Interpellation aux candidats se réclamant de la gauche populaire
Alors que les débats biaisés de la présidentielle occultent les quatre enjeux majeurs que sont le retour de l’euro-austérité, l’ »Etat fédéral européen » voulu par Olaf Scholz (1), le dévoiement du patriotisme populaire par l’ultradroite et l’expansionnisme sans limite de l’OTAN – dont nous voyons aujourd’hui les résultats mortifères à l’est de l’Europe –, les candidats respectifs du PCF et de la défunte « France insoumise » restent loin, les sondages l’attestent, de l’accès au second tour. Et plus encore de l’éventualité de battre Emmanuel Macron au second tour s’ils franchissaient miraculeusement le cap du 10 avril.
Manifestement, ni Fabien Roussel, qui multiplie les déclarations gastronomiques mais qui s’engage à rester douillettement dans l’UE et l’euro s’il est élu, ni Jean-Luc Mélenchon, qui a résilié la dialectique « plan A /plan B » de sa campagne de 2017 (« l’UE, on la change ou on la quitte ! »), n’attirent le gros de la classe ouvrière, ces ouvriers et employés qui, en mai 2005, investirent en masse le scrutin référendaire et qui votèrent alors massivement Non (2) à la constitution d’un Etat européen. Faut-il s’étonner du reste que le monde du travail ait « décroché » d’un système institutionnel qui, défendu par le Parti Maastrichtien Unique (ce PMU perdant pour le peuple qui associe la droite, le PS et LREM, désormais ralliés sur ce point par Zemmour et Le Pen qui refusent désormais toute idée de Frexit, fût-il de droite !), a insolemment violé la décision du peuple souverain. Et qui, Macron en tête, tentera bientôt d’imposer la « souveraineté européenne » et tout ce qui accompagne socialement, culturellement, voire militairement, une « construction » européenne synonyme de fin du produire en France, de démontage des services publics et des acquis sociaux, de substitution du tout-globish euro-atlantique à la langue française, d’euro-dissolution de la défense nationale et de délitement de la République indivisible garante d’égalité territoriale.
Certes, Roussel et Mélenchon rivalisent de propositions louables en matière d’augmentation des salaires et de « Sixième République » sociale et démocratique. Mais le monde du travail sait d’instinct que ces promesses sont en l’état aussi irréalisables que celle de François Hollande jurant d’abattre la finance, ou que celle du Grec Tsipras pliant devant la Troïka Commission européenne-BCE-FMI. Car, dans le cadre d’une UE arrimée à l’OTAN – donc aux guerres de l’Oncle Sam –, adossée au dispositif verrouillé de l’euro et gravée dans notre Constitution via son article XV, les tenants d’une gauche insuffisamment euro-insoumise seraient dans l’incapacité de combattre l’oligarchie, et par exemple de nationaliser les secteurs-clés de notre économie pour planifier la relance industrielle : l’ « économie de marché ouverte sur le monde où la concurrence est libre et non faussée » chère aux maastrichtiens est en effet conçue pour forclore toute avancée vers le socialisme.
Dans ces conditions, bien que les auteurs de cette tribune restent fermement partisans d’un Frexit progressiste clair et net, voire unilatéral (car la souveraineté nationale ne se négocie pas, elle se prend !), nous soumettons publiquement une proposition à Fabien Roussel et Jean-Luc Mélenchon : qu’ils s’engagent solennellement, si l’un d’eux est élu en avril, à organiser dans la foulée un référendum qui permettrait au peuple français de redevenir souverain tout en le mettant d’emblée en position de force face à Bruxelles, Berlin et Washington. La question pourrait être approximativement la suivante : « Vous prononcez-vous pour que la Constitution et les lois de la République française l’emportent en toutes circonstances sur les traités et sur les directives européennes, la réponse positive impliquant l’abrogation immédiate de l’actuel article XV de la Constitution française ? » Un « Oui » fixerait alors au chef de l’Etat le mandat impératif de faire catégoriquement prévaloir la souveraineté de la nation en tous domaines : politique, diplomatico-militaire, culturel, monétaro-budgétaire et socioéconomique.
Cette proposition n’équivaut nullement à la proposition de Fabien Roussel de « sortir des traités européens sans sortir de l’UE », ce qui ne signifie juridiquement rien ; encore moins à celle, lunaire, de demander à la BCE de financer le progrès social français, ce qui revient presque à confondre Harpagon avec Mimi Mathy. Notre proposition n’équivaut pas davantage à l’« opt-out » qui, en bon franglish, remplace désormais le « plan B » dans la panoplie désormais euro-compatible de Jean-Luc Mélenchon : car qui croira que l’UE cadenassée par l’euro et par l’article XV relèverait plus du choix à la carte que du « menu » contraint fixé par les banquiers de Francfort ? Bien entendu, il reviendrait au peuple français de faire ensuite résolument respecter son choix de manière que, cette fois-ci, contrairement à ce qui s’est passé en 2005, le peuple souverain ne recule plus d’un pas devant le coup d’Etat oligarchique. Quant à l’objection selon laquelle il serait inutile que le président élu organise ce référendum puisqu’il aurait entretemps institué le RIC, comment ne pas voir qu’il s’agirait d’une diversion ? Sur une question aussi stratégique pour l’avenir de la France, du monde du travail et d’une coopération mutuellement profitable avec tous les continents, il serait simplement malhonnête de rester dans le flou.
Ce que nous proposons en somme, c’est un choix de classe que d’aucuns ont trop longtemps éludé par souci de courtiser principalement les couches moyennes eurobéates en contournant le monde ouvrier notoirement euro-critique. Car en France, jamais la gauche populaire (nous ne parlons pas de la social-eurocratie du PS) n’a pu gagner en contournant les travailleurs et elle implosera au soir du premier tour si elle ne se réoriente pas dès maintenant vers les classes populaires, non pas en surjouant des postures franchouillardes qui méprisent le patriotisme populaire, mais en ravivant de manière innovante le vote souverain violenté du 29 mai 2005. Ceux qui voudraient contourner cette exigence, non seulement mordraient cruellement la poussière, non seulement abandonneraient la bataille de France aux xénophobes fascisants, mais seraient vite rattrapés eux-mêmes par la « grande explication » qui vient entre les travailleurs de ce pays et ses destructives « élites » euro-atlantiques.
Fadi Kassem est diplômé de Sciences Po Paris, agrégé d’histoire, secrétaire national du Pôle de Renaissance Communiste en France
Georges Gastaud est agrégé de philosophie, auteur de « Patriotisme et internationalisme » (2011)
Bruno Guigue est ancien sous-préfet, chercheur en philosophie politique
(1) Le nouveau chancelier social-démocrate allemand qui piétine incidemment notre constitution, laquelle dispose que « la souveraineté réside essentiellement dans la Nation »…
(2) A 80% pour les ouvriers, à 65% pour les employé(e)s et à 65% pour les 18/25 ans !
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir