La Confédération et les Accords de Minsk…double duperie ?
Un fédéralisme des nations, l’option traditionnelle des Canadiens-français
Le statut de la nation canadienne-française est celui d’une nation française en Amérique ( Conseil souverain – constitution de 1663 )
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On peut rappeler avec raison que le statut de 1663 constitue un fondement originel de la nation canadienne-française. En revanche, et on peut le regretter, il n’a pas été assez repris dans notre tradition politique après la Conquête. Notre tradition se situe ailleurs. Elle se trouve dans la réclamation d’un fédéralisme des nations, en opposition à un fédéralisme centralisé, trônant sur des provinces administratives, sans égards aux réalités nationales. National : socioculturel et historique. Cette tension entre les deux fédéralismes, incarnés ou désincarnés, était au centre des débats parlementaires de 1865 sur la Confédération. Ils n’ont pas tranché la question. Par suite, des réclamations seront exprimées tout au long du XXe siècle par les chefs politiques canadiens-français, comme le soutient l’étude de Richard Arès sur le sens de la Confédération*. Fort des témoignages des acteurs de l’époque, Richard Arès fait ressortir ce qu’on a appelé les deux solitudes. L’expression marque l’incompression entre les vainqueurs et les perdants des plaines d’Abraham; elle persiste près de 300 ans après les faits. Bref, la Confédération était-elle un pacte ou une loi ? Un compromis sociologique ou un cadre juridique anglo-saxon ? Une entente à la française ou à l’anglaise ?
Pour maître Christian Néron, constitutionaliste et historien du droit :
Si ce pacte avait été plaidé et pris en compte dans l’interprétation de la constitution depuis près de cent cinquante ans, il est certain que le fédéralisme canadien ne serait pas celui que l’on connaît aujourd’hui. *
Les projets formulés par Daniel Johnson (Égalité ou indépendance) et par René Lévesque (Souveraineté-association) allaient dans le sens d’une correction du malentendu historique. Ils préconisaient un fédéralisme des nations. D’ailleurs, toute réforme de cette nature aurait obtenu l’appui écrasant des Canadiens-Français, comme on a pu le voir plus tard avec les Accords du lac Meech. C’est sur une telle volonté de reconnaissance nationale, pourvue de droits et d’autonomie, qu’ont toujours porté nos revendications constitutionnelles. En dépit de leur caractère des plus raisonnable, les revendications canadiennes-françaises ont toujours été rejetées.
Même si les comparaisons ont leur limite, notre situation peut se comparer à celle de l’Ukraine post-Maïdan. Les anglo-saxons, instigateurs du coup d’État grâce à leur domination sur l’OTAN, une domination qui ne saurait faire le moindre doute, ont refusé là aussi que s’impose un fédéralisme des nations. La russophobie ou la francophobie, qu’elles soient l’oeuvre de l’OTAN ou d’Ottawa, ne manquent pas de liens de parenté.
Les Accords de Minsk, suivis de Minsk II, contenaient une formule de fédéralisme équitable. Ils prévoyaient la reconnaissance de la diversité ethnique historique de l’Ukraine, avec son élément russophone, et une nouvelle constitution pour ratifier le tout. Les Anglo-saxons à la manœuvre ont empêché la mise en oeuvre et la ratification. Ils ont empêché la même chose outre-atlantique, dans des circonstances différentes, pendant de plus longues années, mais avec les mêmes résulats. L’absence de reconnaissance des nations intérieures du Canada, Canadiens-Français et Acadiens, résulte dans leur oppression. Cette source de frustrations et de conflits, est sensiblement la même en Ukraine et au Québec. Les élites anglo-saxonnes ont une forte propension à l’hégémonie, l’étude de la Conquête de Québec, acte agressif non provoqué en fait foi.
Le Canada de 1865 était mûr pour un fédéralisme des nations. Les Canadiens-Français croyaient massivement que le pays devait évoluer dans cette direction. Ils croyaient même qu’on y était, comme en fait largement état Arthur I. Silver (The French Canadian Idea of the Confederation, chap. 3**) dans une étude approfondie de l’opinion publique de l’époque.
Malheureusement, au Canada, la position constitutionnelle des Canadiens-Français s’est détériorée de façon dramatique par la négligence des chefs politiques. Ils reculèrent devant leur obligation de relayer le fameux projet de souveraineté-association (sans même parler de le défendre !) à la table de négociation. Le front commun des provinces contre Ottawa de 1981, en lieu et place d’un front commun des Canadiens-Français contre Ottawa, position préconisée par les États généraux du Canada-Français de 1967-69, était un signal de Québec qu’on avait abdiqué, dans les formes, que le Canada fût constitué d’un ensemble de provinces égales (sans dimension nationale), réunies pour la représentation de leur intérêt face à Ottawa. Le fiasco était prévisible. L’Accord du lac Meech, qui s’efforçait de réintroduire un fédéralisme asymétrique représentât, quelques années plus tard, une tentative honorable de corriger modestement la situation.
De façon fort surprenante, à l’intérieur même du Québec, les bases d’un fédéralisme des nations ont été jetées avec la loi 99 (2000). Cette loi statutaire, arrivée dans un contexte d’une mauvaise conscience mal inspirée, reconnaît la diversité nationale québécoise, mais sans les Canadiens-Français. Si ils manquent à l’appel pour le moment, il faut voir aussi que les anglo-québécois s’y trouvent, mais ils y sont très maladroitement nommés. Ils disposent de droits consacrés, à tout seigneur tout honneur, pourrait-on dire, en l’absence, comme l’éléphant dans la pièce, de toute mention des Canadiens-Français.
Au-delà de ces considérations, la Loi 99 a sonné le glas d’une nation unitaire au Québec. La nation plurinationale décrite par Joseph Facal dans la loi du gouvernement de Lucien Bouchard, ne pourrait déboucher un jour que sur une formule de fédéralisme des nations au sein du Québec, et non sur une nation unitaire. C’est d’ailleurs la seule formule qui, aujourd’hui, serait éventuellement acceptable par les Anglos et les Autochtones, la seule formule qui pourrait émerger à l’issue de négociations décisionnelles. Dans quelle mesure les Canadiens-Français pourraient-ils y trouver leur compe ? Ça demeure une question ouverte…
Reconnaissons que, malgré tout le mal qu’on peut en dire impunément, surtout quand il est question des Canadiens-Français, le Canada et le Québec ne sont pas réfractaires à l’existence des nations ethniques. C’est le cas même quant elles sont rigoureusement ethniques, comme pour les nations autochtones pré-colombiennes, au sein desquels je compte d’ailleurs des amis de longue date. Mais, au delà des hurlements de loups-garous, il conviendrait de ré-équilibrer le concept d’ethnicité. Sans magnifier l’aspect ethnique, soit socioculturel et historique, il faudrait élargir ce type de reconnaissance aux Canadiens-Français, qui, incidemment, ne font pas trop de cas de leur autochtonie et ne cherchent pas à la monayer. Oui, autochtones. À certains égards nous le sommes parce que victimes d’une conquête qui remplacera les natifs comme maîtres du territoire, et de son aménagemet. Moins refoulés qu’on peut le penser, nous resterons toujours perméables aux apports extérieurs. Ce qui a été largement démontré par les Verrier, Salinger, Thomson, Ryan, Turp, Ryan, Johnson; les Robert Burns et les milliers d’autres. Il y a peu à démontrer ici tellement notre capacité d’assimilation toute en douceur est évidente. Le risque que nous courrons est de faire de la langue notre point d’ancrage, le substrat insuffisant d’une plénitude nationale.
Mais, hélas, au risque d’en chagriner certains, peu importe le régime, l’indépendance comme concept des années 1960 n’assure plus rien. Les Canadiens-Français se doivent à eux-mêmes de détenir des garanties dans l’exercice de leurs droits nationaux, sous une forme ou sous une autre. C’est par la garantie de leurs droits et leur détermination à les exercer qu’ils pourront se projeter dans le temps et apporter leur pierre à la diversité planétaire, comptant dans ce monde pour une nation unique.
Ce n’est pas la presse de grand chemin qui en fait état, mais un exemple notable de fédéralisme des nations se trouve dans la République fédérative de Russie. Il s’agit d’un fédéralisme de nations ethniques qui jouissent de différents niveaux de reconnaissance constitutionnelle, dépendant de leur importance démographique. C’est en Russie une tradition. C’est, pour ce que j’en connais, un traitement équitable des minorités qui remonte à l’empire russe. Apparemment, cette tradition n’a pas été effacée par 70 ans d’Union soviétique. Si le communisme a été si mauvais, à rebours, on peut tout de même constater qu’il n’a pas effacé ses nations, et que la chrétienté y est là-bas plus vivante que la catholicisme chez-nous. Que fait-on de ces constats ? On pourrait aussi s’interroger, savoir si la Russie, depuis 1867, a détruit la Tchéthcénie plus vite que le Canada a détruit les Canadiens-Français ? Je ne connais pas la réponse. Si je sais qu’on ne la trouvera pas dans le Journal de Montréal, puis-je espérer que des fonds de recherche permettent de le déterminer ? On a encore le droit de rêver… Mais mes espoirs ne sont pas là.
Les événements récents en Ukraine nous apprennent que le refus d’un véritable fédéralisme par Kiev, qui avait pourtant apposé une signature d’État aux Accords de Minsk, a conduit à la sécession des provinces russophones. Ce n’était pas lur choix, mais elles luttent les armes à la main pour leur indépendance. Il faut les saluer car il n’y a personne ici qui veut donner sa vie pour l’indépendance.
Au Canada, il est bon de le rappeler, c’est au moment de l’échec de Meech, au moment du rejet d’une modeste percée d’un fédéralisme des nations, au moment où l’indignation populaire était à son comble que la sécession du Québec pouvait le plus facilement l’emporter.
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* https://lautjournal.info/20140611/le-pacte-des-deux-nations
* Dossier sur le pacte fédératif de 1867 (La Confédération : pacte ou loi), Richard Arès, s.j., Bellarmin, 1967, 264 p.
** La Confédération et les droits des minorités, in The French Canadian idea of the Confederation 1864-1900, ch. 3, A. I. Silver, Université de Toronto, 2e éd., https://gilles-verrier.blogspot.com/2020/11/la-confederation-et-les-droits-des.html
Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec