Pour Stéphane Bern, rien de moins surprenant, « l’Eurovision est un outil de soft power que les politiques ne peuvent plus négliger ». Pour Le Monde « l’Ukraine a emporté l’Eurovision, soutenue par tout un continent ». Fermez le ban !
Les suffrages du jury étaient loin d’être favorables au groupe Kalush Orchestra, mais la vague du public, celle du vague public, a tout emporté. Du jamais vu d’après le commentaire des animateurs. Sans trop attendre, Volodymyr Zelensky, le Président de l’Ukraine, n’a pas donné dans la dentelle, « notre courage impressionne le monde, notre musique conquiert l’Europe ».
Une manipulation dans l’outrance qui ne préoccupe nullement notre royal Stephan. Là je suis en colère, car trop c’est trop. Non cette musique ne m’a pas conquis encore moins mis au pas. Je dirai simplement qu’ elle m’a inquiété. Oui, elle m’a inquiété car loin d’une douce puissance (Soft power) c’est une déferlante de bruits, d’effets en tout genre, d’onomatopées, de corps agités qui répètent à l’infini les mêmes gestes comme la manifestation d’une perte de sens. Si c’est cela la musique européenne, alors nous sommes venus au degré zéro de la variété, c’est-à-dire de la diversité, de la richesse des différences. C’est une homogénéisation qui, en réalité, nivelle par le bas le plus vil et qui produit les plus agités du bocal qui soient.
Le goût ne se décrète pas et sa diversité est une des garanties de la démocratie. Mais lorsqu’il finit pas se confondre avec la plupart, se fondre en une seule tendance, alors le lessivage a fait son effet : c’est le Soleil vert des oreilles, une seule nourriture pour tous, la réification du peuple. Elargir les choix, sans hiérarchie, sans cahier des charges de l’Eurovision, demeure le seul chemin de liberté en chansons. Peu de temps après ce naufrage, sur une autre chaîne de télévision, j’ai découvert un hommage à Christophe où de nombreux chanteurs français venaient humblement interpréter ses chansons. Je ne joue pas Christophe contre, il y a bien d’autres chanteurs ou d’autres chanteuses que je préfère, mais j’avoue simplement que je me suis retrouvé dans une matrice sonore qui m’a fait du bien où la chanson était enfin le fruit d’une symbiose entre paroles et mélodies, au croisement de la nuance et de l’intelligence. Là, nul besoin de pousser les décibels ni les éclairs lumineux qui détruisent tout sur leur passage comme si le public était un ennemi qu’il fallait rendre aveugle, sourd et muet.
Cette violence, qui me donne le frisson d’un rejet, ne m’inspire que de l’horreur. Contre Macron, qui a eu l’outrecuidance de nier la culture française, même s’il est revenu sur cette bévue (?), n’oublions jamais le magnifique patrimoine de la chanson française, si riche de multiples influences où l’immigration a parfois joué un rôle moteur. C’est pourquoi, sans tourner le dos aux compétitions, nous devons compter sur nos propres forces, nos propres critères pour éviter toute standardisation des formes. Terminer dernier d’une pareille épreuve ne me gêne pas, si c’est en sauvant mon âme.
Faut-il rappeler que l’universalité c’est parler-chanter de choses qui nous unissent, la condition humaine, l’amour, le pain, l’eau, la nature, sans mode d’emploi et encore moins sans la suppression des choix.
Guy Chapouillié
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