L’auteur est journaliste indépendant, membre du Regroupement Des Universitaires
Les artistes peuvent souvent nous servir, sans en avoir l’air, des leçons de vie. Sous le couvert d’un divertissement destiné au grand public, ils peuvent nous envoyer un message qui donne à réfléchir. C’est le cas de plusieurs grands dramaturges, romanciers et essayistes passés au rang des classiques.
Plus près de nous, en 1970, l’écrivain américain Richard Matheson a fait paraître une nouvelle intitulée Button, Button, publiée en français sous les titres Appuyez sur le bouton et Le Jeu du bouton. Cette histoire remarquable n’a pas pris une ride, comme c’est le cas pour plusieurs autres œuvres de ce maître du fantastique et de la science-fiction (L’homme qui rétrécit, Je suis une légende, Le Journal d’un monstre, Le Jeune homme, la mort et le temps, Duel, etc.). On peut même dire que son propos s’avère encore plus pertinent à notre époque.
Appuyez sur le bouton met en scène un couple de la classe moyenne qui reçoit un jour par la poste un colis contenant une curieuse boîte munie d’un bouton de commande rouge, placé sous verre. Elle est accompagnée d’une notice leur annonçant la visite le soir même d’un homme porteur d’une proposition.
L’individu en question, un certain M. Steward, a l’air d’un représentant, mais il n’a rien à vendre. Au contraire, il leur remet une clef pour ouvrir le dôme recouvrant le bouton de la mystérieuse boîte, en affirmant qu’il suffirait que l’un des deux appuie dessus pour recevoir 50 000 $ – une somme considérable pour l’époque. Par contre, ce geste provoquera, quelque part dans le monde, la mort d’une personne qu’ils ne connaissent pas!
Le visiteur parti, les époux perplexes se trouvent confrontés à un dilemme déchirant. Si ce marché macabre n’est pas un canular, il réglera leurs problèmes financiers pour un bon bout de temps. Madame est tentée d’accepter ; monsieur ne veut pas prendre le risque de sacrifier une vie humaine.
Mais l’offre sera sans doute faite à d’autres gens, de sorte qu’un inconnu décédera de toute façon, non?
Après bien des hésitations, l’un des deux finit par céder à la tentation d’enfoncer le bouton fatidique.
Je ne veux pas révéler ici la fin tragique de Button, Button aux personnes qui n’ont pas lu la nouvelle ni visionné ses adaptations pour le cinéma et la télévision. La plus connue, celle produite en 1986 pour la série culte The Twilight Zone (La Cinquième Dimension), est surjouée et caricaturale, mais son dénouement un peu différent amplifie la leçon de morale qui se dégage de l’histoire de Matheson. À savoir : nous avons intérêt à faire des choix guidés par des valeurs de responsabilité collective plutôt que notre profit personnel immédiat. Autrement, nous créons au bout du compte des conditions perdantes pour tous. Nous y compris.
L’effet boomerang
Les peuples comme les individus sont plus que jamais confrontés à de telles situations. Les parallèles avec Le Jeu du bouton abondent.
Ainsi, dans le contexte géopolitique actuel, l’Europe est confrontée à la nécessité de se libérer de sa dépendance envers le régime de Poutine pour son approvisionnement en énergies fossiles. Pourquoi le Canada n’en profiterait-il pas pour se renflouer financièrement en augmentant les exportations du pétrole des sables bitumineux et du gaz naturel de fracturation de l’Ouest canadien?
Pourquoi le gouvernement fédéral, via son bras droit albertain, n’irait-il pas de l’avant avec des projets d’exploration de nouveaux gisements sur la Côte est, dans l’Atlantique?
Certes, les experts du climat en appellent à l’abandon des hydrocarbures afin d’accélérer la transition vers les énergies renouvelables. Mais si ce n’est pas nous qui saisissons l’opportunité, d’autres pays le ferons à notre place. Leur pétrole et leur gaz sont peut-être moins sales que le nôtre, mais est-ce que cela fera ultimement une grosse différence?
Nombreux sont ceux qui voudraient ainsi laisser les coudées franches à l’industrie pétro-gazière coast to coast, car le combat contre les GES leur semble maintenant perdu d’avance. Ce sont souvent les mêmes personnes qui, hier encore, prétendaient qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter autant pour l’avenir de l’humanité…
Leur question à 50 000 $ se résume ainsi : à quoi bon être vertueux si d’autres nations moins scrupuleuses saisissent les opportunités lucratives à notre place, et que nous aboutissons au même constat d’échec sur le plan environnemental? Nous allons tous passer à la casserole climatique de toute façon.
La réponse des écolos peut paraître trop idéaliste, voire naïve et pourtant, je ne peux m’empêcher d’y adhérer : le seul fait de ne pas avoir honte de soi quand on se regarde dans le miroir devrait déjà constituer une raison suffisante pour ne pas embarquer dans ce jeu-là. S’autoriser à pouvoir continuer d’espérer.
Pouvoir se dire que, malgré la conjoncture extrêmement difficile, nous faisons le maximum pour assurer aux générations futures une qualité de vie acceptable, le plus longtemps possible. Quitte à se priver d’une couche de confort superflu. Mieux vaut être un vertueux que vertueur. Tout comme une vie humaine ne s’achète pas, une conscience en paix n’a pas de prix.
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