Mati (pseudo) est une consacrée d’origine française qui vit dans le désert du Sahara depuis 22 ans. Dr Ciriaco Piccirillo, lui, est un immunologue qui habite en plein centre urbain montréalais. Si rien ne semble réunir leurs vies, elles trouvent pourtant un point de convergence : le silence intérieur et l’accueil du prochain, vécus à la suite de Charles de Foucauld, canonisé ce 15 mai.
Le muézine fait retentir sa voix, il fait encore nuit. C’est l’appel à la prière pour les musulmans. La journée de Mati commence, pour elle aussi, par un temps de recueillement, à l’écoute de l’évangile.
Juste à côté de chez elle se trouve le premier ermitage de Charles de Foucauld, transformé en chapelle. Il attire les pèlerins et les curieux. Elle aime y passer de longs moments.
À l’époque, le saint avait érigé sa maison avec de la terre, dans le paysage de huttes en jonc de Tamanrasset, où vivaient alors 42 habitants. La ville moderne du Sahara en compte aujourd’hui une centaine de milliers.
L’exil de Mati pour le Sud algérien lui vient d’un appel, reçu il y a 40 ans, à rejoindre les Petites Sœurs du Sacré-Cœur, une communauté née dans le cœur de Charles de Foucauld. La communauté, fondée en 1933, répondait au désir de ce dernier de mener une vie centrée sur la prière, mais au milieu de gens avec une foi différente de la sienne.
« C’est la première congrégation qui est née après la mort de Charles de Foucauld en 1916. Il voulait fonder des petits lieux de prière, des fraternités qui partagent la vie des gens de contrées isolées. Son intuition profonde était de crier l’Évangile par sa façon de vivre, pour que les actes parlent plus fort que les mots. Il en avait écrit les règles. Mais de son vivant, personne n’est venu, sauf un frère qui n’a pas tenu le coup. »
L’appel du silence
Si Ciriaco a vécu un pèlerinage à Tamanrasset et est encore marqué par la rencontre de ce peuple « extraordinairement chaleureux », c’est au Québec qu’il a connu le saint ermite.
Le professeur de l’université McGill s’inspire de son parcours spirituel depuis 30 ans au sein de la fraternité séculière Charles de Foucauld. Il en est le responsable actuel pour l’Amérique du Nord. Cette famille spirituelle rassemble des laïcs, des religieux et des prêtres et a comme but de vivre le charisme du frère Charles dans les divers états de vie.
L’amour du silence, caractéristique de la vie du saint, il l’éprouve d’abord dans son rôle de sacristain à l’adolescence. Les samedis soir à l’église sont calmes, peu de fidèles pratiquent dans la pénombre. « C’est là que j’ai développé mes premiers contacts avec un Dieu intérieur. Avant ça, je croyais en un Dieu lointain de Noël et de Pâques », me confie Ciriaco.
Puis, dans les boites d’une librairie de livres usagés, il tombe sur le livre Charles de Foucauld, aujourd’hui. C’est un moment décisif dans sa vie. « Le livre m’a couté 99 cents, mais c’est un investissement qui m’a été rendu au centuple », me dit-il à la blague.
La rencontre d’un prêtre âgé, qui incarne tout ce qu’il a lu dans le livre par sa manière d’être, confirme son désir de se mettre à l’école spirituelle de l’ermite du Sahara. « À travers lui, je voyais un Jésus qui me plaisait beaucoup, un Dieu de proximité qui se faisait profondément solidaire, aimant et qui m’a accueilli inconditionnellement. Cet homme-là avait fondé toute son existence autour de la spiritualité du frère Charles. »
Hamdoulilah
À Tamnarasset, Mati partage son quotidien avec une autre sœur. Elles célèbrent chaque soir l’eucharistie avec les Petits Frères établis tout près. Quelques migrants y participent le vendredi. La plupart d’entre eux sont de passage, sans papiers, en provenance d’Afrique subsaharienne et en quête d’un sort meilleur.
Viennent aussi parfois certains touristes algériens, curieux. « Dans l’esprit des Algériens, Charles de Foucauld était considéré comme un espion. Mais ceux qui le découvrent à travers nous découvrent un autre visage. »
Cette année, le ramadan et le carême se chevauchaient au calendrier. Tous les soirs, Mati partageait le f’tour – repas de rupture du jeûne – avec les familles du voisinage. « Je rentre dans l’intimité des familles et elles sont très honorées. Elles sont heureuses qu’on partage cette fête même si on n’est pas musulmans. Elles reconnaissent que nous les aimons telles qu’elles sont. C’est beau parce qu’on peut vivre une communion de prière. »
Dans un contexte de pénurie d’huile et de semoule, aliments de base pour le peuple touarègue, Mati est édifiée par la confiance des familles éprouvées qu’elles côtoient.
« Ici, les gens répètent hamdoulilah – louange à Dieu. J’entends ça quotidiennement. J’ai des amies qui sont des femmes seules, en situation de précarité, et qui ont des enfants à nourrir. Elles disent : “Aujourd’hui, on a, on remercie Dieu et demain, Dieu donnera.”
Cette confiance est très importante pour moi, ça me façonne. Accueillir la souffrance, le manque ou la maladie très sereinement, ça, pour nous Européens, ce n’est pas si évident que ça. »
Le sacrement de la fraternité
– Et vous, Ciriaco, comment conciliez-vous la spiritualité d’un saint caché et oublié de tous avec le fait d’être un chercheur de renom et un enseignant dans une université prestigieuse ?
J’ose la question. Son attitude humble et bienveillante est une partie de la réponse.
Ciricao m’apprend que sa famille s’est exilée au Canada pour quitter les conditions précaires de l’Italie d’après-guerre. « Je n’oublierai jamais cet héritage de pauvreté que mes parents m’ont donné. Ce n’est pas seulement une pauvreté matérielle ; c’est un état intérieur qui m’a appris à relativiser qui j’étais par rapport à l’autre, puis par rapport à Dieu. »
« L’accueil de l’autre, c’est accueillir la personne telle qu’elle est et me faire accueillir pour ce que je suis, et non pour les titres et ce qu’on érige comme barrière ou carapace. Pour moi, ça fait partie de cette vie cachée. »
Ciriaco m’explique que sa porte est d’ailleurs toujours grande ouverte, au point qu’on a baptisé son bureau Le confessionnal. Des collègues viennent demander conseil, des étudiants se confient parfois sur la peur de l’échec, la pression de performance, l’angoisse de l’avenir. Un concierge marocain se présente tous les jours à 17 heures pour échanger avec lui.
« Pour moi, l’héritage premier du frère Charles, c’est qu’il nous aura appris le sens du mot frère. J’appelle cela le sacrement de la fraternité : cette mission d’être un frère inconditionnel, sans jugement, là où on est, dans les situations les plus difficiles, pour se faire un reflet de cette espérance qu’il est possible de se relever », me partage Ciriaco.
*
« On regarde souvent le Foucauld historique et mythique, l’homme qui a tout laissé pour affronter l’adversité du désert. C’est souvent l’image que nous en projetons. Mais son exemple n’est qu’un modèle d’incarnation qui peut facilement s’appliquer exactement là où on est. C’est ça, la spiritualité de Nazareth sur laquelle il a basé toute sa vie », pense l’immunologue.
C’est en plein milieu du désert urbain qu’est Montréal, où la sècheresse de la solitude se fait sentir, que Ciriaco veut vivre l’héritage universel du frère Charles : la relation.
Tout comme Mati qui, dans son exil au désert, n’a pas voulu fuir les gens. Bien au contraire, c’est pour s’approcher de cet autre qui l’édifie tous les jours et lui fait vivre cette parole du frère Charles : « C’est l’amour qui doit te recueillir en moi intérieurement, et non l’éloignement de mes enfants. Vois-moi en eux, vis près d’eux, perdu en Dieu. »
Pour aller plus loin :
Association Famille Spirituelle Charles de Foucauld
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Source : Lire l'article complet par Le Verbe
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