par Ramzy Baroud.
La rencontre entre le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov et le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi dans la ville de Huangshan, dans l’est de la Chine le 30 mars, devrait rester dans l’histoire comme un évènement décisif dans les relations entre les deux géants asiatiques.
Cette rencontre n’était pas seulement importante en raison du moment choisi ou du fait qu’il réaffirmait les liens de plus en plus forts entre Moscou et Pékin, mais aussi en raison du discours politique résolu repris par les deux hauts diplomates.
Il n’y avait pas de place pour l’ambiguïté à Huangshan. Lavrov a parlé d’un nouvel « ordre mondial », arguant que le monde « vivait désormais une étape très grave de l’histoire des relations internationales », une référence à l’escalade du conflit Russie-Ukraine/OTAN. « Nous, avec vous [la Chine] et avec nos sympathisants », a ajouté Lavrov avec assurance, « nous nous dirigerons vers un ordre mondial multipolaire, juste et démocratique ».
Pour sa part, Wang Yi a rappelé très précisément la position de son pays concernant ses relations avec la Russie et l’Occident, en reprenant certains des mots et expressions qui ont été utilisés lors de la rencontre du 4 février entre le président russe Vladimir Poutine et son homologue chinois, Xi Jinping. « La coopération sino-russe n’a pas de limites… Notre lutte pour la paix n’a pas de limites, notre maintien de la sécurité n’a pas de limites, notre opposition à l’hégémonie n’a pas de limites », a déclaré M. Wang.
Ceux qui suivent l’évolution du discours politique russo-chinois – avant même le déclenchement de la guerre russo-ukrainienne le 24 février – remarqueront que le vocabulaire employé ne fait plus référence à conflit régional, mais à la réorganisation des affaires mondiales.
Bien que la volonté de lutter contre l’hégémonie occidentale dirigée par les États-Unis soit inhérente aux objectifs politiques des deux pays, Moscou et Pékin ont rarement avancé comme c’est le cas aujourd’hui, dans la contestation de la domination occidentale.
Le fait que la Chine ait refusé de s’aligner sur les sanctions économiques occidentales, de condamner ou d’isoler la Russie, est révélateur d’une politique chinoise clairement tournée vers l’avenir.
De plus, Pékin et Moscou ne font pas dépendre leurs relations futures du seul résultat de la guerre en Ukraine. Ce qu’ils s’activent à réaliser est une stratégie politique à long terme qui, espèrent-ils, mènera finalement à un monde multipolaire.
Les motivations de la Russie pour ce changement de paradigme tant souhaité sont évidentes : résister à l’expansion de l’OTAN vers l’Est, se réaffirmer en tant que puissance mondiale, et se libérer de l’héritage humiliant de l’ex-Union soviétique. La Chine, elle aussi, a un programme régional et mondial.
Bien que ses ambitions soient en partie liées à différentes sphères géopolitiques – les mers de Chine méridionale et orientale et la région indo-pacifique – une grande partie de la liste des griefs et des priorités de Pékin se recoupe avec celle de Moscou.
Outre les intérêts économiques directs entre la Russie et la Chine, qui partagent des marchés massifs et en croissance, elles sont chacune confrontées à des défis similaires.
Tous deux, par exemple, espèrent obtenir un meilleur accès aux voies navigables et écarter les avancées militaires américano-occidentales le long de certaines des routes commerciales les plus importantes du monde.
Il n’est donc pas surprenant que l’une des principales priorités stratégiques de la Russie depuis sa guerre avec l’Ukraine soit d’améliorer son accès à la mer Noire, une plaque tournante commerciale majeure avec un pourcentage important du commerce mondial, en particulier pour le blé et d’autres denrées alimentaires de première importance.
Comme la Russie, la Chine s’efforce également d’échapper à l’hégémonie militaire américaine, en particulier dans la région indo-pacifique. L’augmentation exponentielle du budget militaire chinois – qui devrait augmenter de 7,1% en 2022 – témoigne de la façon dont la Chine envisage son rôle dans les affaires mondiales, aujourd’hui et à l’avenir.
La guerre commerciale des États-Unis contre la Chine, qui a été accélérée par l’ancien président américain Donald Trump, a clairement rappelé à Pékin que la puissance économique mondiale ne peut être garantie que par une puissance militaire équivalente.
Cette prise de conscience explique la décision de la Chine d’ouvrir sa première base militaire à l’étranger en 2017 à Djibouti, dans la très stratégique Corne de l’Afrique, ainsi que les mouvements militaires de Pékin dans les trois îles artificielles de la mer de Chine méridionale, et son dernier accord militaire avec les îles Salomon, un gouvernement des îles du Pacifique Sud.
Alors que les motivations russes et chinoises, telles qu’énoncées par les hauts responsables des deux côtés, sont claires – « se diriger vers un ordre mondial multipolaire » – les États-Unis et leurs alliés ne sont pas vraiment guidés par une doctrine politique spécifique et visionnaire, comme c’était souvent le cas cas dans le passé.
Washington vise simplement à contenir les deux puissances montantes, comme indiqué dans la stratégie de défense nationale (NDS) 2022 qui n’a pas encore été officiellement publiée, selon laquelle « la menace multi-domaine croissante posée par la [République populaire de Chine] » est le principal défi aux intérêts américains, suivi par les « menaces aiguës » posées par la Russie.
Compte tenu des intérêts complexes de la Russie et de la Chine et du fait que les deux pays sont confrontés à un ennemi commun, il est probable que la guerre en Ukraine ne soit qu’un prélude à un conflit de longue durée qui se traduira par des pressions économiques, politiques et diplomatiques, et peut-être même par une guerre ouverte.
Bien qu’il soit prématuré de parler avec certitude de l’avenir de ce conflit à l’échelle mondiale, il ne fait aucun doute que nous vivons maintenant dans une nouvelle ère au niveau international, une ère qui est fondamentalement différente des décennies qui ont suivi la dissolution de l’Union soviétique en décembre 1991.
Il est également vrai que nous savons maintenant que la Chine et la Russie seront des acteurs importants dans la formation de cet avenir, ce qui pourrait en effet nous éloigner de l’hégémonie occidentale des États-Unis et « vers un ordre mondial multipolaire ».
source : Chronique de Palestine
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