par Fabrice G.
Sommes-nous en guerre contre la Russie ? À l’évidence oui, malgré l’hypocrisie des démentis officiels. Il suffit de constater le ton guerrier adopté par les « grands médias » et l’État d’une opinion où dominent la ferveur pro ukrainienne et une haine tout aussi générale envers la Russie. Plus grave, on voit même cette hostilité envers la Fédération de Russie s’étendre maintenant à tout ce qui est russe. On annule les concerts des artistes russes et on les somme de dénoncer publiquement la politique de leur gouvernement pour qu’ils puissent continuer leur activité. Prodige de l’inversion des valeurs en ces temps bellicistes, il devient honorable, alors qu’on ne court soi-même aucun risque, d’exiger d’artistes étrangers de rompre durablement ou définitivement avec leur propre pays. La cible des Russes vivants ne semblant pas suffire aux va-t-en-guerre du moment, on s’en prend aux Russes morts. Tant pis s’ils s’appellent Dostoïevski ou Tchaïkovski : ils sont devenus aussi indésirables que des suppôts de Poutine. Et, suprême ironie qui en dit long sur l’état de l’opinion, la russophobie ambiante n’épargne pas les animaux : la Fédération internationale féline a décidé de bannir les chats russes de ses compétitions. On ne se rappelle pas que les trois guerres franco-allemandes, dont deux mondiales, aient incité les Français, pourtant bien plus patriotes qu’aujourd’hui, à interdire les bergers allemands…
Nonobstant cette différence, c’est au climat d’août 1914 que fait irrésistiblement penser le bellicisme de 2022. Déraison collective et marche vers l’abime, surenchères guerrières et bonne conscience inébranlable, indignation sélective derrière les bons sentiments, autant de passions mauvaises encore une fois au rendez-vous. À ceci près que les postures martiales d’aujourd’hui s’accompagnent d’une certitude : celle de ne pas avoir à payer le prix du sang. Alors qu’en 1914 les Français étaient prêts à sacrifier leur vie contre l’ennemi allemand et à aider leur allié serbe, force est de constater qu’aujourd’hui les Français n’envisagent pas autre chose que de se battre par procuration, c’est-à-dire jusqu’au dernier Ukrainien. L’esprit de paix qui, en février 2003, animait l’opinion occidentale quand elle se mobilisait dignement contre l’agression de l’Irak par les États-Unis parait bien lointain. Vladimir Poutine serait-il donc pire que Saddam Hussein ?
Contribuer à la paix et aider l’Ukraine, sont pourtant des objectifs louables. Sauf que pour les atteindre il est urgent de sortir du cercle vicieux et déshonorant des postures guerrières sans les risques qui les accompagnent. Et d’abord, pour commencer, il est temps de se déprendre de l’emprise de l’« information » diffusée par les entreprises médiatiques. Toutes à l’unisson, celles-ci s’emploient à mettre la communication au service des nationalistes ukrainiens, mettant un soin scrupuleux à ne rien laisser filtrer de ce qui pourrait les desservir. À coups de poncifs et d’émotions manipulées, de bobards et d’occultations, elles visent à mobiliser l’opinion en vue d’objectifs qu’elles s’emploient à passer sous silence. Parfaitement connus et publics depuis longtemps, ces objectifs ne sont ni dans l’intérêt de l’Europe ni de la France. Pire, ils les menacent dangereusement.
À commencer par la question de l’extension à l’Est de l’OTAN. Alors que la réunification de l’Allemagne avait été acceptée il y a trente ans par les dirigeants soviétiques en échange d’explicites garanties occidentales de non extension de l’OTAN, cette extension est depuis le milieu des années 90 l’objectif obsessionnel des États-Unis. Question cruciale s’il en est, et toile de fond du conflit présent, elle est pourtant largement ignorée des « grands médias » qui préfèrent focaliser l’attention de l’opinion sur la « paranoïa » du « maitre du Kremlin ». Or, il s’impose aujourd’hui plus que jamais de le rappeler, nombre d’Américains célèbres pour avoir été des faucons de la politique étrangère américaine face à l’URSS, comme, entre autres, Georges Kennan, Henry Kissinger ou Zbignew Brezinski, ont expressément désapprouvé cette extension de l’OTAN au nom du risque de guerre qu’elle entrainerait inéluctablement avec la Russie post soviétique. C’est là précisément, comme ils l’avaient anticipé, que nous sommes aujourd’hui. Que penser alors de la politique américaine actuelle face à la Russie, sinon que, plus maximaliste que celle des faucons du passé, elle est devenue extrémiste et insensée, mettant en danger la sécurité du monde et plus particulièrement celle de l’Europe ? Et peut-on sérieusement condamner l’intervention russe du 24 février sans condamner non moins explicitement la dérive qui en est la cause ? Plutôt qu’appeler à plus de guerre, il apparaît autrement plus urgent d’exiger que la diplomatie reprenne ses droits et qu’elle parvienne à concilier les légitimes exigences de sécurité des Ukrainiens et des Russes mais aussi celles des Ukrainiens du Donbass bombardés depuis 2014 de manière indiscriminée par les forces de Kiev. Dans cette perspective, il serait impératif que l’Europe exige enfin des États-Unis qu’ils cessent de se servir de l’Ukraine comme d’un poste avancé de leur expansion militaire et de leur hégémonie globale en flattant un nationalisme ukrainien fortement compromis avec le nazisme. Un passé avec lequel les autorités de Kiev refusent aujourd’hui de rompre. À l’ONU, en décembre 2021, les États-Unis et l’Ukraine, n’ont-ils pas été les seuls, avec le Canada, à voter contre une résolution condamnant la glorification de l’idéologie nazie et la négation de ses crimes ? Guerre ou paix en Europe, tout indique que l’Union européenne n’est pas à la hauteur de cet enjeu historique. Mais, en choisissant de suivre le maitre belliciste qu’elle s’est donnée, elle dévoile du même coup ce que vaut son fameux slogan « l’Europe, c’est la paix ».
Restent les leçons d’août 14. Ne les oublions pas. Face à la boucherie absurde qui se profilait et qu’il voulait empêcher, Jaurès avait raison contre les va-t-en-guerre de tout poil.
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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