par Gideon Levy.
Banalité du mal en Palestine occupée.
Deux adolescents palestiniens circulaient à moto à Naplouse lorsqu’un convoi de la police des frontières est passé. Les officiers ont d’abord affirmé que les deux jeunes leur avaient tiré dessus, puis qu’ils avaient simplement pointé une arme, qui n’a jamais été retrouvée. Cela ne change rien au résultat : Les officiers ont tiré sur l’un des adolescents alors qu’il s’enfuyait, criblant son corps de balles.
Des images horribles, tout à fait effroyables, montrant le cadavre d’un garçon de 16 ans criblé d’impacts de balles. Le corps entier de Nader Rayan, fils d’une famille de réfugiés du camp de Balata jouxtant Naplouse, est parsemé de profondes blessures par balles saignantes, sa chair est à nu, son cerveau s’écoule, sa tête et son visage sont perforés. Les hommes de la police des frontières lui ont tiré dessus avec une folie pathologique, dans un accès de rage, sauvagement, sans retenue. Son père a compté 12 blessures par balle sur le corps de son fils, toutes profondes, larges, suintant le sang. Tête, poitrine, estomac, dos, jambes et bras : Il n’y a pas une partie du corps de son fils sans un trou béant.
Rien ne peut justifier ces tirs répétés sur un adolescent qui courait pour sauver sa vie, certainement pas une fois qu’il a été touché et qu’il gisait blessé sur la route. Pas même si le récit initial de la police des frontières, qui, pour une raison ou une autre, a été modifié comme par magie la semaine suivante, selon lequel le jeune ou son ami a tiré sur les pandores, est correct. Rien ne peut justifier un tir aussi déséquilibré sur un jeune.
L’incident s’est produit tôt mardi dernier, le 15 mars. À 6 heures du matin, le père de Nader, Haytham, un policier à la retraite de 48 ans, a quitté la maison pour aller chercher deux de ses neveux, qui sont orphelins de père, et les conduire à l’école à Naplouse. Il raconte qu’il a vu Nader encore endormi sur le canapé du salon. Il y a dix-huit ans, la famille s’est extirpée du camp de Balata et s’est installée de l’autre côté de l’artère principale qui mène à Naplouse, la route d’Al-Quds (Jérusalem). Selon la famille, Nader s’est levé quelques minutes plus tard, s’est habillé et a pris sa moto pour aller chercher son ami dans le quartier, en route vers le stand de café qu’ils avaient ouvert trois semaines plus tôt à Balata. Quelques minutes plus tard, Nader gisait mort sur le bord de la route, le corps criblé de balles.
Un énorme poster commémoratif de Nader est maintenant accroché chez lui, couvrant une grande partie du mur du salon, et en face, la photo de l’enfant en pleurs qui était autrefois un élément de base dans de nombreux foyers israéliens. Haytham, le père, a travaillé dans la police palestinienne jusqu’à prendre une retraite anticipée en 2017. Lui et sa femme, Samiha, ont eu six fils et trois filles. Nader avait abandonné l’école après la neuvième année, tout comme S., son bon ami et voisin. Il a d’abord travaillé dans une menuiserie qui remettait des meubles à neuf, et il y a quelques semaines, lui et S., ainsi que les frères aînés de Nader, Mohammed et Hassan, âgés de 25 et 23 ans, ont ouvert le modeste stand de café de Balata. Parmi leurs clients figurent des travailleurs qui partent le matin et reviennent le soir.
Une vidéo de 90 secondes qui circule sur les médias sociaux montre ce qui s’est passé ensuite. Le convoi avance sur la route, la moto avance de l’autre côté. Il est 6 h 19. Soudain, la moto s’arrête, le passager saute et commence à courir. Immédiatement après lui, le conducteur descend également, abandonnant la moto sur la route, et commence à courir avec son ami vers la ruelle qui descend de la route principale. La ruelle les avale.
Le convoi blindé s’arrête. Quelques très longues secondes s’écoulent jusqu’à ce que la porte arrière d’un des véhicules s’ouvre. Cinq membres de la police des frontières en sortent et courent dans la ruelle à la poursuite des jeunes, qui sont hors du champ de la caméra. Un autre véhicule blindé apparaît de l’autre direction et descend la ruelle en grondant dans le sillage des jeunes. Une voiture qui arrive sur les lieux est chassée à la pointe de fusils par un agent de la police des frontières. Il n’y a pas de jets de pierres sur la route, qui est par ailleurs vide et calme à cette heure matinale.
Le convoi blindé revenait de Balata après avoir effectué un raid nocturne dans le but d’arrêter un habitant, Amar Arafat, recherché pour possession d’un fusil. Après avoir placé Arafat en garde à vue et confisqué son fusil, la force retournait à sa base.
Rien dans la vidéo ne permet de comprendre pourquoi les deux jeunes se sont soudainement arrêtés, ont abandonné la moto et ont pris leurs jambes à leur cou. S. nous a dit cette semaine que la moto avait calé et qu’ils avaient pris peur en voyant les véhicules militaires. Le clip ne confirme pas cette version. La moto ne semble pas avoir calé – il semble que le conducteur ait essayé de faire demi-tour puis l’ait laissée par terre.
Un clip vidéo diffusé par la police montre de soudains éclairs de lumière à l’intérieur d’un véhicule blindé. La police des frontières affirme qu’il s’agit de coups de feu, dirigés contre son personnel. La caméra corporelle du policier qui a filmé la scène continue de filmer alors que la porte du véhicule s’ouvre et qu’il court dans la ruelle jusqu’à s’arrêter à côté d’une personne blessée ou morte allongée sur le sol. Il s’agit de Nader Rayan.
Un communiqué de la police des frontières publié après l’incident indique : « Au cours de l’activité de mista’arvim [agents infiltrés se faisant passer pour des Palestiniens] de la police des frontières dans le camp de réfugiés de Balata, un individu recherché a été arrêté et un fusil qui était en sa possession a été saisi. Au moment du départ des forces, de violentes perturbations ont commencé. Des engins explosifs, des pierres et divers objets ont été lancés sur les combattants, qui ont répondu par des moyens de dispersion de la foule et par des tirs de fusil Ruger. Pendant l’activité, une moto est apparue, transportant deux terroristes. L’un des terroristes est descendu de la moto et a tiré avec un pistolet sur les mista’arvim de la police des frontières, qui ont immédiatement répondu par des tirs et a neutralisé le terroriste ».
Cette semaine, dans une réponse supplémentaire de la police des frontières, l’affirmation concernant la fusillade avait disparu, et Haaretz a appris que les pandores avaient « riposté à un terroriste qui mettait leur vie en danger, après avoir fait irruption dans leur voiture et avoir pointé un revolver sur eux ». Une question qui est restée sans réponse est de savoir pourquoi les officiers ont ressenti le besoin de tirer 12 balles dans le corps du jeune ; à ce moment-là, ils n’avaient aucune réponse.
De plus, pour ce qui est de l’arme fumante, il y a eu plusieurs réponses différentes. Au départ, la police des frontières a affirmé que « le deuxième jeune a pris le pistolet », alors que dans la déclaration de cette semaine, elle a dit qu’« une fouille n’a pas permis de retrouver l’arme, et les combattants qui étaient présents se sont empressés de quitter les lieux ».
S., l’adolescent qui était avec Nader, a le visage d’un enfant. Mais, cette semaine, il n’avait pas l’air de quelqu’un qui se cacherait ou fuirait pour sauver sa vie devant les forces de sécurité à cause d’un pistolet. Il nie son existence. La police des frontières n’a pas non plus fait d’effort pour le retrouver après avoir déversé sa rage sur le petit corps de Nader. Cette semaine, sur les lieux de l’incident, S. nous a montré où il s’est caché des pandores – derrière un bâtiment à côté d’une école, au bas de la rue. Il n’aurait pas été difficile de le trouver là si la police des frontières était vraiment à la recherche d’un terroriste armé et dangereux, comme elle a décrit le jeune homme. Deux impacts de balles de l’incident sont visibles sur le portail en fer de l’école.
À 6h30, quelques minutes après que son fils a été tué par balleq, Haytham se trouvait à côté de la Muqata – le centre administratif de l’Autorité palestinienne – à Naplouse, sur le chemin de l’école de ses neveux. Il a alors vu un message sur les médias sociaux indiquant qu’un conducteur de moto avait été blessé par l’armée à côté du camp. Il a appelé Nader mais n’a pas obtenu de réponse. Maintenant, alors que le père nous montre la photo du corps de son fils sur son téléphone portable, il baisse la voix pour que la mère et les plus jeunes enfants n’entendent pas ce que le corps a subi. De son côté, S. raconte que la première balle a touché Nader à l’épaule et qu’il est tombé au sol. C’est la dernière fois qu’il l’a vu, car il a continué à courir. Pourquoi la police des frontières a-t-elle continué à lui tirer dessus dans un accès de fureur et de vengeance ?
Une chose est claire : si Nader avait été un adolescent ukrainien qui avait ouvert le feu sur une force blindée de l’armée russe qui avait envahi son pays, il serait devenu un héros emblématique et un combattant de la liberté – en Israël aussi. Mais Nader n’était pas un jeune Ukrainien, il était issu d’une famille de réfugiés palestiniens. Il est donc considéré comme un « terroriste » qui doit mourir et faire l’objet d’une « confirmation de mise à mort » barbare. Son père, officier de police, affirme que des blessures par balle aussi importantes ne peuvent être causées que par un tir à bout portant.
À 6 h 29, soit 10 minutes après que tout a commencé, Mohammed, le frère aîné de Nader, arrive sur les lieux et voit le corps de son frère étendu dans l’allée. Les tirs intenses et violents avaient apparemment retourné le corps : Lorsque Nader a été touché par la première balle, raconte S., il est tombé sur le ventre – maintenant il est couché sur le dos.
S.nous conduit entre les taches de sang encore visibles le long de son chemin de fuite et de celui de Nader. Un cercle de pierres autour d’une photo de Nader est le mémorial de fortune que ses amis ont créé, exactement à l’endroit où il s’est effondré et est mort, à quelques pas de l’endroit où il a reçu la première balle. Quelques chrysanthèmes gisent au milieu du cercle de pierres, fanés et flétris.
source : Tlaxcala
traduction Fausto Giudice
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