Par Steven Sahiounie, journaliste et commentateur politique
Source : Mideast Discourse, 3 avril 2022
Traduction : lecridespeuples.fr
Le Premier ministre pakistanais Imran Khan restera en fonction après le rejet de la motion de défiance qui devait être votée aujourd’hui. Le président Arif Alvi a dissous l’Assemblée nationale après que le vice-président a suspendu la session et rejeté la motion de défiance au motif qu’elle faisait partie d’une « conspiration étrangère », et Khan a demandé à sa nation de se préparer aux élections.
Il avait semblé que Khan pourrait être évincé du pouvoir après avoir perdu sa majorité à l’Assemblée nationale mercredi, lorsqu’un allié clé a quitté sa coalition, ce qui aurait pu donner à l’opposition les 172 voix sur les 342 sièges nécessaires pour le forcer à partir.
La lettre des États-Unis a peut-être permis de lui sauver la vie, du moins politiquement. « Nous savons quels sont les endroits d’où la pression est exercée sur nous. Nous ne ferons aucun compromis sur l’intérêt du pays. Je ne fais pas d’allégations, j’ai la lettre qui en est la preuve », avait déclaré M. Khan en brandissant la lettre dans sa main.
« Nous ne quitterons pas le Parlement tant que les deux décisions [rejet de la motion de défiance et dissolution des assemblées] ne seront pas annulées », a déclaré Maryam Aurangzeb, leader de la Pakistan Muslim League (Nawaz). L’opposition a demandé à la Cour suprême d’examiner les démarches de l’Assemblée nationale.
« Je me battrai jusqu’à la dernière balle », a déclaré l’ancienne star du cricket devenue homme politique. Dans son discours à la nation, Khan avait déclaré : « Je n’ai jamais voulu être l’esclave d’un pays. Lorsque je suis arrivé au pouvoir, j’ai décidé que nous aurions une politique étrangère indépendante. » Il a ajouté que les temps ont changé et que son gouvernement « n’accepterait pas l’esclavage des autres. Nous forgerons des amitiés avec tout le monde. Nous ne deviendrons pas des esclaves. »
Khan accuse les États-Unis d’orchestrer un changement de régime
Khan a affirmé que les États-Unis le « menaçaient » et cherchaient à l’évincer du pouvoir, alors qu’il faisait face à un vote de défiance à l’Assemblée nationale pakistanaise. Dimanche, lors d’un rassemblement en sa faveur, il a déclaré à la foule qu’un pays étranger conspirait contre lui et que ses adversaires politiques travaillaient sur l’ordre de ce pays. Il a affirmé que des fonds étrangers aux mains de ses ennemis politiques tentaient de renverser son gouvernement pour prendre le contrôle de la politique étrangère du Pakistan.
Lors d’un discours télévisé en direct à la nation, jeudi, Khan a déclaré : « Aujourd’hui, je dois parler de quelque chose d’important concernant l’avenir du pays. J’ai décidé de faire ce discours en direct parce que le Pakistan est à un moment décisif et que deux voies s’offrent à nous. »
La lettre était un câble diplomatique officiel des États-Unis vers le Pakistan qui indiquait : « Si le vote de défiance réussit, nous vous pardonnerons. S’il ne réussit pas, et qu’Imran Khan reste le Premier ministre, alors le Pakistan sera dans une situation difficile. »
« Je ne laisserai jamais cette conspiration réussir, quoi qu’il arrive », a déclaré Khan.
Les raisons pour lesquelles les États-Unis voudraient évincer Khan
Les États-Unis veulent évincer Khan parce qu’il a mené une politique étrangère indépendante et qu’il a rendu visite au Président russe Vladimir Poutine le jour où celui-ci a lancé l’attaque contre l’Ukraine. Par la suite, le Pakistan s’est abstenu de participer au vote du Conseil de sécurité des Nations unies sur une résolution dénonçant l’agression russe contre l’Ukraine. Khan a réprimandé l’Union européenne pour avoir exhorté le Pakistan à dénoncer la Russie :
« L’ambassadeur de l’Union européenne nous a écrit une lettre demandant au gouvernement pakistanais de faire une déclaration et de voter contre la Russie. J’ai demandé à l’ambassadeur : avez-vous écrit une lettre à l’Inde ?
Je veux rappeler à ma nation que le Pakistan a aidé l’OTAN, l’a soutenue dans la guerre contre le terrorisme. Je n’ai jamais soutenu une telle guerre. J’aurais maintenu mon pays hors de cette guerre si j’avais été au pouvoir à l’époque, mais le dirigeant d’alors l’a fait. Et quelle a été la récompense pour le Pakistan ? 80 000 Pakistanais ont perdu la vie, 3,5 millions de Pakistanais ont été déplacés et notre pays a perdu plus de 100 milliards de dollars.
Lorsque l’Inde a violé le droit international au Cachemire, et a violé la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, l’UE a-t-elle rompu ses relations avec l’Inde lorsque le statut spécial a été aboli ? Les avez-vous critiqués ? Avez-vous cessé de commercer avec l’Inde ? Alors, que sommes-nous en face de vous ? Sommes-nous des esclaves ? Sommes-nous des esclaves tenus d’agir selon vos souhaits ?
Nous ne voulons pas d’inimitié avec qui que ce soit, nous voulons l’amitié avec tous : nous avons l’amitié avec la Russie, nous avons l’amitié avec l’Amérique, nous avons l’amitié avec la Chine et nous avons l’amitié avec l’Europe. Nous ne sommes dans aucun camp. Nous sommes neutres et nous allons travailler avec ces pays pour mettre fin à la guerre en cours en Ukraine. Nous ne soutiendrons personne dans la guerre mais nous soutiendrons tout le monde dans la paix. »
Khan a assisté le 4 février à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques d’hiver de 2022 à Pékin, alors que les États-Unis ont boycotté la cérémonie. La Chine est le plus grand investisseur du Pakistan, avec plus de 60 milliards de dollars de projets dans le cadre du Corridor économique Chine-Pakistan. À la suite d’une réunion des ministres des affaires étrangères des deux pays à Islamabad, le ministère chinois des affaires étrangères a déclaré que les deux pays s’inquiétaient des retombées des sanctions unilatérales imposées à la Russie parce qu’elle a envahi l’Ukraine.
En octobre 2021, l’administration Biden a adressé un message froid au Pakistan lorsque la Secrétaire d’État adjointe américaine, Wendy Sherman, a rencontré le ministre pakistanais des affaires étrangères, Shah Mahmood Qureshi, à Islamabad. Elle a fait comprendre au Pakistan que l’administration Biden avait dévalorisé les relations bilatérales. Mme Sherman a déclaré : « Nous ne nous voyons pas construire une relation élargie avec le Pakistan, et nous n’avons aucun intérêt à revenir à l’époque de l’Inde-Pakistan à trait d’union », a-t-elle ajouté. « Ce n’est pas là où nous en sommes. Nous n’en sommes pas là et nous n’en serons jamais là. »
De hauts responsables du gouvernement pakistanais ont déclaré après la visite de Sherman qu’il y avait des tensions diplomatiques entre les deux pays qui devaient être résolues et que Khan était furieux de n’avoir toujours pas reçu d’appel téléphonique de Joe Biden. Dans son discours marquant l’achèvement du retrait militaire d’Afghanistan le 31 août, Joe Biden a déclaré que l’accent serait désormais mis sur la diplomatie régionale. La décision de ne pas appeler Khan était un signe du mécontentement de Washington à l’égard de l’attitude de Khan en Afghanistan.
Khan a décrit la prise de pouvoir par les talibans comme « la rupture des chaînes de l’esclavage ». Les États-Unis souhaitent que le Pakistan maintienne la solidarité internationale en refusant de reconnaître les Talibans tout en faisant pression en faveur des droits des femmes et d’autres principes démocratiques. Depuis le 11 septembre, les États-Unis considèrent que le Pakistan fait partie du problème afghan.
Zahid Hussain, auteur de Guerre sans vainqueur : le paradoxe des relations américano-pakistanaises dans l’ombre de l’Afghanistan, a déclaré que les relations étaient au plus bas. « Il y a un manque d’espoir que les relations s’améliorent, car les choses ne bougent pas vers un rapprochement entre les deux pays. Aujourd’hui, nous ne voyons pas de relations stratégiques entre les États-Unis et le Pakistan : il ne s’agit plus que de relations transactionnelles », a-t-il déclaré.
Histoire des changements de régime américains
Dans Les Etats-Unis attaquent : Comment nous avons envahi ou été militairement impliqués avec presque tous les pays de la planète, les auteurs Christopher Kelly et Stuart Laycock définissent « l’invasion » comme « une attaque ou une intervention armée dans un pays par les forces américaines ». Selon leur livre, les États-Unis ont envahi ou combattu dans 84 des 193 pays reconnus par les Nations unies et ont été militairement impliqués dans 191 de ces 193 pays, soit un pourcentage stupéfiant de 98 %.
La Yougoslavie, l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, l’Égypte, la Tunisie, la Syrie et le Yémen sont autant d’exemples des projets de changement de régime des États-Unis et de l’OTAN.
Les effets secondaires de l’opération russe en Ukraine en Inde
Le gouvernement du Premier ministre Narendra Modi s’est opposé à la pression des États-Unis. L’Inde n’a pas condamné l’attaque de Moscou contre l’Ukraine, se contentant de dire que la Russie et l’Ukraine devraient mettre fin aux hostilités et rechercher une solution diplomatique par le dialogue.
La Russie réduira son utilisation du dollar américain pour ses échanges avec des pays tels que l’Inde et a salué New Delhi comme un ami qui n’adopte pas un « point de vue unilatéral » sur la guerre en Ukraine.
Les États-Unis, l’Union européenne, le Royaume-Uni et le Canada ont interdit à certaines banques russes l’accès à SWIFT, le réseau hautement sécurisé qui facilite les paiements entre 11 000 institutions financières dans 200 pays. La Russie propose à l’Inde une alternative SWIFT impliquant des paiements libellés en roupies et en roubles en utilisant le système de messagerie russe SPFS, un système développé par la banque centrale russe pour les paiements bilatéraux.
L’Inde permettra à Moscou d’investir et d’emprunter sur le marché intérieur, ce qui constitue un geste de retour pour l’offre russe de vendre du pétrole à l’Inde avec un rabais énorme de 25 à 30 %. La décision est de permettre à la Russie de payer ces investissements par le biais d’un compte de la Reserve Bank of India qui existe depuis trois décennies, les fonds s’étant accumulés dans l’attente de paiements pour des achats de défense effectués auprès de Moscou. L’Inde pourrait à son tour être une cible pour des plans de changement de régime orchestrés par les États-Unis.
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