La Cène est sans aucun doute l’un des passages du Nouveau Testament les plus significatifs et importants pour tous les chrétiens. L’appellation « Cène » vient du latin cena, qui signifie tout simplement repas du soir ou souper. C’est cet épisode, se déroulant au moment de la Pâque juive, qui a établi les bases liturgiques de la nouvelle religion chrétienne à naitre. En effet, le dernier repas que Jésus a partagé avec ses disciples est la genèse de l’eucharistie, qui est le point culminant de toute messe chrétienne. Nous vous proposons donc de découvrir, à l’aide de cinq œuvres artistiques, les principaux éléments de ce récit.
Léonard de Vinci (1452-1519), Ultima Cena, 1495-1498, fresque, réfectoire du couvent dominicain de Santa Maria delle Grazie, Milan, Italie.
Il est pratiquement impossible d’écrire sur le thème iconographique de la Cène sans parler de la fresque de Léonard de Vinci. L’œuvre est tellement connue que, pour la vaste majorité des Occidentaux, elle est la référence visuelle quand on évoque la Cène.
Il faut dire qu’une multitude de copies existent, la variété de celles-ci allant d’œuvres quasi contemporaines de l’originale, produites par des maitres italiens, aux souvenirs bas de gamme, version plastique brillant dans le noir. Cette diffusion mondiale est étonnante si l’on considère que l’œuvre est destinée, dans son contexte original, à un public très restreint. En effet, la célèbre fresque orne le réfectoire du couvent Santa Maria delle Grazie de Milan. Les éléments architecturaux présents en arrière-plan de la composition ont d’ailleurs pour but de donner l’illusion d’un prolongement de la salle du réfectoire.
De Vinci a choisi de peindre la réaction des disciples après que Jésus leur eut dit : « Amen, amen, je vous le dis : l’un de vous me livrera » (Jn 13, 21). Cela permet à l’artiste de représenter picturalement diverses émotions, comme la surprise, la colère et l’incrédulité. Les disciples sont peints par groupes de trois entourant un Jésus dont le visage est le point central de la fresque. De Vinci représente tous les participants du même côté de la table, face au spectateur, ce qui est une pratique courante pour l’époque. Cependant, il innove en intégrant Judas au groupe, alors que, traditionnellement, ce dernier est représenté à l’écart.
Fra Angelico (1395-1455), La communion des apôtres, 1440-1441, fresque, Musée national de San Marco, Florence, Italie.
Guido di Pietro, peintre natif de Florence, mieux connu sous son nom de religieux « Fra Angelico », est béatifié en 1982 par le pape Jean-Paul II en reconnaissance de sa vie exemplaire. La fresque que nous présentons ici fait partie d’un ensemble d’œuvres qu’il a réalisé pour décorer le monastère San Marco, aujourd’hui un musée, dans lequel il vivait. Le décor architectural de la fresque évoque d’ailleurs le monastère lui-même, comme si l’action de la scène représentée s’y déroulait. L’intérêt de cette œuvre réside dans le moment atypique de la Cène que l’artiste a choisi de représenter. En effet, une grande majorité des œuvres se concentrent plutôt sur le moment de l’institution de l’eucharistie précédant tout juste la scène ici représentée, c’est-à-dire la communion des apôtres.
Le Christ, facilement reconnaissable à son nimbe crucifère, prend ici les traits d’un prêtre tenant un calice et distribuant des hosties aux disciples. La table du repas évoque l’autel des églises, tandis que la composition générale rappelle évidemment la liturgie eucharistique d’une messe dominicale. Judas est discrètement représenté dans la scène parmi le groupe de disciples agenouillés. Il est aisément identifiable par son auréole noire qui diffère de celle des autres disciples, marquant ainsi sa trahison à venir et sa déchéance.
Fait également rare pour la thématique de la Cène, Fra Angelico a fait le choix de représenter la Vierge Marie, à l’avant-plan, sur la gauche de la composition.
Simon Fiodorovitch Ouchakov (1626-1686), Le souper mystique, icône sur bois, 17e siècle.
Célèbre peintre moscovite d’icônes, Ouchakov a travaillé pratiquement toute sa vie d’artiste pour la Chambre d’argent, l’atelier artistique du tsar de Russie. Ayant eu de nombreux apprentis, il a influencé durablement les iconographes qui lui ont succédé.
Contrairement aux usages de l’époque, voulant que l’iconographe doive uniquement peindre les icônes d’après les modèles anciens, Ouchakov invente de nouvelles compositions tout en conservant les bases du style russo-byzantin. Il participe ainsi à la création d’un nouveau style d’icônes dites « fryazh », influencé par la peinture occidentale et se voulant plus mimétique de la nature. L’icône du Souper mystique est représentative de ce nouveau style. Le Judas figuré en avant-plan en est l’élément le plus marquant. On sent bien que le traitre, qui tient la bourse contenant les pièces d’argent, est sur le point de quitter l’assemblée. Cette manière de représenter la scène se réfère à l’évangile de Jean : « Judas prit donc la bouchée, et sortit aussitôt » (Jn 13, 30). Ce mouvement dans la composition, obtenu par la torsion du corps de Judas, tranche grandement avec la tradition des représentations hiératiques typiques des icônes orthodoxes. L’ensemble des autres disciples et le Christ sont beaucoup plus stables, plus conformes à la tradition.
La présence d’écritures identifiant chacun des personnages est également un élément traditionnel, notamment les lettres IC / XC, pour Ἰησοῦς Χριστὸς, Jésus Christ.
Juan de Juanes (1507-1579), La première eucharistie, huile sur toile, Musée du Prado, Madrid, Espagne.
Peintre le plus important de l’école de Valence, de Juanes est une célébrité de son vivant, comme en témoigne son surnom de « second Raphaël ». L’influence italienne est très présente dans le corpus d’œuvres du peintre espagnol, exclusivement composé de sujets religieux.
La composition de La première eucharistie reprend l’ensemble des canons esthétiques italiens de la Renaissance. On y voit le Christ, tenant l’hostie élevée, qui est figuré en plein centre de la composition devant une fenêtre ouvrant sur un paysage lointain. On remarque également en arrière-plan des tentures de couleur verte entrouvertes, qui représentent symboliquement l’idée d’une vérité dévoilée. Comme dans le tableau de Léonard de Vinci, le Judas de Juanes est présent dans le groupe de disciples et non mis à l’écart. Il est cependant représenté de manière traditionnelle, sans auréole, et faisant dos au spectateur. La torsion de sa jambe signale qu’il est sur le point de quitter la tablée, emportant avec lui le sac de pièces d’argent qu’il tient fermement.
L’aiguière et la bassine en avant-plan de l’œuvre renvoient au lavement des pieds des disciples par Jésus, décrit dans l’évangile de Jean (13, 4-5). Cette référence est accentuée par le fait que tous les personnages sont pieds nus. De Juanes réussit donc à représenter sur la même composition l’ensemble du récit évangélique entourant la Cène, soit le lavement des pieds, l’annonce de la trahison de Judas et l’institution de l’eucharistie.
Fritz von Uhde (1848-1911), La dernière Cène, 1886, huile sur toile, Staatsgalerie, Stuttgart, Allemagne.
Petit-fils du directeur du Musée d’art de Dresde et fils d’un peintre amateur très impliqué dans l’Église luthérienne, Fritz von Uhde était généalogiquement destiné à devenir un artiste peignant des scènes religieuses !
Ce n’est cependant qu’après une carrière militaire, dont des années de service pendant la guerre franco-prussienne, que von Uhde entrera à l’Académie des beaux-arts de Munich. Il y sera par ailleurs l’un des premiers Allemands à peindre des scènes de genre en plein air. Cet intérêt pour la vie quotidienne et les gens ordinaires influencera également ses œuvres ayant pour thème les récits bibliques. Sa Dernière Cène nous présente des disciples et un Jésus pauvrement vêtus, attablés dans un intérieur sobre de la fin du 19e siècle. Cette façon de représenter le Christ parmi les ouvriers et les pauvres, dans un contexte moderne, est typique de l’œuvre de von Uhde. On lui reprochera d’ailleurs cette esthétique en l’accusant de désacraliser la figure du Christ.
Ici, c’est le siège vide de Judas en avant-plan, qui se trouve lui-même dans l’ombre en arrière-plan de la composition, qui nous permet d’identifier le moment que l’artiste a voulu représenter. Il s’agit des adieux que le Christ fait à ses disciples une fois le traitre sorti (Jn 15 et 16).
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Source : Lire l'article complet par Le Verbe
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