L’allocation des ressources dédiées à la lutte contre ce qui était désigné sous le terme technique de “terrorisme international” ou la “guerre globale contre la terreur” ou d’une façon plus caricaturale “la guerre sans fin contre la terreur”(1998-2015) à la lutte contre ce qui est désormais désigné comme “des menaces informationnelles”, “la désinformation en ligne”, les “agents de Moscou et de Beijing” sur les réseaux sociaux à 100% US, marque un tournant dangereux et confirme la hiérarchie ordonnée des thématiques imposées aux Etats. Cette évolution ou plutôt dévolution est d’autant plus dangereuse qu’elle vise à assimiler de facto la blogosphère alternative, la dissidence électronique, l’opinion contraire de simples internautes exprimée sur les réseaux sociaux ou sur les fils de commentaires ouverts des médias dits dominants comme des actes terroristes et hostiles dans l’acception militaire du terme.
Après les mythes et autres légendes urbaines d’Al-Zarkaoui & co., justifiant un budget défense aux proportions astronomiques dont une large part se perd dans les méandres d’une corruption légale bénéficiant à des entités privées, c’est au tour du commentateur internet lambda d’être ciblé par la machine de guerre impériale.
Pour assurer le contrôle de l’espace médiatique et cybernétique, Raytheon a développé un système de surveillance des ressources internet et des médias sociaux. Baptisé Multimedia Monitoring system ou M3S, ce produit du complexe militaro-industriel est actuellement en usage dans des pays de l’Otan, du Moyen-Orient et par des opérateurs privés, dont des multinationales liées à la communauté du renseignement et les sociétés de mercenaires.
Le coût d’acquisition de ce produit dépasse la somme de 5 millions de dollars US et est réservée aux pays et entités alliés de Washington. Ce système traque, cherche, collecte, traduit et analyse tout contenu texte, audio, vidéo et autre sur n’importe quel réseau social, média ou autre ressources dans plus de 40 langues. Une de ses caractéristiques est le ciblage socio-démographique de l’audience, le ton des publications (une vingtaine de start-up travaillent sous des contrats divers avec le complexe militaro-industriel pour déterminer le ton de ou des auteurs de contenu sur le net) mais également les métadonnées, (géolocalisation, identité des auteurs, leurs adresses, emails, numéro de téléphone fixe et mobile, leurs CV, leurs biographies, l’historique de leurs déplacements, transactions bancaires, etc.)
L’intelligence artificielle de ce programme permet de détecter toute publication considérée comme “subversive”, “dangereuse”, “susceptible de causer un préjudice” ou “à contenu non autorisé” et permet à l’utilisateur étatique contrôlant l’espace médiatique de neutraliser le dit contenu du cyberespace en déclenchant une procédure légale en informant le gouvernement de l’Etat dont l’auteur de la publication porte la nationalité ainsi que l’Etat où il dispose d’une résidence ou d’intérêts privés. La procédure vise à la fois à éliminer la “menace informationnelle” à la source en bloquant son ou ses auteurs tout en les présentant comme de potentiels criminels. D’autres options incluent le blocage des sites jugés non conformes des sites d’hébergement, le dénigrement de leurs auteurs auprès de leurs employeurs et sur le Net. Ces dernières méthodes prouvent que les concepteurs de cet outil savent que le discours dissident ou critique émane dans une majorité de cas de simples particuliers n’ayant aucun lien avec les ressources bien réelles de cyberguerre ou de guerre psychologique développés par un nombre croissant d’Etats dans le monde.
Le produit contient également une porte dérobée (backdoor) dans sa version portable (APK sous Google Android) directement liée à la communauté du renseignement US. La tendance actuelle en matière de censure sur le net est la transposition du modèle allemand, l’un des plus restrictifs au monde quand il s’agit de discuter l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale, même au niveau académique, sur les réseaux sociaux et les médias internet, à l’ensemble de la planète sous couvert de lutte contre la désinformation en ligne et la propagande ennemie.
Sous ce régime de surveillance, tout citoyen, peu importe sa nationalité ou ses origines, est à priori un criminel de la pensée et même un terroriste ayant le même statut d’ennemi non combattant que les prisonniers de Guantanamo Bay.
Quand un régime devient trop idéologique et dogmatique, il glisse toujours vers une forme de totalitarisme. Celui-ci n’est jamais assumé. L’affaire Assange a démontré que la liberté d’expression n’existe pas dans ce type de régime. Mais que faire des cohortes de mécontents, de lucides, de gens naturellement portés vers l’esprit critique, les personnes dont les principes sont opposés au système, les contestataires, les empêcheurs de tourner en rond, les râleurs? La réponse est simple: ils seront tous traités comme des terroristes et cela justifiera l’allocation de ressources sans fin pour le fonctionnement de la machine de guerre et donc d’un profit illimité pour l’oligarchie privée qui tire les ficelles des marionnettes au pouvoir.
L’heure est grave…
Image d’illustration: M3S (Droits: Raytheon Intelligence and Space)
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