Observateur Continental a réalisé un entretien avec le général français (2S) Dominique Delawarde – Ancien chef « Situation-Renseignement-Guerre électronique 19 » à l’état-major interarmées de planification opérationnelle, sur la situation en Ukraine, mais aussi sur l’OTAN.
Sur les caractéristiques de l’opération militaire spéciale russe en Ukraine. Comment est-ce que des experts indépendants peuvent-ils expliquer et commenter cela ?
Dominique Delawarde : Cette opération est « spéciale » parce qu’elle se déroule dans un pays frère et dans des zones du Donbass dont les populations civiles sont russophones et, dans leur immense majorité russophiles.
Il convient, donc, d’éviter au maximum les dommages collatéraux sur ces populations amies et sur les infrastructures civiles qu’il faudra bien reconstruire après la guerre.
Les opérations de combat sont, donc, beaucoup plus complexes à conduire, ce qui explique l’avancée « précautionneuse » et donc lente des forces russes, soucieuses d’épargner le sang de leurs frères ukrainiens de l’Est et celui de leurs soldats.
Cette opération est également spéciale dans la mesure où elle oppose directement une Russie souverainiste à une OTAN « mondialiste » qui cherche à conserver son hégémonie sur la planète.
Cette opération a, donc, des implications géopolitiques mondiales. Les données financières (dollar-euro versus rouble-yuan) et économiques (gaz, pétrole, nourriture), les échanges commerciaux, les équilibres militaires (OTAN versus OCS). Bref, tout ce qui faisait le monde d’avant est aujourd’hui bousculé par un État, la Russie, beaucoup plus puissant et résilient que ne l’imaginaient les stratèges néoconservateurs occidentaux.
Pourquoi la pratique allemande de créer des « Festung » – des villes forteresses avec des civils comme « boucliers humains » est-elle visible dans les actions des forces armées ukrainiennes (APU) ?
– La technique allemande d’utiliser les grandes agglomérations et de se protéger derrière les civils est une technique peu glorieuse mais particulièrement efficace et qui a fait ses preuves lors de la Deuxième Guerre mondiale.
Elle retarde l’avancée de l’adversaire en lui interdisant l’emploi de tous ses moyens et en lui faisant payer cher ses avancées sur le terrain. Elle permet à la propagande de faire croire que l’issue de la guerre n’est pas encore jouée et d’exalter l’héroïsme des soldats de son camp.
Cela ne changera évidemment pas le résultat de l’opération spéciale, mais cela permettra aux médias du camp occidental « mondialiste » de noircir toujours plus l’image de la Russie et de tenter ainsi de la couper des pays qui la soutiennent.
En 1944, Hitler proposa l’idée de « forteresses » (Festung) dans les villes qui avaient une importance opérationnelle ou stratégique. L’ennemi devait, d’abord, occuper ces « forteresses » afin de débloquer les voies de transport pour une nouvelle offensive. En août 1944, les troupes américaines ont commencé le siège du port français de Brest. Il est transformé en « Festung » par le général allemand, Bernhard Ramke, qui tient la défense pendant 43 jours avant de se rendre. De nombreux habitants de Brest ont été tués, morts de faim ou ont péri sous les décombres. Peut-on y voir une stratégie militaire similaire avec l’armée ukrainienne ?
– Oui, il y a une similitude entre le siège de Brest et ses dégâts collatéraux sur les populations civiles et ce à quoi nous assistons aujourd’hui. Notons que les Américains n’ont jamais pris de gants avec les populations civiles dans leurs zones d’opérations. Ainsi, lors du débarquement du 6 juin 1944, les Américains ont tué plus de civils français sous leurs bombardements qu’ils n’ont eu de pertes militaires sur les plages de débarquement.
On pourrait évoquer aussi la Festung de la poche de Saint-Nazaire qui, lui, a été ignoré par les forces alliées et qui n’a accepté de se rendre que le 10 mai 1945, deux jours après la reddition allemande du 8 mai 1945….
Dans les villes ukrainiennes, les forces armées ukrainiennes n’ont pas seulement pris en otage des citoyens ukrainiens. Selon le ministère russe de la Défense, plus de 7500 étrangers sont actuellement retenus en otage dans les villes ukrainiennes. Pourquoi les médias français n’en parlent-ils pas ?
– Les médias français, comme la totalité des médias des 30 pays de l’OTAN mènent aujourd’hui une impitoyable guerre de l’information contre la Russie. Cette guerre consiste à occulter tout ce qui pourrait affecter l’image du camp ukro-atlantiste et à dénoncer avec force tout ce qui peut porter préjudice au camp de l’adversaire russe.
Ceux qui osent dénoncer les atrocités du régime de Kiev sont immédiatement qualifiés de « complotistes », voire « d’antisémites ». C’est une technique bien connue qui vise à tenter de décrédibiliser et à faire taire ceux qui disent des vérités qui dérangent. Relire à cet égard les 10 principes de la propagande de guerre.
Pendant la guerre, les coups sont d’abord portés contre la capitale de l’État attaqué, la résidence de son chef et le quartier général militaire. Pourquoi la Russie ne frappe-t-elle presque jamais les centres du leadership politique et militaire, ne détruit-elle pas les infrastructures clés – transport ferroviaire, communications, pipelines, ponts et autres installations de survie pour la population civile ?
– L’opération spéciale de Vladimir Poutine ne vise pas, d’une manière générale, à pénaliser les populations civiles d’un pays frère, l’Ukraine et particulièrement celles des deux républiques du Donbass à l’Est de l’Ukraine. Il y a de fortes chances, en effet, que ces deux républiques soient rattachées, par référendum, à la Fédération de Russie à la fin des opérations militaires. La destruction de l’infrastructure doit donc se limiter au strict nécessaire.
Mais, la Russie frappe tous les jours des centres de commandement militaires de tous niveaux des forces kiéviennes dans le cadre bien compris de la démilitarisation de l’Ukraine.
S’agissant du leadership politique de Kiev, Vladimir Poutine préfère peut-être l’épargner, pour l’instant, pour le laisser se discréditer chaque jour davantage. Vladimir Poutine espère peut-être qu’en fin de partie, le leadership kiévien qui aura mené le pays au désastre et à la ruine par son jusqu’auboutisme stupide et sa complicité maladroite avec l’Occident atlantiste, sera l’objet d’une véritable « épuration » menée par les Ukrainiens eux-mêmes.
En épargnant le leadership politique ukrainien, Vladimir Poutine montre aussi qu’il est cohérent avec son objectif initial proclamé qui n’a jamais été un changement de régime à Kiev, même si celui-ci suivra probablement l’opération spéciale russe, lorsque celle-ci arrivera à son terme. La peau de Volodymyr Zelensky ne vaudra pas cher lorsque les Ukrainiens réaliseront le désastre dans lequel le pays aura été conduit par son assujettissement volontaire aux USA et à l’OTAN.
Comment expliquer d’après vous le fait que la Russie approvisionne l’Europe en gaz via l’Ukraine ?
– Vladimir Poutine le fait pour deux raisons au moins :
1 – Il a besoin d’argent pour pouvoir inscrire sa guerre dans la durée avant que le transfert de ses exportations puisse fonctionner à pleine puissance vers l’Asie, l’Afrique et l’Amérique du Sud.
2 – Il veut montrer aux citoyens et dirigeants européens qu’il n’a rien contre eux.
Mais, il a tout de même coupé le gaz à ceux qui se montrent les plus provoquants par leur attitude inamicale (Pologne, Bulgarie, Finlande).
Pourquoi la Russie n’a-t-elle pas refusé d’honorer les contrats ?
– En honorant ses contrats, la Russie montre au monde occidental, mais surtout au monde entier, qu’elle est un partenaire fiable, contrairement aux États-Unis qui dénoncent les traités, les accords, les alliances, les contrats, du jour au lendemain, en fonction de leurs seuls intérêts et de l’actualité du jour.
Il semble, d’ailleurs, qu’une majorité des populations du monde commence à le comprendre. Rappelons que l’OTAN et les pays qui gravitent dans son orbite ne représentent que 20% de la population mondiale.
Quelle position devrait adopter la France dans ce conflit ?
– Ce conflit ne concerne plus la France qui a renoncé à son implication en n’imposant pas l’application des accords de Minsk dont elle était garante. La meilleure position que la France devrait adopter dans ce conflit serait de faire profil bas et de ravaler sa honte de ne pas avoir su éviter la guerre en respectant son engagement de garant sur les accords de Minsk.
Voir ses médias s’agiter hystériquement dans tous les sens et diffuser fake news sur fake news sur cette « guerre civile entre l’Est et l’Ouest de l’Ukraine » est tout simplement pitoyable.
Enfin la Suède et la Finlande déclarent vouloir joindre l’OTAN. Quel est votre avis d’expert sur cette décision ?
– Je connais bien les pays scandinaves. Les officiers de ces pays me disaient souvent, avant la chute du mur de Berlin, que leur neutralité leur garantissait la paix avec l’Union soviétique d’alors.
Je pense personnellement que l’évolution récente des positions Finlandaise et Suédoise est liée à la pression efficace des lobbies mondialistes qui contrôlent, comme chez nous, les médias mainstream qui font l’opinion de leur pays.
Ces deux États commettent une erreur colossale d’appréciation sur une hypothétique menace que n’a jamais fait peser la Russie à leur égard.
Que les Atlantistes et la Finlande soient persuadés d’une chose. Si les fusées ou des bases de l’OTAN venaient s’installer en Finlande aux frontières de la Russie, ce serait un facteur déclenchant de la Troisième Guerre mondiale Russie-OTAN et les idiots utiles qui gouvernent aujourd’hui la Finlande en porteraient la responsabilité pleine et entière.
source : Observateur Continental
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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