Opération russe en Ukraine : les réponses de Sergueï Lavrov

Opération russe en Ukraine : les réponses de Sergueï Lavrov

Allocution et réponses à la presse de Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, lors d’une rencontre avec les étudiants et les enseignants de MGIMO, Moscou, 23 mars 2022.

Source : Ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie

Monsieur Torkounov,

Chers collègues et amis,

Je trouve notre rencontre opportune. Lors des étapes difficiles de notre histoire, on veut toujours parler avec des partisans des mêmes idées, sentir les humeurs dans son alma mater. Nous l’aimons et l’apprécions. Elle continue de remplir efficacement ses fonctions en formant des spécialistes très compétents non seulement pour notre Ministère, mais également pour bien d’autres secteurs d’activité de l’État: l’économie, les affaires, le service public, les médias et bien d’autres.

Je souhaiterais que MGIMO honore ses traditions et reste une université d’État où les traditions lancées pendant la Grande Guerre patriotique, dès ses premiers jours, sont conservées et évoluent. Je voudrais remercier en particulier la direction de l’université et personnellement Anatoli Torkounov d’accorder une immense attention à cet aspect précis de l’enseignement. Le travail éducatif, comme nous le voyons aujourd’hui, est crucial.

Ce qui se passe aujourd’hui dans le monde, cela ne concerne pas tant l’Ukraine, mais plutôt les tentatives de créer un nouvel ordre mondial. Il y a une dizaine d’années, nos collègues occidentaux, au lieu d’utiliser le terme « droit international » (à respecter lequel nous appelions pendant toutes les années d’existence de l’ONU), ont commencé à exiger de tout le monde de respecter un « ordre mondial basé sur des règles ». Personne ne dévoile ces « règles » à personne, parce qu’il n’y en a pas. Elles sont créées pour chaque cas concret. Elles sont rédigées dans un cercle étroit de pays occidentaux, puis sont présentées comme vérité de dernière instance. Nous assistons à une apothéose de la crise ukrainienne. Il ne fait aucun doute que l’une des « règles » que l’Occident veut réaliser est l’endiguement de tout concurrent. Aujourd’hui, c’est la Russie, mais la Chine a été désignée comme la suivante (ou tout se déroulera en parallèle). L’objectif de cet « ordre mondial basé sur des règles » et le retour à un monde multipolaire.

L’Otan est un « instrument » obéissant. Cela fut toujours le cas. L’UE avance de nombreuses réflexions et idées sur la nécessité de créer une « autonomie stratégique ». Le Président français Emmanuel Macron le prônait activement. Mais l’UE a perdu son autonomie. Pour l’instant, seule une décision modeste s’est matérialisée, concernant la « Boussole stratégique », une brigade de déploiement rapide de 5.000 hommes. Mais dans les questions conceptuelles l’UE a entièrement fusionné avec l’Otan et les États-Unis. Depuis des années se déroule un processus où des pays neutres et non alignés de l’UE, qui ne sont pas membres de l’Otan, mettent à disposition leur infrastructure pour des exercices militaires. La « mobilité européenne » ne fait pas la distinction entre un membre de l’Otan et un pays neutre à des fins d’expansion vers l’est. Dans tous les cas, c’est fait pour les besoins de l’Otan, qui avançaient vers l’est depuis toutes ces années (malgré tous les engagements).

L’Alliance ignorait nos nombreuses propositions de respecter ce qui a été convenu, nous semblait-il, une bonne fois pour toutes – dans l’OSCE, dans le cadre des relations Otan-Russie – que personne ne renforcera sa propre sécurité au détriment de la sécurité des autres. C’est un principe clé d’indivisibilité de la sécurité fixé au sommet. Il nous était répondu que des garanties juridiques de sécurité pouvaient être données uniquement au sein de l’Otan, et non dans le cadre de relations « d’accord » avec la Fédération de Russie. De cette manière, les pays qui n’avaient pas encore adhéré à l’Otan après la disparition du Pacte de Varsovie étaient soumis à la tentation, ils étaient attirés dans l’organisation. L’objectif consistait à endiguer la Russie, comme tout autre pays qui adopte un comportement autonome sur la scène mondiale. En ce qui concerne l’axe russe, l’Ukraine a été choisie en tant qu’instrument pour réprimer l’autonomie russe. Rappelons ce que disait Zbigniew Brzezinski sur ce que la Russie représenterait avec une Ukraine amicale à côté d’elle, et ce qui arriverait si l’Ukraine était inamicale envers la Russie. Dans ce cas, la Russie ne serait plus une grande puissance, mais régionale.

Pour que l’Ukraine soit un instrument efficace d’endiguement, elle doit devenir une « anti-Russie », comme l’a récemment déclaré le Président russe Vladimir Poutine. On y encourageait le néonazisme, avec l’adoption de loi sur la « décommunisation », sur la « glorification des vainqueurs dans la Seconde Guerre mondiale » auxquels ont été attribués Choukhevitch, Bandera et d’autres collaborationnistes condamnés par le tribunal de Nuremberg. Mais cela n’intéressait personne. L’Occident « civilisé » l’observait en silence et même l’encourageait activement, tout comme le développement de programmes de stratégies d’éducation nationale patriotique des jeunes avec le soutien public de différentes associations de scout. Il y a l’organisation Plast où Bandera, Choukhevitch et d’autres avaient suivi une formation militaire et idéologique. Sachant que des vétérans étaient passés à tabac, le 9 mai on arrachait les rubans de Saint-Georges. L’Église orthodoxe russe a été divisée. Une pseudo-structure a été créée avec l’aide des Américains et du Patriarcat de Constantinople. Tout se déroulait en parallèle.

Il existe aujourd’hui un terme à la mode, la « cancel culture » (culture de l’annulation). Je trouve que tout cela est la culture de l’annulation de l’histoire commune, que cela fait partie de l’endiguement agressif de la Fédération de Russie. Personne n’a même essayé de respecter les bonnes paroles prononcées en 1991 à la réunion spéciale de l’OSCE à Moscou en proclamant des libertés telles que l’accès à l’information, dans l’ensemble, dans son propre pays et aux informations en provenance de l’étranger. « Nous sommes tous unis, nous avons un destin commun, une maison européenne commune, un espace commun jusqu’à l’Oural, puis jusqu’à Vladivostok ». En parallèle se formait la politique vis-à-vis de l’Ukraine qui devait l’éloigner au maximum de la Fédération de Russie. En 2003, pendant la campagne électorale du Président ukrainien, des représentants de l’UE, des ministres des Affaires étrangères, des membres de l’UE déclaraient publiquement, s’ingérant dans la campagne, électorale, que les Ukrainiens devaient choisir avec qui ils sont: avec l’Europe ou avec la Russie. C’est ainsi que la question était posée. À l’époque déjà il y avait « l’un ou l’autre ». Si le second tour n’était pas « à l’avantage de l’UE », ils forçaient la Cour constitutionnelle, transgressant la Constitution ukrainienne, à annoncer un troisième tour, qui apportait le « bon » résultat.

Cette mentalité de construire constamment une « anti-Russie » se formait depuis des années. Par conséquent, en 2013, quand une nouvelle fois sur le principe « l’un ou l’autre » l’Ukraine négociait avec l’UE sur un accord d’association, nous avons attiré l’attention sur le fait qu’elle évoquait l’annulation des taxes avec l’UE, or dans le cadre de la zone de libre-échange de la CEI la Russie et l’Ukraine n’imposaient pas non plus de taxe. Mais nous avons une protection obtenue après 17 ans de négociations pour adhérer à l’OMC. Nous avons dit honnêtement qu’en cas de taxe zéro entre nous et l’Ukraine et entre l’Ukraine et l’UE, tous nos accords avec l’UE seraient mis en péril et pourraient être transgressés. Nous avons proposé une chose simple: s’assoir à trois (Russie, Ukraine, UE). Bruxelles a déclaré hautainement que ce n’étaient pas nos affaires, après tout, ils ne s’ingèrent pas dans notre commerce avec la Chine. Alors que les échanges russo-ukrainiens étaient colossaux à l’époque. Une approche hautaine. C’était en 2013.

Puis le Président Viktor Ianoukovitch a compris qu’il fallait chercher des compromis pour ne pas perdre le marché russe (sinon nous serions obligés de nous protéger contre la taxe zéro en provenance d’Europe). J’ai demandé à l’UE de reporter la signature de cet accord. Voilà quelle était la raison du rassemblement des gens sur le Maïdan. Viktor Ianoukovitch pensait aux intérêts économiques de son pays, alors que l’UE et ceux qui l’incitaient pensaient à autre-chose: à endiguer au maximum la Russie et à limiter ses capacités de développement. Puis l’Euromaïdan a pris une dimension sanglante. Il y a eu des négociations, des garanties signées par l’Allemagne, la France et la Pologne, et le lendemain matin – un coup d’État. Il a été ensuite demandé aux « garants » européens: comment cela se fait-il? Comment avez-vous pu ne pas forcer vos protégés à respecter l’entente, d’autant qu’il était question des élections anticipées? Quoi qu’il arrive, des changements politiques y auraient eu lieu. Puis ils ont commencé à qualifier l’Euromaïdan de « partie du processus démocratique ».

Je rappelle qu’en 2014 a eu lieu un coup d’État au Yémen, immédiatement fui par le Président Mansour Hadi, qui est toujours considéré par toute l’humanité progressiste comme président du Yémen en exigeant son retour dans le pays. C’est sérieusement discuté. C’est complètement différent avec l’Ukraine. Le pouvoir n’a pas été pris par ceux qui sont opposés aux amis occidentaux et sont favorables à l’amitié avec la Russie, mas ceux qui acceptent de devenir un instrument obéissant entre les mains de l’Occident. Les premiers « instincts » du nouveau pouvoir, des putschistes ont été immédiatement les exigences d’annuler le statut de la langue russe fixé dans les lois ukrainiennes, de chasser les Russes de Crimée. Ils ont envoyé en Crimée des sections de combat pour prendre d’assaut le bâtiment du Conseil suprême. Vous connaissez la suite.

Pendant toutes ces années, nous parlions avec nos collègues occidentaux et leur reprochions d’avoir permis un coup d’État sanglant malgré toutes les « valeurs » européennes. Ils ont dit que nous avons « annexé » la Crimée. Autrement dit, ils « annulent’ tout ce qui a précédé le référendum. C’est leur culture. Ils annulent dans le dialogue, dans leur logique tout ce qui les expose: ils se sont moqués des accords, des garanties, de l’UE, du coup d’État, du sang. Un référendum a été organisé en Crimée parce que la vie des gens russes était directement menacée. Mais les Occidentaux commencent le décompte à partir de ce moment. Ils ne s’intéressent pas à ce qui a conduit au référendum qu’ils qualifient d’ »annexion ». De tels exemples sont nombreux dans l’histoire.

La même chose concerne les événements actuels. Ils considèrent comme le point de départ le 24 février 2022 au lieu du novembre 2021, quand le Président russe a présenté des initiatives sur la sécurité européenne, du décembre 2021, quand nous avons rédigé des projets d’accord pour les États-Unis et l’Otan, ou des rencontres entre des délégations de la Russie et des États-Unis ou de la Russie et l’Otan. Au cours de ces dernières, nos interlocuteurs ont catégoriquement refusé d’adopter des garanties de sécurité fixées et juridiquement contraignantes, assurant qu’aucun État ne renforce sa sécurité au détriment de celle des autres. Tout cela a été oublié.

Le pouvoir ukrainien a concentré le long de la ligne de contact 120.000 militaires, a intensifié les bombardements, a commencé à évoquer ouvertement un plan B. Il s’est avéré que ce plan a en effet existé. Nous disposons de documents qui confirment clairement la justesse de nos préoccupations concernant les préparatifs d’une agression imminente, d’une tentative de prendre le Donbass par la force. Mais personne ne s’en souvient plus

On parle de « l’invasion » russe du 24 février. Mais c’est un jeu de mots, dont l’Occident est un grand maître. Il s’agit d’une sorte de culture de l’effacement des périodes gênantes de l’histoire, même la plus récente, ce que nous constatons dans notre cas.

Comme nous l’avons déjà dit, Dmitri Iaroch et d’autres néonazis ont déclaré immédiatement après le putsch du février 2014 qu’un Russe ne parlerait jamais l’ukrainien, ne penserait jamais en ukrainien et ne lirait jamais Choukhevitch et Bandera, et qu’il devrait donc être expulsé de la Crimée. Nous avons cité cet exemple à nos collègues occidentaux. Ces derniers ont cependant répondu qu’il s’agissait d’élément marginaux, pas du peuple ukrainien. Vladimir Zelenski affirmait au cours de la campagne électorale qu’il ne pouvait pas être néonazi ou discriminer les Russes, parce qu’il était juif et le russe était sa langue maternelle. Il jurait que cela n’arriverait jamais. Premièrement, sa présidence a finalisé la destruction juridique de toutes les possibilités disponibles à la langue russe. Et nous exigerons actuellement de l’annuler. Deuxièmement, il a permis une flambée de l’idéologie et de la pratique de néonazisme. En ce qui concerne son attitude envers les Russes, il a qualifié les habitants du Donbass de « spécimen », en répondant à une question en septembre 2021. Il a dit que tous les hommes n’étaient pas forcement des êtres humains. Il a donc rejoint la « ligue d’honneur » d’Arseni Iatseniuok, qui avait déclaré en 2014 en tant que premier ministre ukrainien, que les habitants du Donbass étaient des « sous-hommes ». Des « sous-hommes », des « spécimen »… ces propos rappellent des théories de Freud. Qui plus est, leurs auteurs étaient considérés comme des personnes respectées: l’un était le premier ministre, l’autre est le Président actuel. Telle est la nature de leurs propos. Ensuite, le Président Vladimir Zelenski a tiré des propos encore plus marquants: si tu te considères comme un Russe et veux vivre comme un Russe, mais habites en Ukraine, pars en Russie. Quelle est la différence par rapport aux propos de Dmitri Iaroch qui exigeait d’expulser tous les Russes de la Crimée? Il n’y en a pas. Mas tout le monde refuse de le remarquer. 

Comme on le dit, les masques sont tombés. Ce n’est pas seulement l’Ukraine qui est actuellement utilisée pour discriminer, humilier et détruire tout ce qui est russe. Le monde entier a reçu l’ordre d’attaque. Même l’Occident « éclairé ». Une personne peut subir une agression parce qu’elle a un passeport russe ou a été prise pour un Russe dans un magasin. C’est sans parler de la situation du sport, de notre parathlètes, qui constitue une moquerie, une véritable condamnation de la civilisation occidentale. Je ne sais pas comment les Occidentaux se débarrasseront plus tard de cette tâche sur leur histoire. Ils expliqueront tout certainement par une « agression », une « invasion ». Mais les facteurs susmentionnés ne constituent qu’une petite partie de tout ce qui a précédé nos décisions forcées. Ces derniers visent à sauver une population bombardée pendant huit ans, à prévenir le déploiement de l’infrastructure militaire menaçante sur le territoire de l’Ukraine et l’adhésion de ce pays à l’Otan, à assurer la dénazification. Ce sont des exigences absolument indispensables.

Des responsables ukrainiens tentent d’affirmer qu’il n’y a pas de loi de ce genre dans le pays, que tout est à l’européenne. C’est faux. Ces lois existent. Elles sont disponibles sur Internet. Les tournées de Valeri Guerguiev et d’Anne Netrebko ont été annulées. Les œuvres de Dostoïevski et de Soljenitsyne sont exclues des programmes d’études des écoles et des universités. Telle est la nature de nos partenaires. Je pense que cette agitation sans précédent reflète la colère provoquée par l’échec du projet d’Anti-Russie. Aujourd’hui, tous les moyens sont bons. Si tu es russophobe, ne peux faire tout ce que tu veux. Ce principe avait des confirmations quotidiennes depuis huit ans dans les actions du pouvoir ukrainien. Cette permissivité russophone se propage actuellement sur tout le « monde occidental ». 

Les sanctions ont existé toujours. Le président russe Vladimir Poutine l’a déjà indiqué. Mais le niveau actuel des restrictions est stupéfiant. Je n’ai jamais pensé que l’Occident fasse preuve d’une telle « imagination ». Plus sérieusement, ce dernier fait tout pour éliminer – comme il espère – l’obstacle sur la voie de la construction d’un monde unipolaire qu’est la Russie. Les Occidentaux ont toujours souligné par le passé en adoptant des sanctions que ces restrictions ne ciblaient pas les gens ordinaires, mais des régimes ou des dirigeants, pour qu’ils ressentent personnellement les répercussions du refus de coopérer. Ils assuraient qu’ils protégeaient toujours la population. Pas du tout. Ces affirmations ont été réfutées à plusieurs reprises. Ils portent un coup ouvert et le disent clairement. Le ministre français de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire affirme publiquement qu’ils ont besoin d’une guerre économique totale. Cela ne nous rappelle rien? Totaler Krieg, comme l’ont dit les Allemands avant le début de la Seconde Guerre mondiale. Il est nécessaire de « déchirer » l’économie russe etc. 

Il ne s’agit pas de l’Ukraine, mais de l’ordre du monde que les États-Unis veulent dominer en tant que le seul souverain. En gros, il s’agit d’une sorte de projection globale de la doctrine de Monroe. En Asie, on parle de la « stratégie Indo-Pacifique », dont l’objectif déclaré est l’endiguement de la Chine. Elle peut avoir d’autres noms dans d’autres régions. J’ai déjà mentionné l’Europe qui peut oublier son « autonomie stratégique ». Nous considérons comme positive la volonté du Président français Emmanuel Macron de défense ces intérêts, mais tous les autres ont déjà accepté le fait qu’il n’y aura aucune « autonomie stratégique ». Oui, ils adopteront de beaux textes, une « boussole stratégique », mais, en pratique, l’Europe n’est pas un acteur indépendant. Le fait que l’Allemagne protège ouvertement et aveuglement le régime de Kiev, y compris tous ses éléments néonazis, suscite des réflexions sérieuses. Malgré la réconciliation – assez récente d’un point de vue historique – entre les Russes et les Allemands. Beaucoup de personnes sages en Allemagne le comprennent parfaitement.

Au cours de toutes ces perturbations, nous n’avons jamais renoncé au dialogue. Nous avons proposé les négociations à l’Otan, aux États-Unis et à l’Union européenne.

Quand les dirigeants ukrainiens ont proposé les négociations en pleine opération militaire spéciale, nous avons accepté cette invitation. Le Président Vladimir Poutine a donné son ordre et les négociations ont commencé. Elles progressent difficilement. Les Ukrainiens ont exprimé leur compréhension des idées qui devaient être concertées au cours des négociations, changent sans cesse leur position et renoncent à leurs propres suggestions. Nous avons l’impression que les collègues américains les tiennent par la main. Si l’on consulte les publications d’analystes politiques russes et occidentaux, on peut comprendre qu’un aboutissement rapide de ce processus serait désavantageux pour les Américains. Ces derniers envisagent de continuer de livrer des armes en Ukraine. Nous constatons de propos provocatoires sur la livraison de MiG soviétiques depuis l’Europe de l’Est ou les fournitures de Stinger supplémentaires. Ces derniers constituent une menace colossale, car ils se propageront plus tard sur tout le territoire européen. Les Américains veulent visiblement nous maintenir en état de guerre le plus longtemps que possible. Mais nous disposons de la santé, de l’expérience, de l’esprit et de la volonté pour protéger ce que nous protégeons actuellement. Nous assurerons la sécurité de la Fédération de Russie et une vie digne pour tous ceux qui veulent vire en Ukraine et se considèrent comme des représentants de la culture russe dans toutes ses manifestations, comme c’était toujours le cas dans les pays slaves voisins.

Les tentatives de nous présenter comme un pays isolé ou qui s’isole, sont pitoyables. Nous avons beaucoup d’amis. Comptez les pays qui ont adopté des sanctions ou ceux qui ont refusé de le faire malgré une pression colossale, voire « indécente » pour une grande puissance, de la part des États-Unis. Ces derniers affirment sans aucune gêne qu’ils avaient demandé quelque chose à la Chine, à l’Inde ou à la Turquie, sans se rendre compte du fait qu’ils humilient ainsi ces grandes civilisations, ces puissances millénaires. Tel est leur comportement. La « ruée vers l’or » continue.   

Question: Ne pensez-vous pas que les négociations avec le gouvernement de Vladimir Zelenski sont dans une impasse? Le traité de paix avec les autorités, ne serait-il pas similaire aux Accords de paix de Khassaviourt conduisant inévitablement à un nouveau conflit?

Sergueï Lavrov: J’imagine que vous suivez Vladimir Soloviov. Nombreux sont ceux qui voudraient qu’il s’agisse d’une impasse pour montrer l’image d’une Russie « enlisée ». Ces atermoiements (les Américains y jouent sans aucun doute un rôle décisif) visent à dramatiser la situation, à permettre à Vladimir Zelenski en T-shirt kaki prononcer ses discours devant les parlements mondiaux. Pour exiger après chacun de ces discours en jouant sur les émotions une intervention de l’Otan.

Nos collègues polonais ont déjà déclaré qu’un sommet de l’Otan se préparait et qu’il fallait envoyer des casques bleus en Ukraine. J’espère qu’ils se rendent compte de quoi ils parlent. Il s’agirait d’un affrontement direct entre les forces militaires russes et l’Otan que tout le monde non seulement voudrait éviter, mais aussi disait qu’il ne devait jamais se produire en principe. Les représentants polonais sont connus par leurs démarches non conventionnelles qui visent à provoquer de grands malheurs. Je n’exclus pas que lorsqu’ils parlent des casques bleus ils sous-entendent leurs propres frontières – l’ouest de l’Ukraine. Ils veulent peut-être introduire des casques bleus, faire un siège à Lvov et y rester ensuite. Pourquoi pas? Ils avaient ce genre d’idées. Et pas que des idées. On l’a déjà connu dans le passé. Maintenant on entend parler non seulement d’un contingent de maintien de la paix, mais également de petits bataillons que les pays baltes pourraient envoyer pour assurer la « sécurité » de l’Ukraine.

On doit garder le sang-froid. Notre position est simple. On a clairement exposé nos approches de négociation. Ils sont “sur le papier”. Les représentants européens s’y intéressent: le Président français Emmanuel Macron et le Chancelier allemand Olaf Scholz sont en contact régulier avec le Président de la Russie Vladimir Poutine, le Premier ministre israélien Naftali Bennett a téléphoné. Nous sommes en contact avec les dirigeants de la Chine et de l’Inde. Les pays occidentaux cherchent aussi à jouer un rôle de médiateur. On n’est pas contre, mais on a des lignes rouges tout à fait précises dont on parle depuis des années. Aujourd’hui on ne peut plus s’en tirer qu’avec des discutions. Surtout si on est conscient de l’expérience tirée des Accords de Minsk où tout a été convenu et même approuvé par le Conseil de sécurité des Nations unies. Cela n’a pas empêché le régime de Kiev d’ignorer et de saboter tous ses engagements avec la pleine indulgence des garants du format Normandie – la France et l’Allemagne. Il s’agit de la “culture de l’annulation”. Ils prétendent être prêts à appliquer les Accords de Minsk mais seulement après avoir repris le contrôle de la frontière. Puis ils vont organiser des élections, une amnistie et établir des relations économiques.

Les documents prévoient le contraire: accordez d’abord le statut spécial, organisez des élections, organisez une amnistie est seulement après, quand tout cela sera établi et confirmé par l’OSCE, vous allez “reprendre” votre frontière. Les Ukrainiens voulaient (sous prétexte de l’exécution des Accords de Minsk) récupérer la frontière. Ils introduiront 20.000 soldats de maintien de la paix de l’ONU. C’est comme la Pologne qui veut maintenant récupérer la partie occidentale de l’Ukraine. Il y aura une “administration civile” au lieu des élections. Ils prétendaient être favorables aux Accords de Minsk. Tout est formulé clairement dans les Accords de Minsk. Il est impossible de les interpréter d’une manière équivoque mais ils ont réussi à le faire. Voilà pourquoi dans la situation actuelle les choses évoquées par le Président de la Russie Vladimir Poutine doivent être “en béton armé” et garanties au point que personne ne prenne le risque de violer ces engagements.

Question: En effet, à l’heure actuelle on constate une certaine inefficacité dans les trois domaines principaux du régime de non-prolifération des ADM et l’absence de réaction adéquate de la part des organisations qui observent ces processus. En ce qui concerne l’arme chimique: la Russie l’a déjà détruite (aussi en dehors du cadre de la convention de 1983), les États-Unis ne l’ont pas encore fait; en ce qui concerne l’arme biologique – nous avons constaté certaines preuves de sa mise au point en Ukraine sans parler des recherches douteuses à Fort Derrick aux États-Unis. Sur l’arme nucléaire (le plus important) la partie ukrainienne déclare ouvertement chercher à l’élaborer et (comme nous avons constaté) joint le geste à la parole. Quelles sont les démarches à entreprendre pour que les régimes de non-prolifération des armes de destruction massive fonctionnent correctement?

Sergueï Lavrov: C’est une bonne question. Ce problème va s’aggraver de jour en jour. Parlons du domaine de la non-prolifération nucléaire où il n’y a aucune contradiction insurmontable. On ne peut pas organiser une Conférence d’examen du Traité de non-prolifération nucléaire (elle a lieu tous les cinq ans). En 2020 on n’a pas eu cette occasion à cause de la pandémie, elle a été reportée à 2021 mais cette année n’était pas non plus trop “réussie”. Aujourd’hui toutes les restrictions semblent être levées. Des conférences pareilles devraient se tenir en présentiel – beaucoup trop de choses dépendent de ces négociations, des compromis qu’on ne peut pas obtenir en se parlant “via un écran”.

Un autre problème se pose. Il a été déterminé que la session aurait lieu dans un certain délai. Avant de soutenir cette décision il devrait y avoir un consensus. Nous avons demandé aux Américains une confirmation officielle que les visas soient délivrés à tous les membres de la délégation russe participant à cet événement international sans exception. Ils nous ont donné un certain “papier” qui n’était pas sans “ruses” mais nous l’avons accepté. Nous vérifions maintenant “en pratique” s’ils sont vraiment prêts à s’acquitter de leurs obligations. Je n’ai aucun doute qu’ils vont essayer de trouver une fois de plus des prétextes pour refuser les visas à nos délégués. Nous avons des négociateurs professionnels. Contrairement à de nombreux représentants américains qui au cours de telles négociations dans l’ensemble font preuve de démagogie, nous nous basons toujours sur des faits. Ils vont tenter de nous priver de nos meilleurs experts.

Le même sujet est abordé dans le domaine de l’arme biologique. Des preuves révélées portant la signature des représentants officiels de la DTRA ont été présentées. Il s’agit de leur outil principal de recherches sur les armes biologiques dans le monde entier. On nous dit que tout cela est faux au lieu d’expliquer tout simplement l’objet des études que les Américains menaient en Ukraine dans une trentaine de laboratoires. Les laboratoires biologiques américains sont éparpillés dans le monde entier. Mais on est particulièrement préoccupé par leur présence et leur création continue sur le territoire de l’ex-URSS, en Asie centrale.

Actuellement on est en train de finaliser la préparation d’un mémorandum sur la coopération dans le domaine de la sécurité biologique avec nos amis kazakhs afin que tout soit transparent pour nous, pour les autres ainsi qu’au sein de l’OTSC. On va certainement aller au bout de la démarche. On l’a déjà fait avec nos collègues tadjiks et ouzbeks et on est en train de terminer avec nos collègues arméniens. Le problème est grave. Le fait que le Pentagone s’intéressait aux anciens laboratoires soviétiques, investissait dans leur modernisation pour y créer de nouvelles installations est assez intéressant et exige d’être clarifié. J’espère que nous parviendrons à résoudre ces problèmes avec le Kazakhstan et on va entamer une telle procédure au sein de l’OTSC. La décision est déjà prise.

En parlant des menaces biologiques le Kazakhstan a proposé de créer une agence de sécurité biologique sous les auspices de l’ONU qui aiderait à mettre en œuvre la Convention sur l’interdiction des armes biologiques et à toxines. Le fait est que depuis 2001 la Russie lutte pour créer ce mécanisme de vérification dans le cadre de cette convention. Le seul pays qui s’y oppose catégoriquement, ce sont les États-Unis. Ils ne veulent montrer à personne ce qu’ils sont en train de faire. Dans le cadre des accords bilatéraux ils peuvent préparer des programmes et des projets dans le plus grand secret et dans leur propre intérêt sans rien dire à personne.

Aujourd’hui on parle ouvertement des risques en se basant sur ce qui a été découvert. La troisième chose que vous avez mentionnée concerne les armes de destruction massive et les armes chimiques. Contrairement à la convention biologique, la convention chimique disposait dès le début d’un organe de contrôle et de vérification qui fonctionnait de la façon suivante.

Chaque pays ayant des soupçons sur l’utilisation d’un agent chimique doit contacter le Secrétariat technique de l’OIAC et demander d’envoyer des experts. Ils doivent prélever des échantillons sans les lâcher des mains et les livrer dans un laboratoire certifié, procéder à une analyse et faire une déclaration publique. “À la demande de tel ou tel pays on a procédé à la vérification, ceci est un agent qui fait partie de la liste des substances interdites” ou au contraire “ceci n’est pas une substance interdite”. Ces responsabilités sont inscrites dans la Convention. Mais l’Occident dans le cadre de sa politique de promotion des “règles” au lieu du droit international en utilisant le chantage flagrant des dirigeants du Secrétariat technique de l’OIAC (les dirigeants principaux y sont un Espagnol et un Français) lui a aussi octroyé le droit de désigner des coupables. Cela ne figure pas dans la Convention. Si la convention doit être modifiée, il faut déposer un amendement qui doit être adopté par consensus. Rien de cela n’a été fait, aucun amendement. Ils l’ont tout simplement soumis à un vote. Sur les 190 pays, 85 ont voté pour (la minorité), les autres ont voté contre ou bien se sont abstenus. En utilisant leur manipulation directe des dirigeants du Secrétariat technique ils ont créé un mécanisme d’investigation. C’est une violation flagrante de toutes les règles des conventions internationales. La Convention ne peut pas être modifiée par un simple vote. D’autant plus que la constatation de la culpabilité est une prérogative exceptionnelle du Conseil de sécurité de l’ONU.

Il existe des problèmes dans tous les trois domaines clés de la non-prolifération. Et nous en sommes préoccupés. Nous appelons les pays à gommer ces divergences, à éliminer tout ce qui viole le droit international et les documents de la convention. Mais vu l’obsession de l’Occident de promouvoir ses propres « règles » et missions dont eux seuls ont besoin il ne sera pas facile d’y soumettre les autres, de défendre le caractère universel et équitable de ces documents, y compris le fonctionnement équitable des mécanismes.

Question: Compte tenu des événements qui se déroulent et de l’aggravation de la crise non seulement en Ukraine mais aussi dans d’autres pays de l’ex-URSS, quels changements sont prévus dans le contexte de la stratégie de la Fédération Russe vis-à-vis des territoires post-soviétiques ?

Sergueï Lavrov: C’est une bonne question. Il n’y a pas de réponse simple. Ces modifications doivent être apportées de manière régulière. Il s’agit d’un organisme vivant – la CEI, l’OTCS et surtout l’Union économique eurasiatique qui commence tout juste à “prendre de la vitesse”. N’oublions pas l’État de l’Union de la Russie et de la Biélorussie dans le cadre duquel 28 programmes de l’union ont été élaborés et approuvés. Ils sont traduits dans le langage des documents normatifs à action directe.

Les Américains (et l’Europe les soutient) ne parlent littéralement à chaque pays qu’avec des ultimatums. Ça veut dire que si aujourd’hui vous continuez de soutenir la Russie et non seulement la soutenir mais également maintenir des liens économiques avec elle, ce qui pourrait diminuer l’effet de nos sanctions, vous le regretterez. Les Américains manifestent les mêmes manières peu scrupuleuses quand ils parlent à nos alliés les plus proches, nos voisins, nos amis. Sans aucun doute ils sont capables d’influencer les chaînes logistiques pratiques, comme on le voit se produire déjà dans le cadre des sanctions adoptées contre la Fédération de Russie. Maintenant ils veulent bloquer le trafic maritime. Du moins, les Polonais sont très excités à ce sujet.

Dans le cadre de l’Union économique eurasiatique, il existe des mécanismes au niveau des premiers ministres et des vice-premiers ministres. C’est exactement ce qu’ils font en permanence pour repousser au maximum cette attaque acharnée contre nos intérêts afin de briser les valeurs de tous ces libéraux qui s’en vantaient depuis toujours. Liberté de choix, concurrence commerciale, économie libre, présomption d’innocence, inviolabilité de la propriété privée – où est passé tout cela? Tout est parti en fumée (je ne sais même pas s’il leur reste encore des “valeurs”), tout a été ruiné dans les relations avec la Russie. Cependant, plus tard, ils ont commencé à prononcer des discours disant que ce n’était pas à tout jamais. Nous verrons lorsque la Russie “se remettra dans le droit chemin”. Je pense qu’on doit aller dans “le droit chemin opposé”. Il faut faire de sorte que si jamais quelqu’un de nos partenaires occidentaux disposant d’une monnaie de réserve se lève encore une fois du “mauvais pied” nous ne nous retrouvions dans une situation où nous manquerions de certains composants. Par exemple la localisation des moissonneuses est déjà de 70%, mais il serait préférable qu’elle soit à 100%. Ils adoptent des sanctions sur la livraison des pièces de rechange pour avions. Ils saisissent des avions. Cela est directement lié à la santé des gens, à la menace de leur vie. Mais ils s’en fichent. Et les réserves de la Banque centrale? Parmi ceux qui faisaient des prévisions personne n’a pu penser aux sanctions que l’Occident pourrait nous imposer. C’est du vol. Nous avons déjà mentionné “la ruée vers l’or” et le “saloon de cow-boys” où quelqu’un doit toujours être le patron.

Je peux vous assurer que le gouvernement et le Président accordent constamment de l’attention à ce sujet. L’activité au sein de l’Union économique eurasienne avance. Il existe une zone de libre-échange au sein de la CEI. Ces questions sont aussi à l’ordre du jour. On fera tout pour que notre mouvement d’intégration ne soit pas affecté.

Question: Il y a quelques semaines, le Président des États-Unis Joe Biden a signé un projet de loi qui interdit au gouvernement de représenter Taïwan et ses îles adjacentes comme le territoire de la Chine sur les cartes départementales. Cela contredit le principe de la “Chine unie”. Une escalade du conflit est-elle possible autour de Taïwan dans le contexte de la situation mondiale et de telles mesures prises par les États-Unis?

Sergueï Lavrov: Je ne ferai pas de commentaires sur la couleur, qui “peint” quoi à Washington et ce que signe le Président des États-Unis Joe Biden. Je ne peux m’appuyer que sur le commentaire officiel après la récente conversation vidéo du Président chinois Xi Jinping. Selon la déclaration de la partie chinoise, Pékin a souligné qu’il était impossible de s’écarter de la ligne américaine sur l’existence de la Chine unie une fois qu’elle a été prononcée. La communication de la partie américaine indique également que Joe Biden a réaffirmé la politique à l’égard de Taïwan. Je ne voudrais pas spéculer davantage. Il y a déjà beaucoup de spéculations. Vous êtes sans doute au courant de tout cela.

En ce qui concerne la Chine qui pourrait profiter de cette situation et attaquer Taïwan. On entend dire beaucoup de choses maintenant. En Transcaucasie par exemple quelqu’un pourrait profiter du fait que toute l’attention soit actuellement rivée sur l’Ukraine et la Russie. On peut spéculer à ce sujet. Les politologues le font. Je préfère partir du principe que nous effectuons un travail qui est déjà absolument “surmaturé”. Il doit faire toute la lumière sur nos relations avec le monde extérieur qui se baserait sur l’absence de toute dépendance vis-à-vis de l’Occident dans l’avenir. Si un jour ils veulent coopérer, on ne va pas s’en priver. Mais il doit y avoir un équilibre d’intérêts. On n’a pas le droit de leur ouvrir la porte des secteurs dont une fois de plus dépendra le fonctionnement des domaines clés de notre économie, des secteurs vitaux pour la santé, la sécurité des gens et de notre pays. Notre pays est immense, on a plein de ressources et de “cerveaux”. Nous disposons du nécessaire pour être autonomes et en même temps rester “ouverts” au monde extérieur pour des projets mutuellement bénéfiques.

Question: Selon de nombreux experts, la Russie pourrait se tourner vers l’Est, notamment dans ses relations économiques, poussée par les sanctions occidentales liées à l’opération militaire spéciale et un nouveau rideau de fer qui se dresse devant elle. Quels seront les premiers partenaires non-européens pour la Russie dans les domaines politique et économique? Est-ce que la coopération stratégique entre la Chine et la Russie pourrait se transformer en une alliance militaire ou politique?

Sergueï Lavrov: La Russie se trouve sur le continent eurasien, comme le symbolise l’aigle à deux têtes regardant simultanément vers l’est et vers l’ouest. Aujourd’hui, c’est intéressant de voir comment l’Occident traitait la Russie avant. En regardant les journaux de caricatures de la fin du XIXe siècle, j’ai trouvé une caricature montrant un homme, probablement un anglais, en train de couper une tête de l’aigle à deux têtes avec son épée de chevalier. Il s’agissait d’une plaisanterie mais d’une plaisanterie allusive.

En ce qui concerne le virage à droite ou à gauche, depuis la création de son État, la Russie s’est toujours déclarée prête à coopérer (ce qui est fixé dans le Concept de la politique étrangère) avec tous les pays disposés à développer la coopération sur la base de l’égalité, du respect et de l’intérêt mutuels, de l’équilibre des intérêts, du compromis et du consensus, etc.

Pendant de nombreuses années, les échanges commerciaux entre la Russie et l’Europe atteignaient le chiffre record de 430 milliards de dollars. C’était le cas en 2010-2012. Ensuite, l’Europe, ayant subi l’humiliation de la part des ultraradicaux ukrainiens, qui avaient piétiné toutes ces garanties, a décidé de mettre tout sur le dos de la Russie en compensant ainsi sa propre impuissance. L’Europe, ne voyant pas ses propres erreurs qui ont déclenché la tragédie actuelle en Ukraine, considère que tout a commencé par le referendum en Crimée, qu’ils qualifient d’annexion.

Ils ont fermé tous les canaux de communication, ont cessé d’organiser des sommets, tenus auparavant deux fois par an, ainsi que les réunions annuelles du gouvernement russe avec la Commission européenne. Le travail sur vingt dialogues sectoriels et quatre feuilles de routes communes a été interrompu, la libéralisation du régime des visas a été suspendue.

Quand vous essayez de maintenir un équilibre et on vous retire un appui d’un côté, vous allez naturellement renforcer vos efforts de l’autre coté en vous tournant vers l’Est.

Le chiffre d’affaires entre la Russie et la Chine a atteint en 2021 le niveau record de 141 milliards de dollars, soit une croissance de 35 pour cent. Nous avons également des relations dans le cadre de l’Union économique eurasiatique. Nous avons signé un accord et nous nous sommes engagés dans l’harmonisation des processus d’intégration dans le cadre de l’Union économique eurasiatique et de l’initiative chinoise « la Ceinture et la Route ».

En plus, il existe l’Organisation de coopération de Shanghai qui, au-delà des questions de sécurité, traite aussi des questions liées aux échanges dans le domaine commercial, économique et en matière d’infrastructure.

Il existe aussi la coopération dans le cadre des Brics qui ont lancé la Nouvelle banque de développement. Ce projet poursuit son fonctionnement actif, même dans cette période difficile.

Enfin, n’oublions pas la coopération dans le cadre du RIC (Russie, Inde, Chine), un prototype des Brics, mais qui existe toujours. Ce format prévoit non seulement des réunions entre les ministres des Affaires étrangères, mais aussi des réunions au niveau des ministres des Transports. Les trois pays sont liés géographiquement, et beaucoup de projets prometteurs d’infrastructure de transports et de projets dans le domaine de transport d’hydrocarbures y pourraient voir le jour.  Ces projets sont examinés, et si l’Europe se ravisait, nous ne lui claquerons pas la porte au nez, mais à condition que nous ne soyons dépendants de personne.

L’Europe apparait comme un partenaire peu fiable. Nous renforcerons notre position, entre autres, grâce à l’Union économique eurasiatique, à l’Organisation de coopération de Shanghai, aux Brics et à d’autres mécanismes. Nous serons mieux placés pour examiner les projets qu’on va nous proposer de réaliser conjointement.

Question: Est-ce qu’on peut considérer qu’en pleine crise mondiale, l’Organisation des Nations unies reste un mécanisme efficace pour résoudre les conflits et répondre aux menaces émergentes, surtout au vu des déclarations inconsidérées sur la nécessité d’exclure la Russie du Conseil de sécurité?

Sergueï Lavrov: C’est une question importante. Quand nous disons que nous prônons la démocratisation des relations internationales et l’établissement d’un nouvel ordre mondial polycentrique et plus juste, nous ne voulons pas remplacer l’ONU (comme beaucoup pensaient à un certain moment), nous proposons de revenir à ses fondements.

La Charte de l’Organisation stipule le principe de l’égalité souveraine de tous les membres, tandis que les Américains bafouent grossièrement ce principe. Tous les pays sont différents et les petits États ont du mal à agir de façon indépendante. Cependant, le principe de l’égalité souveraine des États doit être respecté, au moins en ce qui concerne le droit de tous les membres de recevoir des faits et d’adopter leur position.

Les États-Unis renforcent leur pression sur les grands pays (sans parler des petits pays), brandissant la menace d’une rupture des relations commerciales et de nouvelles sanctions afin de les forcer à voter à l’ONU comme le souhaitent les États-Unis.

L’Assemblée générale a récemment tenu un vote sur l’Ukraine, où 145 membres ont voté en faveur de la résolution condamnant la Russie. Plus de 100 d’entre eux n’ont pas imposé de sanctions à la Russie et ne vont pas les imposer dans le futur. Cependant, il était important de montrer que la Russie restait isolée. Cela s’inscrit dans la stratégie américaine. Je trouve que ce comportement ainsi que le recours aux coups bas sont indignes d’une grande puissance. Permettez-moi de préciser. Je connais beaucoup de monde à l’ONU, car j’y travaillais, et j’ai eu l’opportunité de parler à mes collègues lors de ma récente visite. On force souvent les représentants permanents auprès de l’ONU à voter comme le souhaitent les États-Unis, en leur rappelant qu’ils ont un compte dans une banque américaine ou leurs enfants vont à l’université aux États-Unis. Tous les moyens sont bons.

Il ne faut pas tenter de détruire l’ONU. C’est exactement ce qu’ils font quand ils affirment que les États devraient se laisser guider par les règles sur lesquelles repose l’ordre mondial et non par le droit international. Ces règles ont été créées dans le cadre de partenariats et sous la pression de différents appels. Il existe le droit international humanitaire, il existe aussi le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés qui est une structure universelle. En même temps, on met en place un partenariat sur le droit international humanitaire où l’UE invente ses propres règles. Il existe le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, La Cour européenne des droits de l’homme (que la Russie quitte mais sans que cela affecte les citoyens russes).  

Pendant toutes les décennies depuis la création de l’Union européenne, nous (et tous les autres) la demandions d’adhérer à la Convention européenne des droits de l’homme. L’UE s’y est opposée au motif que certains pays l’avaient déjà signée et que les normes de l’Union européenne en matière de droits de l’homme étaient bien supérieures à celles du Conseil de l’Europe. Par conséquent, les citoyens de l’Union européenne ne peuvent être tenus responsables devant la Cour européenne des droits de l’homme. Ils vont régler leurs problèmes par eux-mêmes, c’est le sentiment général.

Il faut revenir à la Charte de l’ONU qui, entre autres, met en avant le respect de l’égalité souveraine des États, qui est le principe principal. Il y a également le droit à l’autodétermination, ainsi que le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des États.

Depuis la création de l’Organisation des Nations unies, on a essayé de décider quel principe devrait prévaloir: celui de l’intégrité territoriale, de la souveraineté ou du respect du droit à l’autodétermination. Des consultations spéciales et des négociations ont été menées depuis des décennies, qui, en 1970, ont abouti à l’adoption de la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations unies. C’est un vaste document qui contient une section spéciale concernant le rapport entre la souveraineté, l’intégrité territoriale et le droit à l’autodétermination. Cela me paraît très d’actualité, en particulier dans le contexte de la crise ukrainienne et des questions soulevées pendant les négociations. Cette approche est particulièrement importante dans la discussion sur le statut de la Crimée et du Donbass. On parle beaucoup en ce moment de la nécessité d’un référendum, mais cela vise à retarder le processus de négociations. La Déclaration de 1970 qui reflète le consensus de la communauté internationale stipule: « L’État dont le gouvernement représente l’ensemble du peuple ou des peuples résidant sur son territoire, et qui respecte les principes liés à l’autodétermination dans ses arrangements internes, a droit au respect de sa souveraineté et au maintien de son intégrité territoriale. »

L’Ukraine considère la Crimée et le Donbass comme ses territoires où, pendant huit ans, elle a bombardé des sites civils, a forcé les gens à se cacher dans des sous-sols, et a tué des civils. Est-ce que Kiev a le droit de représenter la Crimée et le Donbass d’aujourd’hui? Il faut défendre les valeurs des Nations unies. Beaucoup de choses utiles y ont été faites. Il faut revenir à cette expérience inestimable.  

Question: Croyez-vous qu’il soit possible de transférer le siège de l’ONU des États-Unis dans l’un des pays neutres ou même dans un pays en voie de développement afin de faire participer la communauté internationale aux problèmes de ces pays et de réduire la pression politique sur l’Organisation?

Sergueï Lavrov: Il faut travailler là-dessus.

Voir notre dossier sur la situation en Ukraine.

Pour soutenir ce travail censuré en permanence (y compris par Mediapart) et ne manquer aucune publication, faites un don, partagez cet article et abonnez-vous à la Newsletter. Vous pouvez aussi nous suivre sur TwitterFacebookYoutube et VKontakte.

 

Source: Lire l'article complet de Le Cri des Peuples

À propos de l'auteur Le Cri des Peuples

« La voix des peuples et de la Résistance, sans le filtre des médias dominants. »[Le Cri des Peuples traduit en Français de nombreux articles de différentes sources, principalement sur la situation géopolitique du Moyen-Orient. C'est une source incontournable pour comprendre ce qui se passe réellement en Palestine, en Syrie, en Irak, en Iran, ainsi qu'en géopolitique internationale.]

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Recommended For You