Chaque fois qu’elle part en voyage, Brigitte Bédard rencontre des difficultés qui s’avèrent toujours être des moments de grâce. Alors qu’elle était en France pour la tournée promotionnelle de son récent livre Je me suis laissé aimer…, elle nous offre ce troisième et dernier épisode de ses carnets de voyage (pour lire le premier, c’est par ici).
Presque 7 h. Dans le train pour Caen. Je laisse derrière moi Laval, traversée par La Mayenne qui longe son château fort. Beau Pays de la Loire.
C’est la troisième nuit que je ne dors que quatre petites heures. Comment je fais pour tenir debout ? Certains disent que c’est « la grâce d’état ». Peut-être.
Je me remémore la beauté des lieux. Je replonge dans la profondeur de toutes ces âmes.
Pas d’endroit où reposer sa tête
Hier, pendant l’apéritif, et le souper aux crêpes bretonnes, et ma conférence, j’ai vu sous mes yeux la conversion d’un homme bourru, profondément blessé dans sa jeunesse par l’Église et ses prêtres. Sa femme en était encore toute émue lorsqu’elle m’a déposée à mon hôtel, après la soirée.
L’émerveillement et la jubilation, que l’Écriture nomme adéquatement « exultation », peuvent vous empêcher de dormir. Bien davantage que le souci.
Exulter : être transporté d’une joie extrême, qu’on ne peut contenir ni dissimuler. Comme toi, Marie, « mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur ! » (Lc 1, 46) C’était comme si j’avais vu Dieu planter son pardon dans le cœur de cet homme. Live !
Plus tôt, dans l’après-midi, après deux interviews Skype, j’avais rejoint Louis, un Parisien de 45 ans qui m’avait entendue deux jours auparavant à Radio Notre-Dame. Il m’avait texté et téléphoné avec tant d’insistance. Il voulait simplement me rencontrer. Il avait de profondes blessures affectives et sexuelles.
Comment dire non ? Moi qui voulais faire la sieste… Mais comment dormir quand une âme si belle vous implore ? Quand il veut rencontrer Dieu et ne sait pas comment ?
« Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer la tête. »
Matthieu 8, 20
Je me reposerais demain dans le train. Louis avait fait le voyage de Paris pour venir assister à ma conférence. On avait donc passé l’après-midi ensemble chez Etienne Coffee & Shop pour ensuite se balader dans la vieille ville, longer La Mayenne, ses remparts, son Château, et le Jardin de la Perrine.
Un après-midi béni. Deux âmes qui partagent. Qui prient. Les minutes s’écoulaient. Ses tics nerveux diminuaient. Sa gêne s’estompait. Ses yeux prenaient de l’assurance et arrivaient à regarder les miens.
Ni bâton ni sac
En route vers Caen, je pourrais dormir, mais l’Esprit souffle, et avec ce vent, il fait comme sur l’océan, et vient agiter l’eau pour former des vagues. Pas moyen d’être au repos. Je prie. Pour Louis et tous les autres. Et aussi pour ces jeunes qui m’attendent à Caen, à qui je veux dire que l’amour qui dure toute une vie existe. Que je l’ai tant cherché. Que je l’ai trouvé… ou l’inverse.
De la gare, Amélie m’amène au lycée. Au grand soleil, je raconte mon histoire. Les questions pleuvent, et puis voilà, je dois repartir. Mon bus m’attend pour Rouen.
Il fait si chaud. Je traine mes bagages qui grossissent de conférence en conférence, chacun voulant m’offrir ceci, et puis cela… « Ne prenez rien pour la route, ni bâton, ni sac… » (Lc 9,3). Il savait de quoi il parlait, Jésus, tsais. Je manque quasiment mon autobus, mais j’y monte, à moitié morte. Je m’écroule sur la banquette. En sueur. Déshydratée. Le dos en compote. Les pieds enflés. J’enlève mes chaussures. Je cogne des clous tout le long du voyage, sans dormir.
Comment vais-je faire cette entrevue radio tout à l’heure ? Et puis, la conférence de ce soir ? Je suis à bout. Et demain ? Nantes, ma dernière conférence. Après, le retour.
Catherine vient me cueillir à la gare. Pour nous deux, ce sont des retrouvailles. Nous sommes heureuses.
– Catherine, ma sœur, je suis épuisée. Je dois dormir. Maintenant.
Elle m’amène à la station de radio, espérant trouver un endroit où je pourrai m’assoupir. Rien. On va à la réception du séminaire pour quémander une petite chambre.
– Bah… Y’a rien ici ! Mais allez demander aux p’tites sœurs en haut de la côte, au couvent !
Je pense : « Une côte ? Ah… non… pitié… Jésus. »
Le repos en Dieu
On repart. On monte la côte. Arrive au couvent. Catherine s’égosille à demander une place à la petite sœur vietnamienne qui ne comprend pas très bien. Elle nous ouvre une porte : c’est une cuisine avec une table et quatre chaises.
– Non, ma sœur. Brigitte ne va pas se coucher sur la table !
On rit. La sœur aussi. Catherine demande si les studios sont libres. La sœur va voir. Elle revient. Là, je pense que je dormais debout. Elle me réveille en disant que tous les studios sont occupés. Elle réfléchit un moment. Je ferme les yeux. Je rêve, l’espace d’un instant… « Il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune… » (Lc 2, 7)
La sœur sursaute : « Le salon ! » Elle nous y amène. Ouvre les grandes portes. Une pièce immense, meublée à l’ancienne, avec des tapis, des tables basses et des fauteuils. Je fais le tour avec les yeux. Je cherche un divan. Il n’y en a pas. Bah. Un fauteuil fera l’affaire. Sinon, je me coucherai parterre.
Elles sortent et me laissent seule. Je dépose mon barda et je marche. Tout au fond, il y a une porte entrouverte. J’ose l’ouvrir. L’air frais me saisit comme les bras de mon mari… La chapelle ! Mon cœur bondit. « Est-ce que Jésus est là ? » Je tourne la tête et oui, juste à ma droite, la petite lampe scintille. Le tabernacle. « Jésus ? Tu es seul ? ». À côté, le long du mur, un banc capitonné. Je retire mes chaussures. Mes chaussettes. Je roule mon manteau. M’en fais un oreiller.
« Oh… Jésus… tu m’as gardé la meilleure part ». Et elle ne me sera jamais enlevée. (Lc 10, 42)
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Source : Lire l'article complet par Le Verbe
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