par Edouard Bizimana.
Dans un monde qui devient de plus en plus interdépendant il semble que l’intégration régionale s’avère être une voie privilégiée pour faire face à pas mal de défis issus de la mondialisation.
Cela est d’autant vrai car il est actuellement impossible de vivre en autarcie au risque de se retrouver mis au ban des progrès qu’apporte la mondialisation. À noter que cette dernière n’apporte pas que des bienfaits mais aussi des défis dont la solution ne peut être que globale. L’intégration de la République démocratique du Congo (RDC) répond à cette logique et la rapidité avec laquelle le processus d’intégration de la RDC à cette Сommunauté semble prouver que les autres membres de la Сommunauté ont bien compris cela à l’avance.
Le défi sécuritaire doit être pris au sérieux pour permettre aux populations congolaises de vivre dans la paix et ainsi tirer profit des immenses richesses dont regorgent leur pays et les pays de la région. L’intégration régionale doit favoriser la paix car aucune intégration, aucun développement ne peut être envisagé sans un climat de paix. Il faut noter que l’existence des projets communs entre le Burundi, le Rwanda et la RDC dans le cadre de la Communauté économique des États des Grands Lacs (CEPGL) est un facteur important qui a motivé le soutien des trois pays à l’initiative congolaise.
L’intégration de la RDC à la Communauté Est-Africaine (CEA/EAC) fait de cet espace géographique un creuset d’opportunités pour le développement non seulement pour la communauté mais aussi pour tout le continent africain. Cela dépendra bien entendu de la façon dont cet espace parviendra à s’imposer comme modèle. Au niveau géographique l’espace communautaire s’étend de l’océan Indien à l’océan Atlantique avec une population de 285 millions d’habitants. Cela fait de cet espace un acteur et un marché très important non seulement pour le continent africain mais aussi pour le monde entier.
Les opportunités disponibles dans la région ne manqueront pas d’aiguiser les appétits des puissances occidentales qui depuis des siècles s’intéressent à la région. La communauté devra tenir compte de cela car l’accès aux ressources disponibles dans le monde peut provoquer des heurts s’il n’y a pas de stratégie claire pour favoriser une coopération gagnant-gagnant. Les conditions dans lesquelles vit la population congolaise contrastent avec l’abondance des ressources naturelles stratégiques disponibles dans ce pays.
La RDC constitue un marché de 100 millions de consommateurs qui s’ajoute millions à celui de 185 que comptait l’espace avant l’entrée de la RDC à l’EAC. Au marché congolais s’ajouteront sans doute d’autres consommateurs des autres pays limitrophes de la RDC : Gabon, RCA, Zambie, Angola, Congo qui ne sont pas membres de la communauté. Cela signifie aussi qu’il faudrait prendre en compte les défis qui accompagnent les contacts humains pour éviter que les autres membres de la communauté en soient victimes.
La RDC elle-même connait une situation sécuritaire très préoccupante depuis des années qui a entrainé la mort des milliers de personnes et des destructions incommensurables. Cela a poussé les Nations unies à y envoyer des troupes pour sécuriser le pays mais plus de vingt ans après l’insécurité y règne toujours. La partie Est de la RDC constituée du Sud et Nord Kivu est en proie à la violence causée par une multitude de groupes armés qui y font la loi. La plupart de ces groupes armés viennent des pays étrangers qui utilisent le territoire congolais comme base arrière pour attaquer leurs pays d’origine. D’autres groupes armés sont congolais qui ont toujours voulu s’émanciper du pouvoir central de Kinshasa. Il y a même des groupes armés qui sont à la solde des pays étrangers et qui sont soutenus par ces pays pour faciliter l’exploitation illégale des ressources congolaises.
L’existence des zones grises sur le territoire congolais, des territoires où l’administration centrale de Kinshasa est totalement absente fait que les groupes rebelles s’y engouffrent pour combler le vide laissé par le pouvoir central. Cela fait que les populations de ces zones sont victimes d’abus de tout genre : massacres, tortures, viols, vols, pillages, etc. L’instauration du régime de l’état d’urgence dans cette partie du pays, qui vient épauler les Casques bleus de la Mission des Nations unies au Congo (Monusco) ne parvient toujours pas à éradiquer la violence.
Le défi est de taille et c’est pour cela que les chefs d’États de la Communauté prennent au sérieux cet aspect en témoignent les conclusions du denier conclave des 5 chefs d’États qui vient de se tenir à Nairobi le 21 avril 2022. En effet, les chefs d’États présents à ce conclave ont décidé de mettre en place une force d’intervention militaire qui sera chargée de traquer et anéantir les groupes rebelles qui n’auront pas déposé les armes. II semble que certains chefs d’États membres de la communauté ne sont pas tout à fait d’accord vu qu’ils ne se sont pas déplacés pour participer au conclave. Certains sont même accusés publiquement de soutenir tel ou tel groupe rebelle qui combat le pouvoir central de Kinshasa. Les discours du président congolais ne laissent aucun doute sur cette collusion. L’alliance entre les gouvernements congolais et ougandais pour combattre les rebelles ougandais opérant en RDC n’a pas été bien appréciée par certains voisins qui trouvent que cette alliance peut perturber leurs plans en RDC. Ce climat de suspicion entre les membres de la Communauté n’est pas de nature à favoriser une intégration régionale réussie.
Même si les membres de la Communauté Est-Africaine affichent un semblant de consensus sur l’entrée de la RDC dans la communauté, il reste possible que chacun a ses propres calculs qui risquent de fausser la marche commune. La paix reste I’une des attentes principales de la population congolaise longtemps meurtrie par les conflits dans cette région. Si cette intégration ne ramène pas la paix dans cette région, la population ne pourra en aucun cas profiter de ce nouveau cadre de coopération régionale. De même, les autres membres de la Communauté ne pourront pas profiter des potentialités disponibles en RDC si l’impératif sécuritaire n’est pas satisfait. Un autre défi de taille reste le développement des infrastructures routières, ferroviaires et lacustres pour une meilleure connectivité entre régions elles-mêmes d’une part et la connectivité entre les régions et les capitales où se trouve le marché important de consommation, d’autre part.
Ce défi ne concerne pas le seul Congo mais aussi d’autres pays membres de la Communauté. Il semble cependant que le problème est plus accru au Congo et cela å cause de l’immensité du territoire congolais. Les routes sont presque impraticables et cela rend très difficile l’acheminement des produits agricoles et d’autres ressources vers les marchés ou centres urbains. Cela fait que les produits pourrissent dans les champs alors que les villes en ont besoin. Cela pousse le pays à importer des produits à des prix élevés alors que les mêmes produits sont disponibles dans certaines régions du pays.
Le riz produit dans la région de l’Équateur pourrit dans les stocks alors que la capitale importe du riz pakistanais ou chinois. Le désenclavement des régions en investissant dans la construction des infrastructures de transport est susceptible de contribuer à une meilleure intégration régionale et renforcer le commerce intracommunautaire.
N’eut-été l’impératif sécuritaire qui presse, l’intégration de la RDC au sein de la Communauté aurait dû se faire progressivement avec une période raisonnable pour que la population congolaise de l’Est soit imprégnée du bienfondé de ce mécanisme et ainsi susciter son adhésion totale. Après tout c’est cette partie de la RDC qui sera la première à bénéficier des retombées de cette intégration car elle est la plus proche des pays membres de l’EAC. Il n’est un secret pour personne que cette population a de forts ressentiments contre certains pays de la Communauté qu’elle accuse d’être la source de ses malheurs.
L’intégration de la RDC risque d’être perçue par cette partie du Congo comme une légitimation des actions illicites initiées par certains des États membres et surtout du soutien accordé aux groupes rebelles qui sèment la mort dans cette partie du territoire congolais. Si l’intégration de la RDC au sein de la Communauté Est-Africaine constitue l’étape cruciale pour le retour de la paix, on ne peut que s’en réjouir mais si cela n’aboutit pas à cet objectif de la paix, l’intégration risque d’être un désastre non seulement pour la RDC mais aussi pour tous les membres de la Communauté Est-Africaine.
La satisfaction des besoins vitaux des populations ainsi que l’ouverture de l’espace démocratique dans les pays de la région sont autant de facteurs susceptibles de contribuer à une intégration réussie de la région des grands lacs. Sans cela, certains pays risquent de se combattre sur le terrain congolais par rebelles interposés et cela hypothéquerait totalement l’avenir et les objectifs de l’intégration régionale.
Enfin il faut signaler que la seule solution militaire ne suffira jamais si elle ne s’accompagne pas d’autres éléments clés comme l’amélioration de la gouvernance économique, politique et démocratique, la disponibilité des services sociaux de base comme l’éducation, la santé, la présence de l’autorité de l’État et la création des opportunités économiques. La satisfaction de ces besoins permettra aux populations des 7 pays membres de se sentir fiers d’appartenir à une communauté partageant un même destin.
Edouard Bizimana, ambassadeur du Burundi en Russie
source : Observateur Continental
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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