par Stratediplo.
« Buvons un coup, buvons-en deux, à la santé des amoureux » dit une vieille chanson.
Le plus vieux voisin étatique de la France, et son plus vieil ennemi, se rappelle opportunément à son bon souvenir.
Le 4 mai 2022, à l’occasion du quarantième anniversaire de la perte du Sheffield, la commission de défense du Parlement britannique a demandé l’ouverture d’une enquête judiciaire, et donc ensuite d’un procès, contre le gouvernement français. Le Parlement britannique accuse la France, et entend l’en condamner, d’avoir caché à l’Angleterre l’existence d’un système secret de désarmement à distance des missiles Exocet. Un tel système, que le pays réputé pour sa perfidie installe secrètement sur les armes qu’il exporte, lui permet ensuite de désarmer à volonté ses clients, si les armes qu’il lui a vendues sont utilisées contre une cible qu’il désapprouve. La révélation de son hypothétique existence sur les armes françaises serait certes une belle victoire de la part d’un fournisseur d’armement concurrent, mais même la création d’un doute à ce sujet, et sa diffusion auprès des clients potentiels de l’industrie d’armement français, est déjà un coup grave que le gouvernement français ne devrait pas laisser sans réponse.
Évidemment, si les ingénieurs anglais avaient découvert quelque chose au cours de leurs quarante ans de dissection fébrile dudit missile très largement vendu y compris à des alliés proches de l’Angleterre, les parlementaires d’outre-Manche n’auraient pas besoin d’une nouvelle enquête. Quant aux clients de la France, ils ont certainement été rassurés en 1986, lorsque deux avions français ont affronté, au-dessus de la Méditerranée, deux avions libyens du même modèle. Il s’écoulerait encore trente ans avant que le gouvernement français refuse subitement, sur pressions inamicales et juridiquement infondées, de livrer le Sébastopol et le Vladivostok vendus, construits et encaissés. Nonobstant, le lancement d’une controverse politique aujourd’hui ne cherche pas à obtenir des aveux mensongers mais à mettre le gouvernement français en difficulté. Les accusations anglaises (voire, par imitation, étatsuniennes) de déloyauté voire de trahison française envers une proclamée dûe solidarité atlantiste apparaissent régulièrement, y compris préventivement, chaque fois qu’un gouvernement anglais (ou, désormais, allié) veut pousser le gouvernement français à donner des gages et soutenir une initiative stratégique illicite, comme en 1995, 1998, 2003 ou 2015.
En 1982 tout aurait dû pousser la France à s’opposer à l’action dans l’Atlantique sud de son allié de l’Atlantique nord, même si elle n’était pas signataire, au contraire des États-Unis, du Traité Interaméricain d’Assistance Réciproque. Car non seulement il s’agissait de pérenniser une violation flagrante du droit international, mais de plus envers un pays qui tenait ses droits de la France. L’Angleterre a forgé son prétexte en Géorgie du Sud en signifiant l’injonction au ferrailleur privé Davidoff, titulaire d’une concession britannique en bonne et dûe forme, d’y abandonner ses employés (accusés d’avoir hissé un drapeau argentin le 19 avril), et en signifiant l’interdiction à l’Argentine de secourir ses ressortissants ainsi abandonnés. Puis elle a formellement déclaré la guerre à l’Argentine les 20, 23 et 26 mars et proclamé une « zone d’interdiction maritime » sur le plateau continental argentin, conduisant l’Argentine à reprendre le 2 avril les îles Malouines sans oublier bien sûr de secourir ses ressortissants sur les îles Géorgie du Sud, actions annoncées le 1er avril au Conseil de Sécurité de l’ONU en vertu de la légitime défense selon l’article 51 de la Charte des Nations unies.
L’accusation britannique contre la France aujourd’hui omet que celle-ci s’était alors (à tort) explicitement rangée du côté anglais, en prenant des mesures coercitives contre l’Argentine et en votant le 3 avril la résolution 502 du Conseil de sécurité accusant l’Argentine d’agression. Le gouvernement français est même allé bien plus loin, en offrant le lendemain à la marine anglaise en partance la possibilité de s’entraîner à contrer des attaques de Super Etendard et de Mirage III (identiques à ceux vendus à l’Argentine), simulées par l’armée de l’air française. Et il a même trahi son client et allié argentin, d’abord en révélant à l’Angleterre les quantités de missiles livrés, puis en retirant à l’Argentine le service après-vente acheté avec les missiles, ne maintenant que le service des avions tout juste arrivés. Il est vrai que, d’après une révélation ultérieure du président Mitterrand, la première ministre anglaise l’avait menacé d’utiliser des armes nucléaires (tactiques suppose-t-on) contre l’Argentine en cas de neutralité de la France.
Le rangement de la France aux côtés du Royaume-Uni était pourtant une grande faute juridique et historique. Au-delà des nombreuses revendications de découverte non prouvées ni suivies de peuplement, le premier texte interétatique traitant de la souveraineté sur les îles Malouines étant le traité de cession de la France à l’Espagne de 1761, contesté ni à l’époque ni depuis lors, il emporte antériorité. En 1816, les pays qui ont reconnu l’indépendance des Provinces-Unies (proclamée en 1810) leur ont reconnu les limites territoriales de l’ancienne vice-royauté espagnole du Río de la Plata. Ce fut en particulier le cas du Royaume-Uni, qui non seulement reconnut le nouvel Etat dans ces limites territoriales, incluant donc les archipels de l’Atlantique Sud et plus particulièrement les Malouines objet du traité franco-espagnol de 1761, mais joua même de sa puissance pour obliger l’Espagne à faire de même. L’Angleterre prit possession de fait des Malouines en janvier 1833, profitant de la déportation de la population un mois plus tôt par la marine étatsunienne (en réaction à l’arraisonnement par le gouverneur local Louis Vernet d’un bateau boucanier étatsunien coupable de pillage), et elle proclama alors sa souveraineté sur la base de la première occupation d’une « terre non habitée », un mensonge grotesque proféré dans le port d’un village où il restait certainement des animaux domestiques dans les enclos et des casseroles pleines sur les cuisinières.
Plus récemment, la France, pourtant donc à l’origine de la souveraineté argentine sur l’archipel des Malouines (certes pas pour les Géorgie et Sandwich du Sud), a encore renié l’histoire et le droit en acceptant l’incorporation des îles à l’Union européenne (traité constitutionnel) en tant que territoire d’outre-mer britannique. Puis elle a autorisé un simulacre de légitimation démocratique de l’annexion anglaise, par le referendum de mars 2013, en contradiction du droit international qui refuse l’autodétermination aux populations installées après déportation ou extemination d’une population antérieure. Cette acceptation par le gouvernement français d’une insulte grossière au droit international contraste singulièrement avec son refus par avance de reconnaître le résultat du vrai referendum d’autodétermination de la Crimée (conforme au droit international et même à la jurisprudence de la Cour Internationale de Justice), exactement un an plus tard. Il est donc particulièrement vicieux d’accuser la France de n’avoir pas soutenu la Grande-Bretagne en 1982, alors qu’au contraire elle a lourdement, constamment et injustement soutenu l’occupation illicite des Malouines.
Au moment où la France s’apprête à passer à la phase militaire d’une guerre qu’elle a déclarée il y a huit ans à son plus vieil allié, le rappel de son plus vieil ennemi tombe à pic pour rafraîchir sa mémoire historique du dernier millénaire. Depuis le 19 mai 1051, date de l’alliance scellée par l’union d’Henri 1er (petit-fils d’Hugues Capet) et Anne Yaroslavna (petite-fille de Saint Vladimir), la France et la Russie ont été très rarement en guerre, et assez brièvement. Depuis le 14 octobre 1066, date de la défaite des Saxons des Angles par le duc Guillaume de Normandie, la France et l’Angleterre n’ont jamais été en paix, sauf à nommer ainsi les périodes de guerre froide plus courtes que les deux guerres de Cent Ans.
L’Angleterre trouve opportun de faire le procès de la position de la France pendant la guerre de l’Atlantique Sud (dite « des Malouines » par ceux qui veulent occulter qu’elle fut déclarée en mars en Géorgie du Sud), quarante ans plus tard. Or en 1982, cela faisait aussi guère plus de quarante ans que la France avait été perfidement attaquée par l’Angleterre officiellement alliée. Pour mémoire, le 2 juillet 1940 l’Angleterre a arraisonné et capturé les navires français présents dans ses ports, hors d’atteinte de la flotte allemande. Le lendemain à Mers el-Kébir, le vice-amiral Gensoul a fait dire au premier ministre Churchill qu’une attaque anglaise contre l’escadre française serait considérée comme une déclaration de guerre. Albion a pourtant coulé la flotte française (que l’armistice franco-allemand entendait désarmer dans ses ports d’attache), et lorsque le gouvernement anglais l’annonça à son parlement il fut acclamé par les députés, ce qui provoqua une vague d’amertume en France. La guerre avec l’Allemagne, déclarée par la France le 3 septembre 1939, a été close par la signature du traité de paix du 12 septembre 1990. La guerre avec l’Angleterre, déclarée par celle-ci le 3 juillet 1940, est sauf erreur toujours ouverte.
Comme dit la vieille chanson, « et merde pour le roi d’Angleterre, qui nous a déclaré la guerre ! »
source : Stratediplo
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