par Fabrice Garniron.
Le manichéisme et la désinformation des médias face au confit en Ukraine nous ramènent quelques trente ans en arrière. Angélisation des uns et satanisation des autres, bourreaux sadiques d’un côté et victimes suppliciées de l’autre, soldatesque avide d’exactions barbares contre un peuple héroïque et soudé dans une même résistance : les ressemblances avec la guerre en Bosnie (1992-1995) sont flagrantes, pour ne pas dire aveuglantes. Dans l’actuelle mise en scène médiatique du conflit en Ukraine, on l’a compris, les Russes sont dans le rôle des méchants, rôle tenu à l’époque par les Serbes ; les Ukrainiens dans celui des gentils, rôle tenu alors par les Musulmans bosniaques. Quant à celui des médias, il consiste, aujourd’hui comme hier, à séparer le bon grain des gentils de l’ivraie des méchants pour décréter ce qu’il est convenable de penser. Un magistère moral des plus douteux, comme le montrera l’examen rapide des dérives médiatiques lors de la guerre en Bosnie.
Tout aussi frappante est la similitude des stratégies de Kiev et de Sarajevo. Kiev cherche, comme ce fut le cas des musulmans bosniaques, à soulever l’indignation de l’opinion occidentale. Ce qui, dans les deux cas, fait de cette opinion une cible prioritaire. Car une fois celle-ci mise en condition par des images dûment sélectionnées, son indignation devient un levier puissant, voire décisif. Il permet de faire pression sur les Etats de l’OTAN pour qu’ils s’engagent dans une intervention encore plus directe et massive. Dans cette perspective, le cynisme absolu des moyens est d’une importance toute secondaire, notamment pour ceux qui aiment tant se gargariser de leurs « valeurs ». Car en Bosnie comme en Ukraine ou ailleurs, seuls comptent l’objectif et le résultat : à savoir l’extension indéfinie, quel qu’en soit le prix, de l’influence économique, culturelle, politique, militaire et stratégique de l’hyper puissance. Or celle-ci, soutenue par ses vassaux européens, est prête à tout pour le rester et conserver son statut de « nation indispensable » autoproclamée pour diriger les affaires du monde. Autant d’analogies qui ont de quoi inquiéter quant à la fiabilité de la présentation médiatique des évènements en Ukraine.
Mensonges médiatiques
Mais revenons à la guerre de Bosnie pour ce bref bilan de l’« information ». D’emblée, on peut affirmer que les postures moralisatrices ayant ponctué le conflit ont dissimulé une pratique du mensonge qui a été ininterrompue et systématique. Avec un objectif pour le moins éloigné de la morale : falsifier la réalité bosniaque et « travailler » l’opinion jusqu’à ce qu’elle consente, voire exige, une intervention de l’OTAN contre les Serbes.
Sans prétendre faire ici une liste exhaustive des innombrables mensonges et omissions mensongères diffusés à l’époque par les médias occidentaux, nous nous limiterons à en citer les principaux.
Fut d’abord occultée la responsabilité des autorités musulmanes dans le déclenchement du conflit. L’accord de paix, qui avait été signé en mars 1992 par les représentants musulman, serbe et croate pour empêcher la guerre, a été déchiré par le représentant des Musulmans bosniaques une semaine après qu’il l’ait lui-même signé. La guerre commencera quelques jours plus tard, début avril 1992.
Signalons également que pour mieux accréditer la thèse d’un « génocide » commis par les Serbes, les médias trichèrent systématiquement sur le nombre des victimes, surévaluant grossièrement celui de victimes musulmanes et ignorant purement et simplement celui des victimes serbes. Les chiffres établis après-guerre confirmeront que ceux qu’ils donnèrent pendant le conflit n’étaient que pure propagande.
Rappelons encore que les médias ont fait croire que les Serbes avaient commis sur ordre de leurs autorités des dizaines de milliers de « viols systématiques » de femmes musulmanes. On saura ultérieurement que le nombre de témoignages sur lesquels ils se basaient ne dépassait pas une vingtaine de victimes qui, de plus, n’étaient pas toutes musulmanes mais aussi serbes et croates. Quant aux prétendues consignes de « viols systématiques » données aux combattants serbes par leurs chefs, on n’en a jamais vu la trace.
On se souvient également que lors de campagnes littéralement enragées, les médias occidentaux clamèrent d’une même voix que les Serbes étaient coupables du « retour du nazisme en Bosnie », alertant sur une prétendue « idéologie de la pureté raciale » des Serbes et le retour des « camps de la mort » en Bosnie. Huit ans après la fin de la guerre de Bosnie, en 2003, l’ancien président des musulmans bosniaques, Alija Izetbegovic, confessera à Bernard Kouchner, qui en fera part dans son livre « Guerriers de la paix », que c’était un mensonge qu’il avait lui-même répandu pour provoquer une intervention de l’OTAN.
Quant à Alija Izetbegovic lui-même, on se rappelle que les médias en firent le héros de « la Bosnie multiethnique ». Sauf que pour assurer le succès de cette campagne, il fallait impérativement dissimuler l’itinéraire politique de l’intéressé. Ce que les médias réussirent à la perfection : personne ne sut qu’Izetbegovic avait été pro nazi pendant la Seconde Guerre mondiale et qu’ensuite son engagement politique avait toujours été celui d’un fondamentaliste islamiste. Quant à un État commun des musulmans et des non-musulmans, non seulement il ne l’avait jamais envisagé mais il s’y opposait par principe. Il l’avait d’ailleurs lui-même exprimé sans la moindre ambiguïté dans un texte connu en ex-Yougoslavie depuis les années soixante-dix mais dont l’opinion occidentale n’entendit jamais parler par les médias : la Déclaration islamique.
Systématiquement occultés également furent les combats meurtriers qui eurent lieu lors de la chute de Srebrenica. Sans doute fallait-il, pour mieux accréditer là encore la thèse d’une intention et une extermination génocidaires serbes, évincer toute dimension militaire aux évènements.
Crimes bosniaques et complicité médiatique
Mais il y a plus grave. Il y a le silence protecteur et constant des médias autour de la stratégie du mensonge adoptée par Sarajevo comme par son complice et tuteur américain. Un jeu qui, en matière de machiavélisme, dépasse tout ce qu’on peut imaginer. Car on sait depuis longtemps que Sarajevo a eu systématiquement recours au stratagème consistant à commettre des carnages sur ceux qu’il était supposé protéger. Nul hasard donc dans le fait que ces tueries avaient lieu systématiquement aux moments où des réunions internationales de la CEE ou de l’ONU devaient décider d’éventuelles sanctions contre la Serbie et les Serbes de Bosnie. Celles-ci étaient invariablement prises sous la pression d’hécatombes qu’avec une parfaite unanimité les médias occidentaux attribuaient aux Serbes. Mais loin de se satisfaire de sanctions, les autorités musulmanes bosniaques poursuivaient un but autour duquel tournait toute leur politique : faire intervenir l’OTAN pour étendre leur contrôle à l’ensemble du territoire bosniaque. Allant très au-delà du cynisme classique, lot de tous les Etats, ce type de méthodes ne participe pas par hasard d’une gangstérisation de la vie politique internationale. Il est d’inspiration nazie. C’est en effet par une opération de ce type qu’Hitler a convaincu les Allemands d’attaquer la Pologne et de déclencher la Seconde Guerre Mondiale.
Le 31 août 1939 en effet, les services de Himmler simulèrent une attaque de la station radio allemande de Gleiwitz par des « Polonais », en fait des SS déguisés en Polonais, qui firent une déclaration incendiaire contre l’Allemagne en langue polonaise. Le stratagème permit de provoquer l’indignation des Allemands et de justifier l’agression de la Pologne vingt-quatre heures plus tard. Ce sont des méthodes de ce genre qui furent adoptées par les autorités de Sarajevo. Sauf qu’à quelques exceptions près, les médias occidentaux ne les dénoncèrent jamais alors qu’ils en étaient parfaitement informés. Comme le dit l’adage, qui ne dit mot consent, au point de devenir complice.
C’est dès le début du conflit en mai 1992 que cette stratégie de Sarajevo est mise en application. Cependant, quelques mois plus tard, elle est dénoncée et prouvée dans un rapport de l’ONU qui filtrera en août 1992 dans le quotidien britannique, The Independant. Se fondant sur ce rapport, le quotidien écrira qu’il « s’agit d’une manœuvre afin de gagner la sympathie du monde et de forcer une intervention internationale ». Un rapport qu’en France, personne n’ignorait et qui fut d’ailleurs évoqué sans être contesté, en particulier par Le Monde, qui s’empressera ultérieurement de n’en tenir aucun compte. Fondé sur une enquête balistique des forces onusiennes basée à Sarajevo, ce rapport ne laissait aucun doute sur l’origine de nombreux tirs meurtriers qui, outre les habitants de Sarajevo, visaient non moins délibérément les soldats de l’ONU. Plusieurs dizaines d’entre eux furent ainsi abattus par des snipers musulmans bosniaques.
On prend la mesure de l’impressionnant cynisme des médias et de leur efficacité dans la manipulation quand on se souvient de la réaction de ces derniers lors des massacres postérieurs à la publication de ce rapport de l’ONU. En effet, alors qu’ils étaient alors parfaitement au courant des pratiques criminelles de Sarajevo, les médias n’en tinrent aucun compte lors des hécatombes ultérieures. Celles-ci furent ainsi suivies des mêmes accusations médiatiques sans preuve, des mêmes appels à une intervention de l’OTAN contre les Serbes, suivis à nouveau d’autres enquêtes onusiennes désignant les mêmes coupables : les forces musulmanes de Sarajevo. Il est donc parfaitement clair que les médias occidentaux ont choisi délibérément l’omerta sur ces machinations criminelles, apportant aux autorités musulmanes un soutien aussi indéfectible qu’hypocrite, jusqu’à s’en faire les complices. Avec ce que cela entrainait inévitablement : la réédition des mêmes carnages, leurs auteurs étant sûrs d’un silence médiatique leur assurant l’impunité.
a) Le siège de Sarajevo
Le siège de Sarajevo lui-même sera l’objet de la même omerta et de la même hypocrisie. Car c’est seulement après la fin du conflit en 1995 que les médias s’autoriseront, soutien tacite à Sarajevo oblige, à reconnaitre que les forces musulmanes empêchaient manu militari les habitants de sortir de la ville entre 1992 et 1995, ce que les Serbes, tout en encerclant effectivement Sarajevo, ne cherchaient nullement à faire. Un scandale tel qu’un diplomate britannique aussi peu suspect de sympathies pro serbes que Lord Owen, qui représentait l’Europe à la conférence pour la paix en Yougoslavie, évoquera même « un double siège » dans son livre Balkans Odyssey. Si l’opinion avait entendu parler du premier siège, incontestablement dû aux Serbes, personne jusque-là n’avait entendu parler du second, dû aux forces musulmanes. Le secret avait été soigneusement gardé par les médias pendant toute la durée des hostilités.
Lord Owen évoquera également les snipers musulmans bosniaques qui tiraient sur leur propre population pour en accuser les Serbes. Et aussi les mises en scènes consistant, par exemple, à tirer au mortier sur les lignes serbes depuis un hôpital de Sarajevo puis à rapidement convoquer les journalistes pour qu’ils assistent au tir de réplique. Ces derniers étant dans l’ignorance de ce qui avait précédé, ils alertaient ensuite l’opinion occidentale sur la cruauté des Serbes qui n’hésitaient pas à tirer gratuitement sur les hôpitaux.
b) Srebrenica
Le machiavélisme des autorités de Sarajevo a sans doute atteint un sommet avec la chute de Srebrenica en juillet 1995. Pour en prendre la mesure, il faut d’abord savoir que, contrairement au récit médiatique, les Serbes n’avaient ni l’intention ni les forces nécessaires pour prendre la ville. Et surtout, ils savaient que, sous férule américaine, les musulmans de Sarajevo et les Serbes étaient d’accord pour échanger les enclaves de Srebrenica et de Zepa contre les quartiers sous contrôle serbe de Sarajevo. Ce que confirmera la suite des évènements. Mais les autorités musulmanes ne souhaitaient aucunement que cet échange de territoires donne lieu à un accord en bonne et due forme avec les Serbes. Car celui-ci, en mettant fin à la guerre, aurait inévitablement laissé intacte l’armée des Serbes de Bosnie. Ce qui aurait inévitablement compromis ce qui était le but cardinal des musulmans de Bosnie depuis le début des hostilités : faire en sorte que l’intervention de l’OTAN détruise l’armée des Serbes de Bosnie, objectif que Sarajevo ne pouvait atteindre avec ses seules forces. Sauf que pour parvenir à cette intervention, il fallait que le départ des civils et des forces armées de Srebrenica se fassent dans les pires conditions, drame indispensable pour que l’intervention de l’OTAN apparaisse comme une opération humanitaire et se voit ainsi justifiée. Comme on le sait, les médias occidentaux se chargèrent diligemment de cette partie du scénario. C’est donc sur ordre de Sarajevo, et non pas poussée par les Serbes, que la population civile de Srebrenica évacua la ville vers la base de l’ONU à quatre kilomètres de là. Quant aux quelques 10 000 hommes de la 28e division musulmane qui étaient dans Srebrenica et presque tous armés, ils avaient ordre de sortir de la ville en une colonne militaire pour rejoindre les territoires sous contrôle de Sarajevo. La sortie de cette colonne armée, donna lieu à des combats qui firent de nombreux morts, mais aussi à de nombreuses exécutions sommaires commises par les Serbes de Bosnie.
Plusieurs sources d’origines différentes confirmeront le cynisme absolu des autorités de Sarajevo qui, pour qu’intervienne l’OTAN, mettaient délibérément la population de Srebrenica et ses forces armées dans cette situation. Outre le rapport de l’ONU de 1999, outre l’intervention de personnalités musulmane de Bosnie dénonçant à Sarajevo même la machination de Sarajevo, il y a les dépositions de militaires, d’enquêteurs, d’hommes politiques, généralement fort peu suspects de sympathies pro serbes, devant la Mission d’information de l’Assemblée nationale sur Srebrenica entre 2000 et 2001. Citons celle du général Morillon, qui appartenait aux forces onusiennes en Bosnie : « Izetbegovic a tendu un piège aux Serbes (…) pour provoquer l’intervention internationale. C’est Sarajevo qui a provoqué le drame ».
Faut-il préciser que la place médiatique de ces révélations fut infinitésimale, quand elles furent évoquées. Et près de trente ans après les faits, l’implication des autorités de Sarajevo dans le drame reste un secret des plus protégés. D’autant plus que révéler les faits fragiliserait ce qui devenue la thèse officielle, celle d’un « génocide » commis à Srebrenica par les Serbes de Bosnie. Pour faire prospérer cette thèse auprès de l’opinion, il s’imposait en effet de cacher que la totalité de la population civile avait été évacuée et qu’un accord de cessez-le-feu entre les chefs locaux serbes et musulmans avait été conclu. Il permit à la majeure partie des hommes de la colonne militaire de l’armée bosniaque de passer, avec leurs armes, la ligne de front.
Marioupol, Boutcha, Kramatorsk : crimes russes ou désinformation ?
Si la désinformation médiatique durant la guerre de Bosnie est un cas inédit par la somme de mensonges accumulés et leur durée de vie après les évènements, elle n’est bien entendu pas un cas unique. La désinformation en direction de l’opinion occidentale a joué un rôle déterminant aussi bien dans la destruction de la Serbie lors de la guerre du Kosovo, que de l’Irak, de la Libye ou de la Syrie.
Un passé aussi riche en mensonges, manipulations et complicités avec des machinations criminelles invite naturellement à poser la question : assiste-t-on avec l’Ukraine à la réédition des scénarios précédents ? À l’évidence oui, tant s’accumulent les indices d’une nouvelle « information Potemkine ». Entretenant le mythe d’une information impartiale, elle obtient le consensus indispensable à l’OTAN et à ses vassaux pour poursuivre en Ukraine leur confrontation avec la Russie. Nous avons à faire ici, encore une fois, à un système dont le journaliste n’est qu’un rouage plus ou moins conscient, mais qui en revanche sait toujours fort bien ce qu’il risque à dévier de la ligne définie par sa hiérarchie. Le résultat est une « fabrique du consensus », qu’on l’appelle bourrage de crâne ou propagande. Examinons- en quelques aspects depuis le début de la guerre en Ukraine.
Alors que se prolonge l’intervention russe, les médias évoquent des localités où les forces russes auraient, par pur sadisme, tiré par sur des cibles ne présentant pas d’intérêt militaire. Elles auraient même commis des « crimes de masse », voire un « génocide » sur l’ensemble du territoire ukrainien.
En mars dernier, par exemple, on prétend qu’à Marioupol, les Russes et leurs alliés auraient commis un crime de guerre en visant une maternité et le théâtre. L’hypothèse que ces lieux pourraient avoir été des positions de tir de l’armée ukrainienne n’a, semble-t-il, pas effleuré les auteurs des comptes-rendus. Étonnante omission quand chacun sait que les immeubles d’habitation de Marioupol, lorsqu’ils présentaient un quelconque intérêt militaire, ont été systématiquement investis par l’armée ukrainienne, obligeant manu militari leurs habitants à les abandonner. Pourquoi ces soldats, saisis d’une prévenance soudaine, auraient-ils hésité à se servir d’infrastructures civiles comme postes de tirs si elles offraient un quelconque intérêt militaire ? Question interdite à l’heure de la mobilisation générale contre la Russie.
Mieux, l’embrigadement des esprits semble même être parvenu à éradiquer jusqu’à la réalité d’une guerre de l’information. Évoquer cette évidence aurait sans doute le tort de rappeler qu’il n’y a pas un, mais deux protagonistes susceptibles de mentir. Rappel qui ne manquerait pas de poser la question de la fiabilité de la communication de Kiev. Chose bien sûr inconcevable quand seul le Kremlin est supposé désinformer et manipuler.
Impensable donc que ces infrastructures civiles, même dénués d’utilité militaire, puissent présenter un intérêt dans le cadre d’une guerre de l’information puisque cette dernière n’existe pas. Chacun sait pourtant qu’une fois rendus publics, les bombardements sur ces lieux discréditent à coup sûr leurs auteurs, réels ou supposés, et personne n’ignore qu’en période de guerre, faire passer l’ennemi pour barbare est des plus utile. Surtout qu’en l’occurrence, cela augmente la pression publique en faveur d’une intervention internationale plus forte encore en faveur de Kiev. Mais, nous l’avons vu, cet aspect de la stratégie de Kiev n’est pas supposé exister.
Quant à la possibilité que telle ou telle infrastructure puisse avoir été détruite délibérément par les Ukrainiens pour en accuser les Russes, comme c’est de toute évidence le cas du théâtre de Marioupol, elle relève naturellement des hypothèses strictement prohibées. En satanisant les uns et en angélisant les autres, on interdit, en les discréditant par avance, les questions gênantes et des enquêtes qui risqueraient de l’être encore plus.
S’agissant du missile tombé sur la gare de Kramatorsk, qui a tué plusieurs dizaines de personnes, une question qui devrait être posée ne le sera pas : comment faut-il interpréter cette inscription en russe « pour les enfants » que chacun s’accorde à avoir vue sur les débris du missile ? Nouveau prodige de l’information, on arrive à faire croire que les Russes auraient tiré sur des civils un missile tout en s’auto accusant de ce crime de guerre. La version médiatique se résume à une thèse aussi simple que douteuse : les Russes sont coupables puisque l’inscription est en russe. Faut-il préciser que personne n’a eu le mauvais esprit d’émettre l’hypothèse que ça pourrait aussi bien être l’inverse, à savoir que cette inscription en russe pouvait avoir pour but d’accuser les Russes d’un crime qu’ils n’ont pas commis ?
Mêmes interrogations à propos de Boutcha. Les forces russes ont quitté le 30 mars cette commune de la grande banlieue de Kiev. Or c’est seulement le 2 avril que les médias alertent sur la présence de cadavres dans les rues. Entretemps, le 31 mars, une vidéo montre le maire de Boutcha se réjouir du départ des Russes. Dans cette intervention incontestablement joyeuse, à aucun moment il n’évoque le massacre qui est supposé avoir déjà eu lieu. Comment pourrait-il n’en rien savoir alors que les Russes sont partis depuis 24 heures et que des dizaines cadavres sont supposés joncher les rues de sa commune ? Et surtout pourquoi les Russes laisseraient-ils bien visibles dans les rues les dizaines de cadavres de ceux qu’ils sont supposés avoir tués ? Encore un scénario peu vraisemblable, mais diffusé comme avéré sans la moindre enquête.
À suivre les comptes-rendus médiatiques, les forces ukrainiennes ne sont jamais coupables d’exactions, que ce soit envers les prisonniers russes, ou envers ceux des Ukrainiens n’ayant pas à l’égard des Russes l’animosité entretenue par Kiev. Alors que se multiplient des vidéos accusatrices de terribles exactions ukrainiennes, la question n’est pas même abordée. On sait, par exemple, que juste après le départ des forces russes, a eu lieu à Boutcha une opération des forces spéciales ukrainiennes. Le ton haineux des médias de Kiev, qui s’est félicitée d’« une opération de nettoyage des saboteurs et complices de la Russie », a pourtant de quoi inquiéter. Qu’est-il advenu des dits « saboteurs » et « complices de la Russie » ? Leur sort ne semble pas préoccuper les médias occidentaux. À l’évidence, l’inquiétude médiatique autour des victimes est balisée par l’indignation sélective : seules les victimes ayant la bonne carte d’identité sont dignes d’intérêt.
Tout indique donc que nous sommes en présence en Ukraine d’une réédition du scénario bosniaque. Du côté de Kiev, il s’agit par tous les moyens de discréditer l’ennemi pour obtenir une intervention plus massive et plus directe des Occidentaux, quitte à recourir aux pires manipulations. Du côté des médias des États de l’OTAN, il s’agit de couvrir les crimes et les machinations des protégés de l’OTAN, donc de prendre pour argent comptant la propagande de Kiev et de « travailler » l’opinion pour qu’elle consente à adhérer à la politique des États otaniens. Comme quoi la désinformation, c’est aussi la guerre par d’autres moyens. Disposant du « monopole du discours légitime », la machine médiatique tourne à plein régime. Distordant la réalité, elle entretient les mythes belligènes, flatte la propension de l’opinion au manichéisme, répand le mensonge et distille la haine. Bref, elle fournit aux fauteurs de guerre otaniens le combustible psychologique indispensable pour une guerre inexpiable.
Mais en Ukraine, à la différence de la guerre de Bosnie, quatre puissances nucléaires sont au bord d’un affrontement direct. C’est donc vers une guerre générale que pousse aujourd’hui la machine médiatique. Devenue somnambule par ses soins, l’opinion est prête à franchir de nouveaux pas vers un affrontement plus direct encore. Plus grave, les chefs d’État occidentaux eux-mêmes semblent croire aux mensonges de leur propre propagande. Imprégnés des mythes russophobes, ils paraissent imbus jusqu’à l’absurde de leur foi en leur supériorité morale et civilisationnelle. Et, suprême certitude d’affrontement, ils veulent imposer à la Russie ce qu’ils ne voudraient pas se voir imposer par qui que ce soit. Ils trouvent normal que l’OTAN soit aux portes de la Russie. Mais aucun n’accepterait qu’une alliance militaire dominée par la Russie dispose ses missiles à leurs frontières. On l’a vu à Cuba en 1962. Ils trouvent légitime d’intervenir à des milliers de kilomètres de leurs frontières pour faire, disaient-ils, respecter le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, comme au Kosovo. Mais ce principe ne vaut plus rien quand la Russie l’applique en Crimée ou au Donbass. Ils trouvent normal que les États-Unis interviennent à des milliers de kilomètres de leurs frontières au nom de leur sécurité. Mais s’insurgent quand la Russie se soucie de la sienne à ses frontières. Plusieurs concepteurs et artisans de la stratégie étatsunienne que l’on peut ranger parmi les faucons de la politique étrangère américaine, comme Georges Kennan, Zbignew Brezinski ou Henry Kissinger, avaient mis en garde contre les risques de guerre qu’entrainerait une politique étrangère ne tenant pas compte des intérêts légitimes de la Russie. En particulier, en étendant l’OTAN à l’Ukraine. C’est précisément celle qui est actuellement conduite par les États-Unis suivis, par leurs vassaux européens. Comment alors l’appeler autrement qu’extrémiste et insensée ?
Plus d’un siècle après la Première Guerre Mondiale, plus de 80 ans après le début de la Seconde Guerre Mondiale, le monde se trouve à nouveau au bord de l’abime, entrainé vers le pire par un État qui refuse de perdre son statut d’hyperpuissance.
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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