par Andrea Muratore.
Étrange troisième guerre mondiale, que celle redoutée comme non improbable par les dirigeants et les analystes du monde entier, si les deux principaux prétendants potentiels continuent à échanger entre eux la matière première la plus stratégique pour une guerre nucléaire, l’uranium. Étranges sanctions que celles des États-Unis, s’ils imposent un embargo à la Russie, là où Washington a obtenu l’indépendance et l’autosuffisance et oublie, les secteurs où Washington est le plus fragile. Mais la réaction de Moscou est également étrange, en acceptant cet échange.
La continuité des approvisionnements en uranium de la Russie vers les États-Unis est l’un des enjeux les moins connus de l’actuelle rivalité géostratégique entre Moscou et l’Occident, rivalité qui a dégénéré en une véritable guerre par procuration contre Vladimir Poutine avec le réarmement massif de l’Ukraine envahie. Washington a sanctionné le gaz, le pétrole, le charbon et d’autres matières premières d’origine russe, mais pas l’uranium qui est déterminant pour son industrie nucléaire civile et militaire.
En 2020, selon les derniers chiffres, les producteurs d’énergie nucléaire américains ont acheté 22 180 tonnes d’uranium. Comme le rapporte StartMag, « selon l’US Energy Information Administration, l’agence statistique et analytique du département américain de l’énergie, le pays importe 22% de son uranium du Canada et du Kazakhstan et 16% de Russie, suivis par l’Australie (11%), l’Ouzbékistan (8%) et la Namibie (5%). Les 14% restants proviennent des États-Unis eux-mêmes et de cinq autres pays. La part de la Russie dans l’offre d’uranium est donc plus importante que la production nationale états-unienne, et « la présence du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan, qui sont de proches alliés du Kremlin et fournissent ensemble aux États-Unis 46% de l’uranium dont ils ont besoin pour faire fonctionner leurs centrales, n’est pas moins significative ». Ces importations sont essentielles à la fois pour la fourniture d’un cinquième de l’électricité du pays et pour son programme nucléaire militaire.
Selon le sénateur républicain John Barrasso, les États-Unis dépenseront près d’un milliard de dollars en 2021 pour acheter de l’uranium russe. Selon M. Barrasso, ce chiffre pourrait atteindre 1,2 milliard de dollars cette année, et apparaît donc dérisoire sur le papier par rapport à la facture payée quotidiennement par les pays européens pour acheter du gaz et du pétrole russes, qui est équivalente au montant annuel dépensé par les États-Unis, mais pas moins stratégique. En mars, M. Barasso a lancé un projet de loi visant à interdire les importations en provenance de Russie, proposant plutôt de stimuler la production dans son État natal, le Wyoming. Cette perspective a alarmé les représentants des communautés indigènes locales, déjà menacées par l’extractivisme dans le passé, et s’étend à l’ensemble des pays alliés de Washington.
La Slovaquie, par exemple, comme le rapporte Euractiv, produit près de la moitié de son électricité grâce à ses deux centrales nucléaires qui comptent au total six réacteurs gérés, rappelle Formiche, « par la société TVEL, une filiale de l’entreprise publique russe Rosatom ». La Hongrie a également conclu des accords avec Rosatom pour la construction de centrales nucléaires. Du Moyen-Orient à l’Afrique, plusieurs États, de l’Arabie saoudite à l’Égypte, comptent sur la technologie nucléaire russe.
Le poids spécifique de ce milliard d’importations américaines est comparable à celui de la facture quotidienne de l’Europe. Ce qui montre la pertinence stratégique et la clairvoyance de Moscou qui domine ce marché, c’est le fait que la Russie est incontournable non seulement pour sa présence dans le secteur de l’extraction – détenant 6% des réserves mondiales – mais aussi pour la valeur ajoutée qu’elle peut apporter à l’enrichissement à faible coût de la matière première. La Russie est la nation qui possède la plus grande capacité d’enrichissement, avec quelque 43% de la capacité d’exploitation mondiale en sa possession selon l’Association nucléaire mondiale : plus que la France, l’Allemagne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni réunis.
Une fois de plus, la mondialisation et la recherche du moindre coût dans les processus industriels ont impacté les États-Unis sur un matériau stratégique, ce qui implique que si les sanctions devaient être amplifiées, l’arme de l’arrêt des exportations d’uranium serait une contre-mesure qui ne pourrait faire que le bonheur de la Russie. Cela affecterait à la fois la capacité de production d’électricité des États-Unis ET leur système nucléaire militaire, compte tenu des conséquences sur la production de plutonium. Le fait même que les sanctions sur les exportations d’uranium n’aient pas encore été imposées par la Russie indique qu’une étape importante vers le chaos dans les relations bilatérales n’a pas encore été franchie. Et c’est une bonne nouvelle : un cas rare d’interdépendance industrielle et commerciale capable d’endiguer le chaos géopolitique. Mais on ne sait pas combien de temps cela va durer, dans une phase d’escalade continue.
source : Inside Over
via Strategika
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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