Il y a 23 ans aujourd’hui, sans aucun mandat de l’ONU, l’OTAN a illégalement bombardé la Serbie et visé principalement ses infrastructure civiles. Des milliers de personnes ont été tuées. Aucun responsable de l’Otan n’a été jugé pour ces crimes de guerre comme le rappel justement Nikola Mirkovic...
La guerre faite à la Yougoslavie en général et à la Serbie en particulier dans les années 1990 a pris un éclairage nouveau après celles menées contre la Libye et la Syrie hier. Aujourd’hui, nous voyons les mêmes forces provoquées l’escalade entre la Russie et l’Ukraine. Le mode opératoire déjà utilisé dans les Balkans est à l’oeuvre. L’intense désinformation actuelle , facilitée par la complexité historique des lieux et le bouleversement de la période post-soviétique, fait entièrement partie de cette stratégie de déshumanisation de l’ennemi déjà à l’oeuvre contre la Serbie ( Note de la rédaction pour introduire cet article paru dans le numéro 55 de la revue Rébellion)
La guerre contre la Serbie a été une bonne opération pour les Etats-Unis. Elle a permis d’étendre l’Otan dans les anciennes démocraties populaires, dans les pays baltes et dans deux républiques de l’ancienne Yougoslavie. Elle a permis aussi à la puissance globale d’établir une confusion dans les esprits et les pratiques entre l’Union européenne et l’Otan, la première ne se distinguant plus de la seconde, laissant les Etats-Unis maîtres de l’appendice ouest-européen du grand continent eurasiatique et seuls habilités à décider et à commander.
A partir de 1991 la « guerre yougoslave pour les nuls » a consisté à mettre en scène de manière grossière deux camps, les bons et les méchants: d’un côté le chef croate Franjo Tudjman , le bosniaque (musulman) Alija Izetbegovic, plus tard l’albanais Ibrahim Rugova et leurs groupes séparatistes (les bons, les victimes), de l’autre Slobodan Milosevic, l’Armée nationale yougoslave (Jna), les milices serbes, Radovan Karadzic et Ratko Mladic, l’Armée des Serbes de Bosnie et les Etats de Serbie et de Republika Srpska (les méchants, les bourreaux). Pendant toute cette guerre que l’on ne peut pas terminer avec la chute de Slobodan Milosevic en octobre 2000 puisque ses effets se font encore sentir au Kossovo, la propagande américano-occidentale a fonctionné sur ce mode sommaire, grandement alimentée et orchestrée par des sociétés de relations publiques, des Organisations non gouvernementales, la presse industrielle et les agents d’influence de l’American Vertigo. On retrouve les mêmes en Libye et en Syrie.
En 1991 la Yougoslavie traversée par un mouvement séparatiste en Croatie n’est pas encore démantelée. La bataille de Vukovar qui met aux prises les forces yougoslaves aux séparatistes croates, se termine par la défaite de ces derniers le 18 novembre 1991. Dès le début de la guerre on remarque en Krajina, du côté des forces séparatistes, l’emploi de Sociétés militaires privées (Smp). En 1992, des officiers à la retraîte de L’Us Army et des services secrets opérant au sein de la société Military Professional Resources Inc – Mpri sont envoyés en Croatie pour encadrer l’embryon d’armée croate faite de morceaux ethniques de l’Armée nationale yougoslave. Mpri apprend à ses protégés à appliquer les paramètres de la guerre moderne C3ISR (Command, Control, Communications, Intelligence, Surveillance and Reconnaissance) tout en dirigeant les opérations. C’est Mpri qui chapeautera du 4 au 7 août 1995 le blitzkrieg contre la Krajina de Knin, l’opération Oluja (Tempête) qui fera suite à l’opération Bljesak(Eclair) menée en mai en Slavonie occidentale. Dès 1992 la Cia avait établi un poste de surveillance électronique de la région en mer adriatique sur l’île de Krk.
En 1990 un rapport de la Cia prévoyait un éclatement de la Yougoslavie à court terme. Le mur de Berlin tombé, la phase soviétique de la guerre afghane terminée, les Américains et leurs alliés ciblent maintenant l’espace yougoslave. Pour plusieurs raisons.
L’Anglosphère entend profiter du reflux soviétique d’Europe de l’Est pour y étendre son emprise. Y exporter la démocratie et les droits de l’homme, y introduire son système économique « Free Market », y installer ses bases militaires. Y parrainer de nouveaux Etats. C’est ce que les Etats-Unis appellent « nation building. La Yougoslavie ne fait pas partie du bloc de l’Est sous la férule soviétique. Son expérience politico-sociale d’autogestion, sa doctrine du non alignement, l’idée d’une troisième voie entre l’Est et l’Ouest n’en sont que plus dangereux. La Yougoslavie devient un Etat à abattre.
Slobodan Milosevic a accédé au pouvoir en Serbie en 1989. En 1986, une étude de l’Académie Serbe des Sciences et des Arts (Sanu) avait été dévoilée, qui établissait un audit sur la condition des Serbes dans la Fédération yougoslave. Le texte de 60 pages analysait la crise économique et politique et en en évaluait les conséquences. Dans sa deuxième partie l’étude posait le problème de la situation difficile des Serbes au Kossovo. Rien d’autre. Dès le déclenchement des hostilités, ce Mémorandum sera dénoncé dans la presse occidentale comme un « manifeste du nationalisme grand serbe » de Slobodan Milosevic pour la « conquête de la Yougoslavie ». La mise en avant du Mémorandum et son interprétation fantaisiste permettent d’occulter un autre texte qui est, lui, un véritable manifeste, La Déclaration Islamique d’Alija Izetbegović. Homme des Américains, Izetbegović qui deviendra le premier président de la Bosnie musulmane, est le seul leader yougoslave à n’avoir jamais appartenu à la Ligue des Communistes. Proche de la mouvance des Frères Musulmans, son orientation « panislamiste » en fait une recrue de choix pour les Américains qui, avec les Britanniques captent à leur profit et promeuvent le « revival islamique », se livrant à un intense travail d’infiltration et de manipulation: de l’Asie centrale aux Balkans en passant par le Caucase, l’Afrique du Nord et le Proche Orient, les services secrets anglo-américains vont aider, équiper et parfois fabriquer les groupes de la mouvance islamique mis sur orbite à leur profit ou dénoncés comme terroristes selon l’utilité, le lieu et la période. C’est ainsi que les « combattants de la liberté » afghans aidés par les services secrets séoudiens et pakistanais, ayant servi contre les Soviétiques, vont aussi servir en Bosnie et au Kosovo comme ils serviront sur d’autres théâtres d’opération dans le Caucase (Tchétchénie, Dagestan), en Irak, en Libye et aujourd’hui la Syrie. On peut suivre ce travail de manipulation d’islamistes, qu’ils soient affublés de l’étiquette d’Al Qaeda ou de celle de Frères Musulmans dans la série de crises et de guerres qui ont affecté ou affectent les points chauds de l’actualité. On a vu l’usage fait d’Al Qaeda et des Frères Musulmans dans ce que l’on a appelé le « Printemps arabe ». Il n’y a pas plus de Printemps arabe que de « révolutions colorées ». Dans la diversité des lieux et des cas, ces appellations ne recouvrent que des coups de force destinés à changer les régimes (« regime change ») à imposer les intérêts occidentaux et à assurer la mainmise anglo-américaine sur les pays-cibles.
Héritier régional du système de Tito, au début des années de la guerre (1992) et des premières sécessions slovène et croate, Milosevic n’était pas plus communiste que nationaliste et son qualificatif de « national-communiste » a plus procédé de la volonté de nuire ou de l’illusion qu’à la science politique. Simplement en attaquant la Yougoslavie et la Serbie ses ennemis devaient faire de lui par défaut un nationaliste. Avant 1990 les Américains n’avaient rien contre cet ancien banquier. Ils lui proposèrent même de l’aider à devenir un nouveau Tito moyennant une concession de taille: ouvrir la Fédération yougoslave au libre marché. L’un des motifs occultés de la guerre yougoslave est le refus de Slobodan Milosevic d’accepter cette offre. Dès lors, les Américains et leurs alliés, en particulier l’Allemagne atlantiste d’Helmut Kohl, vont activer les cercles séparatistes des diasporas des républiques yougoslaves dans les différents pays. C’est l’époque où après leur réunification les Allemands se voient à nouveau les maîtres de la « Mitteleuropa » (l’ Europe centrale) et des Balkans et organisent avec l’ Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, l’ Otan le transfert des stocks d’armements de l’ancienne République Démocratique Allemande, la Rda, en Yougoslavie. Ces armes et les nombreux stocks existants dans les diverses républiques expliquent la durée et l’intensité du conflit. Elles rendront l’embargo sur les armes des belligérants inefficient, un embargo par ailleurs violé par les parties croate et bosniaque. Si on la cadre entre les premiers coups de feu en Slovénie en 1991 et la chute de Slobodan Milosevic en octobre 2000, la guerre yougoslave a duré 10 ans. En réalité, la guerre yougoslave devenue la guerre faite à la Serbie continue encore…
Carrefour entre l’Est et l’Ouest, la mer adriatique et la mer noire, le monde slave et méditerranéen, l’aire chrétienne orthodoxe, catholique et musulmane, héritière du Mouvement des Pays Non Alignés lancé après la Conférence de Bandung (1955) par Josip Broz Tito, Gamal Abdel Nasser et le prince Norodom Sihanouk, dotée d’un système d’autogestion qui la faisait prendre pour modèle par une partie de la gauche internationale, la Yougoslavie titiste avait noué des liens avec les nombreux pays souhaitant maintenir une égale distance entre Washington et Moscou. En ouvrant la route à un nouveau Drang Nach Osten, américain cette fois, la réunification allemande et la disparition du bloc soviétique allaient permettre l’éclatement de la Yougoslavie.
Pourl’Otan la guerre yougoslave devenait en effet une opportunité. Désireuse de s’étendre à l’Est dans l’espace laissé vacant par l’Union Soviétique et le Pacte de Varsovie, désormais dépourvue d’ennemi désigné, l’Otan avait besoin d’un nouveau prétexte et d’un nouvel ennemi pour continuer à exister et pour s’étendre en direction de l’Eurasie. A ce moment-là le thème de la « guerre à la terreur » n’avait pas encore vu le jour, il ne verra le jour qu’ après le 11 septembre 2001; ce prétexte allait donc être la guerre yougoslave au non du « droit d’ingérence » devenu « devoir d’ingérence » avec un Bernard Kouchner futur administrateur du Kossovo, lié à Georges Soros par sa femme Christine Ockrent.
En Yougoslavie le « sans-frontiérisme » a multiplié les frontières
La propagande américano-occidentale a présenté les Serbes comme les agresseurs d’autres peuples en Yougoslavie. Elle a complètement occulté une réalité qui a échappé à beaucoup: que les Serbes étaient non seulement l’élément prépondérant de la Fédération mais encore qu’ils en peuplaient l’espace depuis des siècles, bien avant la création en 1918 de la première Yougoslavie. Présents en Krajina dès le XVIème siècle, pourvus en terres, les Serbes s’étaient vu confier par Vienne la mission militaire de garder le Limes de l’Empire Austro-Hongrois face à l’Empire Ottoman.
En Yougoslavie, à cheval sur les républiques de Serbie, de Bosnie et de Croatie, l’élément serbe et monténégrin, c’est-à-dire slave orthodoxe écrivant en cyrillique, constituait plus de la moitié d’une population évaluée en 1991 à 24 millions. L’imbrication des populations en Croatie (Krajina) et Bosnie et Herzégovine allait permettre aux Occidentaux de pousser leurs pions et de déclencher la guerre nécessaire à l’Otan pour justifier son existence et faciliter son extension. Des attentats opportuns à Sarajevo et des mises en scène médiatisées de massacres allaient jalonner les différents stades de la guerre et favoriser les plans Du Pacte atlantiste. Profitant de la faiblesse de la Russie amie des Serbes déstabilisée par le désordre post-soviétique et le pillage des oligarques, l’Otan devait fêter ses 50 ans pendant les bombardements de la République fédérale de Yougoslavie (RfY, Serbie et le Monténégro) après l’éclatement de la Fédération sans susciter de réaction concrète de la partie russe.
Parallèlement à la Krajina, la guerre est portée en Bosnie et Herzégovine où les Occidentaux soutiennent le camp musulman dit « bosniaque ». Hostiles à l’indépendance bosniaque, favorables au maintien d’une Yougoslavie, les Serbes déclarent leur indépendance le 9 janvier 1992 sur le territoire qu’ils contrôlent. Une intense propagande relayée dans le monde occidental et arabo-musulman va les diaboliser, les présenter comme les agresseurs. Après bien des péripéties, cela permettra d’envoyer des Casques Bleus de l’Onu et d’introduire des hommes des forces spéciales américano-occidentales. Ces derniers effectuent un travail de renseignement, de soutien et de sabotage. Des incidents avec les Serbes serviront de prétexte à l’envoie par Jacques Chirac de la Force de Réaction Rapide, première intervention ouverte d’un pays liée à l’Otan avant les bombardements de la Republika Srpska).
La Bosnie et Herzégovine (c’est son appellation réelle et non « Bosnie-Herzégovine » comme on le voit écrit) était une véritable peau de léopard où les populations se trouvaient mêlées. Adossés à la République de Serbie, les Serbes de Bosnie vont assurer militairement l’homogénéisation du territoire en confinant les Bosniaques musulmans à la partie centrale. Contrairement à ce que l’on a pu entendre la bataille pour Sarajevo (400. 000 habitants) ne consistait pas à encercler les Musulmans mais à essayer d’y préserver les Serbes qui y constituaient le tiers de la population. Les premiers tireurs embusqués (« snipers ») sont bosniaques musulmans et l’apparition de tireurs serbes est une riposte. De même les premières embuscades sanglantes qui prennent pour cible de jeunes recrues de l’Armée Yougoslave (Jna) sont l’oeuvre des hommes d’Alija Izetbegovic. La zone musulmane s’étend des environs de Mostar aux villes de Tuzla et de Zenica. Bihac deviendra la pointe musulmane à l’ouest. Peu nombreux (18%) les Croates, qui seront associés aux Musulmans dans la Fédération Croato-Musulmane, ne contrôlent que des poches à l’ouest de Sarajevo, dans le nord et dans le sud (partie de l’Herzégovine et confins de la Dalmatie). Des enclaves musulmanes subsistent à l’est. Abritant une usine d’armement, objet d’âpres batailles au sud-est de Sarajevo, Goradze sera maintenue dans la zone musulmane grâce à l’appui des S.a.s. britannique. Plus au nord, l’enclave de Zepa sera conquise par les Serbes en même temps que sa voisine de Srebrenica. La propagande de guerre devait faire de Srebrenica une sorte de nouveau Guernica. Après avoir pris cette enclave de 30.000 habitants, les soldats de l’Armée de la Republika Srpska (Vrs) se seraient livrés à un « massacre ». 8000 habitants de l’enclave auraient été passés par les armes. Cette présentation n’est pas corroborée par les faits, la seule vidéo montrée ayant consisté à un règlement de compte concernant six personnes intervenu à 150 kilomètres de là, à Trnovo. Placée sous la protection de l’Onu, Srebrenica était une base de moudjahidines alimentée en armes par des parachutages turcs. Quand les autorités civiles de la ville décident de se rendre, des milliers de moudjahidines en armes tentent de percer les lignes serbes et de s’échapper vers les lignes bosniaques distantes de 50 kilomètres. Durant ce mouvement un certain nombre d’entre eux sont tués. Les Serbes ont publié les noms de leurs propres victimes locales, qui s’élèvent à plus de 3000 personnes. Le « massacre de Srebrenica » est une opération de guerre psychologique et médiatique qui occulte les tueries opérées par Nacer Oric, le chef militaire musulman de la place, à l’encontre des habitants et des villageois serbes de l’enclave et des alentours. Il devait permettre le bombardement des Serbes de Bosnie par l’Otan et la « conférence de paix de Dayton ».
Le 14 décembre 1995, les Accords de Dayton (paraphés en novembre à Paris) associaient les parties en conflit et établissaient avec la participation de Slobodan Milosevic le découpage interne de la Bosnie et Herzégovine, créant deux secteurs, la Fédération Croato-Musulmane et la Republika Srpska. Les Musulmans mettaient la main sur Sarajevo, obtenaient le désenclavement de Gorazde et la partie centrale de la Bosnie. Les Serbes obtenaient la moitié de l’ex république sur un découpage pour le moins problématique. Le corridor de la Posavina (Brcko), goulet d’étranglement entre la Bosnie musulmane et la Slavonie croate coupant presque en deux la Republika Srpska, était maintenu. La disparition des enclaves de Srebrenica et de Zepa était avalisée. Les Serbes déplaçaient leur capitale de Pale, petite localité montagnarde près de Sarajevo, à Banja Luka, deuxième ville de Bosnie (200.000 habitants). Les Accords de Dayton marquaient aussi la mise à l’écart politique de Radovan Karadzic, le chef des Serbes de Bosnie, par la collusion des intérêts de Milosevic et des Occidentaux. Mis sur la liste des « criminels de guerre » de La Haye, Radovan Karadzic, par son dévouement et sa popularité, faisait de l’ombre à un président serbe considéré par les Occidentaux comme le tuteur de la Republika Srpska. Cette collusion n’allait pas changer le destin de Milosevic qui devait par la suite être arrêté, kidnappé et déporté à la prison hollandaise de Scheveningen où il devait mourir au cours de son procès. On sait que Radovan Karadzic et le général Ratko Mladic devaient eux-aussi être emprisonnés à La Haye pour y subir, comme Vojislav Seselj et quelques autres chefs serbes, le procès rituel du Sanhédrin de la « communauté internationale ».
La « guerre du Kossovo » dernier épisode de la guerre contre la Serbie
Par rapport au détachement de la Slovénie, de la Croatie et de la Bosnie, l’affaire du Kossovo est intervenue très tard dans le processus de démantèlement de la Yougoslavie, ce qui tend à prouver que la conduite de ce processus correspondait à un plan par étapes soigneusement élaboré. Les troubles dans la région autonome devaient s’intensifier en 1998 après que le ministre allemand des affaires étrangères Klaus Kinkel ait déclaré de manière péremptoire que « le Kossovo ne resterait pas une affaire intérieure serbe ». A partir de ce moment-là en effet le groupe apparu sous le nom d’Armée de libération du Kossovo (Alk) qui développe ses activités d’assassinats et de sabotages avec le soutien extérieur des mentors des Croates et des Bosniaques musulmans passe à une vitesse supérieure en recrutant des centaines d’hommes armés dans la diaspora albanaise et en faisant de l’Albanie sa base arrière. Dans la presse occidentale les opérations des forces de l’ordre yougoslaves sont présentées comme des actions de répression d’un peuple privé de liberté. C’est facile parce que l’on connait déjà la chanson et les mots qui ont servi à dénigrer les Serbes en Croatie et en Bosnie.
Après une parenthèse due à sa participation aux accords de Dayton, Milosevic redevient le « boucher des Balkans » et les organisations de droits de l’homme et sociétés de relations publiques donnent à nouveau le ton pour faire monter la tension. Posant la question « Acceptez-vous la participation de représentants étrangers à la résolution du problème du Kosovo?» le référendum serbe du 23 avril 1998 est qualifié de « manœuvre dilatoire » par le secrétaire général de l’Otan Javier Solana et les pays occidentaux le dénoncent. L’opinion des Serbes qui se prononcent massivement contre l’ingérence étrangère dans les affaires de leur propre pays ne compte pas. La Serbie n’a aucun droit chez elle et c’est l’étranger qui doit lui dicter sa loi.
La presse occidentale évite la mise en perspective historique et présente la situation au Kossovo comme la seule conséquence de la politique « nationaliste » de Slobodan Milsosevic et de la répression serbe. Rien ou très peu de choses sur le rôle des Albanais pendant le régime ottoman, rien sur les exodes serbes pour fuir les persécutions turco-albanaises sous ce régime comme plus tard lors de la création de la Grande Albanie par les forces de l’Axe. Aucune référence à La Ligue de Prizren ni au nationalisme albanais avant même qu’un Etat albanais n’apparaisse sur les bords du canal d’Otrante. Rien non plus sur le fait qu’un Acte du Congrès américain (« Acte pour la Paix et la Démocratie au Kossovo ») apporte au tout début de la guerre yougoslave un soutien aux séparatistes albanais. Relayés par les sociétés de relations publiques et les Ong américaines habituelles, les reportages biaisés présentant systématiquement les Serbes comme des oppresseurs de la minorité albanaise servent de prétexte à la condamnation de la Serbie par la « communauté internationale » et le mécanisme déjà rodé en Bosnie se met en marche. Là ce ne seront pas des Casques Bleus des Nations Unies mais des observateurs de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (Osce) que Milosevic commet l’erreur d’accepter dans la province troublée et ce sont bien entendu les Américains qui en prennent le commandement.
On connait la suite. La dé-légitimation de la présence des forces de sécurité serbes dans la province, l’annonce par les Américains qu’une « catastrophe humanitaire » est imminente, la présentation des opérations de la police et de l’armée comme des opérations de « nettoyage ethnique » et puis le point d’orgue nécessaire à toute « guerre humanitaire », la révélation du « massacre de Racak ». A Racak, petit village du Kossovo, 45 corps sont présentés à la presse internationale par le chef de l’Osce, l’américain William Walker, comme ceux de villageois tués par les Serbes. Une expertise réalisée par une équipe de médecins légistes dirigée par la finlandaise Hélène Ranta, aura raison de cette mise en scène (des cadavres de membres de l’Uçk tués dans les combats rassemblés et habillés à la hâte en villageois) mais l’émotion provoquée par la médiatisation du « massacre » permettra à l’Otan de déclencher près de trois mois de bombardements intensifs de la Serbie et du Monténégro le 24 mars 1999 et de pénétrer au Kossovo le lendemain des « Accords de Kumanovo » (9 juin).
Ces accords techniques ne sont pas une capitulation de la partie serbe. Sont mis au point dans cette ville de Macédoine le retrait des forces serbes et l’entrée de forces des Nations unies, « une part substantiellerevenant à l’OTAN » (…). Le 10 juin 1999 le Conseil de Sécurité de l’Onu adopte la « résolution 1244 » qui « invite les présences internationales militaires et civiles à maintenir l’ordre public, à promouvoir les droits de l’homme et à faciliter la reconstruction des infrastructures essentielles et le relèvement de l’économie ».
Déjà positionnée en Macédoine, l’Otan qui va prendre le nom de « Kosovo Force » (Kfor) entre au Kossovo derrière le général britannique Michael Jackson et la province est divisée en cinq zones d’occupation attribuées à cinq pays membres de l’OTAN, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Un contingent russe se fraiera un chemin sans être invité mais ne restera pas.
Le départ en bon ordre de la troupe serbe et l’entrée de l’Otan lâchent les terroristes albanais de l’Uçk dans la nature et entrainent l’exode de 220.000 serbes et d’une bonne partie des minorités non albanaises. Ceux qui restent (environ 160.000) sont en butte à la violence et aux assassinats en présence d’une Otan qui vient de leur faire la guerre. Le chiffre évoqué des victimes albanaises du conflit étaient faux. Comme celui de la population albanaise grossi lui aussi en son temps pour les besoins de la propagande séparatiste.
La résolution 1244 devait être violée sur trois points. La présence d’une force de sécurité serbe est refusée. Le retour des réfugiés (Povratak) ne se fait pas (ou à une dose infime). Rien ne sera fait pour la favoriser. La résolution prévoit aussi le maintien de la province dans le cadre serbe contre une autonomie substantielle. En cautionnant en février 2008 la proclamation unilatérale d’indépendance de la minorité albanaise, la « communauté internationale » viole clairement le contenu de cette résolution.
Berceau historique de la Serbie et son cœur spirituel, le Kossovo occupé est toujours au centre des préoccupations serbes et, quoi qu’il arrive, cela n’est pas prêt de finir. A l’exception d’individus et de groupes marginaux, rares sont en effet les politiciens de Belgrade qui remettraient en cause la « serbité » de la province. Les pogroms de serbes de mars 2004 ont montré les limites de la « force de protection du Kossovo » (Otan) qui prétendait être là pour assurer la paix. Les préoccupations des Américains sont autres. Dès le début de l’occupation, Halliburton installe pour l’Us Army près de la frontière macédonienne la grande base militaire de Camp Bondsteel.
Purement théorique, sous la tutelle des Américains, l’administration de Pristina n’a aucune autre raison d’existence que les trafics et les crimes de la Mafia albanaise dont les deux principales spécialités sont le trafic de drogue (héroïne) et la prostitution. L’Union Européenne s’est mise en tête de fournir des institutions à cette entité virtuelle et de l’aider à étendre sa juridiction sur le nord de la province encore majoritairement peuplé de serbes. Ceci explique le mouvement de révolte serbe des barricades érigées depuis un an et dressé aussi bien contre la Kfor (Otan) que contre Eulex (l’Ue). Les quatre districts du nord de la rivière Ibar, Leposavic, Zvecan, Zubin Potok et Kosovska Mitrovica Nord ont ainsi formé une communauté d’intérêt et de défense civile qui s’oppose au tracé d’une frontière dans le même pays et fait des deux postes de la ligne de démarcation défendus par l’Otan (Jarinje et Brnjak) un enjeu et un défi permanents.
Yves Bataille
Article paru dans le numéro 55 de la revue Rébellion
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