par Antonin Campana.
Il était une fois dans un pays merveilleux, un petit village où vivaient une brute, trois gérants de station service, un petit Russe, un gros Chinois et environ deux cents autres personnes (dont un Français, un Allemand et un Anglais…).
Un jour la brute vint voir les trois gérants de station service :
– Vous êtes rackettés, leur dit-il ;
– Pas le moins du monde, répondirent les trois gérants de station service ;
– Si vous l’êtes, rétorqua la brute en montrant ses muscles, et je vais vous protéger.
Il faut savoir que la brute était le plus fort du village et qu’il était le seul d’entre tous les habitants à posséder une photocopieuse. Dans ses tiroirs, il avait aussi un vieux billet de Monopoly qu’il gardait précieusement. C’était un souvenir de son enfance, lorsque son père, qui était Anglais, lui apprenait comment tricher.
Bref, les trois gérants de station service furent donc forcés d’accepter la « protection » de la brute. En contrepartie de ce « service », les trois gérants s’engageaient, bien malgré eux, à refuser l’or ou l’argent et à ne se faire payer qu’en photocopies de billets de Monopoly.
Ainsi fut-il décidé…
– Nous n’avons pas de billets de Monopoly, comment nous en procurer ?, demandèrent les habitants du village aux trois gérants de station service.
– Allez voir la brute, il peut en fabriquer autant qu’il veut, répondirent-ils.
Les habitants, qui ne pouvaient se passer d’essence, allèrent de ce pas chez la brute :
– Il vous suffit de me faire des cadeaux, leur dit la brute. En échange, je vous donnerai des billets de Monopoly et vous pourrez ainsi acheter toute l’essence dont vous avez besoin.
Ainsi fut fait. Le gros Chinois fit cadeau de télévisions, de vêtements et d’objets de toutes sortes. Le petit Russe fit cadeau de gaz et d’aluminium. Le Français offrit son vin et des parfums. Tous les gens du village apportèrent ainsi quelque chose à la brute. En échange, la brute leur remettait des billets de Monopoly fraîchement sortis de sa photocopieuse. Puis les habitants se servaient de ces billets pour acheter l’essence qui était nécessaire à la fabrication des cadeaux qu’ils offraient à la brute. La brute, elle, ne faisait rien : elle était le chef du village et fabriquait des billets de Monopoly.
Un jour, un gérant de station service dit qu’il n’accepterait plus les billets de Monopoly. La brute envoya ses hommes de main qui saccagèrent sa maison et firent à sa famille des choses que les oreilles d’une petit fille ne peuvent entendre.
Enfin bref, tout rentra dans l’ordre et les événements suivirent leur cours normal pendant encore quelques années.
Cependant, la brute, qui par ses hommes de main était de plus en plus forte, faisait régner la terreur et se conduisait comme un tyran, voulant imposer à tous les habitants du village sa manière de voir, ses habitudes de vie et sa manière de gérer la maisonnée. La brute disait à qui voulait l’entendre qu’elle était exceptionnelle, que son destin était manifestement de dominer tous les habitants du village et que lorsqu’elle distribuait des coups c’était pour le bien de celui qui les recevait. Aussi, certains commençaient à murmurer, alors que d’autres, comme le Français, l’Allemand ou l’Anglais, trouvaient que les prétentions de la brute étaient finalement assez légitimes.
Un jour le petit Russe dit qu’il était maître en son domaine et qu’il n’était pas question que la brute y impose sa loi. Le gros Chinois trouva que le petit Russe n’avait pas complètement tort. Cela déplut à la brute qui imposa des « sanctions » au petit Russe et au gros Chinois. La brute n’accepta plus certains de leurs cadeaux et leur fit des tracasseries sans nom. Par exemple, il logea ses hommes de main chez tous les voisins du petit Russe et du gros Chinois. Par les fenêtres, les hommes de main multipliaient les gestes hostiles et les propos menaçants à l’égard du petit Russe et du gros Chinois.
Dans le village, les gens réprouvaient de plus en plus ces agissements. La population commençait à se diviser en deux camps. Il y avait le camp de la brute, qui vivait essentiellement de la fabrication de billets de Monopoly, et il y avait le camp des autres, qui vivaient de leur travail. La brute appelait son camp « communauté internationale ».
Parmi les habitants qui étaient soumis à la loi de la brute, il y avait un Ukrainien famélique qui justement était un voisin du petit Russe. Moyennant une maigre pitance, l’Ukrainien famélique, qui hébergeait en secret un homme de main de la brute, faisait tout ce que la brute lui demandait, multipliant les provocations à l’égard du petit Russe, et s’en prenant même à Donbass, qui était l’un des enfants chéris de ce dernier.
Les tensions dans le village augmentaient. La brute repoussait avec arrogance les tentatives de conciliations du petit Russe. Bref, ce qui devait arriver arriva : un jour le petit Russe, qui pratiquait le judo, entra chez l’Ukrainien famélique et le terrassa d’un uchi-mata rondement mené. L’homme de main de la brute, quant à lui, retourna chez son maître le nez en sang.
Les habitants du village, ceux qui ne faisaient pas partie de la « communauté internationale », étaient médusés par le courage du petit Russe. Qu’allait faire la brute maintenant ? Le Français, l’Allemand et l’Anglais, lâchement abrités derrière la brute, voulaient que le petit Russe soit corrigé.
Après cela, la vie du village fut complètement bouleversée. Un habitant avait osé tenir tête à la brute, ce qui redonnait de l’espoir à la plupart des gens. C’était donc possible ! On commençait à s’interroger ouvertement : la brute avait peur, était-elle aussi forte qu’elle le disait ?
Le petit Russe, qui ne pouvait plus échanger son gaz et son aluminium contre des billets de Monopoly (la brute refusait maintenant tous ses cadeaux) s’est alors tourné vers son voisin, le gros Chinois. Il lui a dit :
– Et si nous faisions nos propres billets de Monopoly ?
Le gros Chinois a trouvé que l’idée était bonne. Un des trois gérants de station service a déclaré qu’il accepterait les billets de Monopoly du petit Russe et du gros Chinois. Un autre habitant, un Iranien je crois, a dit que lui aussi les accepterait. D’autres encore, un Vénézuélien, un Biélorusse, un Kazakh, un Kirghize et même peut-être un Indien et un Brésilien ont fait part de leur plus vif intérêt.
La brute, qui n’était pas totalement idiote, a pressenti que tout son système de photocopies était sur le point de s’effondrer. Si le petit Russe et le gros Chinois menaient leur projet à terme, le village ne lui apporterait plus de cadeaux ! Elle, la brute, qui est exceptionnelle comme on le sait, devrait alors travailler si elle voulait manger. Elle, la brute, dont la destinée était manifeste, deviendrait alors un habitant comme les autres. L’impensable se produirait : elle perdrait son statut particulier pour devenir quelqu’un de « normal » !
La brute voyait bien que la moitié des habitants du village était déjà prête à suivre le petit Russe et le gros Chinois. Un nouvel ordre se dessinait, dans lequel la domination de tous par un seul n’aurait plus sa place.
Or, que peut faire une brute épaisse qui croit disposer de la force et du droit à dominer les autres, si ce n’est utiliser cette force pour faire valoir ce droit ?
De fait, la brute se persuadait qu’elle devait agir, que son existence en tant que brute en dépendait. De plus, elle se disait qu’elle n’avait jamais perdu une bataille, et qu’il n’y avait pas lieu de douter de l’issue de celle-ci.
Depuis longtemps, la brute avait prévu de faire irruption chez le petit Russe et le gros Chinois et de leur faire subir ce qu’elle avait fait impunément subir au gérant de station service récalcitrant. La brute attendait simplement le bon moment et il lui semblait maintenant que ce moment était venu.
Ce moment est celui que nous vivons :
La brute vient de sortir de chez elle. Elle marche en direction de la maison du petit Russe. Tous les habitants retiennent leur souffle. Regarde, le petit Russe se tient sur le pas de sa porte, prêt à en découdre s’il le faut. Vois : il n’a pas peur ! Le gros Chinois, quant à lui, ne se fait pas d’illusions, car il sait que son tour viendra après celui du petit Russe. Il se prépare lui-aussi.
Que va-t-il se passer à partir de maintenant ?
A cette question, ma petite fille, je ne peux répondre pour l’instant. La brute comprendra-t-elle avant d’arriver chez le petit Russe qu’elle doit enfin se comporter comme un habitant normal ? Je crains bien que non. Préférera-t-elle détruire le village plutôt que d’abandonner son statut et l’idée délirante qu’elle a d’elle-même ? Je crains bien que oui.
La suite de l’histoire est en train de s’écrire…
Si Dieu le veut, un jour je te raconterai la fin.
source : Autochtonisme
Adblock test (Why?)
Source : Lire l'article complet par Réseau International
Source: Lire l'article complet de Réseau International