Entente Hydro-Québec – Énergir: une solution insuffisante

Entente Hydro-Québec – Énergir: une solution insuffisante

L’auteur est analyste en régulation économique de l’énergie, au nom du Regroupement des organismes environnementaux en énergie (ROEÉ)*
Bruno Detuncq est professeur à la retraite de Polytechnique Montréal, membre du ROEÉ et du
Regroupement Des Universitaires

DES UNIVERSITAIRES / Alors qu’Hydro-Québec et Énergir font activement la promotion de leur programme conjoint de biénergie, les soussignés considèrent important de rectifier certaines affirmations véhiculées par les tenants de la biénergie électricité-gaz et de souligner certaines omissions relativement à l’entente intervenue entre les deux monopoles que sont Hydro-Québec et Énergir pour la décarbonation des bâtiments.

En soi, la proposition d’Hydro-Québec et d’Énergir peut, en effet, amener une réduction partielle et à court terme du volume de gaz, mais elle compromet la possibilité de décarboner le chauffage des bâtiments d’ici 2050 en pérennisant l’utilisation du gaz naturel. Toutefois, d’autres solutions, dont les technologies sont disponibles et qui sont économiquement rentables, peuvent nous permettre de mettre fin plus rapidement à notre dépendance au gaz fossile dans le bâtiment, et ceci à coût moindre.
 

La nécessité d’éliminer rapidement les hydrocarbures

En mai dernier, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a fait un exercice extrêmement sérieux d’identification de la trajectoire menant vers la carboneutralité afin de maintenir le réchauffement sous la barre du 1,5 °C (évitant ainsi l’emballement climatique). Elle recommande l’interdiction d’installer de nouvelles chaudières à combustibles fossiles dès 2025. Ceci est d’autant plus important que plus de 80% du gaz consommé au Québec est produit par fracturation hydraulique. Cette transition rapide est en train de se faire un peu partout sur la planète, incluant les pays nordiques.

L’offre de biénergie présentée par Énergir et Hydro-Québec va dans le sens contraire. Il est question d’une réduction partielle d’environ 70 % de la consommation de gaz fossile dans les résidences. Les distributeurs prétendent que l’électrification complète des bâtiments ajouterait près de 2000 mégawatts (MW) à la demande en période de pointe. Or, il s’agit d’un scénario fataliste n’incluant aucune mesure de gestion de la pointe et aucun effort de la part d’Hydro-Québec pour réduire la consommation d’électricité par l’amélioration de l’efficacité énergétique, ce qui est invraisemblable et inacceptable.
 

Investir plutôt la gestion à la pointe

Une des solutions de rechange à la biénergie proposée est d’investir l’énorme potentiel de gestion de la pointe chez les clients d’Hydro-Québec et d’Énergir: ceci permettrait de minimiser l’impact en puissance d’une décarbonation complète des bâtiments à un coût substantiellement moindre pour Hydro-Québec que le scénario évoqué par les deux sociétés. Parmi ces mesures, il y a entre autres le crédit hivernal, les tarifs Flex et GDP Affaires, Hilo et les accumulateurs thermiques.

Ces derniers permettent d’emmagasiner la chaleur dans les périodes hors pointe par le chauffage électrique d’une masse fixe, donc sans combustible fossile. Le bâtiment peut ainsi être complètement indépendant du réseau pour son chauffage, durant les heures de pointe. Une multitude de bâtiments au Québec et dans les provinces et États limitrophes sont ainsi déjà munis d’accumulateurs thermiques, avec des résultats probants. En favorisant le remplacement de systèmes au gaz ayant atteint la fin de leur vie utile par des systèmes de chauffage centraux avec accumulateur de chaleur, nous sommes d’avis qu’il serait ainsi possible de décarboner complètement le chauffage des bâtiments en 2035 tout en évitant d’avoir à ajouter 2000 MW de puissance comme le prétend Hydro-Québec.
 

Des failles importantes dans le projet de biénergie

Enfin, il nous apparaît important d’attirer l’attention sur certaines failles du projet de biénergie qui risquent de pérenniser au-delà de 2030 la présence de gaz dans les bâtiments. Tout d’abord, le remplacement des appareils au gaz désuets par des appareils neufs au gaz est prévu, ainsi que le branchement au gaz des nouvelles constructions. Or, le gaz naturel n’est pas un mal nécessaire dans les bâtiments existants, et il l’est encore moins dans les nouvelles constructions.

La promotion de l’utilisation du gaz naturel dans la nouvelle construction par le gouvernement du Québec et par Hydro-Québec va complètement à l’encontre de la tendance mondiale qui est plutôt de bannir complètement ce combustible dans les nouveaux bâtiments. La ville de New York a récemment ajouté son nom à la liste des municipalités nord-américaines qui ont décidé de mettre un frein à cette hémorragie de GES. La France, la Suède, les Pays-Bas sont aussi d’autres exemples de juridictions qui ont proscrit l’utilisation de ce combustible dans les nouveaux bâtiments.

Par ailleurs, une compensation financière, indépendante des coûts associés au projet, est prévue entre Hydro-Québec et Énergir. D’ici 2050, ce sont près de 2,4 milliards de dollars qu’Hydro-Québec verserait à Énergir, afin de compenser ses pertes de revenus. Selon l’entente, les deux monopoles planifient de convertir à la biénergie les clients d’Énergir sur une période de 15 ans, en installant des systèmes de chauffage dont la durée de vie utile est aussi de 15 ans, et sans doute beaucoup plus.

Ainsi, c’est en 2050 qu’Hydro-Québec finirait de compenser Énergir pour les pertes de revenus des derniers clients convertis à la biénergie en 2036. Ce montant revient à faire payer des sommes faramineuses aux clients d’Hydro-Québec (consommant déjà une électricité renouvelable faible en carbone) pour subventionner une partie de la consommation de gaz naturel d’origine fossile: un non-sens.
 

Une compensation financière outrageuse

En effet, nous évaluons qu’environ 13,5 millions de tonnes de CO2 seraient évitées d’ici 2050 avec ce projet. Ce qui revient à dire que la contribution d’Hydro-Québec à Énergir pour ses pertes de revenus équivaudrait en moyenne à environ 180 $ pour chaque tonne de CO2 évitée, de 2022 à 2050 inclusivement. Cette somme taxe artificiellement, et de façon démesurée, le coût réel de décarbonation des équipements de chauffage, qui est bien moindre. Par exemple, le coût de revient de la tonne de CO2 de Chauffez Vert, un programme visant des objectifs similaires, est de 15,60 $ la tonne de CO2. Celui d’Écoperformance est de 37,80 $ par tonne de CO2.

Ce paiement pour pertes de revenus va à l’encontre du principe du pollueur-payeur pourtant enchâssé dans la Loi sur le développement durable. Il n’est pas plus approprié de compenser Énergir pour ses pertes de revenus que de compenser les pétrolières pour chaque recharge de véhicules électriques.

En favorisant seulement une décarbonation partielle des bâtiments en recourant à la biénergie en tant que solution permanente, Hydro-Québec et Énergir proposent une mesure qui ouvre la porte à la pérennisation et l’extension de la distribution par Énergir de l’hydrocarbure qu’est le gaz fossile produit par fracturation.
 

* Une version précédente de ce texte a été diffusée sous forme de lettre ouverte. Les huit groupes membres du ROEÉ, ainsi que Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie chez Greenpeace Canada, Éric Pineault, professeur à l’Institut des sciences de l’environnement de l’UQAM, Laure Waridel, écosociologue et mère au front, et plusieurs autres signataires avaient cosigné cette lettre ouverte.

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Source: Lire l'article complet de L'aut'journal

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