En Europe la diplomatie apparait avec les citées-états de la Grèce Antique. Elle va prospérer et, en France, elle se formalise à la fin du XVIIe siècle. Pendant trois siècles notre diplomatie a donc été l’outil essentiel pour gérer – ou tenter de la faire – les relations avec les autres états du monde. Si les défaillances son patentes, la ligne générale tend quand même vers les guerres évitées, des vies sauvées. D’un trait de plume, qui n’est plus d’oie, Macron, comme s’ il avait honte de sa décision, vient juste entre les deux tours de la présidentielle, de supprimer le corps des diplomates. C’est vrai que ceux-ci étaient parfois rétifs et empêchaient que l’on nomme ses amis dans de confortables ambassades ou consulats.
Le lundi 18 avril 2022, le Journal Officiel de la République a publié le décret présidentiel scellant la disparition du « corps diplomatique » français. Certes, on était prévenu, mais il était difficile de croire que cela arriverait. C’est choquant en soi, sur le fond et sur la forme. Le fait qu’il ait été signé par Emmanuel Macron à quelques jours de la fin de son mandat et alors qu’il est candidat à la réélection, manque d’élégance et de finesse, pour ne pas dire de « légitimité ». Bien que l’on soit blasé, le passage au forcing d’un texte de cette importance, chargé d’une telle symbolique, fait mauvais effet. Il eût été bien venu que Monsieur Macron attende le résultat du second tour pour détruire une entité institutionnelle prestigieuse que beaucoup de pays nous enviaient. S’il n’est pas réélu, on pourrait dire au moins que cette précaution fair-play a sauvé notre diplomatie du naufrage : c’est bien ce dont il s’agit.
Une telle hâte paraît donc suspecte. Même si l’on considère, ce qu’à Dieu ne plaise, un mandat présidentiel comme un train électrique tiré de la hotte du Père Noël, il vaut mieux ne pas casser les accessoires les plus utiles et les moins coûteux. Après le Covid et l’Ukraine, ce serait de bonne guerre, si toutefois il est obligatoire de sauter d’une guerre à l’autre et à feu continu, afin de tenir la population en haleine et d’apparaître comme un « chef de guerre ». En tout état de cause, voilà détruit par surprise, ou sans surprise étant donné le genre de république qui est en marche, l’outil prestigieux que la France s’était donnée au cours des siècles passés afin de mettre en œuvre contre vents et marées une politique étrangère de « grande nation ». Avec ses fulgurances et malgré ses turpitudes (guerres coloniales par exemple), la France a eu longtemps assez de prestige et parfois de brio diplomatique pour être respectée en tant que « grande puissance », à laquelle on « pardonnait » plus qu’à d’autres.
Talleyrand, Vergennes, le Général De Gaulle et quelques ancêtres célèbres doivent se retourner dans leurs tombes, et il y a de quoi. Car, il faut bien le dire, les prétextes, les justifications, les tentatives d’explication qui fleurissent et vont partir dans tous les sens, font bon marché de l’utilité fondamentale de la diplomatie, en particulier en ces temps de folie, d’hystérie collective, de pensée unique et de lavage de cerveaux. Parmi les institutions vitales qu’un Etat moderne doit entretenir et soigner, dans un monde où les échanges de toute nature s’intensifient, où les crises et les conflits se multiplient, où les hégémonies sont remises en cause, on trouve en première ligne la diplomatie. Parmi les métiers de haute utilité, il y a sans conteste celui de diplomate, spécialement dans un pays bimillénaire comme la France, qui n’a rien d’une « start-up nation ». Ce n’est vraiment pas le moment de briser les cadres d’un appareil diplomatique qui est lui-même le fruit d’une longue tradition, au prétexte qu’il serait inadapté et inefficace tout en revenant cher.
Vous avez dit « inadapté, inefficace, sclérosé, corporatiste et frileux face au changement » ? Mais quelle institution, quelle organisation, quelle collectivité pourrait échapper à ces reproches ? Il est certes confortable de les prendre pour argent comptant, mais à y regarder de près, ils ne sont finalement pas très fondés, en particulier dans le cas du Quai d’Orsay. Celui-ci en effet s’est fort bien adapté à des bouleversements géopolitiques tels que la mondialisation, la pulsion européenne, la remise en question de l’hégémonie de l’Occident, et aux changements qui en sont la conséquence logique, c’est-à-dire la diversification de ses missions au-delà du politique, la coexistence interministérielle au sein des postes, la féminisation rapide et massive de son personnel….Tout ceci n’est pas rien, dans un contexte ingrat où ses moyens ont été réduits d’année en année.
En outre, contrairement aux idées reçues, l’administration des affaires étrangères n’est pas si coûteuse étant donné les enjeux dont elle est la gardienne. Elle compte 13600 fonctionnaires, dont 1800 diplomates proprement dit, la moitié (900 conseillers et ministres plénipotentiaires) formant « le corps diplomatique ». Elle a perdu plus de la moitié de ses effectifs en trente ans (dont le tiers durant la dernière décennie). Avec un budget total correspondant à 1% du budget de l’Etat, le dit Quai d’Orsay n’est pas celui qui revient le plus cher au quai de Bercy, qui a tendance à se prendre pour la France. La diplomatie française a pu « faire avec » ces restrictions et ces mutations internes ou externes. Ce dont elle a souffert bien davantage, ce sont les deux tabous que l’on hésite à pointer du doigt, car ils relèvent d’évolutions politiques inscrites sinon dans le vent de l’Histoire, du moins dans l’air du temps : la présidentialisation et l’européanisation.
La présidentialisation, symbole de l’ère gaullienne après les errances du parlementarisme de la Quatrième République, a permis une nouvelle résurrection dans les années 60 : l’indépendance nationale (face aux États-Unis en premier lieu), une certaine idée de la France et l’obsession de son « rang » dans le monde, avec sa force de frappe et son statut de membre permanent du Conseil de Sécurité, en seront les leitmotivs. L’envol d’une diplomatie brillante, innovante, décolonisatrice, ouverte au monde et porteuse d’une sorte de troisième voie entre l’Est et l’Ouest apparaîtra comme la projection visible de cette volonté de renouveau. Et un constat s’impose : cette diplomatie française a brillé de ses derniers feux au détour du siècle, après les attentats du 11 septembre, alors que Georges W. Bush s’apprêtait à envahir l’Irak en mars 2003. Les propos du Ministre des affaires étrangères de Jacques Chirac, Dominique de Villepin refusant de cautionner l’agression et menaçant l’Amérique d’un véto à tout projet de résolution du Conseil de Sécurité (en compagnie de l’Allemagne et de la Russie) resteront dans les annales. Mais ils ne serviront à rien, sinon à convaincre Washington de « punir la France », suscitant rapidement une « repentance » : Paris allait notamment se voir confier l’inextricable dossier syro-libanais…
Entre le vin et le camembert, les avions et les autos, le charme de l’accent français et Paris, etc…le French bashing battrait son plein plusieurs années, le temps pour la nation rebelle de se rapprocher de l’OTAN sûrement et à grands pas. A la fin du mandat de Jacques Chirac, le « pays des lumières » est quasiment « ré-otanisé » et rattrapé par une européanisation renforcée, prévue par le projet de traité constitutionnel de 2005. Certes la France, où le dit projet a été refusé par référendum, prend encore des libertés, mais la messe est dite. Ne reste plus qu’à le reconnaître officiellement.
C’est Nicolas Sarkozy (2007/2012) qui, faisant fi du « non » des Français, signe en décembre 2007 le traité européen de Lisbonne, et qui annonce triomphalement « le retour au bercail atlantique ». Il consacre ainsi la réduction de la diplomatie de la France à son minimum syndical. Il s’empêtre de façon peu honorable dans le dossier libyen après avoir accueilli à bras ouverts le campement de Kadhafi sur les pelouses de la république, et de façon déshonorante dans la guerre de Syrie à ses débuts, s’acharnant sur Bachar Al Assad après l’avoir invité à la fête nationale. Il sera de ces présidents peu avertis des choses de l’étranger qui prétendent avoir saisi en deux jours ce que les diplomates en poste ne comprendront jamais en plusieurs années. A-t-il un problème avec les Arabes (sauf les monarques) ? Il est ami d’Israël et l’affichera, y compris en recevant les ambassadeurs arabes. Il est visible qu’il a les arabisants, tenus pour pro-arabes, dans le collimateur.
La France, de retour à son bercail atlantique, otanesque et européen, devra dès lors s’aligner en toute circonstance sur l’Europe et sur les États-Unis, leader de la « communauté internationale » composée des trois membres permanents occidentaux du Conseil de Sécurité. Il faudra désormais une certaine imagination pour trouver de la diplomatie dans leurs discours, leur langage, leurs comportements…L’Occident n’a plus qu’une idée, qui est de mettre en place des sanctions, des blocus, des embargos, des mesures coercitives, plus illégales les unes que les autres, au nom de la fameuse et fumeuse responsabilité de protéger, du devoir de dire le droit, de défendre la justice, les droits de l’homme, les libertés. La France renonce à sa liberté d’action, et à une diplomatie indépendante. Adieu au gaullisme et au consensus qu’il recueillait au plan des affaires internationales.
François Hollande, son successeur (2012/2017), ne sera pas plus brillant, perdu sur le mauvais versant de l’histoire, dans la tempête des printemps arabes. La Syrie sera son champ de bataille, un champ qu’il souhaite à tout prix bombarder. Il gardera une rancune féroce contre Obama et sa décision de « ne pas avoir frappé » le pays de Bachar al Assad : les avions français n’étaient-ils pas prêts à décoller vers l’Orient, trop compliqué pour notre président anormalement normal et pour son ministre. Hollande sera aussi l’homme de l’engagement français au Mali et au Sahel, l’opération se traduisant, dix ans plus tard, par la demande de fermeture de l’ambassade de France à Bamako. Manifestement plus à l’aise sur la carte des rivalités et alliances du Parti Socialiste que sur le Grand Echiquier, ce président-là ne semble pas avoir eu une sympathie spéciale pour les diplomates et ses arabisants, ayant peut-être lui aussi un problème avec les Arabes. C’est un président qui résiste mieux aux intempéries du climat qu’aux imprévus du grand large international. Adieu à la diplomatie, gaulliste ou socialiste.
Enfin Emmanuel Macron vint, avec une pensée qu’il présentait lui-même comme complexe. On ne refera pas ici l’histoire diplomatique de son quinquennat. Sans gêne et donneur de leçons au Liban, peu instruit des problèmes du Moyen-Orient, décisifs pour un ordre mondial à venir, flagorneur et plein d’illusions à l’égard de l’Amérique, présomptueux face à la Russie et Vladimir Poutine, mal ou trop à l’aise en Afrique, il donne l’impression de chercher désespérément un conflit à régler. Mais il est perdu dans le vaste monde. Effectivement ce vaste monde est plein de conflits, mais depuis longtemps, on n’attend plus rien de la France et plus grand-chose de sa diplomatie, car elle n’a plus de diplomatie. En fait, Monsieur Macron rêve d’être à tout prix un chef de guerre. Elu en 2017, il a dû pourtant attendre mars 2020 pour annoncer que la France était en guerre contre une pandémie, et deux ans plus tard, en 2022, contre la Russie, en Ukraine. Encore deux mois plus tard, c’est le combat contre les ennemis intérieurs qu’il faut vaincre, museler et mettre hors d’état de nuire. L’étau se resserre. Sus à l’ennemi intérieur, qu’il voit partout dès qu’on donne une interprétation différente de la sienne.
Macron n’est finalement en paix et à l’aise qu’avec les Européens. Embrassades, congratulations, éclats de rire, discours enflammés, rien n’est trop beau pour ces gens qui nous ressemblent, qui s’assemblent et se rassemblent dans leur amour pour l’Amérique, sautant comme des cabris en criant « L’Europe, l’Europe puissance, la patrie commune, les ennemis communs, le fameux couple franco-allemand ». En résumé, ce qui est à moi est à toi : la force nucléaire, le siège permanent au Conseil de Sécurité, nos industries, nos fleurons…Le président décide seul, mettant la présidentialisation au service de l’européanisation et vice-versa. Pourquoi garder une diplomatie nationale, puisque nos partenaires européens et nos amis allemands rêvent de la faire à notre place, y compris à notre détriment, pour ne pas faire de chagrin à cet oncle Joe chenu, qui a amplement l’âge de guider le monde et de dire le droit, même de travers.
Un nouveau couple historique semble surgir entre Emmanuel et Ursula von der Layen, ex-ministre allemande et présidente de la Commission qui, en matière d’usurpation de pouvoirs, en prend à son aise : elle a décidé de gérer les données personnelles des Européens et les confie sans mandat aux officines étasuniennes, elle attise et arme la guerre de l’Europe contre la Russie, au service de l’Amérique, ouvrant les robinets au gaz de schiste et les vannes aux milliards de dollars qui le paieront. Tant pis pour l’avenir et la paix en Europe.
Et pourtant, nos données personnelles numériques ou autres ne regardent en rien le grand chef blanc, la guerre d’Ukraine n’est pas notre guerre, la Russie n’est pas notre ennemie, et qui ose affirmer que les États-Unis sont notre ami ? Ursula a décidé que les Européens devaient acheter le gaz de schiste venu d’outre-Atlantique (par mer ou par avion ?) afin de punir Poutine en snobant son gaz. Est-ce que c’est très intelligent ? De toute évidence, la réponse est non. L’avenir s’annonce dramatique, car une fois l’hystérie calmée, il faudra réinventer la relation avec les voisins dont nous avons fait des ennemis. Les puissances qui veulent compter ne liquident pas leur potentiel de négociation.
Mais Monsieur Macron n’écoute pas et regarde ailleurs, ne voyant plus le monde que par la lunette européenne ou atlantique, par les yeux d’Ursula, pour les beaux yeux d’Ursula. C’est très « people », mais comme il n’y a plus de diplomatie, il n’a plus besoin de diplomates empêcheurs de faire la guerre en rond. Il lui faut donc liquider, tant qu’il en est encore temps, le corps diplomatique français. CQFD. Comme l’écrit l’ancien patron du Quai d’Orsay Dominique de Villepin : « La suppression du corps diplomatique constitue une atteinte au rayonnement de la France et un facteur central d’affaiblissement de l’Etat (…) C’est pour la France une perte d’indépendance, une perte de compétence, une perte de mémoire qui pèseront lourd dans les années à venir, à l’heure de la recomposition du monde (…) »
Qu’importe. Que ne ferait-on pas pour cette Ursula énergique, volontaire et miraculeuse, qui marie avec tant de succès les cinquante étoiles des États-Unis et les vingt-sept de l’Europe sous la bannière de la « responsabilité de protéger » ?
Michel RIMBAUD
Ancien Ambassadeur .
Derniers ouvrages : » Tempête sur le grand Moyen-Orient, « Les guerres de Syrie », « Ces années Syriennes ».
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