La guerre en Europe orientale a pris la forme très classique d’une guerre entre la Russie et l’Ukraine, dont le front principal se situe au Donbass. Un retour au fond du conflit tel qu’il se manifeste depuis 2014. Cette régulation du conflit vise à éviter toute escalade et à limiter cette guerre dans un cadre précis. Désormais, l’artillerie joue un rôle de premier choix dans ce conflit où certaines parties du front demeurent statiques tandis que d’autres segments des lignes de confrontation demeurent flottantes et fluctuantes au gré des percées réalisées en grande partie grâce à l’artillerie.
La pertinence de l’artillerie mobile dans les conflits du 21ème siècle est effective mais pourrait être sciemment exagérée à des fins de guerre psychologique. La mise en exergue du rôle primordial de l’artillerie dans les conflits modernes pourrait avoir comme objectif de persuader l’adversaire de concentrer une partie de ses ressources à développer cette arme qui demeure vulnérable à l’aviation et aux drones d’attaque. Cela suppose que la stratégie d’endiguement prévoit un affaiblissement couplé à une focalisation de l’adversaire sur des segments subsidiaires en vue d’une confrontation finale après l’achèvement de la phase d’usure assez longue.
En réalité, l’adoption par Moscou de la stratégie du rouleau compresseur très lourd et donc très lent a abaissé de manière significative les pertes en personnels militaires russes en Ukraine et a multiplié par cinq les pertes militaires ukrainiennes. Celles-ci subissent en outre les conséquences désastreuses de décisions politiques souvent contradictoires, non dénuées d’arrières-pensées démagogiques et politiciennes. Sous la pluie de projectiles russes, les unités ukrainiennes retranchées subissent des pertes quotidiennes assez élevées, lesquelles semblent insoutenables pour une force armée régulière. Ces légions de sacrifiés au profit de la gestion d’image du leadership ukrainiens pourraient provoquer sinon des mutineries rappelant celles du Chemin des Dames en 1917, du moins des grèves au sein d’unités combattantes-et il semble que des cas similaires ont été rapportés-car les militaires sont de moins en moins enclins à accepter d’être jetés dans des hachoirs par la faute d’un commandement incompétent.
La livraison par des pays de l’Otan de systèmes d’armes susceptibles de frapper en profondeur le territoire russe pourrait inciter Kiev à lancer des roquettes HIMARS par exemple sur Belgorod et sa région. Cette portion du territoire russe adjacent à Kharkov/Kharkiv a fait l’objet de plusieurs pilonnages à l’artillerie, une attaque d’hélicoptères évoluant à très basse altitude, des actions de sabotages et des tirs de divers projectiles. L’affirmation par Washington selon laquelle les autorités ukrainiennes ont assuré ne point utiliser ces armes pour frapper le territoire russe est donc sans aucun fondement et il est certain que l’Ukraine attaquerait le territoire russe si elle en avait les moyens. Ce qui n’est pas le cas et c’est la raison pour laquelle tente de traîner Washington vers une confrontation directe avec Moscou. Un scénario fort risquée et disproportionné par rapport à l’enjeu actuel sur le terrain. Moscou préfère donner au conflit le format d’une guerre de voisinage dans la sphère d’influence de l’ex-URSS en venant en aide aux républiques autoproclamées de Donetsk et de Lugansk en attendant le ralliement des régions capturées. A l’opposé, Kiev et Varsovie voudraient que ce conflit ait une dimension mondiale avec une implication militaire massive de l’OTAN, Etats-Unis en tête et un démantèlement pur et simple de la Russie tout en sachant que cette dernière ne va pas disparaître après ce conflit et qu’l faudra tôt ou tard composer, c’est-à-dire négocier et cohabiter plus ou moins sans ou avec accrocs avec cet immense voisin dont la présence sur l’échiquier du monde ne peut être annulée par le déni de réalité.
Le retour en force de l’artillerie ne doit pas occulter les enjeux stratégiques de ce type de conflit. Il s’agit avant tout d’un outil qui se trouve adapté à un certain type de stratégie. Les pertes enregistrées par les blindés dans ce conflit sont plus imputables à l’artillerie qu’aux missiles antichar ou autres systèmes d’armes. C’était également le cas dans les années 40 à une période où les moyens antichars étaient balbutiants et limités. C’est le terrain qui détermine le type de confrontation. On ne cessera jamais de méditer sur ce point.
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