Situation en Ukraine : Interview de Sergueï Lavrov par des médias serbes

Situation en Ukraine : Interview de Sergueï Lavrov par des médias serbes

Interview de Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, par des médias serbes, Moscou, 28 mars 2022.

Source : Ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie

Question: Vous le savez, la Serbie n’a pas adhéré aux sanctions. Seriez-vous surpris si les pays des Balkans, qui jusqu’à récemment avaient de bonnes relations avec la Russie, rejoignaient les sanctions contre la Russie? Quel est votre pronostic concernant la normalisation des relations par la suite avec ces pays des Balkans?

Sergueï Lavrov: Nous assistons à une pression sans précédent dans le cadre de la campagne « générale » que certains politiciens occidentaux qualifient de « guerre totale » contre la Russie où tous les moyens sont bons. Cela a commencé bien avant.

Ces dix dernières années, l’UE dans le cadre de ses relations avec les pays qui désirent rejoindre cette communauté commence à exiger d’eux (les Serbes le savent bien) d’adhérer à toutes les initiatives en politiques étrangères, qui deviennent ces derniers temps de plus en plus antirusses. Cela n’a plus rien à voir avec l’espace économique commune, avec l’introduction des normes de la primauté du droit et ainsi de suite. Il existe uniquement une approche idéologique visant à maintenir la pression sur la Russie pour réprimer son autonomie sur la scène internationale et la soumettre aux « valeurs » que l’Europe impose depuis assez longtemps malgré ses racines chrétiennes.

Je rappelle que pendant la mise au point de la constitution de l’UE (qui n’a pas été adoptée, à sa place a été adopté le traité de Lisbonne), sa première version commençait par des mots sur les racines chrétiennes de l’Europe. Les puissances européennes ont refusé de soutenir ce constat soulignant leurs propres origines et traditions religieuses. Ils ne peuvent pas prétendre qu’ils respecteront les traditions d’autres religions.

Nous voyons la pression exercée sur les pays des Balkans, sur la Serbie pour rejoindre les sanctions contre la Russie qui portent sur pratiquement tous les secteurs de l’activité économique, culturelle, sociale, politique et autres. Le Président serbe Aleksandar Vucic en a parlé en détail plusieurs fois publiquement, soulignant que la Serbie serait guidée par ses propres intérêts. Il existe plusieurs de tels pays dans l’UE. À noter le récent discours du Premier ministre hongrois Viktor Orban, qui a déclaré que la Hongrie défendrait les intérêts hongrois.

Cette bureaucratie multinationale qui se reproduit elle-même et se trouve à Bruxelles cherche à assujettir tous les pays sans exception, à concentrer toutes les actions pour établir les normes au siège de l’UE et priver les pays membres d’un maximum d’actions autonomes. Cette ligne est préjudiciable. Elle montre une fois de plus qu’au fond l’UE a tendance à renforcer l’autocratie en la personne de Bruxelles par rapport à tous les autres pays membres.

Le Monténégro et la Macédoine du Nord ont été impliqués dans la guerre des sanctions. Ils ont été attirés par les promesses d’un rapprochement rapide avec l’UE. Cela n’est pas arrivé, ils ont été intégrés à l’Otan, impliqués dans des actions et campagnes antirusses. Ensuite, on les a « tapé sur l’épaule » en disant: c’est bien, les gars, continuez comme ça. C’est un sérieux problème. La réputation de l’UE et les véritables objectifs de sa politique dans les Balkans sont en jeu. Selon mes observations, les États-Unis ont laissé les Balkans à la merci de l’UE. La ligne antirusse agressive menée par l’UE leur convient parfaitement.

Souvenez-vous de la déclaration de Federica Mogherini, qui a été succédée par Josep Borrell, qui avait accusé la Russie d’activité excessive dans les Balkans, déclarant que l’UE avait commencé à travailler dans les Balkans, et donc les autres n’y avaient pas leur place. Son successeur Josep Borrell promeut des idées similaires en appelant à empêcher le renforcement des relations entre la Russie et les pays où l’UE se considère comme « maître de la situation ».

Nous voyons la tentative des États-Unis, de l’UE et de l’Otan d’imposer leur hégémonie non seulement dans les Balkans, mais également dans d’autres régions du monde, pratiquement partout. Je suis convaincu que la plupart des pays comprennent que cette voie mène tout le monde dans une impasse. Il faudra en chercher une issue. Peu de pays sur le continent européen peuvent s’estimer souverains et autonomes. Ceux qui, au profit de leurs intérêts nationaux, refusent de rejoindre les sanctions dans l’intérêt d’autres États ont le droit de s’appeler États autonomes, peu importe leur taille.

Question: Est-ce que la Russie a prévu cet isolement et les pertes militaires, sur lesquelles nous ne recevons que rarement des informations exactes?

Sergueï Lavrov: Les sanctions contre la Russie n’ont jamais cessé. À l’époque soviétique, nous faisons face aux sanctions du Coordinating Committee for Multilateral Export Controls, en fonction desquelles l’Occident empêchait par tous les moyens les achats et les livraisons d’équipements de haute technologie. L’amendement Jackson-Vanik a existé pendant de longues années. Ce dernier a été annulé pour que la Russie puisse rejoindre l’Organisation mondiale du commerce ce que voulaient les États-Unis et d’autres pays occidentaux. Dans tous les cas, ces derniers ont immédiatement trouvé un substitut, la loi Magnitski, qui a poursuivi les traditions de la pression sur la Russie à l’aide de sanctions. Ces sanctions sont restées en vigueur jusqu’en 2014.

En 2014, un coup d’État a eu lieu à Kiev malgré les garanties offertes par l’Union européenne et avec un soutien direct de Washington. Il n’en reste plus aucun doute. Ce coup d’État a provoqué l’indignation en Crimée et dans l’est de l’Ukraine. Les Criméens ont organisé un référendum et ont rejoint la Fédération de Russie pour se faire protéger contre des combattants armés qui se sont dirigés sur la péninsule. Les habitants de l’est de l’Ukraine ont proclamé deux républiques refusant d’accepter le coup d’État anticonstitutionnel. La responsabilité de ces événements a de nouveau été imputée à la Russie. L’Occident était déçu par l’échec de son plan visant à utiliser l’Ukraine à ses fins antirusses. Les sanctions introduites n’exprimaient que l’irritation de l’Occident. Le Président russe Vladimir Poutine a dit à plusieurs reprises que l’UE et les États-Unis adoptaient de nouvelles sanctions contre la Russie de manière pratiquement mensuelle. Au moins deux ou trois fois par an. Je pense qu’il est toujours possible de trouver un prétexte. L’objectif des sanctions n’est pas de résoudre un problème concret, mais de freiner le développement stratégique et géopolitique de la Russie. Nous savons bien le talent occidental de rechercher des prétextes.

La seule chose qui nous a frappé à l’étape actuelle est une flambée d’une russophobie inédite et sauvage, observée dans pratiquement tous les pays occidentaux. Qui plus est, les dirigeants de ces États encouragent et nourrissent cette tendance. Je sais qu’il y a dans les pays européens des acteurs raisonnables qui comprennent la nocivité de l’attisement de cette russophobie. Ils rappellent qu’il a existé il y a 80 ans une attitude similaire envers une nation en Europe, et se souviennent des répercussions de ces événements. Cette obsession se manifeste dans pratiquement tous les pays européens et touche à tout ce qui est russe: la culture, l’art, l’enseignement, les citoyens russes (s’ils parlent leur langue maternelle dans la rue dans beaucoup de pays d’Europe). Ce fait m’a frappé, parce qu’il avait révélé la nature sauvage de cette russophobie. Il s’est avéré que cette dernière était vivante depuis longtemps. Il est impossible de réveiller ces sentiments d’un jour à l’autre. Cette attitude était donc méticuleusement dissimulée. Nous en tirerons les conclusions nécessaires.

En ce qui concerne l’isolement, il n’existe pas. L’isolement est évoqué par ceux qui ont accepté, mentalement et idéologiquement, l’inévitabilité de la dictature de l’Occident sur la scène internationale. C’est tout d’abord l’Occident qui maintient sa dictature. Il ne veut pas perdre ses positions. L’Occident était l’acteur global dominant depuis plus de 500 ans. L’époque actuelle est néanmoins marquée par l’établissement de l’ordre du monde multipolaire. Il existe des pays qui ont fait leurs preuves comme des centres du développement économique du monde, mènent une politique nationale et ne veulent pas accepter des valeurs néolibérales impersonnelles, imposées par l’Occident dans le monde entier. Ils veulent se faire guider par leur histoire, leurs traditions et leurs valeurs, y compris religieuses. Ces dernières sont en général communes dans toutes les religions mondiales.

La Russie dispose d’un grand nombre de partenaires en Asie-Pacifique, en Asie, en Afrique et en Amérique latine. Nous avons de bonnes relations avec toutes les organisations formées par les pays émergents. Cela concerne notamment l’Union africaine, la Communauté d’États latino-américains et caraïbes, l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) et beaucoup d’autres. Je voudrais rappeler la formation et le fonctionnement efficace d’organisations impliquant la Fédération de Russie dans la région le plus important et le plus stratégique du point de vue du développement, qu’est l’Eurasie: la Communauté des États indépendants, l’Union économique eurasiatique, l’Organisation de coopération de Shanghai. Ces structures promeuvent activement un travail conjoint en partenariat avec l’ASEAN, développent des projets de coopération, y compris avec l’initiative chinoise la Ceinture et la route. Nous construisons un Grand partenariat eurasiatique. Nos relations avec la Chine sont meilleures que jamais. La Russie développe un partenariat stratégique privilégié avec l’Inde. Nous avons des liens avec la majorité écrasante des pays du Moyen-Orient, d’Amérique latine et d’Afrique.

L’Occident tente de prouver l’isolement prétendu de la Fédération de Russie en présentant des résultats arithmétiques de votes aux Nations unies. Nous savons bien quels moyens sont utilisés pour atteindre ces résultats, à quel chantage font face les pays émergents, quelles menaces entendent les représentants de ces pays à l’ONU et à d’autres organisations. À notre avis, cela ne signifie qu’une chose: les États-Unis et les pays occidentaux qui favorisent ce chantage grossier et ouvert, ont eux-mêmes peur de se retrouver en isolement. S’ils sont certains que leurs idéaux et valeurs qui trouveront eux-mêmes le chemin vers les esprits et les cœurs des citoyens de tous les pays du monde, ils doivent présenter leurs positions et permettre aux pays de faire leur choix. Ces pays sont au courant des positions de l’Occident, de la Russie, de la Chine ou d’autres grands acteurs mondiaux. Qu’ils fassent leur choix librement, sans aucune pression.

Le Président américain Joe Biden a récemment déclaré en Europe que nous entrions dans l’époque de long affrontement entre la démocratie et l’autocratie. Mais regardez le fonctionnement de l’Occident contemporain, des pays qui se présentent comme un modèle de démocratie. Les États-Unis dominent toute l’Europe et contrôlent non seulement l’Alliance atlantique, mais aussi l’Union européenne, utilisent l’infrastructure et le potentiel de cette dernière afin de renforcer les positions militaires et politiques des États-Unis sur le Vieux Continent. Si l’on parle des démocraties et des autocraties, cette « communauté de démocraties », représentée par les États-Unis, l’Otan et l’Union européenne, constitue un ensemble ouvertement autocratique voire dictatorial par rapport aux autres membres de la communauté internationale.

Nous collègues occidentaux nous appelaient pendant des années à assurer – comme les autres pays – la suprématie de la loi et de la démocratie dans la vision américaine. Mais dès que nous leur proposions d’évoquer la démocratie sur la scène internationale, ils le refusaient net: la démocratie y était absolument inacceptable. Les Occidentaux ont même annulé le terme « droit international » prévoyant le respect des principes de la Charte de l’ONU, surtout de celui d’égalité souveraine entre les États. Nos collègues occidentaux se foutent – pardonnez mon expression grossière – de l’égalité souveraine des États et du droit international. Ils ont même cessé d’utiliser ce terme et disent aujourd’hui que tous les pays doivent respecter les lois de l’ordre du monde base sur des règles. Ces règles ne signifient qu’une chose: elles sont établies par l’Occident, alors que les autres doivent s’y soumettre. Il s’agit d’un exemple typique de l’autocratie, de la dictature qui recourt aux ultimatums.

Nous ne nous ressentons pas en isolement. Cela ne concerne que ceux qui ne peuvent pas vivre sans les prétendues « valeurs occidentales », sans un accueil chaleureux ou au moins bienveillant en Occident. Il existe cependant des choses plus importantes dans la vie qui guident la majorité écrasante des pays et des civilisations de notre planète.

Il fait se tenir au respect mutuel au lieu de tenter d’imposer à tout le monde, par des moyens grossiers, ses propres valeurs artificielles. Ces dernières ont émergé très récemment, avec le développement du néolibéralisme, et tentent de réprimer les cultures et les civilisations millénaires. Ces tentatives persisteront encore pour un certain temps. Mais cette politique est vouée à l’échec sur le plan historique. C’est elle qui se retrouvera en isolement complet stratégique.

Question: Je sais que la Russie a d’autres raisons de s’inquiéter, mais comme on dit, sa propre chemise est plus proche du corps. La Serbie devrait maintenant harmoniser sa politique étrangère, elle n’impose pas de sanctions contre la Russie, qui est son principal partenaire en politique étrangère, quand il s’agit de défendre sa souveraineté dans les organisations internationales. À votre avis, comment la Serbie pourrait-t-elle manœuvrer entre les deux pôles géopolitiques, et pour combien de temps?

Sergueï Lavrov: Nous ne sommes pas responsables pour les décisions de la Serbie, du gouvernement serbe ou du peuple serbe. Les Serbes et les Russes ont des relations fraternelles, nous sommes unis par une histoire commune, des victoires contre des ennemis communs. Nous ressentons à quel point ce sentiment est enraciné dans l’âme et dans le mémoire historique des Serbes. Nous en voyons la preuve aujourd’hui. Nous n’imposons jamais quoi que ce soit par la force. L’Occident essaie d’imposer sa politique et ses intérêts par la force de la pression économique, des menaces, du chantage et des ultimatums qui consistent à leur faire adopter une position antirusse pour être accepté dans l’Union Européenne. Ce n’est pas un comportement approprié ni dans une société, ni à la maison, ni avec les amis, ni sur la scène internationale, surtout quand on vous force la main. Le président Aleksandar Vucic s’est penché sur cette question à de nombreuses reprises en disant en toute honnêteté que la Serbie était un petit pays mais qui avait de la fierté et des intérêts. L’Occident essaie maintenant de reléguer vos intérêts au second plan et d’instrumentaliser votre pays, comme c’était le cas avec la Macédoine du Nord et le Monténégro, et comme ils essaient de le faire avec la Bosnie-Herzégovine.

Nous respectons profondément le peuple serbe, son attachement aux traditions, à l’histoire et à ses amis historiques. Je suis convaincu que les Serbes vont continuer à faire un choix judicieux dans toute situation, en se laissant guider par leurs intérêts fondamentaux.

Question: Est-ce que le président Vladimir Poutine est prêt à négocier avec le président Vladimir Zelenski?

Sergueï Lavrov: Le Président russe Vladimir Poutine s’est prononcé à ce sujet à de nombreuses reprises. Il est revenu sur ce sujet récemment en répondant à des questions de ses homologues étrangers avec qui il maintient un dialogue régulier, y compris sur la situation en Ukraine.

Vladimir Poutine a dit qu’il ne refuserait jamais une rencontre avec le président Zelenski, mais il faut que cette rencontre soit bien préparée. La crise et le conflit au sein de l’Ukraine se sont aggravés pendant toutes ces années, beaucoup de problèmes se sont accumulés, donc, se rencontrer et dire « Qu’est-ce que tu penses »? Moi, je pense que… » serait juste contre-productif. Dès que les ukrainiens nous ont proposé de nous rencontrer après le commencement de l’opération militaire spéciale, nous étions tout de suite d’accord. Les pourparlers se poursuivent. Après toute une série de visioconférences, une nouvelle session de pourparlers, cette fois-ci en présentiel, aura lieu aujourd’hui ou demain à Istanbul.

Et nous souhaitons que ces pourparlers réussissent. Notre objectif principal dans ces négociations est l’arrêt des meurtres de civils dans le Donbass qui ont duré huit longues années, alors que toute la communauté occidentale progressiste est restée silencieuse, sans faire un seul commentaire critique malgré le bombardement d’infrastructures civiles, d’hôpitaux et de bâtiments résidentiels. Des milliers de civils ont été tués, alors que l’Occident « éclairé » restait silencieux en appelant seulement à la mise en œuvre des Accords de Minsk.

Après le refus de Kiev de respecter les Accords de Minsk, l’Occident a commencé à insister que c’était à la Russie de les mettre en œuvre. C’est un outrage au bon sens, au droit international, aux droits de l’homme, un outrage tout court.

Lors des négociations avec l’Ukraine, nous sommes obligés de faire en sorte que la population du Donbass ne soit plus jamais victime du régime de Kiev, que l’Ukraine cesse d’être l’objet d’expérimentations de l’Occident et de l’Otan, sur le plan militaire, et de représenter une menace militaire et physique pour la Russie.

Nous sommes obligés de faire en sorte que l’Ukraine cesse d’être un pays constamment militarisé dans lequel on essaie de déployer des armes qui menacent la Russie, qu’on y cesse de promouvoir une idéologie et des pratiques néonazies. Les exemples ne manquent pas. De plus, ces pratiques s’appuient sur la législation ukrainienne. Je citerai ici les lois discriminatoires et incompatibles avec la Constitution de l’Ukraine et tous les engagements internationaux, qui interdisent l’utilisation de la langue russe dans l’éducation et les médias. Récemment, l’Ukraine a promulgué des lois visant à interdire l’utilisation du russe au quotidien.  La dénazification et la démilitarisation de l’Ukraine sont un élément obligatoire de l’accord que nous essayons d’obtenir. J’espère que l’Ukraine comprend la gravité de ces phénomènes qui ont fleuri après son indépendance et un regain d’intérêt pour les criminels nazis Choukhevitch et Bandera. Sous prétexte de « décommunisation », on démolissait les monuments aux grands hommes qui avaient libéré l’Ukraine des nazis; des instructeurs occidentaux ont formé des bataillons nationaux qui non seulement portent un uniforme nazi, mais appliquent aussi le style de guerre nazi dans la pratique. Si vous avez vu comment les Ukrainiens nazis des bataillons Azov ou Aïdar traitent maintenant les prisonniers de guerre russes, je pense que tout devient clair pour vous.  Une rencontre sera nécessaire dès que les questions clés pour nous s’éclairciront.

Depuis de nombreuses années, la Russie attirait l’attention de l’Occident sur ces problèmes, mais n’a pas été entendue. Cette fois-ci ils nous ont entendus, c’est déjà quelque chose. Maintenant, l’essentiel est d’arrêter de flatter les Ukrainiens qui ne veulent que faire semblant de mener des négociations et de chercher une solution. Ils y sont parvenus lorsqu’ils ont saboté les Accords de Minsk immédiatement après leur signature en février 2015 et ont fini par déclarer qu’ils ne les mettraient pas en œuvre. Par conséquent, nous sommes bien conscients de leur capacité à imiter le processus, et cette fois, cela ne fonctionnera pas de cette façon. Nous avons besoin d’un résultat à l’issue des négociations qui sera consigné par les présidents.

Question: Ma question concerne les mercenaires en Ukraine. Maintenant, tout le monde en parle, non seulement en Russie, mais aussi dans le reste du monde. En Syrie, des centaines de citoyens du Kosovo et de la Bosnie-Herzégovine se battaient du côté des islamistes. L’Occident n’a critiqué ni Pristina ni Sarajevo pour cela. Maintenant, ces gens et des volontaires croates veulent combattre en Ukraine. Les dirigeants albanais du Kosovo et les structures affiliées à Pristina ont appuyé Kiev. Qu’est-ce que vous en pensez?

Sergueï Lavrov: Nous faisons partie de ceux qui avaient prévenu les partenaires occidentaux que des recruteurs de l’État islamique et d’autres groupes terroristes étaient actifs dans certains pays des Balkans. Nous avions mis en garde contre les répercussions qu’aurait cette connivence sur l’Occident. Nous connaissons les chiffres: Pristina a envoyé le plus grand nombre de combattants en Syrie et en Irak. Personne ne nous a entendus. Ensuite, nos collègues occidentaux s’interrogeaient sur l’origine de ces malfrats qui commettaient des attaques terroristes et des massacres dans les villes européennes. Les mercenaires ne vont pas se contenter de l’Ukraine, il est clair qu’après leur infamie en Ukraine, ils vont se rendre en Europe pour poursuivre leur prétendue mission. Bien que la participation aux hostilités sur le territoire d’un Etat étranger soit punie par la loi en Croatie, en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo.

À l’époque, certains anciens combattants revenus de Syrie et d’Irak ont été même persécutés. Aujourd’hui, l’Europe a adopté une approche différente. Le principe de deux poids, deux mesures domine lorsqu’il s’agit de l’Ukraine, sur laquelle l’Occident a tout misé pour endiguer la Russie. Tous les moyens sont bons.

Il n’y avait aucune réaction. Nous avons attiré l’attention de nos partenaires occidentaux et de nos collègues d’autres pays sur le fait que les ambassades ukrainiennes recrutent des mercenaires en publiant sur leurs sites officiels les informations concernant la procédure d’engagement, ce qui constitue une violation flagrante de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques et une déconsidération de statut de la représentation diplomatique.

Certains de ces mercenaires ont pris la parole sur les réseaux sociaux, leurs déclarations ont été relayées par des chaines de télévision. Il est clair qu’il ne s’agit pas de volontaires. Ils vont combattre pour gagner de l’argent et ils n’ont aucun droit d’être protégés par le droit international humanitaire. Ils ne sont pas des combattants et donc ils sont exclus des dispositifs de protection.

Quant à l’appui du régime de Kiev de la part de Pristina, cela parait assez évident. Ce n’est pas que Kosovo, un quasi-État criminel autoproclamé, se soucie de défendre le droit international, il veut juste saisir l’occasion en se présentant comme presque l’allié principal des États-Unis et de l’Otan dans les Balkans pour obtenir une reconnaissance de sa pseudo-indépendance.

Notre position à cet égard est bien connue. Nous avons mis en garde contre la complaisance vis-à-vis des actions inacceptables de Pristina. Nous avons toujours préconisé que le problème du Kosovo soit réglé en stricte conformité avec la résolution 1244 du Conseil de Sécurité.

Lorsque l’Assemblée générale des Nations unies a donné à l’UE un mandat de médiation entre Pristina et Belgrade, nous avons eu de l’espoir, et en 2013, l’UE a pu faire signer un accord entre Pristina et Belgrade pour établir une communauté de municipalités serbes au Kosovo. Il s’agissait d’un document qui devrait garantir les droits culturels et linguistiques aux Serbes, ainsi que les droits à l’autonomie locale et aux liens spéciaux avec la Serbie. Cette communauté n’a toujours pas été établie. Lorsque nous le rappelons à nos collègues occidentaux, ils gardent un silence pudique et disent que tout reste sur la table, mais que nous devons chercher patiemment à mettre en œuvre cette décision. J’estime que l’Union européenne a montré son incapacité totale en tant que garant de la résolution des conflits.

Tout comme en février 2014, l’UE a garanti un accord pour régler la situation en Ukraine entre l’ancien président Viktor Ianoukovitch et l’opposition. Et le matin où l’opposition a déchiré cet accord, l’UE est restée silencieuse et a commencé à faire référence à de prétendus processus démocratiques.

En 2015, la France, l’Allemagne et la Russie ont signé un accord intitulé les Accords de Minsk. Pendant toutes ces années, le régime de Kiev n’a pas respecté ces Accords et a fini par déclarer qu’il ne les mettrait pas en œuvre.

Maintenant, Albin Kurti affirme qu’il ne va pas respecter les accords portant sur la Communauté des municipalités serbes du Kosovo. Dans tous ces cas, l’UE jouait le rôle de garant des accords et a échoué complétement.

Je suis convaincu que l’UE n’exercera pas de pression sur Pristina afin de le forcer à faire quoi que ce soit. L’Europe et les États-Unis ne vont pas exercer la pression sur Pristina par rapport au sujet des mercenaires.

Les États-Unis se sentent bien, ils ont créé en douce la base Camp Bondsteel, la plus grande base militaire dans les Balkans. Pristina ne remet pas en cause la présence de cette base à terme, au contraire, ils souhaitent qu’elle y reste. Tout sera pardonné et tout sera permis à Pristina.

Question: L’objectif final de votre opération spéciale n’est pas très clair. D’abord, on évoquait la dénazification et la protection de la population du Donbass. Maintenant, il semble, du moins de l’extérieur, que ce n’est pas le seul objectif de la Russie. Beaucoup de Russes ont du mal à dire quels sont ces objectifs. Certains ne sont pas d’accord avec le bien-fondé de ce conflit.

Sergueï Lavrov: Chaque personne a le droit de choisir et d’adopter une position par rapport aux différents événements dans son pays ou ailleurs.

En ce qui concerne nos objectifs, il s’agit tout d’abord d’éliminer les menaces qui au cours de ces huit années ont causé des milliers de morts et la destruction des infrastructures civiles: des écoles, des hôpitaux, des usines, etc. C’est ce que le régime ukrainien faisait à la population du Donbass avec le soutien tacite de l’Occident.

Si l’Occident veut maintenant respecter le droit international et sauver des vies, j’en suis reconnaissant, mais il faut voir les causes profondes de la situation actuelle.

La cause profonde réside dans le fait qu’on essayait de faire de l’Ukraine une « anti-Russie ».  Vous pouvez voir cela en examinant la législation ukrainienne qui interdit complétement la langue russe et qui contient des lois et des programmes de développement néonazis.

L’idéologie et les pratiques nazies sont profondément enracinées dans la société ukrainienne. L’armée et les forces armées de l’Ukraine regorgent d’officiers des bataillons de volontaires nationalistes qui prêchent ouvertement les idées nazies et la nécessité de suivre les préceptes d’Adolf Eichmann, une figure emblématique à l’époque du règne du nazisme.

Même leurs symboles et tatouages reproduisent la croix gammée et les emblèmes des bataillons nazis SS. Si on veut respecter les valeurs européennes, il n’y a pas de place pour cette idéologie ou ces pratiques. L’Europe devrait y mettre fin si elle ne veut pas être contaminée de nouveau par la peste brune ou d’une autre couleur prônée par les nazis.

C’est beaucoup plus compliqué que de régler un seul problème. La Russie ne peut pas accepter le fait qu’on essaie de transformer l’Ukraine en un avant-poste de l’Otan bourré d’armes dirigées contre notre pays. Nous ne sommes pas d’accord avec le fait que l’Occident encourage vivement l’éradication de tout ce qui est russe (la langue et la culture). Où étaient nos collègues occidentaux lorsque Kiev a interdit les médias russes, les chaines russes et la distribution des éditions et des livres russes? Trois chaines de télévision russophones appartenant aux citoyens ukrainiens ont été fermées.

Vous avez évoqué que certains citoyens russes ne sont pas d’accord avec la situation actuelle et expriment leurs préoccupations. Certains d’entre eux ne se prononcent pas, ils font juste leur travail: les journalistes, les artistes, les athlètes. L’Ukraine les inscrit par centaines sur les listes de sanctions.

Hier encore, le régime ukrainien a ajouté 46 artistes, athlètes et journalistes russes sur sa liste noire. Tout le monde pense que c’est la norme. En ce moment, il est dangereux d’être un Russe en Europe, cela veut dire courir le risque de violence physique.

Notre tâche est d’assurer la sécurité européenne à long terme. Cela n’est possible que si l’on met un terme aux tentatives d’entraîner l’Ukraine dans l’Otan, sans les garanties de sécurité et la prise en compte des intérêts de la Fédération de Russie, de l’Ukraine et des pays européens.

Nous l’avons vu en 2021, quand nous essayions d’avoir une discussion sérieuse avec les États-Unis et l’Otan pour obtenir les garanties de sécurité, y compris pour l’Ukraine, et de non-expansion de l’Otan. La Russie n’a pas été entendue.

On nous a promis tant de fois de ne pas étendre l’Otan. Quand il s’agissait par exemple de l’unification de l’Allemagne, l’USSR et le Pacte de Varsovie cessaient d’exister. On nous a menti droit dans les yeux. Lorsque nous l’avons rappelé, d’abord, on nous a dit qu’il n’y avait pas eu de promesses. Ensuite, lorsque nous avons présenté les faits, on nous a dit qu’il s’agissait d’un accord verbal pour nous rassurer. Ils nous ont dit qu’à l’époque ils avaient d’autres choses à faire, à savoir, faire en sorte que l’USSR cesse d’exister sans conséquences pour l’Europe.

Lorsque selon eux les choses « se sont calmées », il était possible d’avancer. Maintenant ils disent que nous « ne devons pas avoir peur », que « l’Otan n’est qu’une alliance défensive ». Elle l’était lorsqu’elle a été créée. On nous expliquait sans cesse: l’ »Otan protège son territoire ». Nous comprenions très bien où se trouvait leur territoire à l’époque du mur de Berlin – le mur en béton et imaginaire – entre l’Alliance de l’Atlantique Nord et le Pacte de Varsovie. Mais lorsque le Pacte de Varsovie et l’Union soviétique ont disparu, l’Otan a décidé qu’à présent elle voulait se défendre plus à l’est, puis s’est déplacée encore un peu plus vers l’est, etc. Qu’est-ce que c’est que cette alliance défensive qui définit elle-même sa propre ligne de défense? Et elle comprend des pays que personne n’allait jamais attaquer et même n’a jamais pensé menacer.

Jens Stoltenberg (la banque centrale ne l’attendra pas sitôt, il reste toujours à la tête de l’Alliance) déclare que l’Otan doit assumer les responsabilités de la sécurité mondiale. C’est là que la ligne de défense passe et la démocratie se transforme en autocratie et en dictature. Il a dit qu’il fallait accroître le rôle de l’Alliance dans la région Indo-Pacifique – c’est comme ça qu’ils appellent la région Asie-Pacifique en faisant directement allusion à la mer de Chine méridionale. C’est là que la ligne de défense est censée être tracée.

Nous voulons que l’Otan revienne à la raison. Nous avons des raisons de penser que les graves préoccupations de la Russie, directement liées à nos intérêts fondamentaux et légitimes, sont désormais entendues. Ils commencent à être compris. Dans ce cas ils influenceront le régime de Kiev qui est à leur écoute et, en fait, fait tout ce que l’Occident lui dit de faire. J’espère que les négociateurs ukrainiens pourront faire preuve d’une approche constructive et qu’à un certain moment on sera en mesure d’atteindre le résultat souhaité.

Le fait que ces négociateurs ainsi que le régime de Kiev ne sont pas autonomes, a été exposé avec une franchise fantastique, surprenante et naïve par ma collègue britannique, la ministre des Affaires étrangères Elizabeth Truss. Elle a déclaré qu’ils aidaient les Ukrainiens à élaborer une position de négociation. Qui d’autre que Londres connaît mieux la situation de notre région commune? Elle a poursuivi en disant qu’ils devaient « exercer la pression » sur la Russie et doubler les sanctions actuelles. Lorsque les négociations commenceront, le Royaume-Uni devrait être le pays à fournir les « résultats » nécessaires. Une « révélation » spectaculaire. Inutile de faire des commentaires.

Je vois qu’il y a toutes les chances d’arriver à un accord. La reconnaissance des erreurs gravissimes commises pendant des années par nos partenaires occidentaux est présente même si pour des raisons évidentes il est peu probable qu’ils le disent ouvertement.

Question (traduite de l’anglais): Pensez-vous que Belgrade puisse être l’endroit idéal pour des négociations sur la situation actuelle?

Sergueï Lavrov: Belgrade est une ville excellente du point de vue de sa position et de son statut. Elle convient parfaitement aux négociations à tous les niveaux.

Le fait est que le lieu des négociations doit être acceptable pour les deux équipes. Trois cycles de négociations en présentiel ont eu lieu en Biélorussie. Puis il y a eu une pause pour des raisons techniques. Il n’a pas été facile de se rencontrer en personne – nous avons tenu plusieurs visioconférences. Maintenant l’entente de se rencontrer à Istanbul a été convenue. C’est un point géographique où les opportunités des deux parties coïncident. On est prêt à envisager d’autres lieux, y compris Belgrade.

Question (traduite de l’anglais): Aujourd’hui les Serbes se souviennent des bombardements de l’Otan. Nombreux sont ceux qui affirment que les arguments du Président Vladimir Poutine pour « attaquer » l’Ukraine sont identiques à ceux qui ont été utilisés par l’Alliance lors de son agression contre la Yougoslavie. Comment pourriez-vous répondre à ce genre d’affirmations?

Sergueï Lavrov: Nos collègues occidentaux sont connus pour déformer les faits sans même sourciller ou rougir. Ils cherchent toujours à justifier leur position et leurs revendications en déformant la réalité.

Nous avons parlé du coup d’État en Ukraine en février 2014 lorsque les garanties de règlement du conflit fournies par l’UE ont été piétinées. Les néonazis qui ont pris le pouvoir ont tout de suite exigé que le statut de la langue russe soit annulé en Ukraine, que nous nous en allions de Crimée, ils ont envoyé des détachements militaires pour prendre d’assaut le bâtiment du Conseil suprême. Ce n’est qu’après cela que les Criméens se sont rebellés contre ces attaques et ont organisé le référendum. Aujourd’hui l’Occident commence toute l’histoire de cette période non pas par le fiasco de l’Union européenne dont la signature s’est avérée ne rien valoir pour l’opposition qui a perpétré le coup d’État, ni par les attaques contre la langue russe et les Russes que les putschistes arrivés au pouvoir ont menées. Aujourd’hui l’Occident commence le compte à rebours des événements à partir de ce qu’il appelle l’ »annexion de la Crimée ». En réalité il ne s’agissait pas d’une annexion mais du libre choix des citoyens réalisé à la suite d’un coup d’État commis avec l’appui de l’Occident. Mais l’Occident efface de l’histoire ces quelques semaines avant le référendum en Crimée. Ils disent que l’ »annexion » a eu lieu et que les sanctions sont donc là. En réalité ils voulaient punir la Russie pour leurs propres échecs et leur incapacité de tenir leurs promesses.

Tout ce qui se passe actuellement en Ukraine fait l’objet d’un compte à rebours depuis le 24 février de cette année quand le Président de la Russie Vladimir Poutine a déclaré le lancement de l’opération spéciale militaire. Personne ne mentionne les nombreuses années passées à intimider des Russes, la langue russe et la culture russe en Ukraine, à ignorer les appels lancés par les Russes à l’Otan et aux États-Unis sur l’inadmissibilité de la poursuite de l’aménagement militaire des territoires frontaliers avec la Fédération de Russie, les appels directs à empêcher l’Ukraine son adhésion à l’Otan, à cesser d’approvisionner l’Ukraine en armes, à cesser la mise en œuvre des bases navales en Ukraine et maintenant comme il s’avère des laboratoires militaires biologiques. Ils affirment que la Russie a lancé l’opération spéciale militaire contre l’Ukraine « sans aucune raison ». Le fait que pendant huit ans l’État ukrainien « s’en est fiché » des Accords de Minsk, a bombardé des villes, des villages, a tué des civils – tout cela est en dehors de la ligne à partir de laquelle l’Occident commence le décompte de sa position rageuse de principe.

J’ai entendu dire que le Président Vladimir Zelenski a donné une interview à certains médias russes et lorsqu’il a été interrogé sur les laboratoires biologiques il a déclaré qu’ils n’existaient pas et que ce n’était que des mensonges. Si l’Occident est prêt à avaler des commentaires de ce genre, cela signifie que nos impressions sur ce qu’est la politique occidentale moderne ne feront que se renforcer. Il existe plusieurs pages de documents que nous avons présentés au Conseil de sécurité de l’ONU, mais le Président de l’Ukraine Vladimir Zelensky affirme que ce n’est pas vrai.

Permettez-moi de vous rappeler comment l’agression s’est déroulée en 1999. Personne ne se souvient maintenant de la façon dont la mission de l’OSCE, dirigée par l’Américain William Walker, a été utilisée au Kosovo lorsqu’elle est arrivée dans le village de Racak où plusieurs dizaines de cadavres (pour la plupart des Albanais) habillés en civil ont été découverts.

Il a tout de suite (bien qu’il n’ait aucun droit de le faire) proclamé l’acte de génocide. Maintenant lorsque des centaines de Russes ethniques du Donbass étaient exposées à des actes évidents de génocide pendant huit ans, on nous dit que nous n’avons pas le droit de caractériser la situation de cette manière et qu’elle devrait être examinée par le Conseil de sécurité de l’ONU. L’Ukraine a même saisi la Cour internationale de justice contre la Russie à ce sujet en déclarant que nous abusions de ce terme. A l’époque le citoyen américain William Walker qui dirigeait la mission de l’OSCE ayant découvert ces corps habillés en civil a proclamé un génocide non pas au nom d’un État quelconque mais en son propre nom. Cependant son statut de chef de la mission de l’OSCE ne lui donnait aucun droit de faire de telles déclarations. Et c’est en se basant sur sa déclaration illégale que les pays occidentaux ont dit que leur patience était « à bout » et ils ont commencé à bombarder Belgrade. Comme vous le savez, Joe Biden, qui était sénateur à l’époque, a déclaré qu’il exigeait de commencer les bombardements, de bombarder les ponts sur la rivière Drina, ce qui a été fait. Comme vous le savez très bien, la mission spéciale à enquêté sur la « situation à Racak » et à découvert que la majorité de ces corps appartenait aux combattants de l’Armée de libération du Kosovo. Après avoir été tués dans les combats ils ont été habillés en civils. Mais cela n’intéresse plus personne, la chose a déjà été faite – le motif a été trouvé tout comme avec le « tube à essai » de Colin Powell à l’égard de l’Irak et la déclaration de Walker à l’égard de Racak.

Ils ont commencé à bombarder Belgrade. Lorsqu’ils ont attaqué des sites civils ils n’ont pas déclaré que la coalition disposait des informations sur l’occupation de ces sites civils par les forces militaires de la Serbie. Non. Ils ont tout simplement bombardé le pont avec un train rempli de civils qui passait dessus. Ils ont bombardé le centre de télévision. Lorsque les voix mécontentes se sont élevées pour dénoncer le caractère inacceptable d’un tel traitement des médias, il a été déclaré, que ce n’était pas des médias mais une structure de la propagande serbe qui remontait le moral de l’armée serbe.

La même chose a eu lieu il y a quelques années en France quand on a refusé de donner une accréditation à RT et à Sputnik au Palais de l’Élysée. Lorsqu’on leur a demandé des raisons d’une telle discrimination on nous a répondu que ce n’étaient pas des médias mais des instruments de la propagande russe. Tous ces « trucs » et « explications » ont été préparés depuis longtemps et ne signifient qu’une seule chose – l’Occident a tous les droits. Ou plutôt ils pensent qu’ils ont tous les droits, qu’ils peuvent déformer les faits comme ils le souhaitent, même si ces « déformations » sont diamétralement opposées de temps en temps.

En ce qui concerne ce qui s’est passé à Belgrade, l’Occident a été très cohérent quant au bain de sang qui y a été provoqué et aux meurtres de civils en très grand nombre. С’était aussi le cas de l’Irak où des centaines de milliers de civils ont été tuées.

Plus tard les idéologues occidentaux et les inspirateurs de ces guerres d’agression ont déclaré que la guerre valait la peine d’être menée pour établir la démocratie. C’était le titre du magazine Time disant que les bombardements de Belgrade avaient apporté la paix. C’est ainsi que cela a été décrit. La duplicité de nos collègues occidentaux est bien connue. Néanmoins, nous n’avons pas arrêté au fil des années d’appeler à mettre au point des normes et des règles de sécurité qui seraient uniformes dans toute la région de l’OSCE.

Il y a 13 ans, on a proposé de signer un traité de sécurité européenne qui codifierait les déclarations politiques de haut niveau selon lesquelles personne ne doit renforcer sa sécurité au détriment de celle des autres. On nous a dit que les membres de l’Otan ne discuteraient pas d’un tel traité parce que les garanties juridiques de la sécurité ne peuvent être fournies qu’au sein de l’Otan. Que tout le monde réfléchisse à la manière de se protéger et se mettre en sécurité! Une telle approche autocratique flagrante a été démontrée par nos collègues en 2009.

Question: On est tous témoins d’une guerre rigide de l’information – il y a beaucoup de fakes, de rumeurs. La direction principale du renseignement du ministère de la Défense de l’Ukraine a récemment diffusé une rumeur que des oligarques russes énervés par la politique du Président Vladimir Poutine discuteraient des moyens possibles de son retrait du pouvoir. Des rumeurs sur son isolement total ont circulé malgré le fait que nous voyons tous son haut degré d’activité. Récemment des rumeurs circulaient également sur la santé du ministre de la Défense Sergueï Choïgou. Vous êtes l’un des plus proches collaborateurs du Président de la Russie Vladimir Poutine, vous avez également de bonnes relations avec le ministre de la Défense de la Russie Sergueï Choïgou. Comment pouvez-vous commenter cela?

Sergueï Lavrov: Je n’ai pas envie de commenter des « délires » répandus par les services spéciaux ukrainiens et par nos néolibéraux qui se trouvent actuellement à l’étranger. Apparemment on leur apporte des documents qui doivent être présentés le matin et ils les présentent. C’est un mensonge éhonté. Tout le monde est sain et sauf et travaille. Vous pouvez le voir sur les écrans et sur les réseaux sociaux. L’ensemble du gouvernement et de l’administration du président travaille en fonction des intérêts de notre pays et des tâches qui nous sont confiées.

Question (traduite de l’anglais): Aujourd’hui on ne voit plus personne tenter la diplomatie de la navette ou assumer avec succès le rôle d’un médiateur international. Est-ce que cela signifie un échec de la diplomatie?

Sergueï Lavrov: Nous assistons à la diplomatie pendant toutes ces années. Laissez-moi vous rappeler encore une fois. En 2014, l’Union européenne s’est portée garante des accords entre le Président de l’Ukraine et l’opposition. C’était le sommet de la diplomatie. Le lendemain matin l’opposition a craché sur cette diplomatie, et l’Union européenne a été contrainte d’avaler cette situation. Ensuite la diplomatie a atteint de nouveaux sommets. С’était en février 2015 à Minsk. Les accords qui ont mis fin à la guerre à l’est de l’Ukraine et qui ont ouvert la voie de rétablissement de l’intégrité territoriale de l’Ukraine par l’octroi du statut spécial au Donbass ont été signés. À peu près le même statut qui était à la base de l’accord sur la création de la Communauté des municipalités serbes du Kosovo. Dans les deux cas l’Union européenne a été directement impliquée dans l’aboutissement d’un tel résultat diplomatique. Dans les deux cas l’Union européenne a pleinement prouvé son inconsistance en tant qu’organisation capable d’appliquer ce qui avait été convenu.

Maintenant beaucoup de gens appellent à donner une chance à la diplomatie. Bien sûr, nous avons envie de donner une chance à la diplomatie. C’est pour cette raison que nous avons accepté les négociations qui reprennent actuellement à Istanbul. Je vous ai cité des exemples (en effet, ils sont nombreux) où les réalisations de la diplomatie ont été ruinées par nos collègues occidentaux. Nous ne leur faisons plus confiance. Je ne voudrais plus voir de « navettes » de la part de nos collègues occidentaux. Ils ont déjà fait « leur travail » en février 2014 en Ukraine et en février 2015 à Minsk.

Question (traduite de l’anglais): Dans un de ses derniers numéros le journal Politika a consacré toute une rubrique « Le sujet de la semaine » à la recherche de la réponse à la question suivante: « Le nazisme, a-t-il été vaincu en 1945? » Pourquoi la majorité des États européens ne comprend-elle pas cet objectif de la Russie en Ukraine?

Sergueï Lavrov: C’est une question philosophique. Ce n’est pas à moi qu’il faut l’adresser. Le néonazisme a connu une résurgence en Europe bien avant les événements actuels, c’est un fait. Il est également avéré qu’en Lettonie des marches de bataillons Waffen-SS sont organisées chaque année au mois de mars et elles sont largement soutenues par le gouvernement – c’est aussi un fait. C’est également un fait que les monuments à la mémoire de ceux qui ont vaincu le fascisme sont démolis en Ukraine et en Pologne et que les monuments aux héros de la Grande Guerre patriotique et de la Seconde Guerre mondiale sont profanés dans d’autres États de l’Union européenne. Et le fait que des monuments à la mémoire de Bandera et de Choukhevitch, qui étaient des figurants du procès de Nuremberg, soient érigés en Ukraine, est également bien connu de tous. Tout cela dure depuis des années.

J’espère beaucoup que la conscience européenne va maintenant s’éveiller. Car ces tendances à faire revivre l’idéologie de la pratique du nazisme sont devenues clairement identifiables en Ukraine.  Là-bas cela ne se limite pas aux marches aux flambeaux ni à des simples marches comme c’était le cas dans les pays baltes et dans un certain nombre d’autres pays. Des groupes militants néonazis y ont été sciemment créés. Il existe des preuves documentaires à ce sujet: des photos et des vidéos. Ces militants néonazis ont infiltré les rangs des forces militaires ukrainiennes pour y « prendre des hauteurs dominantes ». Ceci est également bien connu.

Je suis convaincu que l’Europe doive réfléchir à nos exigences pour empêcher la nazification de l’Ukraine (de toute façon c’est notre voisin et c’est une menace directe pour la Fédération de Russie).  Et pas seulement l’Europe, le monde entier. Il est révélateur que lorsque chaque année nous présentons la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU sur l’inadmissibilité de la glorification du nazisme, l’ensemble de l’Union européenne s’abstient timidement, tandis que les États-Unis et l’Ukraine votent traditionnellement contre. Bien avant ces événements. Les États-Unis expliquent cela en disant que la liberté d’expression est intégrée dans la loi. Et c’est toute la réponse. Et le fait que le procès de Nuremberg et ses décisions avaient un caractère obligatoire n’intéresse plus personne.

Question (traduite de l’anglais): Les autorités serbes, évoquent-elles aujourd’hui la possibilité d’assumer la propriété des entreprises russes? Si les entreprises, l’industrie pétrolière serbe, ne sont pas soustraites aux sanctions de l’UE, la Russie est-elle prête à céder sa part résiduelle, sa propriété à la Serbie? À quelles conditions?

Sergueï Lavrov: Je suis certain que cette question sera résolue. Nous avons de bonnes relations. Vous savez quel rôle joue l’industrie pétrolière de la Serbie dans l’économie de votre pays, quelle part du budget de la Serbie représente cette société.

Je suis convaincu qu’une solution sera trouvée sur la base d’un accord entre nos pays et nos entreprises. Il n’y a aucun doute là-dessus.

Voir notre dossier sur la situation en Ukraine.

Pour soutenir ce travail censuré en permanence (y compris par Mediapart) et ne manquer aucune publication, faites un don, partagez cet article et abonnez-vous à la Newsletter. Vous pouvez aussi nous suivre sur TwitterFacebookYoutube et VKontakte.

Source: Lire l'article complet de Le Cri des Peuples

À propos de l'auteur Le Cri des Peuples

« La voix des peuples et de la Résistance, sans le filtre des médias dominants. »[Le Cri des Peuples traduit en Français de nombreux articles de différentes sources, principalement sur la situation géopolitique du Moyen-Orient. C'est une source incontournable pour comprendre ce qui se passe réellement en Palestine, en Syrie, en Irak, en Iran, ainsi qu'en géopolitique internationale.]

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Recommended For You