« Dans l’Ukraine post-Maïdan, on peut voir une anticipation du sort qui attend le reste de l’Europe, presque comme si l’Ukraine n’avait pas été seulement un laboratoire pour les révolutions de couleur, mais aussi un terrain d’essai pour le genre d’opération de guerre cognitive qui mènent à la destruction rapide de n’importe quel vestige de civilité, de logique et de rationalité existant encore en Occident.
La guerre cognitive intègre des capacités cybernétiques, éducationnelles, psychologiques et d’ingénierie sociale pour parvenir à ses buts. Les médias sociaux jouent un rôle central en tant que force démultiplicatrice et sont un outil puissant pour exploiter les émotions et renforcer les biais cognitifs. Un volume et une rapidité d’information sans précédent submergent les capacités cognitives individuelles et encouragent le « thinking fast », le « penser vite », (réflexivement et émotionnellement) par opposition à un « thinking slow », un « penser lentement » (rationnellement et judicieusement).
Les médias sociaux induisent aussi une approbation sociale, où les individus imitent et affirment les actions et les croyances des autres pour s’intégrer, créant ainsi des chambres de résonance au conformisme et à la pensée unique. Modeler les perceptions est la seule chose qui compte ; les opinions critiques, les vérités qui dérangent, les faits qui contredisent le narratif dominant doivent être supprimés en un clic ou en modifiant les algorithmes. »
• https://reseauinternational.net/guerre-dinformation-ou-guerre-cognitive
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par Lucien Cerise.
Depuis 2020 et le lancement du Great Reset sous couvert de « crise sanitaire », la notion d’ingénierie sociale connaît une certaine fortune pour décrire les phénomènes en cours. Une définition simple de l’ingénierie sociale est la transformation furtive des sujets sociaux, individus ou groupes. Cette définition fait la synthèse des deux ensembles méthodologiques qui charpentent la théorie et la pratique de l’ingénierie sociale : d’une part, la gestion des groupes, ou management, et d’autre part la sécurité de l’information – défense et attaque, espionnage et piratage. L’ingénierie sociale est une approche managériale du fait social, de type « conduite du changement », consistant à transformer la société, souvent de manière furtive, sans toujours demander le consentement éclairé des individus, ou par fabrication de leur consentement, « Engineering of Consent », selon la formule d’Edward Bernays. Au-delà de la manipulation de masse, dont l’impact est ponctuel, l’ingénierie sociale a une visée définitive. Les sciences du comportement et de l’influence du comportement sont mises au service d’un projet de réorganisation structurelle de la société, qui passe souvent par sa démolition contrôlée pour la reconstruire selon un nouveau plan. Tout comme certaines disciplines apparentées que sont l’ingénierie du bâtiment, l’ingénierie génétique, l’ingénierie informatique ou l’ingénierie financière, l’ingénierie sociale ne se contente pas de décrire théoriquement son objet, en l’occurrence le lien social, elle propose aussi des recettes pratiques pour agir dessus afin de modifier sa forme et sa nature. Ici réside la grande différence entre les sciences sociales, purement descriptives, et l’ingénierie sociale, non seulement prescriptive, mais aussi interventionniste. En ce sens, elle a fort à faire avec la « politique », cette vision volontariste et concrète de la vie en société, qui ne se contente pas de regarder ce qui se passe, mais qui cherche à agir matériellement et durablement, et au plus près des faits. Dans les limites de cet article, nous introduirons nos lecteurs à l’histoire de l’ingénierie sociale en l’adossant à deux grands concepts de philosophie politique : l’utopie et la ruse.
Brève histoire de l’utopie en politique
Le fil conducteur de la pensée utopiste est la notion d’idéal en politique – donc de société idéale. Le réel immanent, toujours imparfait, est comparé à un idéal de perfection transcendant, c’est-à-dire à distance, et qu’il faut atteindre, soit en le rejoignant dans l’au-delà après la mort, soit en le réalisant sur Terre. Cette dialectique de l’utopie et du réel est mise en scène par Saint-Augustin dans son œuvre majeure, « La Cité de Dieu », rédigée entre 416 et 423, dans laquelle il oppose la cité céleste idéale à la cité terrestre corrompue. Par définition, la cité céleste, dont les caractéristiques évoquent le paradis, n’est pas de ce monde. Bien qu’elle soit une source d’inspiration pour les hommes, la société idéale appartient dans la pensée augustinienne au registre métaphysique. De leur côté, les utopies matérialistes, qui visent une réalisation terrestre de l’idéal, présentent divers aspects plus ou moins mélangés : nostalgiques et conservateurs quand le modèle de société appartient à un passé révolu qu’il faudrait rétablir – d’où les mythes culturels du bon sauvage et de l’âge d’or édénique de la société organique et sans classes précédant la chute, la corruption, la marchandise, etc. – mais aussi des aspects révolutionnaires et progressistes, quand ce modèle idéal passé ou n’ayant encore jamais existé est projeté dans un avenir radieux à construire. La quête d’idéal entretient toujours l’espoir d’une « tabula rasa » sur l’existant, soit qu’on attende la fin des temps, et donc la fin du monde, pour qu’un autre monde advienne, soit qu’on décide d’accélérer l’Histoire pour faire « du passé, table rase » et réaliser le nouveau monde ici-bas. Cet espoir d’un grand recommencement est appelé aujourd’hui par les transhumanistes la Grande réinitialisation, ou Great Reset. Dans cette perspective eschatologique d’une temporalité orientée par un projet à réaliser, les récits utopistes métaphysiques s’en remettent à la foi dans le plan de Dieu, quand les matérialistes se tournent vers la raison humaine et soutiennent l’idée qu’il serait possible d’organiser scientifiquement la société, selon un plan quasi géométrique conçu pour fonctionner plus harmonieusement. En Occident, le premier grand texte utopiste matérialiste est La République de Platon, rédigé vers -315. Le deuxième grand texte qui vient immédiatement à l’esprit est « Utopia » de Thomas More, publié en 1516 et qui lance l’usage courant du terme utopie, signifiant « en aucun lieu ». La Renaissance est un jalon important de la pensée utopiste, mais c’est dans le sillage du socialisme au XIXe siècle que l’on voit apparaître les premières réalisations concrètes, avec les phalanstères de Charles Fourier et divers projets de vie communautaire inspirés par le positivisme, Saint-Simon et Auguste Comte. Le mathématicien et sociologue Adolphe Quetelet (1796-1874) créé vers 1830 le concept de « physique sociale », puis c’est le polytechnicien et ingénieur des mines Frédéric Le Play (1806-1882) qui pose la question d’une possible ingénierie de la société. Dans cette anthropologie commune au socialisme et au libéralisme, l’humain et le monde sont fondamentalement rationnels, ce qui tranche avec les mystères de la foi. Mais dans tous les cas, la perfection est accessible, soit qu’on y accède dans un autre monde, soit qu’on la réalise sur Terre, et l’esprit est dans une quête du « groupe fusionnel », il cherche à en finir une bonne fois pour toutes avec le Mal, les problèmes, la souffrance.
Cette tradition utopiste s’oppose à la tradition pragmatique et réaliste en politique, qui comme son nom l’indique, s’appuie d’abord sur une pratique concrète, et mesure la valeur de son action à son efficacité relative, sans la rapporter à un idéal inaccessible, mais en comparant des situations toujours contextuelles. Dans la Grande politique surhumaine de Friedrich Nietzsche, il n’y a pas de table rase sur le Mal, on accepte sa présence, il n’y a qu’un éternel recommencement, un Éternel retour du Bien comme du Mal. On doit à l’épistémologue Karl Popper d’avoir théorisé dans ses ouvrages des années 1950 la différence entre une ingénierie sociale utopiste et une ingénierie sociale pragmatique, ou contextuelle (Piecemeal Social Engineering). Dans les mêmes années, le régime d’apartheid d’Afrique du Sud décide d’appliquer concrètement l’ingénierie sociale pour organiser à travers le pays la ségrégation raciale entre les Blancs et les Noirs, dans un projet sincère de pacification des tensions identitaires qui aboutira exactement à l’inverse du but recherché. L’utopie transhumaniste en cours d’implémentation depuis 2020 sous le nom de Great Reset a également des conséquences catastrophiques et provoque, elle aussi, des réactions de rejet chez de nombreuses personnes. C’est justement pour surmonter les réticences naturelles venant de l’instinct de conservation que l’ingénierie sociale s’est dotée d’un outil conceptuel et méthodologique supplémentaire : la ruse.
Brève histoire de la ruse en politique
Un nom vient tout de suite à l’esprit quand on évoque la ruse en politique : Nicolas Machiavel, éminent représentant du courant réaliste et théoricien des « moyens extraordinaires ». En fait, la ruse est vieille comme le monde, on la rencontre déjà dans le règne animal, quand le prédateur avance, caché dans les hautes herbes, pour ne pas être vu de sa proie. Une expression populaire française parle d’agir avec « des ruses de Sioux », ce qui est synonyme de tromperie, dissimulation, duplicité, diversion, leurre, camouflage, stratagème, subterfuge et approche indirecte. Plusieurs mythologies ont inventé des figures archétypales de la ruse, notamment le panthéon nordique, avec le dieu Loki, et auparavant le grec avec le dieu Protée, capable de prendre toutes les formes, et la déesse Mètis. Dès l’Antiquité, un certain nombre de réflexions sur ces sujets apparaissent à peu près au même moment et dans plusieurs cultures, révélant une sorte de prise de conscience générale, un Zeitgeist mondial. Entre le VIIIe et le Ve siècle avant J.-C., l’esprit humain est mûr pour coucher par écrit un certain nombre de classiques philosophiques, littéraires et religieux accordant une place centrale à la ruse. En Chine, c’est L’art de la guerre, attribué à Sun-Tzu, compendium de diverses stratégies et tactiques militaires. En Grèce antique, Homère rédige L’Illiade et L’Odyssée, qui mettent en scène Ulysse, « l’homme aux mille tours », et le fameux « cheval de Troie », outil d’infiltration de l’ennemi, devenu partie intégrante du vocabulaire dans les milieux du hacking informatique. Au Proche-Orient, les premiers livres de la Bible sont rédigés. Dans les versets 20:10 et 20:11 du Deutéronome, les fondements de l’ingénierie sociale, au sens du piratage de l’esprit et de la pénétration furtive d’un système cible, sont exposés dans un style « biblique », lapidaire et lumineux : « 10. Quand tu t’approcheras d’une ville pour l’attaquer, tu lui offriras la paix. 11. Si elle accepte la paix et t’ouvre ses portes, tout le peuple qui s’y trouvera te sera tributaire et asservi. » La dialectique ouverture/fermeture et l’usurpation d’une identité pacifique permettant d’abuser de la confiance d’autrui pour lui faire ouvrir ses portes et baisser volontairement sa garde sont au cœur de la pratique du piratage du facteur humain. Quand la cible reste méfiante et fermée, on peut néanmoins la subjuguer après l’avoir encerclée et poussée à se rendre, comme le recommande encore le Deutéronome dans les versets suivants : « 12. Si elle n’accepte pas la paix avec toi et qu’elle veuille te faire la guerre, alors tu l’assiégeras. 13. Et après que l’Éternel, ton Dieu, l’aura livrée entre tes mains, tu en feras passer tous les mâles au fil de l’épée. » Organiser le siège de la cible pour la faire tomber est un exemple de stratégie indirecte moins coûteuse que l’attaque frontale. Transposée à l’époque moderne, dans les nouveaux milieux du pouvoir que sont le secteur tertiaire et sa bureaucratie, la pratique de l’assiègement s’appelle l’encerclement cognitif, à rapprocher du harcèlement psychologique mais en plus subtil, visant à marginaliser puis à exclure un adversaire de la guerre économique et informationnelle, théorisée en France notamment par Christian Harbulot et l’École de Guerre économique (EGE).
Depuis toujours, la guerre est psychologique, cognitive, culturelle et sémantique autant que physique et matérielle. Les Grecs et les Romains ont inventé la sophistique, la rhétorique, la démagogie et l’art de la persuasion, ce qu’on appelait naguère la propagande, renommée en contexte libéral « communication stratégique » et Storytelling, ou comment raconter des histoires qui mobilisent les émotions et construisent votre réalité, ce que Klaus Schwab et Thierry Malleret ont appelé The Great Narrative, le grand récit, dans leur suite au Great Reset (« Narratives shape our perceptions, which in turn form our realities and end up influencing our choices and actions. »). La réflexion sur l’art oratoire et les joutes verbales – et surtout comment les gagner coûte que coûte – aura une longue postérité. La scolastique chrétienne médiévale développera la casuistique, dont les Jésuites seront les maîtres, et qui deviendra synonyme de discussions oiseuses. Dans le même esprit, le judaïsme talmudique donnera naissance au pilpoul, exercice consistant à défendre des raisonnements spécieux jusqu’à l’absurde, l’important n’étant pas qu’ils soient vrais ou logiques mais seulement vraisemblables. Toutes les cultures et traditions ont théorisé leur propre version de la ruse en politique. L’islam n’est pas en reste et propose plusieurs stratégies de communication permettant aux musulmans prosélytes d’avancer masqués et de tromper les non-musulmans, ou kouffar, dans le cadre du djihad, la guerre d’expansion internationale de l’islam, un élément clé du Great Reset mondialiste (cf. Jacques Attali). La plus connue de ces techniques est la taqiyya, ou la simulation et la dissimulation des intentions, autorisée par le Coran (sourate 3:28) par prudence dans les relations avec les kouffar, mais aussi entre musulmans chiites et sunnites. Le second est la muruna, proche de la taqiyya, c’est-à-dire la flexibilité du comportement dans le djihad, autorisant les musulmans à s’écarter des préceptes coraniques, voire à les transgresser ostensiblement, pour donner le change. Deux autres concepts s’appliquent spécifiquement à la rhétorique : le kitman, ou le mensonge par omission, et la tawriya, ou comment tromper sans mentir, en jouant avec les doubles sens, les sous-entendus et les messages subliminaux qui passent en filigrane. Ces deux approches s’apparentent à la stéganographie, ou comment cacher un message dans un autre message, et au management des perceptions, c’est-à-dire comment mettre en relief ce qui m’arrange et passer sous silence ce qui ne va pas, ou à l’inverse, pour donner une mauvaise image, comment ne parler que des trains qui arrivent en retard et jamais de ceux qui arrivent à l’heure. Kitman et tawriya trouvent des applications politiques très concrètes en gestion de l’image et de la réputation, notamment en période électorale, par exemple dans les moyens de prolonger l’islamisation de la France en assurant la victoire d’Emmanuel Macron en 2022, sans jamais faire campagne ouvertement pour lui, et même en le critiquant, mais en critiquant encore plus durement ses concurrents qui risqueraient de mettre fin à l’islamisation s’ils arrivaient au pouvoir. L’essentiel du message doit être compris en creux, en négatif, dans ce qui n’est pas dit.
D’un point de vue général, la ruse en politique consiste à inverser l’impératif catégorique kantien et à considérer autrui comme un moyen. Ce réductionnisme instrumental dans le rapport à autrui est soutenu par la techno-science et le paradigme des sciences de l’information et de la communication qui émerge après la Deuxième Guerre mondiale et commence à façonner l’idéologie dominante et la vie privée. La cybernétique, discipline inventée dans les années 1940-1950 pour optimiser les calculs de balistique, propose une description du monde comme un ensemble de systèmes en interaction à piloter et réguler, et abolit sur les plans théorique et pratique la frontière entre sujet et objet, vivant et non-vivant, donc cible humaine et cible objet en mouvement. L’ingénierie sociale, au sens du piratage informatique, consiste tout d’abord à hameçonner une cible humaine (phishing), c’est-à-dire à gagner sa confiance pour qu’elle s’ouvre à moi volontairement et que je puisse lui soutirer des informations ou modifier sa vision du monde avec son accord. Les deux grandes références dans ce domaine sont Kevin Mitnick, qui publiait en 2002 L’art de la supercherie, et Christopher Hadnagy, pour Social Engineering : The Art of Human Hacking (L’art du piratage humain) en 2010. Quand autrui me fait confiance, quand il s’ouvre à moi, il accepte que mon code fasse partie de son code, que ma parole fasse partie de sa réalité, voire que ma parole devienne sa réalité, construise sa réalité, comme un petit enfant prend la parole de ses parents pour la vérité absolue, ou comme un hypnotisé prend la parole subjective de l’hypnotiseur pour la réalité objective. La suggestibilité de la cible est essentielle. Dès lors, on comprend mieux d’où vient la connotation positive associée systématiquement aux notions d’ouverture et de société ouverte (cf. George Soros, élève de Popper) : c’est un « truc » d’ingénierie sociale et de psychologie des foules pour mieux les violer après les avoir désarmées mentalement (cf. Le Bon, Tchakhotine). Pour transformer le lien social dans un groupe, il ne suffit cependant pas toujours d’inspirer la confiance, il faut aussi savoir faire monter la méfiance entre les autres. L’opération psychologique de la bleuite pendant la guerre d’Algérie est un classique du genre et a consisté à répandre la rumeur dans les rangs du FLN que s’y trouvaient des agents infiltrés au service des Français, alors qu’il n’y en avait pas : « Habitué aux techniques de guerre psychologique, de manipulation, d’infiltration, d’intoxication, de « coups tordus », le capitaine Paul-Alain Léger a ciblé le colonel Amirouche, chef de la wilaya III en Kabylie, réputé déterminé et cruel. En lui faisant croire que son secteur était noyauté par des agents doubles, des maquisards ralliés à la cause française, il a persuadé le leader algérien d’entreprendre dans son propre camp l’extermination, l’épuration de ceux qu’il pensait être des traîtres. Ce « nettoyage » a duré des mois et a eu des effets dévastateurs sur le moral des moujahidines. Le doute, la suspicion, la paranoïa se sont diffusés comme un poison dans les rangs de l’ALN FLN avec une efficacité redoutable, et se sont étendus dans les wilaya voisines, le tout sans exposer le moindre soldat français ».
L’ingénierie sociale consiste le plus souvent à diviser pour régner, c’est-à-dire à créer des conflits triangulés en jouant sur les relations de confiance, de méfiance et d’indifférence, et en exploitant le triangle de Karpman, c’est-à-dire le système projectif bourreau/victime/sauveur qui tisse la trame des relations dans tous les groupes humains. Le système projectif est constitué de représentations qui ne correspondent pas forcément à la réalité. La croyance en l’existence d’agents infiltrés qui n’existaient pas a eu le même résultat que s’ils avaient existé : la montée de la méfiance générale, aboutissant à des purges sanglantes. La croyance en quelque chose qui n’existe pas peut avoir le même impact que quelque chose qui existe. La fiction peut avoir le même impact sur le réel que le réel lui-même. On peut donc agir sur le réel depuis la représentation du réel – ce que les cultures traditionnelles appellent la « magie » – et peu importe que cette représentation soit vraie ou fausse. On reconnaît cependant les agents infiltrés réels à ce qu’ils cherchent toujours à lancer des bleuites dans les groupes humains, c’est-à-dire des épidémies de paranoïa et d’accusation mutuelle de faire partie d’une opposition contrôlée ou d’appartenir à une cinquième colonne infiltrée. Les agents de division et de démoralisation travaillent à briser l’unité des groupes mais aussi l’unité des individus en essayant de les rendre fous ou dépressifs. La guerre psychologique consiste souvent à prendre le contrôle du système de représentations de l’ennemi pour le pousser à la faute et ultimement à l’autodestruction, ce qui est plus économique que l’attaque frontale. Le concept de « Learned Helplessness », traductible par impuissance apprise, acquise, inculquée, inventé par Martin Seligman en 1975, aura du succès auprès de la CIA pour travailler sur les mécanismes de la résignation et comment la provoquer chez autrui (en complément des expériences de Mind Control sur cobayes humains). Dans le monde communiste en période de guerre froide, l’ingénierie sociale était baptisée « technologie politique » et a donné naissance au « contrôle réflexif » (Рефлексивное управление), proche du poker menteur, combinaison de théorie des jeux, soit le calcul anticipé des coups de l’adversaire, et de maskirovka (camouflage), ou comment leurrer l’adversaire sur mes intentions pour l’envoyer sur de fausses pistes et lui faire abandonner le combat ; et la « décomposition », ou Zersetzung, pratiquée par la STASI, qui consistait à plonger un individu dans une incertitude permanente sur tous les sujets, notamment sur ses relations de confiance avec ses proches, afin de le pousser au délire d’interprétation et de persécution, et si possible à la dépression et au suicide.
Comment faire échouer l’utopie du Great Reset ?
En conclusion, après avoir résumé son passé, demandons-nous quel est l’avenir de l’ingénierie sociale. C’est le Grand récit pour faire passer la Grande réinitialisation, c’est-à-dire l’imposition d’une dictature transhumaniste mettant fin à l’espèce humaine mais conservant les apparences du débat démocratique et de la diversité des opinions. Pour y parvenir dans une société de communication et de transparence, le pouvoir ne peut plus se contenter de mentir de manière éhontée, il doit apprendre à « tromper sans mentir ». La propagande est renommée « relations publiques » ou « influence » et devient de la propagande grise, mélange de vrai et de faux pour mieux faire passer le faux. L’autoritarisme et la dissimulation totale étant malaisés à maintenir sur le long terme, le pouvoir applique par exemple la méthode des Nudges, la progression par étapes et par petites touches incitatives et non contraignantes, et le principe du prétexte, consistant à faire passer quelque chose sous couvert d’autre chose. En l’occurrence, faire passer une dictature informatique au prétexte de soigner des gens.
La mise en échec de ce projet oligarchique dépend de la capacité à répondre à des questions pratiques. En temps de guerre, les questions les plus importantes sont méthodologiques. L’art militaire est un art d’exécution, avec ses deux aspects stratégiques et tactiques, le long terme et le court terme. Les questions théoriques, idéologiques, éthiques doivent être réservées aux périodes de paix. Quand on est déjà engagé dans le conflit, tout doit être subordonné à une seule priorité : comment gagner le rapport de forces ? L’ennemi considère aujourd’hui que tous les coups sont permis. Tous les coups sont permis signifie que la ruse est permise pour camoufler que tous les coups sont permis. C’est pourquoi l’ennemi avance derrière un paravent institutionnel bureaucratique et technocratique qui lui confère une apparence de légitimité et de légalité. Il faut donc se placer à ce niveau également et ne pas hésiter à utiliser la ruse pour soutenir le rapport de forces à armes égales dans ce champ institutionnel. Le pouvoir nous ment, il faut donc mentir au pouvoir, mais dissimuler le mensonge. Nous sommes en guerre, il faut changer de paradigme par rapport aux périodes de paix : l’objectif de la politique n’est pas de respecter des valeurs mais de gagner un rapport de forces. Gagner coûte que coûte, car il est absurde de croire qu’on pourra respecter des valeurs si l’on est mort. Pour parodier Charles Péguy sur la morale kantienne : « La vertu a de belles mains, mais elle n’a pas de mains ».
Aucune morale, aucune éthique ne doivent nous inhiber pour gagner le rapport de forces. Nous devons être par-delà le Bien et le Mal, pour reprendre la formule nietzschéenne. Comment ? Nous devons évaluer notre action à l’aune de sa valeur concrète et pratique pour battre l’ennemi, et c’est tout. Pour y parvenir, la définition précise de qui est l’ennemi est secondaire. Pourquoi ? Parce que l’on peut très bien avoir cerné qui est l’ennemi, ou qui sont les ennemis, car il y en a toujours plusieurs, mais se tromper sur la nature du champ de bataille. C’est d’ailleurs une stratégie de diversion de l’ennemi, de nous égarer sur un faux champ de bataille, ce qui nous conduira à tirer dans le vide, même si l’on a compris qui est l’ennemi. Par contre, si l’on définit précisément le champ de bataille, tous les coups porteront, directement ou indirectement, car l’environnement est approprié, le contexte est adéquat, le cadrage est le bon. Nous tirerons dans la bonne direction, même si nous ne voyons pas clairement qui est l’ennemi. L’ennemi utilise les institutions, la bureaucratie et la technocratie comme champ de bataille pour se camoufler, c’est donc là qu’il faut lui répondre. Et pour optimiser encore la valeur pratique de la question, on peut la reformuler ainsi : « Que puis-je faire concrètement pour faire échouer le Great Reset sur le champ de bataille des institutions ? » Si je surestime mes forces et que je me donne des objectifs qui sont au-delà de ce que je peux faire concrètement, je suis moi aussi dans l’utopie. On ne fait pas ce que l’on veut, on fait ce que l’on peut. À cette question, c’est à chacun de répondre en fonction de ses moyens concrets.
source : Cultures et Racines
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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