts stratégiques en priorité. Washington se heurte également à l’Inde dont la posture semble dictée par des impératifs de survie et de prévoyance économiques contrairement à une Europe qui est en train de se sacrifier en poursuivant des objectifs qui semblent non seulement irréalisables mais opposés aux intérêts stratégiques de tous les pays de l’Union.
La prochaine réunion des BRICS donnera un aperçu de la situation nouvelle, surtout si ce regroupement est appelé à s’élargir. La communauté internationale dans l’acception impériale se rétrécit de plus en plus. Un mauvais signe pour les élites idéologiques de Washington. Il est à craindre qu’il y aura un nombre incroyable de diversions dans les mois à venir. Il n’y aura pas un changement spectaculaire dans l’anarchie internationale actuelle mais il semble qu’un glissement d’ordre tectonique est bien entamé et dont la finalité est loin d’être appréhendée en totalité.
Les civilisations sont trop éphémères et fragiles pour résister au temps.
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